(dans la série du dialogue entre le Torrentiel et un Croissant de lune, partie IV, chronique et herméneutique),
1. NOuvelles tunisiennes.
(envoyé par le croissant de lune, le 28 décembre 2010 à 21h56
Ami Torrentiel.
Nous sommes le soir du 27 décembre.
Toi, l'ami patient, à l'écoute de mes plaintes, souffriras-tu encore mes Jérémiades? Souvent je t'importunes, je te fais témoin de mes préoccupations et tourments! Veux-tu bien, ce soir encore, être le dépositaire de mes lamentations? Il n'est pas convenable d'abuser, comme je fais, d'un ami et confident. Le proverbe Arabe dit : "Si ton ami est de miel, ne le manges pas tout entier!" Vraiment, le mal de la Nation, jamais ne cesse et ne m'oublie, serait-ce d'un jour.
Ce soir, mon coeur est sur la Tunisie verte, qu'on dit être le pays du bonheur, le paradis des touristes, pays des plages, des jasmins, des agrumes et oliveraies, Tunisie qu'on pourrait qualifier de petite soeur de la France, si ce n'est, plutôt sa fille aînée, son élève studieuse, son émule. On a dit des choses du genre, que Tunis est une banlieue de Paris. Quand un président ou un ministre Français venait en visite, dans ma Tunisie verte, il ne manquait pas de se fendre d'un compliment bien frappé, bien souligné, comme ceci, "La Tunisie a pris son essor, dans la voie du développement et du progrès!" Alors, retentissaient les aplaudissements et acclamations d'un peuple qui aime les encouragements et bonnes notes dans sa ferveur haletante dans le chemin du progrès. Tout ça n'était pas faux. Notre premier raïs, avant que la vieillesse prolongée ne l'atteigne, fut un ardent progressiste. Quand il voulut construire une école dans le moindre des villages, il ne s'agissait pas d'objecter aucune limite budgétaire. Il exigea, et il eut des écoles partout, et des maîtres d'écoles, et ils furent payés, logés. Il y eut des lycées, des universités, quelques grandes écoles, rien n'a manqué. Quand une année, 69, je crois, une épidémie de choléra s'était déclarée dans les pays voisins, qu'elle décima bien du monde dans la Lybie mal tenue, sous la dynastie des Sennoucides, Bourguiba réagit avec tant de promptitude que toute la population se soumit aux soins prophylactiques. Bourguiba, qu'on nommait alors, le combattant suprême, fut plus fort que l'épidémie et ne lui permit pas de prospérer sur nos corps. Quelles que soient ses erreurs, ce grand homme nous laisse à présent un souvenir ému et nostalgique. Il fut le père de la patrie, un exigent maître d'école, il imposa la lecture et l'hygiène, le travail à heures fixes et d'autres bricoles. Sous son règne, il y eut de l'ordre, même un peu de prospérité! Depuis sa mort, ou plus précisément, depuis que devenant vieux, la réalité du pouvoir passa en d'autres mains, rien de vraiment grand ne se fit plus. Même ces dernières années, si la Tunisie connut parfois une croissance à 2 chiffres, cela tient aux institutions performantes qu'on sut alors mettre en place. L'industrialisation de plus en plus poussée et conséquente, nous n'en aurions pas, sans l'école nationale d'ingénieurs, qui fonctionne vraiment, et qui produit des techniciens et cadres de grande valeur. Au temps de Bourguiba, si la croissance fut lente, du moins, elle était perceptible et ressentie par tous. La croissance actuelle, qui n'est après tout que le fruit des efforts basiques et structurels qui furent accomplis à l'aube de l'indépendance, n'est plus qu'un chiffre abstrait, que beaucoup ne perçoivent pas, et dont on doute. C'est par ailleurs, une confirmation flagrante du jugement d'Emmanuel Todd, selon lequel la croissance et l'émergeance doivent être atribuée d'abord, aux efforts d'enseignement de masse, de valorisation de l'homme.
