Pages

jeudi 3 février 2011

Si j'étais que de Moubarak ou du peuple de l'egypte longue...

(Extrait du dialogue entre le Torrentiel et un croissant de lune, herméneutique 2)

Envoyé par le Torrentiel le 3 février à 13h7

Mon cher Croissant de lune,

Ma longue réponse tardant à venir, car elle voudrait embrasser le fond des choses et tant de questions laissées en suspens dans nos interrogations mutuelles, je t'adresse en guise de propos liminaire cette réaction désordonnée à ta chronique si juste, si vécue, des événements qui secouent moins le monde arabe qu'ils ne le transforment. A travers toi, je vis ce soulèvement dans les tripes de mon vis-à-vis, ils s'importent dans les miennes, et pourtant je les lis avec mes préventions.


Mon atavisme occidental individualiste se voit intéressé malgré moi par la geste humaine, par l'épopée d'un individu au soir de sa grandeur déchue et que tous les autres bannissent, s'en servant comme d'un bouc émissaire qui, s'il a eu de la grandeur, s'il a voulu bien faire, si, de plus, il a eu l'honnêteté de ne pas en profiter, ne peut laisser de m'émouvoir comme il a failli t'ébranler. Car la voix des peuples justifie-t-elle toujours que soit brisés le destin et la réputation d'un homme que le peuple a pris ou accepté pour son chef ? Jusqu'ici ne va pas mon démocratisme que je donne raison au peuple à tous les coups. Le peuple sait aussi quelquefois être injuste et déraisonnable, surtout s'il se fait foule, surtout s'il fait porter sur un seul homme tout le poids d'une souffrance qui dépasse cet homme, ce chef, ce raïs de bonne volonté. Aussi, si j'étais toi, aurais-je connu et peut-être cédé au même ébranlement qui t'a saisi, à entendre le discours de Moubarak.

Et si j'étais que de Moubarak, pour mon honneur, je ne céderais pas, je ne voudrais pas partir. Encore pourrais-je accepter d'être démis par mon peuple. Je n'aurais pas cette imperméabilité des "voix venues d'un autre siècle" qui me rendrait insensible aux aspirations du peuple que je me sentirais investi de la mission de guider. Mais, pour commencer, je mépriserais mes fils, ceux-là même pour qui j'aurais préparé un matelas pour qu'ils prennent le pouvoir après moi, d'être partis, serait-ce à ma demande, mais quoi qu'il en soit par une telle lâcheté que je trouverais indigne que ma progéniture abandonnât son père vieillissant à la vindicte d'un peuple qui l'honnit et au soutien d'une armée qui va se faire de plus en plus conditionnel.

"Une voix venue d'un autre siècle" à te peser sur la poitrine, à lire cela, je me suis dit :
"Moubarak serait-il de Gaulle ?" cette manie qu'a le Français de tout ramener à son histoire ! On peut aussi supposer qu'il serait Pétain, car Pétain savait serrer le coeur des civils et des militaires dans sa déroute faisant, disait-il, "don de sa personne à la France" comme ce général Moubarak prétendit non sans grandeur "avoir servi l'egypte dans la guerre et dans la paix" et vouloir mourir sur son sol, fût-ce en martyre, comme en son temps déclara vouloir le faire arafat assiégé et qui refusait toute évacuation vers l'étranger pour rester au milieu des siens.

J'ai dit que j'accepterais d'être démis par mon peuple ; mais j'en remontrerais à mes fils de m'avoir abandonné ; et surtout, je n'accepterais pas que les puissances qui m'ont pris pour leur créature me signifient mon congé, comme l'a fait le sinistre Barak-Hussein Obama, Président des Etats-Unis dont l'immobilisme seul éclate à la face de la "politique spectacle", qui se règle, lui et son état-major, sur le cours que prennent les choses dans l'espoir d'installer d'autres créatures à la place de la prétendue créature en voie d'être destituée. Un fait cocace a probablement échappé à ta vigilance, car tu as mieux à faire que d'observer comment réagissent les journalistes français à un phénomène qui est en train de leur échapper de toute sa hauteur et de toute leur bassesse, eux qui n'ont pas même été capables de jeter un "mea culpa" pour n'avoir pas informé en son temps le peuple de la "suite tunisienne" des événements de décembre et qui ont beau jeu, à l'heure qu'il est, de tomber sur Michèle alliot-Marie, qui devrait démissionner pour s'être comportée si lamentablement qu'elle soit allée passer des vacances dans un pays soulevé par un vent de bouleversement, qu'elle prenait pour de simples jacqueries, preuve que cette gaulliste n'avait à tout le moins pas le flair de de Gaulle. Mais les journalistes français ont commis hier matin, sur France Inter, ce qui ne relevait même pas d'une bassesse, mais d'un aveuglement volontaire ou d'une insondable bêtise. Patrick cohen, qui avait consacré sa matinale à un "spécial Egypte", demandait à l'envoyé spécial de sa station au caire si les jeunes égyptiens avaient eu vent de la déclaration d'Obama qui aurait dû, c'était sous-entendu sous sa question, faire exulter ces jeunes de joie puisque, désormais, l'amérique était à leurs côtés. L'envoyé spécial, dont j'ai malheureusement mangé le nom, mais qui était un journaliste arabe dont les reportages n'ont jamais manqué d'allant, n'osa faire sentir au rédacteur en chef de la tranche dont il avait la responsabilité combien sa question était incongruë. Pour toute réponse, après une seconde de silence embarrassé, ne sachant que répondre à une pareille question, il attribua au décalage horaire l'absence de connaissance où étaient les jeunes qui lentouraient sur la "place de la libération" dont ils avaient fait leur campement, de la déclaration du Président des Etats-Unis, monolithe d'un monde unipolaire en train de se multipolariser, c'est-à-dire de s'équilibrer, dans le meilleur des cas et dénouements possibles de ce "moment décisif", de cette "crise" positive et politique qui rebat les cartes du monde.

Mais si j'étais que de Moubarak, je crois que j'aurais éviter de faire l'erreur qu'il a commise le jour suivant, 2 février, d'envoyer des barbouses aux manifestants de la "place de la libération". Moubarak est-il de Gaulle, est-il Pétain ? Il aura essayé de la méthode gaullienne, il aura tenté de détourner la révolution par l'organisation d'une contre-manifestation qui n'aura eu rien de spontané. Il aura même fait arriver ses séides "à pied, à cheval ou en voiture" comme le recommandait Michel debré au moment du poutsch du "quarteron de généraux en retraite" en algérie. Seulement les zbires qu'il aura envoyés cohabiter sur cette place de la libération avec les manifestants qui y campaient pacifiquement pour exiger avec des mots musclés que le Président "dégage", en français dans le texte, auront violenté ce peuple, et ce sera un péché qu'il ne pourra pas lui pardonner. Si Moubarak a eu quelque grandeur, comme tu le concèdes et comme il me semble qu'il en a fait preuve par l'inflexibilité de sa volonté de se maintenir, ayant le monde entier contre soi, ici le chef militaire qu'il était a eu des oeillaires, lesquelles ne lui ont pas fait voir qu'il aurait pu faire éventuellement retomber le soufflet révolutionnaire en tâchant de convaincre la passion politique en train de s'embraser que le peuple n'en avait plus pour longtemps à le supporter, qu'il était d'accord de servir l'organisation de la "transition démocratique" qu'on lui demandait, qu'il était le mieux placé pour le faire et pour la réussir, disposant des leviers qui auraient permis que la chose ne se fasse pas dans le sang. Il est peu probable que le souffle révolutionnaire ait été accessible aux arguments de la raison. Peu probable, mais pas impossible. Il est possible que sa riposte du 2 février l'ait entraîné un pas définitivement trop loin.