La Tunisie n'est pas, comme croient beaucoup, une république touristique, elle est surtout pétrolière et phosphatière. Le pétrole Tunisien serait de haute qualité, bon pour l'aéronautique. Le phosphate, la Tunisie en est le premier producteur. Conditionné dans des usines chimiques fort polluantes, l'engrais phosphaté est expédié partout où on a besoin de pousser les productions, matière stratégique indispensable, dont le prix, en 2008, aurait quadruplé, puis s'est maintenu, malgré le krach! Ce qui est remarquable, c'est que cette vitalité reste si puissante, en dépit de l'incurie des actuels gouvernants! Les industries et activités se créent, en dépit des prédations et pillages, du règne d'une corruption permanente. Certaines récentes révélations, du fameux site Suédois, montrent à quel point l'institution diplômatique Américaine méprise ses créatures. Elle veut des capitulards, mais qu'ils soient propres, voilà bien une chose qui n'existe pas, une chose tout à fait impossible. Les gouvernants Tunisiens, y sont clairement qualifiés de maffia, mais remarques bien que les Américains, leur puritanisme hypocrite mis à part, n'ont pas de leçon à donner en matière de morale et de vertu, eux qui ont su inventer la corruption légale, l'achat et le trafic d'influence autorisé, qu'ils désignent sous le nom de "lobeeing", ce qui n'empêche pas, que par surcroît, le vol et la corruption illégale sévissent bien chez eux!
Depuis une douzaine de jours, la Tunisie verte est en ébullition. Les évènements ont commencé à Sidi-Bouzid. Un étudiant pauvre, pour vivre ou survivre, s'en va au souk, vendre des effets et marchandises. Un flic prédateur, sitôt qu'il l'aperçoit, le siffle et se dirige droit sur lui. Il lui fait vider les lieux, et l'accable d'une amende. Tels font, presque par réflexe, les chiens de garde des gouvernants vermoulus. Ils croient faire leur devoir, quand ils mordent la chair tendre de la Nation, quand ils frappent et verbalisent quiconque s'imagine être en droit de survivre. En règle générale, il ne se passe rien. On les traite de chiens, quand ils ont le dos tourné. Mais là, c'était trop, le jeune homme s'est immollé par le feu en public! Une émeute s'en suivit, il y eut un tué et quelques blessés. Après ces incidents, les manifestations ont continué dans la ville, puis ont gagné l'ensemble du pays. Elles prennent un tour de mieux en mieux organisé, étant spontanées à la base. Des syndicats ont bien voulu les encadrer, les revendications se font de plus en plus politiques, étant au départ économiques et sociales.
Car la carence politique est totale. Une façade multi-partiste bien orchestrée, des faux communistes, des faux syndicats, des faux socio-démocrates, si tant est que concernant les socios, ce ne soit pas un pléonasme, une gauche, une droite, la panoplie complète, de théâtralisation démocratique. Le Président qui a su se prolonger, avec des scores impressionnants, a bien du mal à décider auquel de ses héritiers léguer sa tenue et son troupeau! Voilà quels sont ses profonds soucis. Les Américains s'inquiètent que sa rapacité et celle de son clan, ne produise en fin de compte de l'instabilité, des effets indésirables et contre-productifs, ne desserve leurs intérêts. Ils veulent des brigands propres, voyez-vous ça? Faudrait donc, d'après eux, qu'un gouvernant ouvre et reçoive une ambassade Sioniste, tout en restant honnête homme et respectueux de quelque chose! Dans la famille présidentielle elle-même, un frère du président, ou bien un fils, serait notoirement narco-trafiquant. Pas comme les Latino-Américains, qui, au moins, produisent et vendent la drogue aux Yankees, aux gringos! Non, on achète plutôt la came à l'étranger, pour l'inoculer et la revendre en Tunisie! Du temps de Bourguiba, nul n'entendait parler de la drogue, elle fut éradiquée complètement, sans ménagement d'aucune sorte. Les vieux consommateurs de hachiche, ne fumaient que discrètement ce qu'ils produisaient chez eux, à l'abri des regards! Or, voilà que le peuple de la Tunisie verte, est décidément trop scolarisé, trop formé, trop réveillé pour s'en laisser conter. Cette fois-ci, il semble bien décidé à ne pas se laisser payer d'un plat de lentille. Si Dieu veut, des mesures infantilisantes de baisse des prix, ni quelques distributions ne le pourront distraire et retenir de revendiquer rien de moins que la liberté, la justice, l'égalité, des changements politiques tels qu'il lui soit loisible à l'avenir, de réclamer le départ de l'ambassadeur Israïlien, et que ça s'accomplisse, puis le départ de ce qui reste de forces Françaises au large de Byserte et que sommation leur soit faite de plier bagages. Ce ne sont là que des exemples de ce qu'un peuple libre peut réaliser et faire exécuter! Le peuple Arabe et libre de Tunisie, ne veut rien de moins que s'accomplir, exister. Parmi les slogans divers et les chants, revient cet hymne de notre grand, du début du vingtième, Abou-El-Cassam El-Chabbi qui dit à peu près ceci. :
"Si le peuple, un jour, demandait la vie ;
Nul doute que la providence l'exhaucerait,
sans doute la nuit se retirerait,
et sûrement la tyrannie serait brisée."