Qui donc constitue les soutiens de Moubarak à travers le monde ? Trois dirigeants de pays sont mis en avant : il y a les Israéliens, qui agitent le "spectre iranien", c'est de bonne guerre : Israël a peur, comme tu me l'écrivais dès que tu analysas la nouvelle donne arabe. Est-ce à dire que ses jours sont comptés ? Je n'irai pas jusque là, mais tu accuseras dans mon attentisme l'effet de quelque prévention et je ne pourrai pas te donner tort, non sans ajouter que la politique obéit toujours à des réflexes conditionnés et à des préventions affectives, qui nous empêchent, heureusement, d'analyser froidement la situation du monde, en dehors de nos émotions, à la gamme desquelles appartient la peur. Je ne souhaite pas pour l'Occident, pour la chrétienté, et même pour le monothéisme, la disparition d'Israël, je souhaite sa conversion à la paix, restant d'accord que la question se pose de la possibilité de cette conversion et si Israël n'est pas condamné par sa position ethnicogéographique à se sentir "seul contre tous". Mais passons là-dessus, nous en parlerons plus abondamment une autre fois, c'est-à-dire dans ma contribution prochaine. Je voudrais simplement faire remarquer qu'il a été beaucoup reproché à Moubarak d'avoir été dans la continuité de sadat concernant Israël, ce qui lui a valu une sourde hostilité de son peuple, où le sentiment antiisraélien est fortement ancré. Certes, mais comme l'a fait remarquer un observateur, la paix que Moubarak a faite avec Israël est toujours restée une "paix froide". Moubarak ne s'est rendu qu'une seule fois sur le sol israélien. Il ne l'a pas fait comme sadat, dans le triomphalisme impopulaire de sa signature. Il l'a fait comme à la dérobée, pour se rendre aux obsèques d'Yitzhak Rabin. En cela, il a satisfait à une de ses obligations plus ou moins protocolaires de chef d'etat après la mort d'un dirigeant qui s'était mis à vouloir faire la paix et s'était fait assassiner par l'un de ses concitoyens, sa présence ne faisait que rendre les honneurs à un homme mort plus justement qu'il n'avait peut-être vécu et qui était l'un de ses confrères que le "droit des gens" l'obligeait à honorer. Moubarak n'a pas été sadat. comme tu le reconnais toi-même, dans une situation où le rapport de forces lui était défavorable, il a assuré la paix dans son pays. Ce qu'on peut lui reprocher de plus grave est de s'être prêté à la criminelle mascarade américaine d'avoir apporté le concours de l'Egypte à la guerre des américains contre l'Irak. Mais si tu dis que les finances égyptiennes reposaient sur le soutient d'une banque koweitienne, on peut inférer que c'était pour ne pas rendre son pays exsangue qu'il a agi ainsi, et on peut comprendre les motifs de son action, même si ça ne la justifie pas.

Deuxième "direction d'Etat" qui soutient Moubarak ostensiblement (et ici, l'étonnement du candide va croissant), c'est l'autorité palestinienne, qu'on croirait par position obligée de prendre le contrepied systématique de toutes les positions israéliennes. Sûr que ça ferait mieux aimer cette autorité de son peuple, si cette réconciliation était encore possible, après le double coup d'etat de l'imposition par Israël de Mahmoud abbas qui, de temps lointain, a collaboré pour ses affaires avec Israël et, après la prolongation indue de son mandat présidentiel, qui est arrivé à échéance depuis deux ans, fait qu'on se garde bien d'avancer, dans l'etat sous le contrôle duquel vit injustement la bande de Gaza, échaudé que l'on est par la crainte que, si on poussait l'autorité palestinienne à organiser des élections, le Hamas ne soit reconduit et qu'on se trouve dans l'impasse, après avoir prôné la démocratie, de dire qu'on ne saurait discuter avec cet agent du "terrorisme", dont le parti n'a pourtant pas été dissout ni interdit aux élections. A vrai dire, la logique élective pèse de peu de poids par le temps qu'il fait, et la démocratie qui se fait jour dans le monde arabe promet moins de résoudre les problèmes de cette société par des élections que d'en crier la souffrance.

Dernier soutien chevronné du "pharaon" d'egypte malade et en proie aux secousses de son peuple, Muammar Khadafi, le guide de la révolution lybienne, qui n'a pourtant jamais eu la langue dans sa poche, qui n'a jamais trempé dans aucun complot américain de déstabilisation du monde arabe et dont le régime ne paraît pas menacé parce que, m'a-t-il été dit, je ne sais plus si c'est par toi ou quelqu'un d'autre, la société lybienne fait l'expérience d'une certaine forme de "démocratie" puisqu'y est organisée chaque mois, dans chaque village, une réunion où tous sont invités à prendre la parole sans crainte, avec promesse qu'ils ne seront pas inquiétés d'avoir exprimé leurs doléances. Ceci fait, les hauts fonctionnaires chargés d'assister à cette réunion doivent faire remonter l'information jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, et tout problème soulevé connaît un "droit de suite" quant à son règlement, évoqué au cours de la réunion suivante. C'est sans doute une peinture un peu idéalisée des relations du peuple lybien à ce qui peut moins être qualifié d'un etat qu'identifié à une structure paternelle autoritaire, mais efficace, à la monarchie telle que rêvent qu'elle aurait été ses zélateurs nostalgiques qui la dépeignent ayant fonctionné de la sorte. Une sorte d'ensemble de souverainetés fédérées à un prince souverain. Serait-ce là le modèle de la "société islamique" tel que tu voudrais en proposer l'extension à l'Occident ? J'avoue qu'il me séduit, si je mets à part sa dimension religieuse. Tu dis qu'elle me protègerait ? Mais pourquoi veux-tu me placer sous régime de protectorat, dans une sorte de minorité où tu serais mon tuteur, comme tu me reproches de l'avoir fait du temps de la colonisation ? Cette question pouvant faire l'objet d'un prochain développement, remettons-en l'examen à des temps moins vibrillonnants. Mais, pour l'heure, comment expliquer que le dirigeant d'un pays si intelligemment gouverné, sa folie personnelle mise à part, puisse soutenir l'ennemi de son peuple qui nous est présenté dans Moubarak ? Ceci me reste un vrai mystère et une question dont je ne prétends pas connaître la réponse.