Plus loin, dans ce chant, on dit encore que celui qui ne veut gravir les montagnes, vivra à tout jamais dans les cavernes ...
Tout le monde, les Tunisiens eux-mêmes, se tiennent pour peu téméraires, volontiers se comparent-ils à des moutons ou brebis, à des bergers paisibles dans le meilleur des cas, rien de guerrier. Les moins virils des Arabes, sont pourtant rendus aux limites de la trouillardise, puisque, si on commence à s'immoller par le feu, alors ... Enfin, il y aurait bien des nuances à ce portrait. Quand en 64, un soulèvement national vint reprendre Byserte, que la France gardait, quand des volontaires, patriotes résolus, creusèrent des sappes et fossés autour des sites et casernements, et y dressèrent les batteries, quand la foule ne prit pas la fuite alors que la France, la mitraillait de ses avions, le Tunisien ne fut pas un couard. Byserte fut reprise au prix d'un sang précieux, sang des héros. La France tint à garder une île au large de la ville qui fut rendu libre et Arabe. Le Tunisien sut verser son sang, prix de la liberté. Dans l'hymne national, entends ces vers, :
"Si de nos veines jaillit le sang,
mourons, mourons, et que vive la patrie."
La France, elle se tait, curieusement. Pas un mot sur sa petite soeur malade, sa fille aînée soufrante. Ni France-Culture, ni Europpe-1, ni les plus grandes chaînes de télévision ne relaient rien de ces informations pourtant cruciales. Il n'y en a que pour la météo, la neige, les embarras des transports, des bricoles... c'est vrai que Sarko va s'exprimer au soir du 31, avant le réveillon. On spécule sur ce qu'il dira ou pas, des bricoles. Curieux, surprenant, le silence de la France, presque connivent, pourrait-on penser. Soutien au gouvernement Tunisien, qui par ailleurs brouille la réception de la Jézira, laquelle est l'oeil et la voix libre de la Nation? Ou est-ce autre chose? Les gouvernants Français commencent-ils à craindre la contagion de la liberté? Craignent-ils l'exemplarité des hommes libres? Une autre fois, je reviendrai à la France que j'aime, et dont j'espère le bien. Dieu fasse que la France écoute la voix des meilleurs de ses savants, qu'elle retentisse sans être brouillée. Je forme des voeux pour qu'Emmanuel Todd soit partout présent, au cours de l'année prochaine, qu'il souligne le creux, la vacuité des incapables, qu'il démasque les faibles et les traîtres, qu'il remplisse le vide, pour que la France se remette à penser de grandes choses. Que cela vienne et s'accomplisse, mais ce soir, c'est la Nation que je glorifie, pour ses mouvements profonds et généreux. Gloire et vie aux Suédois et autres haqueurs, et que la Nation leur témoigne sa grattitude, eux qui démasquent les criminels, exposent au grand jour les vilainies et trahisons. Paix et repos aux cendres de ce malheureux qui périt dans les flammes, Dieu seul jugera si ce fut un péché de suscide ou l'exemple généreux d'un combattant. L'homme pieux doit le voir ainsi, et l'honnorer comme un martyre tombé dans le combat sacré. Il n'est pas mort, mais il vit, debout à la droite du Seigneur, dispensateur des nourritures.
Croissant de lune tourmenté mais fier!
jeudi 3 février 2011
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