Comment réagit-on en France aux événements qui sont en train de survenir en egypte ? au plan politique, dans une anomie totale, une absence de discours qu'excuserait l'incertitude si nos hommes politiques étaient de simples citoyens, mais on les voudrait des décideurs, ayant un tant soit peu le sens de la prospective. Tu m'écris que "l'egypte longue est le coeur du monde". Comment discuter cela, si l'on s'en tient à l'histoire ? L'egypte L'oasis arrosée par le Nil fut le berceau de l'éveil du monde à l'histoire ; et, si l'on se laisse aller au lyrisme dans lequel on est forcément emporté lorsque survient une secousse qui reconfigure l'ordre du monde, on pourrait dire que l'egypte prend le relais de la révolution française dans l'expression de la frustration du monde qui veut que l'ordre qui le gouverne soit plus juste. Sur les médias français, j'ai entendu de drôles de choses. L'une en particulier m'a frappé : c'était Julie clarini qui déplorait la perte de notre sens de l'héroïsme et le fait que nous n'en appelions plus aux héros. Elle le déplorait, mais elle s'en félicitait tout uniment, comme si nous n'avions plus besoin de héros, protégeons-nous contre cette engeance ! Nous n'avons qu'à croire. Car enfin comparaison n'est pas raison, mais la concussion règne aussi en maître ici, et notre peuple est aussi le jouet de gouvernants cyniques, pas seulement parce que Michèle alliot-Marie ne trouve rien de mieux à faire que de partir en vacances, sans penser à mal, sans songer à sa qualité de ministre des affaires étrangères, dans un pays en proie au changement ; pas seulement parce que Marie-ségolène Royal, qui plleure misère sur notre sort en bonne "maman gâteaux qui va nous combler de sucreries, a ses villégiatures dans des pallas vénitiens ou marocains ; pas seulement parce que les politiciens nous disent la main sur le coeur qu'ils ne vivent que de la politique et qu''ils en vivent mal alors qu'ils touchent des droits d'auteurs sur des livres qu'ils n'ont pas écrit, encaissent de l'argent pour des procès qu'ils intentent à des organes de presse qui violeraient leur vie privée qu'ils mettent en scène quand la scène est à leur avantage, qu'ils touchent des jetons de présence en étant présidents du conseil d'administration des hôpitaux civils des communes dont ils sont maires quand le citoyen peut encore à peine se soigner . Mais ces politiciens opulents ne se font pas faute d'être cyniques. J'écoutais hier matin benoît Apparust ministre du logement, interrogé par Hubert Wertas après qu'a été publié le rapport annuel de "la fondation abbé Pierre". Il commence par en minimiser l'impact en disant qu'une association est dans son rôle de tomber dans la caricature pour être un aiguillon de l'Etat. Puis il se reprend un peu et ce célibataire, qui n'est même pas père de famille et qu'on a promus ministre du logement, avance que la moyenne des locataires y consacre 25 % de leurs revenus, tandis qu'un propriétaire (on en compterait 56 % en France), qu'il ait ou non payé les traites de sa maison, n'y consacrerait que 10 % de son revenu. Mais dans quel monde vit ce ministre, alors que toutes les agences immobilières ne consentent à allouer des logements à ceux qui leur en font la demande qu'à condition qu'ils soient en mesure de prouver que le montant de leur loyer n'excède pas 35 % de leurs revenus, ce qui est impossible pour un smicard, à moins de vivre seul et d'occuper un studio mytheux. Mais même un solitaire, dont on compte quelque 52 ou 53% dans notre pays, est souvent obligé de vivre en colocation en l'absence de plafonnement des loyers par l'etat, qui répondrait au mal-logement parce qu'il construirait 120000 logements sociaux sans jamais réquisitionner le moindre logement vide, comme la loi l'y autorise, qu'il n'a pas l'intention d'appliquer, précise le ministre, parce qu'elle lui paraît inopportune, comme si c'était au ministre à juger les lois et non à les faire appliquer. De même, le système de soins devient de plus en plus précaire. J'ai appris avant-hier que les médecins, dont on avait longtemps fait en sorte qu'ils ne se multiplient pas au-delà d'un numerus clausus qui organiserait une désertification médicale pour boucher le trou de la sécu, sont encore obligés par cette caisse de ne pas dépasser un quota de consultations par jour, en sorte qu'un généraliste serait-il le le médecin traitant d'un patient qui a besoin de le voir en urgence, indépendamment du fait qu'il ne se déplacera pas à son domicile, ni de jour, ni de nuit, s'il a dépassé son quota de malades, que ce patient se rende chez lui, il ne le recevra pas, ou il sera mis à l'amende. Hier, j'apprends qu'une amie, qui fait un nombre qui la met en danger de morts d'apnés du sommeil, se voit attribuer une espèce de masque à oxygène qui régule sa respiration. Mais ce masque est équipé d'un mouchard qui enregistre tous les mouvements de son sommeil, mais pas seulement, qui enregistre aussi combien de temps par nuit elle a utilisé ce masque. Si elle l'a utilisé moins de quatre heures par nuit, la sécurité sociale, à qui les données du sommeil de cette amie sont transmises, le lui dérembourse, le considérant comme un objet de luxe, quand bien même le fait qu'elle ne l'utilise pas quatre heures par nuit tiendrait à ce qu'elle ne le supporte pas pendant une durée aussi longue. Voilà un exemple où l'on est mouchardé jusque dans son sommeil comme les Tchétchènes ont été "poursuivis jusque dans les chiotes", dixit l'ancien Président de la République de russie, qui est pourtant moins réputé pour sa verdeur de langage que pour être un glaçon humain, et comme nous-mêmes sommes "poursuivis jusque dans nos poubelles" dans "le tri sélectif" que nous devons faire de nos "déchets", tout un symbole ! Partout, nous avons laissé s'instaurer une bureaucratie qui n'a rien à envier au système communiste, sauf que le système communiste était un régime protecteur, alors que notre bureaucratie des "appartements collectifs" et des prises de tickets dans toutes les administrations, ne nous protège contre rien, puisque dans tous les domaines, la virtualité de la circulation des ordres financiers précède la réalité humaine. Est-ce qu'à nous placer dans la roue de l'"egypte longue" pour être "positivement contaminés" par sa révolte, nous serions rappelés par l'Islam qui est devenu quoique d'importation le centre religieux de sa nation, à la réalité d'un régime simple, qui nous obligerait à remettre le monde à l'endroit, dirigé par l'homme et non par l'argent, par l'homme, intendant de la terre et non par la terre qui devrait assujettir l'homme pour que nous vouions un culte à ce qui est en bas en ne regardant plus vers le ciel et en nous contentant de nous préparer à devoir aller chercher bientôt nos tickets de rationnement de pétrole, comme Israël distribue chichement l'eau dont tu me dis que ta nation a inventé le moyen d'une répartition équitable sans que, pour l'heure, tu m'en aies expliqué le procédé ? Est-ce que l'Islam, à ton gré, nous ramènerait au "sens" par l'imposition d'un retour au primat de l'homme inséré dans une société de proximité marquée par des rapports de simplicité ? En ce cas, je suis preneur du modèle social islamique. Mais je n'en suis pas preneur si le corrolaire de me donner une "leçon de société" est de me soumettre pour que je vive sous sa loi et non pas à son exemple et s'il m'impose de près ou de loin de faire mienne une idéologie religieuse qui est étrangère à mes croyances. C'est toute l'ambivalence dans laquelle je suis à l'égard des événements que j'observe, dans la joie de voir se relever des opprimés, dans la certitude où j'étais que cela devait arriver d'une manière ou d'une autre après cette plus que goutte d'eau que fut l'injuste guerre américaine du golfe, mais dans l'incertitude à la fois du dénouement que trouveront ces événements et du fait de savoir si cette libération d'une nation défaite souhaite ma ruine ou mon relèvement à sa suite, en homme libre à côté d'elle. Je ne méconnais pas enfin que, si l'Egypte est le coeur du monde, Israël est le coeur du monothéisme, et la radicalité antisioniste que tu me présentes comme étant consubstantielle à cette révolution me paraît problématique, non pas en ce que le sionisme soit une cause juste à laquelle on ne doit rien trouver à redire, mais en ce que le judaïsme est le tronc commun de nos trois religions que vous appelez des "peuples du livre" et que le fait de "rayer Israël de la carte" sans prendre en compte qu'il a fait l'objet d'une Promesse divine sur laquelle la tienne et la mienne ont grandi me paraît une solution radicale qui perpétue l'éradication de sinistre mémoire en te faisant reproduire un modèle occidental sur lequel tu n'émets par ailleurs que de trop justes critiques. On attise ma peur en me faisant valoir que l'islamisme serait le communisme du XXIe siècle comme André Gaillard, l'auteur du livre dont tu m'as communiqué le lien dans ta missive, me fait valoir que le sionisme serait la "troisième idéologie" dont le monde aurait à souffrir après le nazisme et le communisme. Je sais que la guerre est mon impensé, mais cela me donne l'avantage, parce que je ne veux de mal à personne, de chercher le bien de l'humanité qui passe, j'en suis d'accord avec toi, en priorité par le relèvement des plus écrasés, mais pas au prix de la vengeance de ceux-ci contre leurs oppresseurs, sans quoi l'on entrerait dans le cercle infernal de la rancoeur, et l'on n'en sortirait pas plus qu'avec la création irréfléchie et précipitée d'un Etat d'Israël obligé de rechercher l'appui des puissants de ce monde pour ne pas se sentir seul au milieu d'ennemis trop nombreux et temporairement désorganisés. Sans doute me diras-tu de laisser Israël aux américains et de venir, moi, l'Européen, te rejoindre et apprendre à t'aimer pour que nous redressions ensemble un monde qui se tienne. Je ne demande qu'à te croire et qu'à te suivre ; mais m'aimes-tu et comment m'aimes-tu ? M'aimes-tu libre ou soumis ? Et, si j'osais parodier les paroles du christ, "m'aimes-tu plus que ceux-ci", je veux dire que les sionistes qui vivent comme toi sous le toit de ma France où tu es le bienvenue et où ils se sont assimilés, au moins en apparence ? M'aimes-tu, toi qui veux que j'apprenne à t'aimer et qui ne cesse de vitupérer que mon colonialisme d'autrefois ou que mon croisérisme d'aujourd'hui sont à l'origine de tous tes maux ?

Tu me certifies m'aimer plus que ceux-ci. Sur ce point, je t'en donne acte par la simple analyse suivante : les Juifs, depuis l'affaire dreyfus, n'ont cessé de demander que je les défende sans jamais songer à m'intéresser à leur prospérité. Ils m'ont demandé de les reconnaître, se sont félicités que mon christianisme ait assuré la pérennité de leur religion, mais ne se sont guère intéressés à moi, n'ont pas songé à m'intégrer dans leur communauté, alors que les rapports entre toi et moi sont beaucoup plus spontanés, même si nous estimons de part et d'autre avoir de temps à autre un passif à régler. Ce qui me frappe dans la naissance de l'"onde de choc" comme on appelle à ce jour le mouvement qui s'est transmis au départ de la tunisie dans tout le monde arabe et si je compare cette onde de choc à la naissance d'Israël issue de "l'affaire Dreyfus", c'est que, dans un cas comme dans l'autre, tout est parti d'un fait divers, je me méfie des faits divers. Mais dans un cas, il s'est agi de défendre un capitaine qui estimait son honneur baffoué sur la base de soupçons plus que sensés : la communication possible à l'ambassade d'allemagne par un juif alsacien, donc frontalier de ce pays, capitaine de son état dans l'armée française, de documents sans importance trouvés au fond d'une poubelle par une femme de ménage, un bordereau ramassé par une subalterne, ce qui a créé pêle-mêle le travaillisme (il fallait défendre cette femme de ménage), la mise en valeur de la bureaucratie (l'importance à attacher à des bordereaux), la médiatisation (la défense du capitaine au risque de l'exil des uns et de la mort des autres), le renvoi à l'"île du diable" de ce capitaine, puis son retour en France, la grâce présidentiel dont ce capitaine se contente après son second procès qui le condamne encore sans exiger une réhabilitation qui lui sera accordée tout de même. Pour la défense de ce capitaine, une énergie et des moyens considérables sont mobilisés, des faiseurs d'opinion qui ne tarissent pas et qui vont ériger le fait divers, après l'affaire Callas, il est vrai, comme l'un des "beaux arts", au point que, pour le malheur des petites et des jeunes filles abusées, seul leur viol les fera sortir de l'ombre, quand elles mèneront une vie ordinaire et seront la proie de sadiques sexuels comme le meurtrier de cette jeune Laetitia tout récemment, dont on n'aurait pas connu l'existence, si elle n'avait pas disparu, puis si son ignoble assassin ne l'avait pas coupé en morceaux et qu'on n'eût pas retrouvé son corps. A cause des vagues d'antisémitisme déclenchées par l'affaire Dreyfus, theodor Herzl ne croit plus que l'on puisse faire autrement que de concéder un etat aux juifs, où ils puissent vivre en sécurité. Bref, un Etat pour l'honneur éclaboussé d'un homme, qui a plus été défendu qu'il ne s'est défendu lui-même !

Je n'approuve pas l'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, je la trouve d'une extrême violence dans laquelle il a, selon toi, probablement fait preuve d'un sens politique tout à fait visionnaire en imaginant les répercutions qu'aurait son geste sur le peuple. Je suis dubitatif sur le caractère visionnaire de ce geste désespéré. Mais je reconnais ceci : Mohamed Bouazizi n'a pas fait jouer la corde sensible du monde en attendant qu'on le martyrise comme peuvent le faire certains chrétiens. Il n'a pas (sans doute n'en avait-il pas les moyens) sollicité une noriah d'avocats pour qu'on défende son droit baffoué de commercer au détail dans un souc tunisien d'où, comme ce jeune diplômé n'avait point de patente ni de quoi payer le bakchich dont les policiers se seraient contentés, on a voulu le chasser. Il ne s'est pas laissé faire, il n'a pas craint de s'infliger le supplice de se brûler vif sans recours à des tortionnaires, et ce geste a eu un effet boule de neige, le geste de quelqu'un qui a brûlé d'être maltraité, qui n'a sollicité aucune défense, la défense est venue d'elle-même parce qu'il n'a pas fait cas de sa vie, tandis que le capitaine Dreyfus rétabli dans son grade, n'a point fait cas des morts colatéraux qu'a déclenchés son affaire, du moins ne s'est-il lu aucune citation connue qui pourrait attester du contraire.

Dans cette reconnaissance de l'offrande de cet homme qui a détourné la médiatisation, non pour la victimisation ni pour sa dérive voyeuriste, mais pour la justice, je t'envoie ce signe de ma solidarité

de Torrentiel pusillanime, interrogatif, tourmenté et partagé entre l'espoir et la crainte, devant l'écroulement du monde ancien

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire