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mardi 27 mars 2018

UN HÉROS, ET APRÈS ? LES HÉROS SONT FATIGUÉS


Posté en commentaire de l’article de Philippe Bilger :

 

http://www.philippebilger.com/blog/2018/03/un-h%C3%A9ros-un-hommage-national-et-puis.html#comments

 

 

Cher Monsieur Bilger,

 

Quelques réflexions apparemment de moins en moins faciles à entendre dans notre nouvelle bien-pensance.

 

Notre néo-bien-pensance a peur de ne pas avoir peur du terrorisme. Le terrorisme est le paroxysme de la société du spectacle où « le vrai est un moment du faux ». La vraie stupeur de l’attentat est une fausse terreur en regard du danger plus grand de l’agression ou de l’accident de voiture. Moindre est celui du terrorisme, comme moindres sont les dégâts du terrorisme en regard de ceux des guerres auxquelles nous participons et qui le déchaînent. Notre Révolution française s’est ouverte par un épisode de terrorisme où il fallait purifier la République en coupant des têtes au nom de la vertu. Notre terrorisme révolutionnaire et républicain n’est pas sans rapport avec le terrorisme mecquois de Muhammad à qui Robespierre aurait pu donner la main, et tous les deux auraient marché en révérant l’Etre suprême au mépris de l’Aufklärung.

 

Des héros, et après ? Des héros, mais encore ? Des héros, mais pourquoi ? La nation a besoin de héros, mais elle ne les mérite pas, car elle les oublie aussitôt. Sa mémoire est de plus en plus courte. L’Église a déjà oublié la renonciation de Benoît XVI comme la France ne se souvient plus de l’abdication de François Hollande. En l’espace de sept ans, le dirigeant de l’Église et celui de sa fille aînée ont renoncé à diriger le monde, devenu trop compliqué pour eux. Il y a eu le héros de l’hyper kasher ou les héros du Bataclan, qui s’en souvient ? Un ami me cite souvent le nom de Julien Galisson qui l’a beaucoup marqué.

 

Les nations qui n’ont plus de mémoire ne méritent pas d’avoir des héros. Paul-Marie Coûteaux veut croire que l’empreinte d’Arnaud Beltrame restera. Ce gaulliste frontisé n’a pas assez descendu la pente du pétainisme pour se rendre compte à quel point les Français ont encore plus la mémoire courte que du temps du maréchal et de Paul Reynaud déposant contre lui, et d’Édouard Daladier, le signataire des accords de Munich, témoignant contre le maréchal qu’« Il a gravement manqué aux devoirs de sa charge ». Pétain était un héros de l’abdication : « Je fais don de ma personne à la France ». Sa personnalité sacrificielle rappelle celle de Louis XVI et son fameux testament. De Louis XVI à Benoît XVI, du maréchal Pétain à François Hollande, souffle un même vent d’abdication qui ne tourne guère et ne fait pas chanter les héros.

 

« Le mourir pour l’autre » est, selon Levinas, la définition de la sainteté. » Notre nation n’aime plus les saints. La liberté de celui qui meurt ne se transmet pas à celui pour qui il donne sa vie. Jésus dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et le pouvoir de la reprendre ensuite. » Mais Julie, pour qui Arnaud Beltrame vient de donner sa vie, Julie est déprimée. Que va-t-elle faire de ce sacrifice ? Ne risque-t-il pas de l’écraser ? Les regards insistants et vigilants de ceux qui l’observeront vivre ne la presseront et ne la perceront-ils pas de cette question accablante : « Étais-tu digne que ce héros donne sa vie pour toi ? » Je n’aimerais pas vivre sous ce poids. Les catholiques dont je suis doivent y réfléchir à deux jours de célébrer la Passion du Christ.

 

Manuel Valls témoigne d’un beau « courage intellectuel » à persister à demander l’interdiction du salafisme. Non, M. Bilger, pour commencer parce qu’on ne peut pas interdire une forme de piété. Ensuite, j’hésite à le dire aussi brutalement, mais parce que Manuel Valls est une ordure politique. « « La gauche peut mourir », donc je l’assassine . « J’aime les socialistes » et je regarde leur vieux cadavre à la renverse pour me sentir plus proche de BHL. Je me vends à Macron qui attend que ma cote baisse ou remonte, mais il me rachètera, c’est fatal ! » Lui, Manuel Valls, qui fut le conseiller en communication de Jospin qui, au lendemain du 11 septembre, fut le premier à dire µ « Pas d’amalgame ! » parce que l’injonction sortait du tréfond de son cœur, a passé tout son bail de premier ministre – qu’il a dénoncé avant terme après avoir exigé qu’il aille jusqu’au bout du quinquennat – à se choisir pour ennemis ceux que Michel Houellebecq lui avait désignés : les islamistes et les identitaires, ce qui n’empêcha pas l’homme à l’écriture blanche, comme aussi Michel Onfray et comme Emmanuel Todd, de traiter Manuel Valls de crétin, à raison : il souffre à l’évidence d’un complexe d’infériorité intellectuelle.

 

Marine Le Pen et Laurent Wauquiez maltraitent le ministre de l’Intérieur dont le ton n’oscille pas entre la martialité et les larmes de crocodile ? Il est ridicule d’exiger la démission de Gérard Collomb. L’est-il d’expulser les ficher S étrangers ? Si j’ai bien compris, S est l’initiale de ceux qui sont soupçonnés (et ne sont pas susceptibles, sic) de vouloir attenter à la sécurité de l’État. Il n’est pas incohérent de ne pas tolérer au sein de son pays des ennemis de l’extérieur. Mais on peut aussi faire le raisonnement que, s’il manque des effectifs pour surveiller les fichés S comme pour soigner les malades ou pour former les élèves, le gouvernement par la dette prétend lutter contre le chômage en ne créant pas d’emplois et en expulsant les fauteurs de trouble. Le gouvernement par la société et par l’humanité préférera créer des emplois partout où il repère des besoins et ne se fait pas d’illusion qu’un monde connecté, interdépendant, où règne la liberté d’aller et venir facilitée par la révolution des transports, ce monde du vivre-ensemble et de la convivialité obligatoire, peut très difficilement fermer ses frontières.

Enfin, les salafistes sont-ils le terreau de l’antisémitisme ? Pourquoi le seraient-ils davantage que le pays où Léon Bloy pouvait à la fois rappeler que le salut vient des juifs et parler de tel de ces personnages comme d’une « putridité judaïque » (dans Le désespéré, probablement cher à notre ami @RobertMarchenoir qui n’en tirera pas les mêmes conclusions que moi ?) Dans une démocratie où on ne craindrait pas le clivage comme fauteur d’éventuelles guerres civiles, desquelles on croit stupidement se protéger par l’impossible homogénéité bienveillante de l’idéologie républicaine, on pourrait dire en même temps à un musulman, les yeux dans les yeux, qu’on tient l’islam pour une arriération religieuse parce qu’il a réintroduit la violence dans le champ politique du fait de la doctrine elle-même et non pas d’une déviance civilisationnelle comme dans le cas chrétien, parce qu’il est impuissant à créer des sociétés harmonieuses qu’un caillou d’impiété dans la chaussure de l’idéal de charia suffit à déséquilibrer, et parce qu’il ne parvient pas davantage à constituer une oumma pacifiée à partir de la diversité des tribus plus que des sectes. On pourrait en même temps faire tous ces graves reproches et souscrire à la tribune de Dalil Boubakeur qui réclame un « habeas corpus » et « une présomption d’innocence républicaine pour l’islam de France ». Sinon, ce n’était pas la peine de chercher les musulmans et d’aller vivre chez eux pour qu’ils vivent avec nous. Les sociétés multiculturelles sont multiconflictuelles, maiselles sont plus marantes. Le double, le multiple est peut-être l’impensé car l’impensable du politique, comme les systèmes complexes. Mais peut-être faut-il le vivre et non pas le penser.

Les enfants

Non, le titre de mon article ne fait pas référence à ce film de Marguerite Duras où elle définit l'Evangile de Jean dans les termes les plus profonds que j'aie jamais lus pour cerner ce texte : "N'Est-ce pas le livre de ce juif qui s'interroge sur le sens du vent ?" Mais la vérité ne sort-elle pas de la bouche des enfants ? Les enfants d’aujourd’hui ont deux caractéristiques : sans avoir l’esprit d’analyse que suppose entre autres l’orthographe, ils vont droit au but et souffrent d’une épidémie d’hyperactivité. Enfants indigo, fruits d’une espèce qui évolue trop vite ? Enfants de parents qui refont trop rapidement leur vie et n’ont pourtant jamais été autant investis dans leur rôle parental ? Enfants des écrans qui voyagent trop vite au centre de la réalité ? Enfants de l’histoire qui s’accélère ? Enfants rois qui posent trop tôt la question de l’anarchiste : « Qui t’a fait roi ? Qui t’a donné barre et autorité sur moi ? » Et c’est comme ça qu’ils tapent les profs et hupercutent leurs parents. Mais enfants de la guerre aussi, auxquels les dessins animés qu’ils regardent font croire qu’ils ont autant de vies que n’en refont leurs parents, que le monde se divise entre bons et méchants et qu’ils seront invincibles tant qu’ils auront tout ce qu’ils veulent ! (Autrefois, enfants du divorce, à l’école de la psychanalyse, nous reprochions à nos parents des problèmes de familles. Aujourd’hui, les enfants disent : « Tu es une mauvaise mère si tu ne m’achètes pas un Iphone. ») Enfants de la pub trop tôt ciblés par elle, enfants consommateurs, enfants prescripteurs. Y a-t-il de l’amour dans la salle et dans les éprouvettes des couples d’hommes et de femmes qui préfèrent demander une PMA pour avoir un enfant à eux que d’adopter un enfant malheureux, abandonné et perdu dans la vie ?

lundi 26 mars 2018

Note affectueuse



 

Les trois piliers de l'amour durable sont :

Amitié, Désir et Affection.

 

L'Amitié est la racine de l'amour. « Entre l’amour et l’amitié, il n’y a qu’un lit de différence. » (Henri Tachan)

 


 

Le Désir en usurpe le centre apparent.

En fait, il va et vient entre là, remplissant les pauses de lascivité prises par la langueur et laissées dans les creux ou entrelacs de la passion de durer, et c'est ce qu'Amour on nomme, ce désir dans les entrelacs, car avec son frétillant frisson qui sait jouer, il en donne le sentiment saisissant. Et l'amour veut être défini par le sentiment…

 

Le lac de la passion de demeurer devient de montagne russe, comme les poupées qui font dresser le désir sur la queue. Si bien qu'il y a du désirable émergeant comme raidillon sur la montagne à serments de la passion de durer dont le sermon est le ciment, le sermon des conversations lentes autour de la table haute, au moment du Conseil statutaire du couple plein de projets, qui bâtit une maison de paroles.

 

De la passion, le sermon pour ciment (ou ce que Dialogue on nomme), et l'Affection gardienne et gardée comme le beau reste du Désir à marée basse, qui toujours remonte sur la berge, il n'y a rien à craindre là-dessus, car l'Affection veille au grain, l'affection l'entretient.

 

L'Affection est le beau reste du Désir, elle bat pavillon, les verges repliées, sur le cœur de la passion d'ériger. Mais avec ce reste-là, du désir-bâton-bourdon rentré au port du porc rentré en repos du guerrier, avec ce reste du désir qu'est l'affection sans escales, où qu'en soit l'érection, il reste tout de l'amour, tout, même si l'amour n'est plus fou.

 

La triste chair peut s'endormir, elle n'a rien à réclamer : l'Affection veillant, comme le cœur, sur les corps après l'extase des petites morts, il reste tout de l'amour, tout, le désir sauf, momentanément interrompant le coït ou laissé à son germe, dans le rêve d'un souvenir en attente du réveil de la baguette magique des contes de fée, qui sera volonté de puissance et aura la puissance de sa volonté ;

 

Et si l'amour en attendant, dans cet assoupissement de la chair avant nouvel assouvissement, si l'amour est indivis, veillé par l'Affection qui ainsi l'aura confondu, son unité ne saurait le détruire, car l'Affection n'est pas une maladie de l'amour : elle en prend soin, quelque long que soit le silence du Désir et quelque mystérieux le sommeil qui s'est emparé de lui et abattu sur la chair avant duothéonéofaction.

 

L'Affection n'est pas une maladie d’amour ni la maladie de l'amour :  elle en est le souffle, elle est son esprit, elle l'emporte en effluves de son chant qui revient sur l’amour en appels au Désir, en rappels à la chair pour que, le Désir sauf, soient sauvés de l'oubli les sens mêmes.

 

Au terme des trois, Amitié, Affection et Désir abusivement nommé Amour, c'est l'Alliance, et le triomphe vibrionnant de son or tressé sur les cœurs inséparables, non pas comme une pérennité de l'intérêts contractuel qui cimentait le mariage bourgeois, toujours à l'affût des parures et des pierres à lapider de l'inévitable adultère, mais par le fait tressé, cet or, qu'envers et contre tout (et sans qu'il y ait de lapidation qui tienne), on défend l'autre qu'on représente et qu'on devient. 

 

On devient l'autre qu'on défend, et la lumière de l’affection qui cimenta l'alliance brille sur le bris de l'individu perdu dans l'hors-moi, dans l'é'moi ou  l'enlacement des identités, et ce sont deux enfances qui étincellent , enchevêtrées, dans la constellation des consolés, de s'être frottées les yeux ensemble dans une seule et même mémoire qui les a confondues et qu'est l'amour devenu, passion du lac au niveau d'Amitié, au milieu duquel, évasifs en ce limon, flotte sans s’éroder le roseau du Désir évanescent, que soulève l'Affection, poussière aux reflets pailletés dans l'air blessé de jouissance.

 

 

Didier Barbelivien, Benoît XVI, Philippe Bilger et moi



http://www.philippebilger.com/blog/2018/03/entretien-avec-didier-barbelivien.html

Cher Monsieur Bilger,

 

J'aime quand vous travaillez à votre compte, non point pour des médias qui vous font piger, parler ou interviewer, mais quand vous êtes un maïeuticien qui fixe lui-même les règles de l'approfondissement et de l'entretien. Cette maïeutique a ainsi permis de révéler, dans des registres très différents, le fond tourmenté d'un Henri Guaino qui ne passera jamais du plan à la politique active parce que trop écorché vif, et les espérances d'un Olivier Besancenot ou de la victoire par la lutte, course que vos questions découvrent entée sur un but et non point faite à corps perdu, quoi qu'on pense de cette course et de ce but.

 

Savoir interroger donne crédit à votre ambition d'être un maître de la parole. Car sans être un caméléon de l'autre, il faut le comprendre avant de le combattre à supposer qu'on ait à le faire ; il faut se couler dans sa pensée avant de dispenser la nôtre ; il faut croire pour un instant de dépassement de l'ego qu'il a plus d'importance que nous ; il faut en être le révélateur pour qu’il nous révèle à nous-mêmes.

 

Pourquoi Didier Barbelivien me met-il mal à l'aise depuis quelque temps ? J'aurais pourtant tout lieu de l'aimer sans réserve : C’est un « artiste de variété » qui fait de la chanson populaire. Mais voilà : d'abord il a vieilli et ne rougit plus d'être l'ami des puissants. En ce qui me concerne, peu me chaut qu'il soit celui de Sarkozy. Mais peut-on être un saltimbanque embourgeoisé ? Peut-on faire le métier de Brassens et aimer les dîners en ville avec les gens qui comptent ?

 

Ensuite, Didier Barbelivien avoue lui-même avoir été caméléon. Il copie tout parce que tout l'influence. Or un artiste est d'abord un univers. Bach copiait de la musique pour découvrir le sien en filtrant les influences. Gérard Lenormand s'est imaginé retrouver une popularité en orchestrant à la façon des années 90 quand on est entré dans ces années-là. Serge Lama a failli de la même manière sacrifier sa veine tragique à la rythmique ou à la mode acoustique. Or une chanson peut être la poésie des temps modernes. Je dis souvent que Baudelaire vieillit plus mal que Brel. Didier Barbelivien ne s'est jamais pris ou fait prendre pour un poète, mais il incarnait l'adolescence. Or voici qu'il donne à "La Vie" ses entretiens sur la foi ou se pose en ami des puissants. Et par là il se perd pour le peuple qu'il a tant fait rêver d'amourettes en lui faisant danser des slows avec les copines de l’école qu'il regardait avec plus d'amour que Vincent Delerme ne considérait "Les filles de 1973" qui "ont trente ans", elles qui « faisaient des résumés », qu’y a-t-il derrière le cliché ?  On ne peut pas demander à Didier Barbelivien de changer d'amis. A-t-on le droit de lui conseiller de se rapprocher de lui-même ? Qui est-on pour le faire ? S'est-on soi-même atteint ? Non, car la fatalité de la destinée humaine veut qu’on ne s’atteigne jamais. Dieu nous a faits en sorte que nous ne puissions pas nous atteindre afin que nous ayons à Le chercher pour être divinisés par Lui.

 

Et Didier Barbelivien s’en explique. Son image de lui-même était celle d’un chanteur engagé, contrairement à Bob Dilan qui a joué la carte de l’engagement pour avoir quelque chose à écrire. Il n’a pas dû se dégager comme Régis Debray. Au contraire il n’a jamais réussi à faire passer son engagement. Du coup il se retrouve pris dans la tourmente de ce degré zéro de l’engagement où nous sommes et où nous sommes tous contre le terrorisme au risque de nous prendre pour Charlie. C’est Renaud qui commence sa carrière en promettant que la société ne l’aura pas et la finit, chanteur à bout de souffle,  en embrassant un flic. C’est Pierre Perret qui fait scandale en parlant du zizi du pape qui fait des bulles et sort il y a quelques années un album hygiéniste contre les marchands de tabac et les marchands de canon. Et c’est Didier Barbelivien qui n’est pas contre la peine de mort comme Jullos Beaucarne et qui n’est pas pour comme Michel Sardou, mais qui est contre les assassins comme tout le monde, bien que tout le monde lise des romans policiers et regarde l’esprit criminel.

 

Barbelivien n’est pas Brel parce qu’il ne se prend pas pour Casanova. Il n’est pas comme moi, qui ai peine à ne pas être « presque aussi saoul que moi ».

 

J’aime la notation de l’ami Barbelivien sur Léo Ferré : c’était avant tout un comédien. À un moment donné, j’ai soupçonné les larmes qu’il versait chaque fois qu’il passait à la télé d’être feintes. Mais ce que j’en dis est sans doute influencé parce que je me fais de moi l’image d’un personnage tragi-comique. Seul l’ami Didier Barbelivien pourrait nous dire si Léo Ferré jouait la comédie des larmes.

 

« Ce n’est pas sa mort qui me fait de la peine, Mais de ne plus voir mon père qui danse. » C’est une des plus belles déclarations d’amour paternel que j’aie entendues, après celle de Le Pen disant que le mort le plus important de la guerre, c’était son père. Et mettre ces paroles dans la bouche de Michel Sardou est d’une grande sensibilité si mes propres antennes ne me trompent pas, car Michel Sardou a toujours été à la recherche de la bénédiction et de l’image de son père, qui ne pouvait que partir trop tôt à ses yeux, le laissant seul avec l’encombrante Jackie : « Michel, souris ! » « Je n’aurais jamais cru que ma mère ait su faire un enfant. » Quand j’écoutais moi-même enfant Sardou chanter son père, j’avais l’impression qu’il l’avait perdu très jeune. Eh bien non.

 

Merci, Didier Barbelivien, d’être comme tout un chacun un homme insuffisant, mais qui par exception a su nous enchanter, et merci, Philippe Bilger, d’avoir su nous le révéler.

vendredi 23 mars 2018

Le poutinisme français est-il un nouveau soviétisme ?


Disputation courtoise entre le Torrentiel et @Robert Marchenoir sur le blog de Philippe Bilger

 

 

@Robert Marchenoir :

 

Merci tout d’abord de votre nomination de ma modeste personne dans l’Ordre du Débat. Rien ne peut faire plus de plaisir à un démocrate direct, qui ne déplore pas comme Maurras « les vices de la discussion » (Savonarole me pardonnera de ne pas être proscriptible à sa police des arrière-pensées), mais croit au contraire que de la discussion jaillit la lumière.

 

Nous allons pour commencer nous débarrasser des poutinistes du Salon beige. Ce blog de Tartufes n’est pas mené ni modéré par des gens sérieux. Vous dites que c’est une farce de penser que Poutine ait « remédié au communisme ». Nous allons faire mal aux gens du Salon Beige en leur parlant un langage qu’ils comprennent. Poutine est, toutes choses égales par ailleurs, un orthodoxe russo-gallican et un conciliaire de l’Église orthodoxe de la transposition des accords de Metz dont parlait tant Jean Madiran, une Église « patriotique » inféodée au communisme et à son matérialisme, et à son athéisme pratiques. Le pape François, le patriarche Kyril et les frères Castro étaient somme toute en assez bonne intelligence à Cuba.

 

Poutine a-t-il organisé une oligarchie puissance 2 ou a-t-il préservé Eltsine et sa famille d’être inquiétés pour leurs prébendes, tout en se faisant faire une clef de la caisse noire pour blanchir, profiter et quelquefois thésauriser, dans l’intérêt du pays ou dans le sien ? Je vous adresse cette question-réponse le soir où notre hôte a comparé sans transition la figure d’un héros, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, et celle des politiques, qui ont la main trop près de la caisse pour que leurs affidés et clients leur pardonnent de ne pas y plonger. Un président de la République ressemble plus à des directeurs d’école, à des fermiers généraux et à des intendants (ou économes) du royaume qu’à des rois, mais leurs fonctions les obligent à fréquenter Cartouche plutôt que Saint Vincent de Paul, fonction que l’on dégrade quand on juge un président comme un prévenu de droit commun (Sarkozy et l’affaire libyenne). Macron lustre la fonction présidentielle française parce que c’est un cosmétique encaustiqué, mais gare à la causticité judiciaire ! Gare aux incorruptibles – Poutine n’est pas Robespierre - ! Gare au dantonesque journalisme de l’anti-corruption médiapartienne et proche du « système », qui ne vit que d’être en cheville avec les corrompus, même si la parente de Fabrice Arfi n’était pas l’avocate de Ziade Takieddine, mais revenons à Poutine.

 

Vous avez raison. Hélène Carrère d’Encausse et Vladimir Fedorovski ont un point commun qui est, contrairement à Françoise Thom, tributaire du vieil antisoviétisme de papa cher à Pierre de Villemarest, d’avoir fait muer l’anticommunisme en apologie de la Russie éternelle et de son modèle autoritaire. Poutine est pardonnable s’il perpétue moins Staline, accident de l’histoire rattrapé par sa fidélité au modèle tsariste et cruel, qu’allez, soyons gentils, non pas Ivan le Terrible, mais Pierre le Grand. Hélène Carrère d’Encausse et Vladimir Fedorovski ont tous les deux participé à cette transformation de la critique du soviétisme et de ses commissaires politiques en apologie des autocrates à la main ferme dans un gant de crin, expression de la Russie éternelle. Cela est compréhensible dans la Russe blanche (même si géorgienne d’origine) qu’est Hélène Carrère d’Encausse. Cela semble se dresser en contradiction avec le modèle qu’avait voulu proposer Gorbatchev à la Russie. Mais Gorbatchev n’est pas un gauchiste. Il ironise même contre une France qui serait le dernier pays d’extrême gauche du monde libre. Et pourquoi Gorbatchev le libérateur n’est-il pas populaire en Russie ? Gorbatchev ne fait pas le pont entre l’oligarchie et le tsarisme. Son impopularité ne s’expliquerait-elle pas par là ?

 

Dès lors Hélène Carrère d’Encausse est conséquente. Elle faisait de l’Empire éclaté le châtiment du soviétisme. Elle préfère la centralisation désormais que le pouvoir est stable. Elle ne se remet pas de la sécession de l’Ukraine et de la Biélorussie. Elle ne peut cautionner le séparatisme du « berceau » et du « cœur slave » de la Russie. L’Ukraine, riche de l’épopée de saint Vladimir, a fait naître la troisième Rome qui serait Moscou. Donc Kiev doit s’effacer devant Moscou la blanche. Mme Carrère d’Encausse ne peut pas applaudir au repli autarcique de l’orthodoxie sur Kiev. Elle peut moins encore se féliciter du reniement des valeurs russes de l’orthodoxie du berceau pour épouser le poumon européen encrassé de goudron et de tabacqui tue matériellement, dans un cnsumérisme hédoniste et anti-religieux.

 

Mme Carrère d’Encausse « n'a pas prédit correctement l'effondrement de l'URSS, avec son fameux bouquin L'Empire éclaté de 1978. Elle y annonçait la chute de l'empire soviétique par sécession des républiques musulmanes. » Le préjugé aristocratique d’Hélène Carrère d’Encausse goûte peu l’islam caucasien. Tout juste mérite-t-il la férule de Kadirov. Vous laissez entendre que cette créature de Poutine pourrait tout à fait s’affranchir du Pygmalion qui l’a mis au pouvoir comme un préposé aux latrines qui s’exprimerait volontiers dans unlangage fleuri : « Gare à Poutine, celui qui m’a fait roi, moi, le fou, après avoir dit qu’il nous poursuivrait, nous, les Tchétchènes, jusque dans les chiotes ! Je tiens Poutine par les bourses. Je [ferai] tirer sur la police russe si elle pénètre en Tchétchénie sans [mon] autorisation. » Louis-Ferdinand Kadirov adopte la contre-rhétorique poutinienne folklorique de celui qui l’a installé comme son pantin de Grozny. Voilà qu’il veut se mettre les Tchétchènes dans la poche ! Ce folklore verbeux d’un drôle d’ayatollah à la voix éraillée a-t-il une importance quelconque ? Comment Kadirov pourrait-il faire chanter Poutine ? Le rapport de forces n’est-il pas disproportionné ?

mardi 13 mars 2018

La VIème République, une République parlementaire?

Brève lettre ouverte à M. André Bellon autour notamment de son article :

https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article1453#forum2322


Cher Monsieur,
Je ne vous connais que par ce qu'avait dit de vous Daniel Mermet, en reportage sur une manifestation du Front de gauche.
Tous les faiseurs de VIème République -Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon et donc vous-même- qui voudraient s'appuyer sur le Parlement ne comprennent pas le moment démocratique que nous vivons. Une République parlementaire est un archaïsme. Ce dont mes concitoyens et moi sommes lassés (pour autant que je puisse prendre sur moi toute cette lassitude), ce n'est pas de la corruption des parlementaires, mais à travers leur impuissance et leur soumission à toutes les coteries de leurs circonscriptions et de la République, c'est de la démocratie représentative.
Le Parlement n'a pas connu une lente décrépitude depuis quelques années. Le fait pour lui d'être une chambre d'enregistrement fait partie de son ADN depuis le XVIIème siècle. Oublierons-nous qu'il a voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain avant de l'accuser, comme le fit Dalladier, d'avoir "gravement manqué aux devoirs de sa charge". Mais qui avait signé les accords de Munich?Et que dire des députés qui avaient fait confiance au vainqueur de Verdun passé à la Collaboration sous couvert de négocier "dans l'honneur" les conditions d'un armistice?
Le Parlement n'a jamais défendu le pouvoir qui lui était imparti. Il a toujours laissé au pouvoir exécutif le quasi-monopole de la proposition législative. S'agirait-il qu'il s'en ressaisisse? Voudrait-on que les propositions de loi constituent l'ordre du jour de l'examen législatif? Mais pourquoi le Parlement se mêlerait-il tout à coup de proposer la loi au lieu du peuple? Le peuple a tellement soif de démocratie directe qu'il aspire au référendum d'initiative populaire. Alors le Parlement! Vous retardez, mon cher, avec tout le respect que je vous dois.
                JW

lundi 12 mars 2018

Le macronisme est une fascination collective.

L'exemple de Philippe Bilger :

http://www.philippebilger.com/blog/2018/03/la-symbolique-du-pouvoir-mais-la-banalisation-de-la-justice.html

Cher Monsieur Bilger (ou cher Philippe, comme on dit pour alléger au risque d'encourir les foudres des fustigateurs de la Républlique des prénoms, qui ont oublié que la République romaine était celle des surnoms et quasi des diminutifs),
Comme tous les macronistes, vous êtes victime d'une fascination collective: "Malheur à la ville dont le prince est un enfant!" Aujourd'hui, on est jeune jusqu'à quarante ans et on n'est jamais vieux puisque la génération 68 est toujours en place, après avoir commencé par crier: "Place aux jeunes!"
"Le président de la République a fait beaucoup pour la France avec la symbolique du pouvoir, de son pouvoir." Mais non, il a fait beaucoup pour lui-même.
On reprochait à Sarkozy d'abuser des "moi je". Que dire de Macron s'identifiant, non à l'idée de la France, mais au pouvoir qu'il a sur la France: "Qu'Est-ce que je ferais si une région venait me demander de faire sécession, si un quidam me regardant dans les yeux me disait: "Vous n'avez rien fait contre le Glyphosate", si mes villes ou si mes gens...."?
Le macronisme, dit Alain Minc, c'est "le populisme main streame" organisé par Alain Minc, qui gouverne un pays qu'il ne connaît pas (la guyane est une île et Villeurbane est près de Calais), qui n'a pas le sens du peuple et qui professionalise le gouvernement: limitation du droit d'amendement et correctionalisation des cours d'assises.
Emmanuel Macron s'est si peu promené dans la rue qu'il s'imagine qu'on y rencontre des gardiens de la paix, qui viendront arrêter les siffleurs et les frotteurs de femmes sitôt qu'ils les auront outragées.
Emmanuel Macron est cet être vil qui nomme une passionaria du féminisme branché, avant de l'obliger, par solidarité gouvernementale, à défendre des ministres soupçonnés de viol.
C'est encore ce président qui déclare vouloir faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la grande cause nationale de son quinquennat (parce que c'est dans l'air) et qui, deux jours plus tard, soutient coup sur coup deux de ses ministres accusés de viol qu'il maintient en poste. Il n'y a pas d'exemple que des ministres ayant fait l'objet d'accusations aussi graves n'aient pas été démissionnés. L'homme qui a neutralisé une prétendue loi sur la moralisation politique n'est pas seulement à la tête du gouvernement des pires conflits d'intérêt, je m'étonne qu'on ne crie pas encore au gouvernement des violeurs. On a bashé  le tandem Hollande-Ayrault pour de bien moindres couacs, mais tout glisse sur les plumes du cygne Macron.
Macron est l'époux de cette étrange cougare littéraire qui n'a jamais épousé que des banquiers.
Macron est fasciné par la figure du roi, dont il dit que le peuple ne se remettra jamais de lui avoir coupé la tête. Il proclame l'argent roi de la start-up-nation, calculant que le grand avantage de ce roi est de ne pas avoir de tête. Les marchés ne sont qu'une "main invisible" qui perdent la tête au moindre coup de vent ou de sang politique.
Tout ceci se passe au vu et au su de tout le monde, mais on recouvre le berceau du petit Macron d'un édredon en plumes d'aigle, faute d'avoir retrouvé le tissu qui servit à confectionner le manteau de Noé qu'il faut jeter sur la faiblesse humaine, quand même elle serait dure avec les faibles, comme est ce pouvoir.  Les défauts de Macron sont visibles à l'oeil nus, mais on les cache et on ne les voit pas. Ainsi le veut la fascination collective. Or Macron est si peu fascinant qu'on se demande qui en est le commanditaire.

La littérature et la prohibition de l'inceste


 
Il ne faut pas douter de tout. Il ne faut pas douter de l’inceste subi par Christine Angot, d’abord parce que dans notre pays cartésien fondé sur le doute et où donc le doute devrait être permis, on n’a plus le droit de douter de rien, et le doute ne bénéficie plus à l’accusé. Je sais bien, Pierre Angot n’est plus là pour se défendre. Philippe (Angot), lève-toi et défends si tu peux la mémoire de ton père. J’écoute. Philippe Angot ne se lève pas et reste bien silencieux. Ne plus jamais croire à la « version officielle » est une autre pathologie du doute. En ce qui concerne Christine Angot, un trauma sécrète à l’évidence cette écriture haletante, ce souffle et cette exhibition. Il n’est pas surjoué. Mais pour une qui ne surjoue pas, combien surjouent ! Prenez Delphine de Vigan. Elle écrit mieux que Christine Angot. Enfin son écriture est plus blanche, moins raturée. Mais dans rien ne s’oppose à la nuit, tout ce qui est censé constituer l’abomination de la désolation pour notre société sans qu’elle en souffre, tout est convoqué,  tout est là : le vichysme du grand-père Georges, les viols sur les amies de ses filles sinon les incestes du même grand-père dévoyé, les bons côtés du vieux pervers, d’un admirable dévouement pour son fils Tom handicapé, donc le procès à l’ancêtre, et la folie, enfin, autre sujet de société, le droit de mourir dans la dignité de Lucile malade, quiprocède elle-même à son suicide, enfin peut-être, à moins qu’elle ne meure dans son lit de sa longue maladie, mais ce serait moins littéraire. Profitant du succès de Delphine de Vigan, Félicité Herzog, Areva, dézingue, dégomme l’icône de son père Maurice, ce héros. C’est la grande victimisation ! On est passé de la littérature épique ou chevaleresque à la littérature victimiste, où les héros sont les victimes. Seules les victimes font des exploits, honte à leurs exploiteurs ! La folie n’existe pas, on est toujours l’aliéné de quelqu’un, honte aux aliénateurs ! La brèche ne s’est pas ouverte par le transpercement du coussin familier par la petite fille délicieuse, bien avant que naisse sa sœur au mauvais caractère. (Cf. Enfance de Nathalie Sarraute, qui découvrit le « senti hors des mots » et la sous-conversation dans le trou du coussin au tissu déchiré.)

 

Le pont qui a fait passer la littérature de l’héroïsation à la victimisation furent Les Confessions de Rousseau, tentative par un auteur protestant de se justifier contre l’affirmation protestante que personne n’est juste devant Dieu et que Dieu seul justifie. Rousseau dressa un déisme bonhomme contre le christianisme tourmenté et culpabilisateur (la profession de foi d’un vicaire savoyard). Mem si Luther a protesté contre la simonie et les indulgences avant de cautionner ses protecteurs qui mataient les paysans en son nom, le protestantisme s’est élevé, spirituellement, contre la culpabilité. La psychanalyse lui a emboîtée le pas – on sait que Christine Angot en est férue – appliquant l’inversion accusatoire contre la loi du devoir : « Déshonore ton père et ta mère afin d’avoir longue vie de victime sur la terre, même si la civilisation ne doit pas y survivre, à qui nous apportons la peste, tout en déplorant son malaise. » Les victimes ont traduit : « C’est de ta faute si je suis fêlée », en envahissant prétoires et maisons d’édition.  Mais la judéité freudienne n’a pas pris la Carthage romaine (cf. E. Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France) : la culpabilité est un stade que l’on ne dépasse jamais. Freud, l’Austro-hongrois, écrivait dans une langue empreintée par Luther. Pourquoi vouliez-vous qu’il réussisse où celui qui avait codifié la langue allemande en traduisant la Bible avait échoué ? « Au commencement de ma montée dans un taxi, métaphore de mon entrée dans la vie, était la charge de la dette, indiquée sur le compteur. Schuld à tous les étages ! Au commencement était le meurtre de la horde primitive. Tous les parents se verront instruire un procès en éducation manquée, car on manque immanquablement son éducation, mais la justice doit être rendue au nom des victimes. Patient, il faut que paye le responsable de ta fêlure. » Permettez-moi pour ma part de préférer le péché originel dans sa dimension universelle et non comme prétexte à tant d’attaques ad hominem, tant de recherches de responsables des accidents ou catastrophes naturelles, tant de boucs émissaires et d’attaques personnelles.

 

Freud a prétendu sans le prouver que la civilisation était fondée sur la prohibition de l’inceste. On aurait pu s’attendre à ce qu’une civilisation qu’il avait tant influencée eût retenu la leçon. On découvrit il y a quelques années que l’inceste n’était pas interdit par la loi. Quelques députés essayèrent laborieusement de mettre fin à cette anomalie. Mais on découvre à présent qu’un coupable de détournement de mineurs n’est pas présumé avoir abusé d’une enfant de onze ans, car il n’y a pas d’âge minimum prévu au consentement sexuel. Et cela nous arrive pendant que notre société permissive et légaliste a prétendu moraliser la libération sexuelle, qui peut pornographier à découvert à condition de sortir couvert, en dressant le tabou de la pédophilie, tabou purement éthique et nullement juridique, comme on voit. Seul le viol est un crime (depuis 1977), pas le viol d’un enfant, car on ne peut le punir en vertu de son caractère spécifique.

 

Mais vérifions que la prohibition de l’inceste soit à l’origine de la civilisation. L’endogamie est la seule alternative au monogénisme, écrivait tranquillement saint Augustin, qui supposait que, pour élargir la famille d’Adam et Eve, les frères aient engrossé les sœurs, cependant que Caïn s’inquiétait lorsque Dieu prononça son exil : « Mais si je rencontre quelqu’un ! Ne va-t-il pas me tuer ? » Dieu ne protesta pas qu’il ne pourrait rencontrer quelqu’un puisqu’il n’y avait personne, mais Il traça un signe sur sa tête pour éviter qu’il ne lui arrive malheur. Et quant au Père Philippe Dautey, il explique dans l’introduction de son traité d’anthropologie biblique que la relation entre la fille (Création) et le père (Créateur) est une relation sacrée, d’où viendrait selon lui l’interdit de l’inceste.

samedi 10 mars 2018

Macron et l'opinion


Macron joue de l'opinion avec une rare perversité qui bénéficie d’un empilement d'Artefact politiques commencé sous l'ère Sarkozy. D'abord il y a les éléments de langage dont deux sont particulièrement récurrents : "J'assume" que Manuel Valls a dégainé le premier, et "transformation" pour réforme (et souvent réformette).  Le macronisme est une certaine conception du lyrisme qui fait sonner creux un mot emphatique dans une nouvelle prouesse du transformisme.

 

Deux marqueurs sont particulièrement intéressants à étudier : la réforme du droit du travail et celle de la SNCF. La gauche croit que le peuple la reconnaît si elle codifie beaucoup. Mais du petit peuple au grand patron, tout le monde en a marre de ne pas savoir sur quel pied danser ni comment être dans les clous de l’administration. Donc si on présente une réforme en disant : « On va simplifier », tout le monde est d’accord, jusqu’au moment où l’on découvre, mais trop tard, que la simplification était celle de la restructuration et du plan social – la restructuration est une transformation -. Les effets de la simplification se font d’autant moins sentir pour le citoyen Lambda qu’il n’a plus d’interlocuteur dans l’administration, qui ne lui oppose que des procédures.

 

De son côté, la réforme du statut des cheminots agit comme un signal. L’opinion a toujours trouvé inéquitable qu’il y ait des régimes spéciaux. À cela, le camp du progrès répondait : « Laissez-nous nos privilèges, ils nous permettront de vous tirer vers le haut, comme ce fut toujours la logique des acquis sociaux. » Macron entre en scène dans les habits du langage de l’opinion : « Quand des agriculteurs pleurent parce qu’ils n’ont pas de retraites, je ne peux pas laisser prospérer le statut des cheminots. » Sous-texte : « Je ne vais pas créer une retraite pour les agriculteurs. Je pourrais, mais je ne le ferai pas, car je veux prendre la sociale démocratie à revers, en prouvant à l’opinion que, puisque je peux réformer le statut des cheminots, c’est que la promesse de la sociale démocratie de tirer tout le monde vers le haut à partir des acquis sociaux était mensongère. Je le prouve, je détruis l’acquis social et je tire tout le monde vers le bas. Puisqu’il n’y a pas de retraite pour les agriculteurs, je n’en créée pas, et je punis aussi les cheminots en les privant de leur statut. L’opinion reçoit le message que, si elle ne se tient pas tranquille, elle risque de tout perdre.

 

C’est avec conviction que je mène cette politique : je suis le fruit du reniement de la sociale démocratie de presque toutes les élites et de leur ralliement au libéralisme. Ce reniement et ce ralliement se sont faits lentement et inconsciemment. Des signes en ont été donnés lorsque mon prédécesseur m’a désigné comme le point de mire de son quinquennat (« mon ennemi, c’est la finance »), m’a nommé ministre et a finalement suggéré passivement et malgré lui que je serais son successeur. Je mène cette politique avec conviction, mais je ne le fais pas pour moi. Je ne le fais pas non plus pour mes concitoyens. Je ne les méprise pas, mais je voudrais qu’ils aient des ambitions de milliardaires. Je crois en l’argent roi, qui fait des riches des premiers de cordée, même quand ils fuient leur pays comme la bourgeoisie a émigré loin de ses valeurs : les voyages forment la jeunesse. Je mène cette politique pour les puissances d’argent qui veulent que la SNCF soit mise en concurrence. Je détruis le statut des cheminots pour que, dans mon pays vendu à la découpe à l’argent roi sans tête, on vienne marcher sur les plates-bandes de la SNCF, joyau de notre patrimoine. La « transformation » passe parce que le lien était rompu entre la société française et celle des chemins de fer, qui maltraitait ses usagers. Mais c’est encore l’usager qui trinque dans le citoyen, et il ne le sait pas. » C’est redoutable.

vendredi 9 mars 2018

La personnalité de la démocratie


Commentaire posté sur le blog de Philippe Bilger, au pied de l’article :

 


 

Quelque chose me dit que la saillie d’Abou Dabi sera reprochée à Nicolas Sarkozy comme la citation tronquée du discours de Dakar à propos de l’homme africain et de son entrée dans l’histoire, insuffisante, faisait dire Henri Guaino à son porte-parole, nulle, a retenu l’opinion.  – Avez-vous remarqué que c’est précisément depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, dont le nègre parlait mal de l’homme africain, qu’on reconnaît la plume dans celui qui répète ses discours ? Le nègre a accédé au statut d’auteur. Peu s’en est fallu qu’Henri Guaino devînt candidat à la présidence de la République, ce dont je me serais personnellement très bien porté. -

 

« La démocratie, c’est le gouvernement du présent », accusait Maurras, et « le gouvernement du spectacle », renchérissait Guy Debord, où non seulement le moindre long-termisme est impossible, mais où « le vrai est un moment du faux », de sorte que non seulement les lois qui sont votées sont à courte vue, mais elles sont votées sur la base de mensonges, mensonges ayant trait aussi bien à la temporalité (« l’actualité commande ») qu’à la hiérarchie de l’information (on réagit au fait divers et à l’émotion qu’il suscite).

 

L’information et l’actualité singent la culture. La culture étant une information de la civilisation qui extrait de l’arbitraire en les sélectionnant, l’artiste qui illustre son siècle ou la citation qui représente une pensée, l’actualité informe en imitant la culture et en sélectionnant arbitrairement des petites phrases insipides et décontextualisées, qu’elle extrait d’un long discours déroulant tout un raisonnement, le plus souvent intelligent. La culture est du passé choisi, l’actualité est du présent sélectionné.  

 

La chose est sans importance, mais la chambres d’enregistrement qu’est notre Parlement-croupion, n’a pas grand-chose à envier aux parlements que vitupérait Chateaubriand dans les mémoires d’outre-tombe, et qui ont précipité la chute de l’Ancien Régime. Macron aggrave la dérive en prévoyant que le droit d’amender sera indexé sur le nombre de députés que compte le groupe parlementaire. Autrement dit, votre droit de modifier la loi diminuera si vous êtes dans l’opposition, car vous n’êtes pas là pour discuter la loi, mais pour enregistrer la loi.

 

L’honneur de la démocratie est-il d’être un régime faible ? En deux jours, vous employez deux fois ce mot d’honneur, d’abord pour souligner celui de la responsabilité, et ici pour mettre la responsabilité à l’épreuve des contre-pouvoirs. Or, pour s’exercer pleinement, la responsabilité peut-elle s’affaiblir ? À vous lire en effet, « l’honneur [de la démocratie] », qui n’est pas qu’une « empêcheuse de gouverner en rond », « est précisément d'interdire à des "hommes forts" de faire fi d'elle. »

 

Mais nos gouvernants sont-ils des « hommes forts » ? Je me souviens d’une longue interview de Nicolas Sarkozy dans Paris Match, alors simple ministre de Chirac et trublion du gouvernement, où on le voyait jouer au foot ou au tennis avec son petit Louis en lui recommandant : « Frappe fort. » Être fort, ce n’est pas frapper fort.

 

Comment l’entropie et la loi de dégradation de l’énergie et des profils se sont-elles appliquées aux présidents de la Vème République ? Les deux premiers furent des patriotes sincères ; les deux suivants avaient des destins français ; les deux suivants étaient des ambitieux ; François Hollande était une chiffe molle empathique et sympathique. Le locataire actuel du Château n’est pas un pisse-froid, mais un pisse-congelée et pas un ambitieux, mais une ambition indifférente. Jacques Chirac voulait arriver à être président de la République en France ; Emmanuel Macron voulait arriver à n’importe quoi, n’importe où, et il est devenu président de la République en France.

 

La démocratie serait-elle par nature un régime faible et un pouvoir impersonnel ? Ce qui l’affaiblit est d’être une hybridation de pouvoir personnel sur un régime impersonnel, de pouvoir devant durer peu et dépendre de la versatilité de l’opinion. La démocratie représentative est la greffe qui a mal pris, d’un peu de pouvoir personnel sur un régime impersonnel. Comme chacun de nous gagnerait à courir jusqu’au bout son risque existentiel, la démocratie sortirait renforcée d’aller au bout de sa logique. On la dit le régime de la séparation des pouvoirs ? Alors pourquoi l’exécutif dispose-t-il en pratique du quasi-monopole de la proposition des lois ? Pourquoi le Parlement vote-t-il des lois sans écrire ses décrets d’application ? À quoi sert la Cour des comptes et pourquoi gaspillons-nous notre Trésor à la laisser subsister, si ce sont les parlementaires qui votent le budget au gré des pressions des agents d’influence ? Pourquoi les citoyens n’exercent-ils pas directement le pouvoir législatif et ne votent-ils pas les lois qui les concernent ? Doit-on favoriser jusqu’au référendum d’initiative populaire ? Toutes réformes qui seraient beaucoup plus radicales que la VIème République de Jean-Luc Mélenchon ou de (politiquement) feu Arnaud Montebourg (jusqu’à plus ample informé), QUI NE SERAIT qu’un parlementarisme renforcé, tempéré par le tirage au sort.

Baptême et maternité

Début de cette longue entrée du second tome de mon Journal intuitif




BAPTEME ET FILIATION :

 

 

 

 

Baptême et maternité :

 

 

1er février 2003

 

1. A l'abbaye mérovingienne de Jouarre où le 12 janvier dernier, nous célébrions, moi aux grandes orgues SVP, le baptême du Seigneur, le Père Achille Mestre, un moine bénédictin issu des cabinets ministériels ([1] )  et devenu l'aumônier des soeurs, fit retentir au début de son sermon cette question que lui avaient posée un couple de "braves gens", des parents du village qui voulaient faire baptiser leur enfant et qu'il disait peu cultivés :

 

"Mais pourquoi Jésus s'Est-Il fait baptiser ?"

 

Question pertinente, qu'avec mon sens inné de la provocation (Soeur Elisabeth-Marie me faisant passer un bac blanc de philo, me déclara à ma jubilation : "Tu aimes à choquer..."), j'ai vite fait de traduire en ces termes désobligeants :

"Pourquoi Jésus est-Il entré dans son propre système ?"

 

Le baptême n'est-il pas un système ? C'est à n'y plus retrouver ses petits. D'un côté, les curés, dans ce qui leur reste de chaire, au moment du baptême, font tout pour persuader les parents qui sont venus à eux en telle perte de repères que c'est un miracle si ces petits poucets ont retrouvé le chemin de la Maison du Pain, que le baptême, non non,  n'est pas magique. Et d'un autre côté, les mêmes curés, qui ne sont pas fâchés qu'on donne au denier de l'Eglise et sont un peu déboussolés au point de vue de la Foi, font tout pour qu'on baptise les enfants, et ce n'est pas pourle denier.

 

Et quand je dis qu'ils font tout, ça va jusqu'à la profession de foi, Sacrement de prolongement, censé être "la rénovation des voeux de baptême" et qu'on fait faire à un âge où les enfants ne sont pas mûrs, pas  responsables de leur acte de fiat. Ils ne font leur communion solennelle que pour avoir la carotte des cadeaux qui vont avec et comme une parodie sociale qui marque le dernier moment de leur initiation chrétienne, et précède bien naturellement ce premier acte adulte d'entrée dans la vie civile que sera le mariage religieux dont la religion tient à ce qu'il soit précédé du mariage civil, je vous ai dit qu'on s'y perdait...

 

Autrement dit, le baptême est un système tellement bien huilé que, non seulement il marque de manière indélébile des enfants qui n'ont pas eu le choix de répondre en conscience aux questions qui leur ont été posées ; mais qu'au seul moment où ces enfants pourraient valider ou invalider leur baptême, soit au moment de leur profession de foi, on leur confisque cette dernière liberté pour que surtout, ils aient bien tout faitet que cela ne salisse pas leur aube blanche. Pour un Sacrement qui n'est pas magique, je vous ai dit qu'ons'y perdait...

 

Et je n'ai rien dit de tout le foin qu'on fait pour savoir où sont les enfants morts avant que d'avoir eu le temps d'être baptisés. Certes, il n'y a plus que J.B. Pontalis pour se rappeler qu'ils sont dans LES LIMBES, mais c'est en partant de là peut-être qu'on pourrait trouver l'explication du baptême, qui est très liée par ailleurs à la maternité dans laquelle tout enfant est mis au monde. Car autant paternel était  l'engendrement qui l'a conçu, autant maternelle est son entrée dans la vie... et dans la mort.

 

2. Non pas seulement comme on dit que tout être naît pour la mort et qu'ainsi, en donnant naissance à son enfant, sa mère le fait naître pour la mort ; mais lorsque le foetus est engendré dans sa mère, l'âme en entrant dans la maternité boit la mort. Je veux dire qu'elle sort du désir où Dieu était d'elle pour entrer dans une réalité amiotique où elle commencera par prendre inconscience en empruntant la conscience de quelqu'un qui lui donnera ses mots, avant de s'éveiller à la conscience en connaissant le sens de quelques mots.  Je crois que les mots précèdent la pensée en ce sens que la conscience naît du langage.

 

On trouvera peut-être qu'en énonçant aussi abruptement que l'âme de l'enfant boit la mort en entrant dans sa mère, je saute allègrement par-dessus toutes les traditions pour lesquelles l'âme n'a jamais été qu'immortelle et certainement pas éternelle. Mais éternelle était l'âme dans le désir de Dieu, et il serait bien étonnant qu'elle ne s'en souvienne pas et que cette souvenance même ne la rende éternelle, outre que cette anamnèse met tout l'univers en elle  et lui fait aimer la vie au-delà de ses aléas et de l'instinct de conservation qu'elle lui présente d'abord pour qu'il la respecte, le respect inaugurant l'amour comme il est sain.

 

L'enfant, cet être qui a bu la mort, commencera par ne manifester qu'il aime la vie que par son instinct de conservation. Il n'acquérera la joie de vivre que si mille caresses le font rentrer dans le plan merveilleux du Désir en lui apportant la preuve, sinon qu'il a été désiré, du moins que, maintenant qu'il est né, il est aimé, il est aimé pour toujours.

 

J'ai souvent remarqué que le caprice d'un enfant était seulement désespéré chez celui que ses parents rabrouent habituellement en lui parlant. Quand l'enfant qui se sait aimé fait un caprice, ce n'est que pour éprouver la force de sa séduction, laquelle regarde moins à conduire à soi comme l'étymologie du verbe séduire croit l'indiquer, qu'à prendre en toute impunité plus de place qu'il ne convient.

 

3. Et ce rapport de la maternité à la mort est de telle conséquence que l'enfant en tire vengeance en donnant à son tour la mort à sa mère. La preuve en est ce glaive qu'il enfonce dans son coeur, quand il décide quasi infailliblement qu'il va dévier de son amour. Et s'il n'en dévie pas, il ne vivra pas non plus. Il s'occupera des vieux jours de sa mère, mais il ne sera personne.

 

Ce n'est pas tant le père que l'on tue que la mère, toujours. Car la mère avait désiré dans sa chair d'être à l'Heure de son enfant, mais l'Heure de son enfant ne répond jamais à son désir.

 

Désir de l'une, désir de l'autre, qui ont à s'embrasser avec la bénédiction du père. Rebecca grugera Isaac pour que Jacob soit béni, et voilà d'où naîtra le malaise de cet errant au tempérament de lutteur.

 

4. L'Enfant-Dieu s'est fait plonger dans les eaux du Jourdain pour S'entendre dire, à Lui tout Seul, note Saint-Marc, par la colonne-colombe de nuée et de la part de Dieu Son Père qu'Il Etait Son Enfant Bien-Aimé.

 

Le baptême a la magie de l'amour. Il est cette immersion dans l'onde qui donne à tous nos ondoiements à venir, l'assurance, à travers le salut futur de celui qui est marqué du sceau de la Foi, que pour aujourd'hui, notre vie doit être un pont sur l'angoisse, à mi-chemin entre l'air où s'éventent les oiseaux dégoisant d'insouciante inconscience  amoureuse et les eaux noueuses qui emportent les torrents dans leurs courants effervescents de joie qui a bu la mort, mais en est revenue. ..

 

 

 

Maternité (II) :

 

 

15 février 2003

 

1. Il y a une autre raison pourquoi la maternité est liée à la mort : c'est que la mère donne à l'âme un corps où cette liberté est enfermée. La mère met cette âme en cage dans cette enveloppe charnelle et mortelle. La mère met l'âme dans cette déchetterie, et Voltaire (de qui Baudelaire disait qu'on s'ennuyait en France parce que tout le mondey pense comme lui) ne voyait pas comment une âme immortelle pouvait résister à avoir vécu pendant neuf mois entre des excréments et des urines.

 

Du temps de ce sceptique armé de dérision, on n'y allait pas de main morte et la mode n'était pas à prendre un bain de liquide amiotique. Moi qui n'ai jamais été allaité, mais qui n'en ai pas moins toujours aimé le vin fin et le bain du sein malgré ma détestation du lait, serais-je plus voltairien que je ne voudrais, cédant à ce blasphème de continuer à lier la mère et la mort par le corps ?

 

2. Je n'aurai pas l'indécence, ne fût-ce que pour m'éviter que mon frère, féru de psychanalyse, me dise que je n'ai pas correctement réglé mon Oedipe, de prouver par de miens fantasmes amoureux comment des manières dont ma mère vivait son corps se sont transférées dans mon désir de la femme. Car la mère et l'enfant sont dans un corps à corps qui, sans être incestueux, peut initier le mâle aux premiers allants de l'érotisme. Lorsque l'enfant mâle a gardé nette la conscience que c'est à travers le corps de sa mère que se sont noués ses premiers fantasmes, il y a de fortes chances que jamais il ne sépare l'érotique de la perversité. Je ne suis certes pas de ceux-là, mais Baudelaire, derrière le paravent de qui je me cache ou pour qui je me prends, à mettre mon coeur à nu parce que je viens de lire le dépouillement du sien ; Baudelaire, comme y rendait attentif Yves Bonnefoy dans une conférence marquante qu'il lui a consacrée, le premier, Baudelaire avait confondu l'odeur de la femme avec les fourrures de sa "CCAROLYNE CHERIE de mère élégante" bien que piquante d'être devenue la générale Aupique...

 

Quand j'étais petit, à la toilette, je posais ma tête contre le sein de ma mère et lui disais :

"Je dors sur une belle fille".

Mais je n'aimais pas tellement son odeur corporelle et pourtant, j'ai la même.

 

3. Un autre détail autobiographique m'oblige à évoquer ce corps à corps : c'est qu'un jour, ma mère m'a dit, pour m'intimer le commandement de ne plus boire, qu'elle ne m'avait pas laissé sortir de son corps pour que je fasse n'importe quoi du mien. Cette réflexion de ma mère m'a tellement choqué que je lui ai répondu par un texte que j'ai intitulé "Le corps-poubelle" et que j'ai assigné pour fin dernière à ma poésie d'évaporer mon corps. Si je l'évapore, je risque fort de consommer le divorce avec le corps de ma mère, mais le fait est que nous ne cessons de chercher des poux à ceux qui nous ont donné le jour, invoquant "le malheur d'être né".

 

4. Comment se fait-il que Marie, "la maman de toutes les mamans" selon l'expression très heureuse de ma Bien-Aimée ; que Marie, pour qui, avec le temps, j'ai fini par avoir une vraie dévotion, comment se fait-il que Marie, demandé-je, se présente à nous sous deux visages : celui rayonnant de la jeune fille aimée d'autant plus fort qu'elle est inconsommable et portée sur les hanches en triomphe pour ses doubles fiançailles avec Dieu Qui en elle Est descendu et Joseph qui, s'il a partagé sa couche, ne l'a jamais que prise dans ses bras, mais prise toutes les nuits, j'en suis sûr ; et celui, autrement austère, de "Notre-Dame des septdouleurs" qui, quand elle apparaît, pleure, retenant le bras armé de Son Fils en colère et nous mandant, sous peine de guerres qui ont lieu et ont donc l'air d'être prévues, de nous tenir cois et sans réplique, réduits à la stricte observance de notre ascèse !

 

Faut-il voir là vengeance abusive de maternité abusée, à qui ses enfants ont enfoncé le glaive de leur indépendance, quand ils n'ont pas crié qu'elle les a faits naître pour la mort, comme certaines mères disent à leurs enfants que, si elles avaient su qu'elles hériteraient d'un enfant si mal formé, elles auraient avorté ? Ou bien faut-il envers et contre tout s'obstiner à vouloir voir dans ces restrictions de nos mères, qui nous accablent de recommandations que notre turbulence fait se perdre, des avertissements qui ne sont pas seulement destinés à rendre notre vie hygiénique, mais à nous faire éviter la mort qu'eles sont censées nous avoir donné ? Auquel cas le lien ici dénoncé entre la maternité et la mort serait rompu par ces efforts constamment consentis par nos mères pour nous préserver. Or une vie est-elle une vie qu'une vie préservée ?

 

 

17 février 2003

 

Si la condition de mère peut être perçue par l'enfant comme à la fois relevant de la générosité mammère qui la fait montrer son sein dans le triomphe de la naissance, et puis, des années plus tard, après que nous avons vraiment vidé nos mères de nous, de la surcharge pondérale protectrice qui veut nous faire éviter les écueils de la mort - les mères prenant la tête des cortèges pacifistes -, c'est que nos mamans n'ont pas seulement, dans l'éclat de la jeunesse, été belles pleines, allant donner la vie; mais après avoir couvé dans leurs entrailles l'enfant qui en était le fruit, elles doivent avec Marie, d'un talon rageur, écraser le serpent qui veut le leur ravir.

 

Quant à l'enfant qui écrit ces choses, qui fait ce lien entre maternité et mortalité, le premier mystère de sa vie aura été une anorexie mentale rocambolesque. Mon père m'a souvent dit qu'à mon commencement, j'ai "refusé de vivre".

 

 

 

 

3 avril 2008

 

1.

 

"Tout ce qui a naissance (...) naît des contraintes à partir des contraintes  et des contraires à partir des contraires : le plus grand vient du plus petit et le plus petit du plus grand. De "être éveillé" provient "être endormi" et d'"être endormi" provient "être éveillé". Pour eux deux en effet, les génération ssont, l'une s'assoupir et l'autre s'éveiller." Cette illustration parfaite de l'"union des contraires" va trouver son paroxisme dans ce qui suit, qui va être de grande conséquence pour l'intégration philosophique de la mort au fondement de la condition humaine :

"C'est des choses mortes que proviennent celles qui vivent, par conséquent nos âmes ne sont-elle pas chez Hadès ?"

- Vraisemblablement, répond le questionné.

 

- Mais il ne fait point du tout question que la génération du vivre soit de mourir. Or, sauf à ce que la nature soit boîteuse, n'est-il point nécessaire qu'à mourir, soit restituée une génération contraire ?

- Totalement nécessaire à coup sûr."

 

- t quelle est cette génération ?

 

- C'est revivre.

 

- Les vivants ne proviennent pas du tout moins des morts que les morts des vivants."

 

Cet extrait d'un dialogue socratique, le Phédon, entend prouver l'immortalité de l'âme et, qu'il y parvienne ou non, ce qui n'est vraisemblablement pas le cas puisque des controverses persisstent à ce sujet, ce texte inverse la charge de la preuve unaninement acceptée depuis Heidegger selon laquelle notre mère commet en quelque sorte un crime, en mettant au monde en notre personne un "être pour la mort". Selon la théorie socratique, très inspirée des traditions transmigrationnistes qui sévissaient en asie mineure et que la Grèce a récupérées et réinvesties, la mère met au monde du "déjà mort" pour compenser la nature d'une de ses pertes formelles et qui, pour reprendre une de mes propres obsessions, doit être réinjectée dans sa masse pour qu'il n'y ait pas déperdition de matière, d'après un principe que Lavoisier formulera plus tard en ces termes célèbres :

"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme",

formule qu'on pourait à son tour transformer ainsi :

"Nous sommes  de la matière réformée."

 

Mais plaçons-nous du point de vue de la mère. La voici dépossédée de son pouvoir à la fois saturnien et prométhéen : elle s'était imaginée "créer du nouveau", elle ne fait que "compenser la nature" ; Heidegger vulgarisé la plaçait en position de dévorer légitimement son enfant puisque rien de ce qu'il aurait ne lui aurait été donné que par elle, de sorte que tout pût ou dût lui être rendu. Or voici que la mère doit accepter au-dedans d'elle-même, non seulement du nouveau dont la nature est la source et non pas l'Etre de la Mère : la Nature, déesse-Mère quand la mère n'est que Mère ; mais du nouveau qui, avant même que de décevoir la Mère par l'écart  existant forcément entre la mise au monde d'un être nouveau par les rêves créateurs de sa mère  et la position du nouveau-né comme celui qui ne réalisera pas ses rêves et réclame néanmoins un amour inconditionel, s'apporte en elle comme issu pas tout à fait d'elle, comme un corps étranger qui ne repousse pas le patrimoine génétique qu'elle lui apporte, mais qui apporte avec lui  celui qu'il a déjà reçu des "choses mortes" qu'il emmène avec lui dans la mère et qu'il a compensées "dans la nature" pour éviter à cette autre mère, avec laquelle il est en relation plus primitive ou plus première, d'être "boîteuse" et de comporter en son sein de la matière en perdition. La forme de l'être représentée par le nouveau-née est mise en relation dans son engendrement avec du "déjà mort" existant préalablement, que le nouveau-né ne ressuscite pas, ne reconstitue pas, mais compense et dont il provient. Cette formalisation de l'être dans la relation dengendrement "emboîte" la filiation personnelle dans la filiation naturelle à laquelle la première est subordonnée, et incline encore à faire consister la maternité dans le passage de l'illusion biologique à l'adoption de ce qui se compense de la nature en elle. Toute naissance est profondément un mystère de compensation, elle l'est aux deux bouts de la chaîne : elle l'est, pour la mère, au plan archaïque, comme un besoin de se répliquer en un être qui ne lui répliquera pas, qui ne la trahira pas, mais qu'elle pourra trahir, partant de l'expérience que tout enfant fait une confiance aveugle à ses parents avant d'instruire contre eux un interminable procès en trahison   ; mais la naissance est aussi compensation pour l'enfant, à travers sa demande inconsidérée damour inconditionel. Mais cette demande inconsidérée est un besoin pour  la nature de trouver compensation d'avoir été meurtrie, non pas d'avoir dû trouver forme nouvelle, mais en la constituant de points morts. Si bien qu'on peut au choix, en partant de ce principe de l'être placé en relation d'engendrement par un double effet de compensation, maternelle et naturelle, ou bien concevoir une grande infériorité de la chose et trouver indigne que mettre au monde un être pensant soit une manière de "compenser" ; et trouver que la chose qu'on met au monde étant du déjà mort, il n'y a rien à quoi l'on doive moins "aspirer" que de sortir de ses entrailles cette "fausse couche" si "caca", qui  ne réalisera même pas mes rêves de maman. On peut de la sorte considérer l'embryon comme une "fause couche" bien plus avortive que poussant vers la vie, qu'impulsive dans cette compensation directionnelle. Mais on peut prendre la chose selon un second terme, en repartant du phénomène de compensation pour déceler dans ce substantif le mode même de l'"aspiration", d'une régénération du "singulier maternel" par "le naturel universel" qui fait qu'on ne "pense" qu'"avec" tout comme on ne "naît" qu'"avec". Dans ce second schéma, il n'y a pas de pensée sans compensation, bien sûr de connaissance sans pensée, mais de naissance sans connaissance, ce qui fait que la naissance es tun mystère d'"accompagnement", de "Mitsein" aurait dit Heidegger, d'"accompagnement" de la nature dans son mystère de compensation, la nature à son tour compensant l'aspiration maternelle à devenir "nature naturante" par une entrée dans le souffle où la mise au monde de l'enfant n'est pas une immense dépréssurisation des contractions, mais est l'"inspiration d'une âme". La mère, qui est à consoler de n'avoir pu devenir la nature de son enfant, n'est pas réanimée par notre Mère Nature, mais reçoit en son être l'"inspiration d'une âme" mise au patrimoine de cet être nouveau qui vient se loger en elle, en se composant d'elle et de plus qu'elle pour que "tout n'aboutisse pas à la même figure". La nature et la mère s'adoptent mutuellement dans un vécu de la fécondation qui, répétons-le, est un passage du biologique à l'adoptif.

 

Et en rien d'autre que ce passage ne consiste le baptême. Le baptême, c'est l'étonnement mis dans le système que le biologique ne suffise pas pour qu'on puisse parler de naissance : il faut le compléter par l'adoptif qui est rien moins qu'instinctif. Voilà pourquoi en effet "l'instinct maternel n'existe pas" nécessairement, et pourquoi  tout le problème de la mère va être de se déterminer d'une manière existentielle, non pas si elle garde ou non ce corps étranger qu'elle découvre si perturbant qu'elle décide qu'il lui appartient et dont elle se croit justifiée de percevoir que, puisqu'il provient de la mort, elle peut lui donner la mort : IVG ; mais s'il lui est possible d'imprimer sa différence dans cette forme mise en elle, dans le corps de cet enfant ; si elle consonne a ssez avec la vie pour se réjouir de la donner avec la nature en étant comme "la vocalisation de la nature" et "la voix de la nature" pour l'enfant ; si elle peut faire corps avec cette différence qu'est (son) enfant. Tout le problème pour la mère qui va mettre au monde "pour la mort" du "déjà mort", va être  de se déterminer si ce corps étranger qu'elle pourra passer toute sa grossesse à croire sien, mais supposons qu'elle l'est reconnu pour étranger : tout le problème pour elle, dès lors, va être, disions-nous, de déterminer si, du fait qu'il déborde son patrimoine génétique, elle rejette ce corps étranger a statut de "fausse couche" qui "mérite la mort", ou bien si, au contraire,  elle l'adopte et, dans un rendu à la nature qui lui a donné ce corps, décide de prendre soin de la couvée d'une âme. Ce n'est pas un petit problème que de se situer par rapport à un "hors de soi" qui vient en "moi" à un instant où je ne l'attendais peut-être pas et dont je suis sûre qu'il ne sera pas à moi, en ce sens que je ne pourrai le faire mien qu'en lui volant sa forme qui pourtan se développe en moi.

 

En un sens, ceux qui trouvent qu'on va un peu vite en besogne en décrétant que »le bébé est une personne » ne sont peut-être pas si nigauds que l'on pense. Car, d'une part, il reste bien des traces des défaites du combat intérieur que doit livrer pour enfanter la mère entre le biologique et l'adoptif, traces persistant à travers ce florilège de paroles malheureuses qui dévalorisent une vie à vie, telles que : "Si j'avais su que tu serais comme ça, je t'aurais avorté. Et dire que j'avais prévu que tu naîtrais pourm on malheur !" Pour celui qui doit s'affronter à de telles paroles, tout le travail d'enfantement reste à faire  pour accéder de la dimension de "matière réformée" à partir de "choses mortes" qui "compense la nature" à la dimension de "personnes" désiré, ne serait-ce que par la nature. On n'accède à la dimension de "personne" que quand on se souvient de son désir. Bien sûr, le désir qui nous différencie se pose comme transitif direct sur des choses dont on veut s'emparer. Mais le désir ne fait ainsi qu'en souvenir du souvenir du désir qu'on a suscité, pour autant qu'on ne prend jamais conscience qu'à proportion d'une mémoire, dans laquelle on puise qu'on "a vécu" avant que d'être né. On ne prend conscience que dans la sensation de "reconnaissance". Prendre conscience, c'est se souvenir, et l'on ne devient quelqu'un, on ne devient sujet qu'en se souvenant du désir dont on a fai l'objet. Tout ce qui est dans l'"infra" de ce désir d'une âme, que cette âme, à défaut de celle de la mère, soit celle de la nature ; tout ce qui se maintient dans les limites d'un pur biologique qui reproduit la compensation non consentie en ne faisant, par le désir, qu'attirer des choses à soi, est de l'infraégologique.

 

Dans ce cannevas que je viens de tisser d'un métier qu'on pourra juger hasardeux, une chose ne laisse pas de m'étonner : c'est que la tradition transmigrationniste  animiste, qui ne dit pas seulement qu'il y a infusion de l'âme à partir de la fécondation, mais que la fécondation ne vise à rien d'autre qu'à placer "une âme inspirée" dans de la "matière réformée", ne se dresse pas vent debout contre l'avortement qu'elle n'a pas l'air de considérer comme une transgression si terrible au même titre, me dira-t-on, qu'elle n'a pas la même notion de l'injustice qui nous fait nous dresser sur nos barricades quand nous croyons deviner des préjugés de castes. La condition des "intouchables" prouve avec quelle sérénité cette tradition ne "touche pas" à l'ordre établi, ni ne lit une "injustice" où nous déplorons une différence de traitement qui insulte notre "soif d'égalité" que certains nous pressent de ne pas confondre avec l'"équité". Mais, derrière cette tranquille acceptation de la transgression anténaticide, il y a peut-être prise en compte de ce travail quie reste à faire entre la Mère et la Nature pour mener à la Personnalisation (même si ce terme ne fait pas partie du vocabulaire de cette tradition) cette "âme inspirée" qui, si elle n'est pas reconnue dans le "déterminisme génitif et génétique" dans lequel elle devra se déployer sous la guidance de son "démon" comme a toujours dit qu'était inspiré Socrate, mieux vaut peut-être pour lui qu'il retourne chez "Hadès".

 

Mon second sujet d'étonnement me vient de ce que ma mère, qui a trouvé beaucoup de compensation dans la maternité à son insatiable besoin d'être aimée, m'a souvent parlé de "la Nature" qu'elle a toujours aimée et dont elle s'est fait le peintre. Or, je n'ai jamais démêlé quelle était la raison de la réticence qui me retenait chaque fois qu'elle voulait me faire partager sa prédilection pour la Nature avec laquelle je ne suis jamais entré en connivence, tout en n'ayant jamais aimé non plus qu'on la confonde  avec le Créateur en disant : "La nature a fait telle chose."

Ma mère voulait portraiturer, c'est-à-dire imiter la Nature en laquelle elle trouvait un pouvoir créateur et moi, je n'ai pas aimé la Nature, peut-être parce que ma mère ne la séparait pas d'elle et ne me laissait pas me saisir en elle plutôt que dans les projections des seules compensations maternelles sur ce corps étranger qui était le mien et qui, plus il intéressait ma mère pour la complicité biologique qu'elle voulait entretenir avec lui, plus il me devenait étranger et étranger à la nature.

 

 

22 avril 2008

 

"S'il n'y avait en effet une perpétuelle compensation que se donnent les unes aux autres les choses quie existent comme si elles accomplissaient un parcours circulaire ; si, au contraire, la génération suivante, une droite, allait d'un des contraires à celui seulement qui lui fait face, si ele ne se retournait pas ensuite vers l'autre et ne faisait pas le retour, alors, tu ne l'ignores pas, toutes choses finiraient par revenir à la même figure".

 

Voici qu'en poursuivant la citation de Socrate, je n'ai plus pu dissimuler d'où me venait cette "philosophie de la compensation". Le fait est que j'ai toujours été fasciné par la géométrie plane sans réussir de façon convaincante à tracer des traits bien mesurés ni, à l'équerre, des angles ayant les degrés requis ou ne s'écartant pas du tracé initial. Vais-je réussir à commenter les figures que Socrate livre à notre analyse ?  De sérieux doutes sont permis, mais on peut toujours essayer !

 

a) ON peut résumer les positions de l'énoncé sus-cité en disant que Socrate ne voit pas d'incompatibilité à ce que le parcours d'une vie puisse être tour à tour comparé à un cercle, puis à une droite. Socrate utilise la métaphore du "retour" parce qu'il récuse "le point de non retour". Mais tout aussi énergiquement récuse-t-il ce dont Nietzsche fera "l'éternel retour"... "du même", car Socrate ne veut pas que "toutes choses (finissent) par avoir la même figure". C'est pourquoi il nous fait parcourir la droite dans un sens, puis dans l'autre, mais une seule fois.

 

On a beaucoup critiqué l'enseignement aux collégiens des mathématiques modernes. Elles sont pourtant de la philosophie à l'usage des classes de sixième. Je n'ai guère dépassé ce niveau, ni en Mathématiques, ni en philosophie. Mais tou l'émerveillement philosophique que renfermaient les Mathématiques modernes à ce niveau du collège, je crois ne pas être passé à côté. Ainsi, lorsque je reçus mes premiers cours de géométrie plane, ce qui m'émerveilla était qu'une droite n'eût besoin que de passer par deux points pour, de là, pouvoir se prolonger à l'infini. Il ne fallait pas beaucoup pousser notre professeur pour qu'elle nous dise qu'un point n'avait qu'à être poussé dans son  potentiel abstractif à donner la direction d'un autre, et ce point aboutissait à une droite qui menait jusqu'à l'infini. Mais le plus merveilleux n'était pas qu'une droite ouvrît une voie vers l'infini : c'était qu'on pouvait à son gré parcourir ce chemin dans un sens ou dans l'autre. On pouvait se pousser de la main jusqu'à l'infini en des étirements où l'imagination suppléait rapidement au muscle ; ou, si l'on préférait, on pouvait ramener l'infini à soi. Bien que cela ne manquât pas de m'émerveiller au plus haut point, ce sens de la droite à la mesure de ma main  me paraissait outré et, que cela donnât une liberté incomparable à l'homme pouvait bien m'exciter : je n'en étais pas dupe. Je sentais bien qu'il n'était pas au pouvoir de l'homme de soumettre la ligne à sa manière de la parcourir et, tantôt d'aller de lui à l'infini, tantôt de l'infini à lui, selon son bon plaisir, comme si c'était lui, l'Infini, le point humain. Pourtant, je ne me méprenais pas et ressentais effectivement que, s'il y avait de l'infini à tirer de quelque part, c'était moins de la droite qui ne faisait que prolonger à l'infini une direction que du point dont l'abstraction était le premier mystère,  mais dont le second n'était pas moindre : que ce point abstrait, idéal et presque n'existant pas ait pu s'expanser jusqu'à l'infini, ait pu susciter de l'infini comme par prolongement inévitable de lui-même. J'avais correctement dissocié l'infini visible de la prolongation idéale et linéaire et le centre invisible de toute infinité sans que j'eusse été capable pour autant de formuler l'une quelconque de ces approches de l'infini telles qu'on les lit sous la plume de Simone weil :

 

"Un nombre qui croit, pense qu'il sapproche de l'infini, il s'en éloigne."

"Si Un est Dieu, l'infini  est le diable."

"La misère humaine contient le secret de la sagesse divine et non pas leplaisir."

"Le mal est infini au sens de" l'indéterminé, matière, espace, temps. Contrepoids, le vrai Infini."

 

Inutile de dire que je me dissocie de "l'infini diabolique" que Simonne weil situe dans la croissance, encore que je ne vienne pas de dire autre chose que ce qu'elle a dit sans toutefois, il est vrai, assigner au vrai ou au faux infini des frontières de bien ou de mal. Je ne me reconnais même pas dans l'assimilation pourtant classique que la philosophe fait du mal au cahos, à l'"infini indéterminé" qui serait comme "une privation d'être" ainsi qu'ele le dit par ailleurs, dans la ligne de Saint Thomas d'Aquin. Pourquoi ne pas accepter cette fixation des frontières, qui n'a rien de répressif ni de répréhensible ? Parce que, contrairement à ce qu'écrit Bergson,  on ne peut penser une chose qu'en ayant la perception de la négation de cette chose. Ainsi, ne peut-il y avoir de l'être dans l'être que s'il y a aussi du non-être, que si Dieu contient en même temps l'être et le non-être et que dieu Soit Celui Qui a fait quelque chose du non-être, lequel, avant qu'Il nen fût rien, n'était pas du mal, mais rien et, s'il n'était pas rien, était qu'"indéterminé". Le Bien n'est pas la détermination et le mal l'auto-détermination. Mais, où est le mal, et c'est peut-être ici que Simonne Weil vise juste, c'est "le plaisir de l'autodétermination." "La misère" contient une infinité de maux et en cela elle "s'éloigne" de Dieu tandis que le plaisir est un sentiment magnétique, mais fuide. "La misère" est-elle plus une que "le plaisir" ? Dans la mesure où "le plaisir" est tressautant tandis que la misère est un accaparement de toute l'âme, leur rapport souffre d'être ainsi décrits. Passerait encore que nous fussions projetés avec plaisir sur "la droite" en sautant des points pourvu que nous fussions toujours portés dans le même sens : "Il n'y a pas en nous de principe d'ascension, il faut être tiré", écrit encore notrephilosophe. Mais ce n'est pas là que nous trouvons notre plus grand plaisir. Notre plus grand plaisir est l'indifférentisme avec lequel nous allons aussi facilement vers l'infini que nous voulons rapporter l'infini à nous-mêmes, et nous voulons faire ce chemin dans les deux sens, plusieurs fois dans notre vie, alors que nous venons de l'infini par notre mère en qui nous l'apportons ; qu'arrivés au point Zéro qui est celui, non de notre origine, mais de notre naissance, nous avons oublié l'infini et tout le travail que nous aurons à faire sera de réexpanser vers l'infini, d'être un petit infini se rendant à l'infini, chemin que nous ferons en suivant la voie tracée par notre père.

 

 

b)  Mon amour mal réglé de la géométrie me fait ne pas reculer, pour mieux m'expliquer, devant l'idée qui m'est venue hier d'essayer de représenter les trois figures sous lesquelles notre "culture occidentale" a voulu se représenter le monde. Cette explication ne s'impose pas et pourtant, elle n'est pas non plus superflue. En réalité, nous avons déjà rencontré les trois figures dans ce bref exposé ; mais les replacer dans leur perspective historique comme aussi dans le fait qu'eles n'ont pas cohabité dans la représentation, comme sivéritablement, elles s'opposaient alors qu'elles se complètent, ne me semble pas inutile.

 

- Au commencement était le Cercle. Mais, contrairement à ce que je me suis, par plaisir, laissé entraîné à écrire, "le cercle" n'a pas été considéré du point de vue du point central, car loin de l'humilité des philosophes de l'intuition l'idée de se prendre pour le centre du monde ou de se mesurer à ce centre divin d'où émanait le cercle des activités et des passivités, des "éveils" et des "assoupissements", des "vies et des morts". L'on ne s'est pas permis de s'organiser un cercle à partir du Point Central. Ce pourquoi l'on a été intéressé par "le cercle", c'est qu'il décrivait une trajectoire, non point qui revenait toujours au même, mais qui revenait toujours au même point. Le platonisme, qui a ouvert les portes de la sagesse humaine sur l'Invisible, n'a jamais été nihiliste et ce n'est pas lui qui aurait dit comme mon frère Philippe, chaque fois que le gagnait la fatigue :

"Tout tourne en rond et rien ne mène à rien, seule peut nous sauver la création de ce néant", tiers élément contradictoire dont, quand on le soulignait, Philippe ne méconnaissait pas qu'on créée pour continuer de s'illusionner. Seulement, il fallait le lui arracher pour le rendre logique avec lui-même : malgré lui, Philippe ne pouvait se déprendre que "la création" apportait quelque chose au "rond" enrichi et au "rien" renforcé ou enfoncé.

 

Platon n'était pas nihiliste. Ce qui l'intéressait dans "le cercle", ce n'était pas la centralité autour de laquelle "le cercle" s'était conçu, ce n'était pas la persistance d'un trajet qui s'en balançait de changer, c'était le retour au même point situé à quelqu'endroit du cercle et qui était nous-même nous étant associé à la courbe dans un parcours existentiel où l'on serait allé de la réminiscence à l'"oubli". et ce "nous-même", ce point sur lequel sans cesse, on revenait au terme de la grande courbe de mémoire qu'avait été l'existence, c'était le "point d'oubli", "le même point" dont nous ne gardions pas mémoire à travers les âges à quel point nous en étions ssolidaires. C'était, par-delà les mutations successives de notre âme dans différents corps et les diverses expériences qui pouvaient nousêtre échues, la singulière unité de notre âme, unité que la troisième figure n'a bizarrement pas dissoute, comme nous ne manquerons pas de le rappeler quand, dans un bref instant, nous nous soumettrons à son examen.

 

Le "cercle" n'a pas été sans quelque lucidité devineresse pour autant que notre astronomie de lunettes, des télescopes et d'observatoires ne soit pas née de l'astrologie ptoléméenne, quelque distance qu'elle ait voulu prendre avec elle. "Le cercle" a anticicpé la forme des planètes et leur incessante rotation, si séparée de la première que soit la sphère et de la seconde que soit leur elliptique. Mais, du point de vue sémantique, qu'une planète tourne dans son éliptique explique pourquoi la philosophie des anciens a eu l'intuition du "cercle" pour expliquer la condition humaine et la configuration du monde : c'est parce que "le cercle" est eliptique de soi, mais cet "oubli de soi"  ne veut aucunement dilapider notre persistance et, encore une fois, c'est le point commun de toutes ces figures que, si éclatée puisse être la perception du monde qu'elles proposent, elles sauvegardent quasi toutes l'unité de notre âme dans sa capacité de récapituler le cosmos inversement proportionnelle à sa capacité de se récapituler ele-même.

 

- "Le cercle" a assimilé "la droite", socrate vient de nous le montrer, l'inverse n'est pas vrai, c'est à voir : le christianisme n'a-t-il pas baptisé toutes les idées païennes qui servaient sa démonstration ? Nous y reviendrons certainement, mais il faut commencer par souligner la différence des figures. Elle date du triomphe du judéo-christianisme qui, à la figure décrite autour d'un "point central" qu'on trouverait sacrilège de considérer, va substituer une droite axiale symbolisée par l'arbre. Mais, à la différence de ce qui s'est passé lors de l'iruption du cercle où seule avait compté la périphérie, ici la périphérie ne va vraiment jouer un rôle que périphérique et va presque complètement disparaître au profit de l'axe. Cet axe, répétons-le, est l'arbre, c'est-à-dire que l'émergence de cette figure va permettre de passer de la géométrie plane, au plan de laquelle la ligne droite va symboliser l avie et la mort, à la géométrie dans l'espace où cette vie et cette mort pourront aller de la terre au ciel en montant de branche en branche comme sur l'échelle de Jacob. Mais,a vant que "la ligne" ne se "verticalise", il y aura un incontestable abandon : "la droite" se substitue au "cercle" comme une résignation au "point de non retour" où tout se passe comme si "le cercle" n'avait pu se résoudre. On ne naît pas d'en haut pour aller en bas : on naît d'en bas pour aller en haut, point final. La mort est un infini qui consacre le choix d'éternité qu'a fait un homme fini. La "domination du cercle" dans l'abandon de son centre avait donné naissance à la multiplicité des lignes que sont les étoiles dans l'horizon ; ici, la centralité de l'arbre "familialise" d'autant plus ce qu’on bâtit autour de lui que l'univers a cessé d'être vu pour être visé. L'univers n'est devenue une finalité accessible que par la construction, dans le "jardin" qui a été planté autour de l'"arbre", d'une "maison". L'"arbre" peut être encore la colonne de la maison qui, autour de l'axe que représente la vie et la mort, va bâtir une ligne de révélation allant de la Création du monde à son apocalypse et son jugement en passant par autant de branches où grimper que ne comptera d'épisodes l'histoire révélée du salut. Pourquoi  parler de "maison" si l'on ne voit qu'un arbre ? Non seulement à cause de la transposition qu'on a faite de la destinée du genre humain sur l'horizontalité d'une destinée individuelle, mais aussi parce que "la maison" est fondée par l'Ecriture : la première lettre du premier mot de la Bible représente "la Maison" ; elle est fondée bibliquement et a des fondations, la Création. Elle montre un "ciel" qui est par-dessus le toit qui est l'apocalypse. L'apocalypse, le Jugement, ne font pas partie de la maison, elles sont dans le ciel au-dessus du toit de la maison ; comme, d'une certaine manière, la Création ne fait peut-être pas partie non plus de la maison, il n'est pas dit que la Création envisagée remonte jusqu'aux origines : la "Création" commence "lorsque Dieu commença". Mais le développement de la maison est consubstantiel à l'existence de la colonne de l'arbre : on veut vénérer dieu dans un temple et vivre abrité de la vérité sous un toit. Ma formule est ambiguë à dessein : la vérité n'est pas qu'on aspire consciemment à vivre à l'abri de la vérité, mais on veut mettre la vérité aux abris. L'Eglise catholique est cette maison dans laquelle on vit sous le toit de la vérité. L'Eglise catholique possède une vision, sinon totalitaire, du moins totalisante, d'un monde qui lui a été révélé du commencement à la fin, elle sait le tout de la terre et du ciel. Elle le sait au sein de cette maison sainte. Les deux figures, "la droite" et "le cercle", auront pour point commun de se construire en regard d'un "point aveugle" du temps : pour "le cercle", ce sera une certaine nécessité d'oubli ; pour la droite, le temps deviendra tout à fait contingent et, une fois que la droite aura été dessinée en esprit, c'est-à-dire que la Rédemption aura été accomplie en principe, le temps peut s'arrêter. L'histoire qu'on vit est sans nécessité réelle, on ne comprend même pas pourquoi on la vit. Il y a apparemment une plus grande dynamique dans "le cercle", il y a une nécessité de vivre le temps, mais c'est une nécessité qui tourne à vide, d'autant qu'on oublie le temps qu'on a vécu. En ceci, la droite a assimilé le cercle qu'elle lui a emprunté une certaine idée de l'Infini contingentée sur un temps qui a perdu de sa valeur.

 

- L'implosion expansive est une sorte d'atomisme qui va exponentialiser les potentialités du point géométrique pour, une fois la fiscion faite, donner une étendue à ce noyau se divisant et perdant de sa chaleur à mesure qu'il s'éloigne du "feu central" qui, entre la prmeière et la troisième figure, s'est déplacé du centre de la terre au point alpha de l'univers. L'implosion expansive n'est qu'une certaine déclinaison de la gnose. Comme "le cercle » avait assimilé "la droite" et réciproquement (bien que laborieusement), "la droite" est le germe de cette doctrine de la contractilité du point géométrique après implosion, lequel point va donner une nouvelle forme à "la droite". Nous passons avec cette nouvelle figure de deux formalismes à un transformisme. Du premier formalisme, l'univers était déductible ; dans l e second, il était contenu : le troisième va l'avoir pour objet. L'objet de l'"implosion expansive" va être de s'expliquer sur le mécanisme qui l'a vu créer. L'hypothermie dans laquelle se produit ce transformisme va avoir pour conséquence que son point aveugle temporel ne sera rien d’autre que la conscience. Mais, cette cécité étant, elle est dans la logique de la cécité des deux précédents formalismes : en effet, qu'est d'autre l'Oubli que l'Inconscience ? Et plus lointainement, qu'est d'autre l'abolition du temps que somnolence et la somnolence qu'inconscience favorable à tous les onirismes et émergences de l'inconscient ? Le suréalisme est un fruit de l'abolition de la réalité. Avec l'abolition du temps, "nous vivions comme endormis". Avec le transformisme de l'implosion expansive, nous sommes devant une indifférence de la conscience et de la forme. L’implosion expansive est une indifférence formelle. Que la conscience n'occupe une place temporelle qui se réduit à rien au regard de l'origine de l'univers, il n'y a pas de quoi affoler la vie ! Le transformisme, indifférent à la conscience, pourrait l'être à la forme : pourtant, le transformisme est un formalisme. Il a beau, en théorie, s'expanser dans toutes les directions que lui donne son élan, il ne s'expanse que pour réaliser la direction que veut prendre "la droite" au terme des potentiailités du point. La différence est que les deux formalismes purs que nous avons étudiés précédemment sont comme des essences toute formées ; l'essence de ce néo-formalisme, c'est l'information. Il est l'expression du point zéro qui veut aller vers l'infini sans en venir, de l'enfant qui, en naissant, ne se souvient pas qu'il provient. Il a, en naissant, un sens inné de la filiation ; il fait corps, sans y penser, avec la nature et avec sa mère. Il devra découvrir son père qui lui montrera un "ailleurs". Mais il ignore pourl 'heure avoir à faire du chemin. Il ne sait pas encore marcher et ne se doute pas qu'il devra apprendre.

 

Qu'est-ce qui se joue au point Zéro ? L'Enfant est passé par les eaux du Léthée, il a oublié l'Infini d'où il vient. Il fait Un avec le corps qui lui rappelle sans mémoire qu'il est d'ailleurs. Il fait Deux avec celui qui l'accompagnera dans son retour vers l'Infini. Sa mère l'a fait venir de l'Infini, son père l'y fera retourner. On a dit souvent que "la paternité" était un reflet de la Paternité divine. C'est possible : mais la maternité est un reflet de cette part d'Invisible Qui est Antérieure en Dieu à Sa Paternité même, dans la mesure où c'est peut-être parce qu'Il Est Invisible et Transparent jusqu'au moment d'être Père que Dieu est pris d'un Désir de Paternité. Jean-Paul II  a donc eu raison d'appeler les femmes des "SENTINELLES DE L'INVISIBL". Elles sont gardiennes de l'Infini sans bien savoir ce qu'elles gardent. À quoi bon devraient-eles raisonner sur la vie qu'elles gardent et puis qu'elles donnent ? Le père l'"encercle" et "raisonne" sur elle jusqu'à ce que sa femme l'ait donnée pour lui. Alors, il découvre qq'il est fait pour aller vers comme la femme  est faite pour en venir. Ainsi, l'enfant fait-il deux fois le trajet qui sépare l'Infini du Zéro et le Zéro de l'Infini : il le fait, à l'aller, avec sa mère ; il le fait, au retour, avec son père. La différence des sexes entre l'Enfant mâle et l'Enfant femelle est quelque chose comme une différence de contenance. La Fille est une métonymie de l'Infini dont elle a pour fonction d'avoir le sens qu'elle en vient dans son trajet de retour, tandis que le garçon doit avoir creusé le point Zéro pour ne pas savoir, mais redécouvrir ce qui se joue à chaque pas. La petite fille sait la raison dont elle vient, le petit garçon devra trouver le sens de sa marche. À accepter la nature, la maternité pourra aider la petite fille quand elle sera grande ; à retrouver la nature, la paternité pourra servir de révélateur au petit garçon.

 

 

 

Maternité (III) :

 

 

16 février 2003

 

Par trois fois, Jésus a enfoncé Lui-même le glaive dans le sein de Marie, Sa Mère.

 

La première fois, ce fut au moment où, L'ayant recouvré au Temple, comme elle Lui laissait voir son inquiétude en Lui demandant pourquoi Il leur avait fait cela, de les laisser sans nouvelles, Il lui répondit qu'elle aurait dû savoir que s'Il avait pris la peine de naître en elle, ce n'était pas pour rester dans ses jupes, mais seulement vaquer aux affaires de Son Père. Et, disant cela, Jésus, notre Roi, avait largement dépassé l'âge de passer aux hommes. Marie en reçut un premier coup au coeur, mais passa outre avec ce qu'elle savait qu'elle devrait passer encore.

 

La deuxième fois, ce fut à Cana. Marie était tout à la noce, abandonnée à la confiance, sans austérité aucune, et elle comptait bien que Jésus, sans compter, allait remplir les verres des noceurs qui avaient encore soif, de spiritueux comme prélude à la vie spirituelle, absolue.

"Faites tout ce qu'Il vous dira", avait-elle dit aux serviteurs du maître de cérémonie.

 

Mais Jésus se fit prier : "Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ?" Marie reçut un second coup au coeur, et les protestants se déchaînèrent en des sabbats d'applaudissements : "Il n'y a rien, ha ha, il n'y a rien !"

 

Mais Marie en y réfléchissant mieux, se dit qu'il devait quand même y avoir drôlement quelque chose pour que Jésus eût outrepassé ce rien, et quoi qu'Il en ait dit, ait fait ce que Marie voulait, comme si Jésus avait voulu lui dire en la prenant par la manche - mais les mamans ont le secret d'interpréter en bonne part ce que leurs enfants leur disent en mauvaise - : "Il faut drôlement que je t'aime pour que tu puisses hâter Mon Heure ! Entre toi et moi, il n'y a rien ? Il Y a tout."

 

La troisième fois, Jésus est dans un salon pharisien. Des huissiers viennent Lui demander de sortir deux minutes,car Sa mère a deux mots à Lui dire en particulier. Il s'y refuse et leur lance :

- Ah non, par exemple ! Vous pouvez le lui rapporter, messieurs les huissiers, que Je le lui demande un peu, qui est ma mère. C'est celle qui fait Ma Volonté. Or Ma Volonté du moment, c’est d’être dans ce salon, et c'est de causer dans le monde, pour leur apprendre un peu, à ces dandys, à la faire, ma Volonté."

 

"Mais ne vois-Tu pas combien je la fais, Ta volonté, mon enfant ?" Et marie de réprimer en elle l'envie qu'elle a de se laisser aller à le trouver ingrat, malgré tout, son Enfant prodige. Mais elle renouvelle le prestige de souffler sur ces mots qui lui ont arraché le coeur et, tandis qu'elle s'en retourne, dans sa tête, elle entend jésus lui dire :

" Qu’y a-t-il entre toi et moi ? N'as-tu donc pas compris, maman ? Ce que j'en ai dit, c'est pour ceux-là, mais tout de même, il faut que tu cesses de me retenir.

 

Tu as vu un peu ? Comme je t'ai répondu ? Je suis un homme maintenant. Ça t'en jette, hein, maman ! Je me permets de te jeter parce que je vole de mes propres ailes. Tu m'as sacrément bien élevé, mais Je  n'ai plus besoin de toi qui me dis ce que   J'ai à faire pour M’élever. Et puis Je n'ai plus de temps pour toi, j'ai à faire !"

 

"Fais, mon Enfant, fais, je comprends, je suis au fait !"

 

Au fond du coeur de Marie, quelque chose du premier acquiescement continuait de ne jamais douter, tandis qu'à mesure que l'épée rentrait jusqu'à la quatrième plaie, celle de la mort que Jésus subirait comme elle avait subi Ses coups d'épée, la blessure qui s'ouvrait dans son coeur inondait de torrents son visage, de larmes qu'elle versait d'un souffle retenu pour ne pas attirer l'attention.

 

Jésus allait mourir en croix et Marie allait être presque seule avec Lui. Tous ceux qu'Il lui avait préférée L'avaient fui et ils restaient, eux deux, avec un autre disciple qui s'appelait Jean et savait, comme eux deux, coller son oreille contre un coeur.

 

Et ce fut ce moment où Il allait mourir que Jésus choisit pour commencer la restauration de Sa Mère, dont Il avait déjà donné le premier signe en s'exclamant qu'il y avait quelque chose entre eux !

 

Ce deuxième signe allait concerner, engager, la vie quotidienne de Marie. Il ne voulait pas la laisser seule. Qu'allait-elle devenir ? Il fallait que quelqu'un la prît chez lui et veillât sur elle comme un fils, ce que seul pourrait faire (ce quelqu'un, qui serait-ce ?) celui dont l'épanchement fidèle, qui lui avait appris à  coller son oreille contre un coeur et  avait fait de lui "le disciple que Jésus aimait", accompagnait Son Maître à la mort et saurait veiller aussi sur la vie de Sa Mère.

 

A partir de ce moment, Jean prit Marie chez lui, mais la Marie qu'il recueillait ne serait plus, pour toujours, jusqu'à l'éternité où serait consommé et consumé ce qu'elle avait vu de la cruauté des hommes, que l'ombre d'elle-même, qu'une attente inquiète au Sénacle et même en Paradis où Marie voudrait tant que toutes les âmes viennent, attirées par Son Fils comme Il lui  a promis !

 

Au ciel, le Père dit au Fils : "Tu ne peux pas laisser Marie comme ça. Elle a beau aimer Jean comme Ton ami, cela ne la console pas de T'avoir perdu et vu mourir. Aucune mère sur la terre ne peut oublier cela. Au moins, fais-la venir ici !"

 

Et le Père et le Fils Qui ne demandait pas mieux envoyèrent à Marie un sommeil mystérieux que lui souffla l'Esprit, et Dieu l'enleva. Marie n'a jamais connu la mort. Sa maternité n'avait aucun rapport avec la mort. La mort, aucune mère ne peut la voir. Aucune mère ne peut la vouloir. Aucune mère ne peut s'y résoudre, se résoudre dans la mort de son enfant comme il arrive que, subrepticement ou par haine profonde, on e vienne à souhaiter la mort d'un proche (il m’est arrivé de souhaiter la mort de ma mère).

 

Le grand problème pour tous ceux qui méditent sur la vie de Marie, pour tous ceux qui aiment Marie, pour tous ceux qui aiment leur mère, est de se demander pourquoi la maternité n'est pas immédiatement restaurée. Pourquoi ces coups d'épée dans l'eau du coeur liquéfié d'une mère ? Et pourquoi les mères qui n'ont d'autre désir que de donner la vie, en tirent-elles autre chose avant que mère et enfant se retrouvent enfin, soit dans la maison de retraite où l'enfant qui va voir sa mère joue au papa et à la maman avec elle, soit sur les genoux de Dieu où ces deux enfants jouent.

 

Le cri que poussent les mères est : "Pourquoi ?"

Et pas seulement les mères, mais aussi les mystiques : "Pourquoi, Dieu, moi qui ne veux que Toi, Tu t'éloignes de moi bien avant que je m'éloigne de Toi ? Tu Te caches et je me perds. Et puis on se retrouve, et comme des enfants on se crie : "Dans les bras !",

mais n'est-il pas trop tard?

 

Je T'en supplie, mon Bien-Aimé, qu'il ne soit pas trop tard, que j'aie encore la fraîcheur de ma jeunesse quand je Te rencontrerai !"

 

 

 

 

Maternité (IV) :

 

 

20 février 2003

 

Je l'ai lu hier.

Pierre Monnier, officier français issu d'une famille protestante et mort à l'âge de vingt-trois ans en 1915 sur le front d'Argonne, Pierre Monnier, ce fils unique, l'a dit à sa mère avec qui, depuis sa mort, il a communiqué par écriture intuitive ; et sa mère en a tiré sept gros volumes :

 

"La mort, petite maman, ne la crains pas.

J'en avais peur malgré moi, je l'ignorais :

c'était un visage inconnu que je me représentais voilé de sang.

 

Oui, j'en avais peur, mais quand elle est venue, elle avait un clair visage qui ressemblait au tien. Je me suis endormi dans ses bras." ([2])

 

 

 

 

Maternité (V) :

 

 

20 février 2003

 

1. J'ai été élevé par une louve. C'est pourquoi longtemps, j'ai cru que ma mère et moi n'étions pas faits pour nousentendre.

 

Ce fut mon père qui, le premier me détrompa, bien qu'il fût déjà séparé d'elle : "Quand tu étais petit, ta mère était gentille avec toi", et ce n'était pas une sinécure d'être gentil avec moi, vu que je  ne voulais prendre aucune nourriture et que mes parents apprirent bientôt - et ma mère la première - que j'étais incurablement aveugle.

 

Or, je l'étais pour une raison qu'on n'a jamais sue, mais incurablement à la suite d'une erreur médicale. Et, là où tant d'autres auraient baissé LES BRAS et perdu leur temps à accuser les toubibs, ma mère fit des mains et des pieds pour comprendre et faire comprendre à qui ne voulait pas l'entendre que j'aurais une place à prendre. Elle força les portes à s'ouvrir à moi et prit fait et cause pour une association de parents d'enfants aveugles qui, tout en publiant une revue intitulée "COMME LES AUTRES" (où d'ailleurs, ma mère fit paraître un article sur moi), militait pour qu'on substituât le mot de "différent" à celui  d'"handicapé".

 

"Différent" et comme les autres", il y avait une incohérence, qui constituait un flagrant délit de paradoxe associatif, mais ces parents avaient beau se lancer le défi d'une acceptation sans équivoque du "handicap" de leurs enfants ; ils avaient beau croire supprimer l'obstacle en faisant à leur place la course au "handicap" en sautant par-dessus le mot, ces parents n'en étaient pas moins des parents d'enfants tels qu'ils n'avaient pas rêvé d’en avoir. Il fallait qu'ils fassent avec et c'était leur honneur de tout faire pour s'y faire, où d'autres comme j'en ai connu, au lieu d'apprendre à leur enfant à découvrir ses atouts, auraient traîné de colloques en procès pour dénoncer l'inexpiable suite de négligences ophtalmologiques à la suite desquelles leur enfant n'avait pas la délicieuse normalité qu'ils auraient désiré pour lui en le mettant au monde, véritable  machine à broyer, non pas à désincarcérer, mais à insérer où "tout le monde" veut être comme "tout le monde".

 

Ma mère, la tête la première, entra dans le combat, dont elle prit les devants. Comme elle aimait se mettre en avant disaient ses détracteurs (dont beaucoup étaient de ma famille), elle fit de la guidance parentale et fut déléguée de son association qui, en précurseur de bien des revendications communautaires à venir, voulait par le droit à la différence forcer ces "différents" que nous étions à être considérés en parité par la société dans laquelle il fallait qu'en échange, nous nous efforcions de nous intégrer, l'épreuve nous ayant rendus corvéables jusqu'au  dernier souffle à l'enfer de la preuve à faire. Nous n'aurions jamais dû cesser de démontrer que nous pouvions le faire à une société qui n'en avait rien à faire : elle en avait "exclus" d'autres, pourquoi pas nous ?

 

Sous bien des masques majoratifs de notre identité de minorité promue, la société trouve en fait très amusant de mettre des bâtons dans les roues aux porteurs de canne blanche, nous qui, pour nous faire bien voir, nous sommes mis à jouer les dandys. Pour mon compte personnel, tout fils de ma mère que je suis, je me fous pas mal de ce que la société pense de moi. Pourvu qu'elle ne me laisse pas crever de faim. Si elle veut bien me faire cette aubole, je serais très heureux  qu'elle me foute la paix et je m'engage à faire de même à son endroit : je scandaliserai les bourgeois pour le plaisir, mais lui serai parfaitement inutile.

 

Mais mes parents ne pouvaient pas le vivre comme ça ni penser dans une anarchie aussi moche et aussi molle. Ils avaient un problème de regard à régler. Ils étaient regardés de travers par des gens qui avaient toujours l'air de se demander, quand ils les voyaient passer avec moi dans la poussette, s'ils n'avaient pas gravement péché pour hériter d'un enfant pareil. Mais tels sont les manèges de la normalité qui toujours récupère que le droit à la différence que prônait et brandissait ma mère, m'a finalement réintégré dans la catégorie des "comme les autres". Ça m'embête, car je me crois original et j’aime ma marginalité, mais quitte à être des guignoles, il vaut mieux tout de même être récupéré par la normalité dignifiante que d'être considéré comme une charge sur laquelle viennent se lamenter, lénifiants, des concerts de pleureuses à la voix de casserole.

"Laisse, maman, je vais porter les casseroles de la normalité qui t'encombrent. Bon sang, qu'est-ce que t'as pu en mettre dans ta valise !"

 

2. "Je sais bien que je suis en train de perdre Juju !"

 

Longtemps j'ai cru que ma mère et moi n'étions pas faits pour nous entendre, mais cette phrase que ma mère avait prononcée devant une de ses copines dont l'enfant, la fille, me l'avait répétée, qui l'avait entendue, cette phrase de ma mère me bouleversa.

 

Evidemment qu'elle était en train de me perdre et c'était moi qui le voulais ! J'étais l'enfant dans lequel on avait planté le couteau du divorce, ce qui m'ouvrit à la vie qui saigne. J'en avais pris mon parti et je prenais parti, comme il était naturel, pour mon père, car c’est lui qui était le plus doux avec moi.

 

Mon père s'était attendri à me voir ne pas voir, attendrijusqu'à pleurer quand j'avais du chagrin, m'embrasser de sa longue barbe douce ou me faire dormir dans son lit ; il s'était attendri à me voir ne pas voir après avoir mal accusé le coup, ce  qu'il avait appris à faire de ma mère qui, comme elle était sévère, qu'elle grondait  et qu'elle avait une grosse voix, une grosse voix de louve, m'attirait à ce point moins que, quand je rentrais de chez mon père où je passais le plus clair de mes fins de semaine, j'avais le coeur gros et j'en vomissais de caffard, avec une régularité qui finit en péritonite ; vomissements sur lesquels l'anecdote la plus croustillante qui nous soit arrivée fut qu'un lundi matin, comme pour les cacher, je les avais retenus jusqu’au dernier moment (parce que ma mère m'avait menacé que, si je continuais de vomir en rentrant de chez mon père, je n'irais plus qu’un week-end sur deux), nous étions sur le point de partir pour l’école quand je finis par vomir incontinent, ce que ma mère entendant, elle se précipita dans l'escalier - nous habitions un duplex - et  s'étala la tête la première dans mon vomi. Dans mon vomi d'enfant qu'elle était en train de perdre et qui avait bu du chocolat chaud.

 

3Car i Il n'y avait rien à faire, je voulais partir, je le voulais depuis trop longtemps pourle différer de nouveau.

 

Dès l'âge de neuf ans, j'avais essayé de me faire inscrire dans une école de malvoyants dans la ville où habitait mon père, avec qui j'aurais vécu. Et puis je voulus me mettre interne, mais cela aurait été trop dur à vivre pour ma mère, de m'avoir interne dans la ville qu'elle était venue habiter pour m'éviter de l'être.

 

La directrice me le fit comprendre. La directrice avait du coeur. C'était mon ancienne institutrice de CE1, la plus gentille, celle qui m'avait appris à écrire, celle chez qui j'avais commencé d'écrire, tous les mardis soirs, "des histoires qui (seraient) cadeaux à mon papa".

 

Quand elle devint directrice, j'allais me confier à elle tous les mardis soirs aussi, c'était rituel. Franck y allait une heure avant moi, et puis c'était mon tour. Nous préparions mon départ, c'est-à-dire que j'essayais de le précipiter et elle de m'en dissuader. Elle n'y arriva pas. Pourtant, un de ses arguments porta et, même après avoir réussi à quitter la maison maternelle, il me travailla  :

 "Ta mère est généreuse !"

 

Ma mère et la générosité ? Cette association meparaissait exacte, même si je n'y avais jamais pensé, et je dus convertir en générosité tout ce que j'avais jusque là détesté chez maelle :

d'abord elle recevait trop, elle sortait beaucoup et, même si elle n'eut pas "une foule d'amants" comme Madame Arthur, je vis défiler un certain nombre de "locataires".

 

Au Nom du Fils, Hervé Bazin-Daniel Astin parlait à ses enfants de cette mère qu'ils avait perdue, en terme élogieux qui toujours masquaient la vraie déploration qui serrait le coeur du veuf en deuil, encore blessé dans son orgueil de cocu :

"Votre pauvre maman, qui avait un amant..."

était le seul gémissement qu'il avait envie de pousser et qu'il n'osait pas devant eux, et pourtant c'était la seule chose qui l'étreignait, car la trahison de sa femme était plus forte que sa mort.

 

Que mon père fût ou non cocu après divorce, que ce divorce même, sans d'ailleurs qu'il ait jamais été prononcé, ait trouvé occasion de ce que c'était lui, mon père, qui le premier, avait cocufié ma mère, je n'en voulais rien savoir, je prenais fait et cause pour le cocuage de mon père et condamnais ma mère au Nom du Père.

 

Et du Fils... Ta Générosité, Seigneur Jésus... Jamais je n'ai pu oublier ce mot. Avant que la directrice me l'ait ouvert en le prononçant dans son lien à ma mère, j'aimais musculairement qu'on dût aimer, et je voulais m'y efforcer, de toutes mes forces. Comme cette foule d'hommes qui aiment abstraitement et veulent emplir le monde - qui ne veut en boire goûte - de leur amour sans réciproque, je voulais aimer pour crever la bulle de mon orgueil et Toi, Jésus, Tu avais GÉNÉREUSEMENT DONNÉ Ta Vie !

 

Je savais que chacun devait aussi donner la sienne, mais jamais je n'aurais imaginé que la donner, c'était se donner, prostituer son amitié au point de la rendre superficielle parce qu'on tenait à tenir table ouverte ; c'était rire d'une voix éraillée, c'était donner son corps, car on avait été femme avant que d'être mère, ma mère me le répétait souvent !

 

En somme, donner sa vie, ce n'était pas se perdre. C'était faire briller ses qualités jusqu'au fantasme, où l'imagination se taille son Image de la divinité, et puis elle recule, craignant l'idolâtrie ; mais la divinité la rejoint, car elle aime cette Image Que le fantasme a fait d'elle. Cette imagination généreuse n'a pas craint de confronter la Vérité de l'Original avec les couleurs crues de la copie.

"Il faut favoriser cette imagination", se dit la divinité, car c'est sans mérite du donneur qu'il se donne, mais Ma Grâce Efficace, par un subterfuge, lefait se donner au moment qu'il est le plus égoïste, le plus plein de lui-même, traversé seulement par un élan de générosité."

 

Merci Seigneur ! Je suis content que se donner, ce ne soit pas se perdre. Je l'avais toujours espéré au fond, non pas seulement parce que je n'aime pas me mortifier, mais parce que j'ai remarqué que Nous nous donnons buvablement quand nous avons perdu toute abnégation.

 

Ma mère était donc maîtresse de générosité. Se donner, c'était donc, comme elle le faisait, se propager à partir du besoin qu'elle avait de se faire aimer, c'était aimer l'autre à partir de l'amour de soi, c'était se montrer extraverti et oser tout ce dont j'avais peur, recroquevillé  dans ma coquille d'escargot désorienté, qui voulait bien partir, mais qui ne savait pas grimper aux murs et, quand il devait faire le tour du pâté de maison, se cramponnait, se cramponnait...

 

J'avais apprivoisé des escargots qui tous étaient tombés du mur. Je les avais un peu aidés. C'était ma générosité à moi, de les faire partager mon sort, mmoi qui, si je m'aventurais, allais, je n'en doutais pas, tomber moi-même, si je ne les envoyais à ma place, dans un trou où m'aurait happé la possession diabolique.

 

Quand même j'eus cru, combien de fois !, que ce coup-ci, j'étais bon, le diable m'avait eu, alors me revenaient, à moi révélées au moment où j'allais la quitter, la générosité de ma mère comme un modèle à suivre pour que soit bannie la crainte.

 

Moi qui avais condamné au Nom du Père, voici qu'au Nom du Fils, le Dieudonné, je devenais libéral comme l'avait toujours été mon père, épris de liberté comme moi ; et, de toute la liberté dont était capable ma pensée sans frontière, j'essayais d'aller où j'avais choisi.

 

4. Il me restait à choisir ma mère, ou plus précisément à savoir si elle était de Dieu et fréquentable, elle dont j'avais cru longtemps que nous n'étions pas faits pour nous rencontrer, pour nous entendre parce qu'elle avait une grosse voix, ou si elle n'était pas certainement condamnée, parce qu'elle ne vivait pas sa foi de la manière intransigente et intransgressive dont je croyais qu'il fallait que chacun la vécût.

 

Ma mère était une louve et c'est pourquoi elle avait une grosse voix. Son amour était dévorant et c'est pourquoi j'avais peur d'être mangé par elle, mais jamais, même s'il lui était arrivée de lever la main sur moi, elle n'eût fermé ses dents sur ma chair pour que je ne fusse plus qu'en elle, une bouchée giclante et ensanglantée. N'avais-je pas réussi à la quitter sans qu'elle m'ait montré les dents, comme un fugueur officiel qui entre en pension, non seulement de son plein gré, mais à sa demande ?

 

J'avais quitté ma mère soi-disant pour apprendre le latin qu'on n'enseignait qu'à Paris, car à l'école spécialisée de la ville où j'habitais, il y avait de petits effectifs, mais aucunprofesseur n'était assez qualifié pour prodiguer cet enseignement, le latin, à ce seul élève que j'étais, qui voulais apprendre les langues mortes. J'avais donc fui ma maman-louve pour aller apprendre à parler la langue de celui que la louve avait recueilli et qui devint, grâce aux soins et au lait de la tendresse attentive de cet animal, conditor urbis, le fondateur d'une nation capitale qui finirait par dominer le monde, la moitié du monde connu.

 

Ma mère ne rêvait pas pour moi cette élévation dominatrice à cheval sur un trône d'emprunt. Mais sans elle, certainement, je n'aurais pas été Mozart. Tout petit, ne m'asseyait-elle pas au piano, laissant carrière à ma fantaisie de mélanger  les notes comme elle faisait des couleurs ? Ce qui me valut, quand je voulus mettre un peu d'ordre à mes dissonances, d'avoir un sens inné de l'harmonie que je n'ai jamais apprise, ce qui est fantastique, et d'éprouver un immense bonheur que je fais partager quelquefois, à improviser en ouvrant mon robinet à musique. Mozart et Rossini écrivaient au robinet.

 

Ma mère était une louve : ce n'est pas moi qui le dis, c'est elle-même qui l'a avoué. Souvent, quand, vers l'âge de vingt ans, déjà éloigné de celui où j'étais parti, mes frères et moi venions dîner chez elle, elle nous accueillait en disant : "Voilà ma nichée !" Au point qu'il m'est arrivé de me demander si elle était louve ou lionne et parfois d'opter pour la seconde solution, puisque la lionne va chercher de quoi nourrir ses petits et que ma mère a quelquefois raconté qu'avec nous, elle avait vécu des période de "vache maigre » où nous mangions des « sandwichs jambon beurre", ce qui ne risquait pas de m’arriver puisque je déteste le beurre...

 

Je ne me souviens pas de pareilles périodes, mais ma mère n'est pas une lionne. Elle a bien trop besoin de se rassurer sur ses vieux jours : la nourrirons-nous. Une vraie lionne ne s'arrêterait pas à des préoccupations si viles. On ne met pas des enfants au monde pour qu'ils nourrissent leur mère et lui servent de bâton de vieillesse.

 

Le malentendu qui faisait que, longtemps, j'ai cru que ma mère et moi n'étions pas faits pour nous rencontrer, pour nous entendre, se nourrissait de ce que ma mère était louve et que moi j’avais peur des chiens et, non pas étais agneau, mais j'étais né sous le signe du taureau, ce qui fait que très tôt, moi aussi, j'ai eu les idées graves et quand j'étais pris de chagrin, ce qui procédait rarement d'un caprice, je brâmais, pleurais comme une vache. Car j'avais une voix qui, sans être rauque, atteignait au naturel une téciture d'enfant contre-alto. Autrement dit, j'aurais pu faire un castra tout à fait respectable.

 

Ma mère était louve et j'étais un taureau castré. Elle avait faim et j'avais peur. Elle me chatouillait et ma peau ruisselait d'un certain malaise où il se lisait qu'elle portait trop lourd et attendait trop de la vie pour ce que je pouvais lui en donner, moi qui étais né avec des pieds bots et qui, des années plus tard, un soir qu'elle se faisait draguer devant moi, l'encornai en lui tordant le pouce.

 

5. Ma mère était-elle possédée ? Pour ma tranquillité d'esprit - il fallait bien que je vive avec moi -, il était pour moi acquis que je ne l'étais pas. Mais elle, ? C'était sûrement parce qu’elle l’était que longtemps, j'avais cru que nous n'étions pas faits pour nous entendre, nous rencontrer, parce qu'elle était possédée, infréquentable et pas moi,  que Dieu n'appréciait pas sa façon de vivre et ses contournements d'une morale qu'elle faisait d'abondance aux autres et se faisait en ayant toujours l'air de ne pas se la faire et en protestant ([3]) tous ses grands dieux qu'il ne fallait pas la lui faire, qu'on la "culpabilisait"... Mais au fond d'elle-même qui était puritaine, elle ne cessait de s'en vouloir et de se demander comme moi si elle n'était pas en état de péché mortel.

 

Ma mère était généreuse et un jour, j'eus besoin d’elle, j’eus besoin d'argent. Elle n'en avait pas, en ayant toujours dépensé au-delà de ses économies. J'étais au bord de ne plus pouvoir me subvenir et, comme je n'allais pas m'abaisser à demander quoi que ce soit à mon père, si je n'étais pas à la rue, du moins étais-je dans l'impasse. Elle me conseilla de faire un emprunt, me conduisit à la banque et se porta caution. Ma mère était généreuse avec l’argent qu’elle n’avait pas.

 

Plus tard, je me vis pour la première fois foutu dehors de quelque part. Je fus renvoyé du séminaire Saint-Sulpice sis au six, rue du regard où j'avais trouvé domicile après avoir quitté, dans des conditions de grande mésentente, un studio que j'occupais à Colombes, ville des oiseaux de paix, et que je louais deux cents francs par mois. Je m'étais donc allé blottir en cet antre de prêtres  parce que je voulais moi-même le devenir, mais cela ne me fut pas donné. Je n'habitais pas plus tôt là où tout aurait dû m'édifier que je m'abandonnais à mes penchants les plusvils, instincts les plus bas, habitudes et turpitudes.

 

Je buvais jusqu'à de colossales ivresses alors que je m'étais contenu jusque là, des ivresses à vomir dans l'escalier, quand je remontais dans ma chambre d'étudiant qui, s'il se conduisait bien, deviendrait séminariste, mais je chancelais et vomissais les études dans un banquet perpétuel où moi-même et moi nous disputions sur la contenance des carafons.

 

Une aube que mes vomissements s'étaient encore étalés dans l'escalier et avaient de nouveau repeint les murs, l'économe du séminaire jugea que c'était un matin de trop. Et, comme il m'en avait averti, il me convoqua pour me signifier que je devrais pourvoir à me reloger dans les plus brefs délais. Il m'accordait trois mois.

 

Ce coup-ci, je n'étais pas seulement dans l'impasse, j'étais à la rue, car je ne voyais pas où aller, ni comment expliquer aux miens que je ne pouvais plus me trouver où je venais d'emménager.

 

M'expliquer du reste, j'étais fermement décidé à ne pas le faire, mais à ma mère à qui, ce fut plus fort que moi, je me confiai et qui, loin de me condamner, prit la plume, écrivit à Monsieur l'économe, démarche qui ne donna rien, mais elle me comprit, ne m'intima aucun commandement de reconversion, me déclara que j'étais pardonnable, que je ne l'avais pas fait exprès, de vomir ou de tordre son pouce ; que tout petit déjà, je voulais faire le bonheur de tout le monde, que j'étais malheureux, mais généreux ; que si je ne devenais pas prêtre, ce n'était pas de ma faute, mais celle de la vie qui s'était acharnée, retournée, et il n'y avait pas à rechercher si c'était un bien ou un mal, si la vie s'était retournée contre moi ou pour autre chose.

 

Ma mère fut si généreuse envers moi que j'acquis la conviction que je l'étais aussi et que, non seulement elle ne pouvait pas être possédée, mais qu'elle était plus intimement unie au bon Dieu que tous ceux qui avaient de l'hypocrisie mêlée dans le miel de leur amour pour moi, l'hypocrisie du conditionnel : "Nous continuerons de t'aimer si tu deviens ce que ton père veut que tu sois, un normalien !"

 

Ma mère était comme Jésus, elle m'aimait en Lui. Jésus n'avait pas voulu de moi pour prêtre et Il m'avait regardé me faire exclure, mais exclus j'étais devenu Jésus, plus Jésus que si j'avais suivi le droit chemin. Jésus avait toujours fait la Volonté du Père. Réduit à moi, je devenais Lui et donc, moi aussi, sans l'avoir fait exprès, je faisais la Volonté du Père, et c'était ma mère qui l'avait compris, que j'avais prise pour celle qui me montait contre mon père, pour celle qui ne l'aimait pas, alors qu'elle l'attend toujours.

 

Mon père, mon pareil (il me disait cela quand j'étais petit : "Tous les deux, on est pareils!", toi qui détestes à la fois que je sois devenu Mozart et que j'aie tout perdu parce que je suis dépensier comme ma mère ; toiqui détestes tout ce que je suis devenu parce que "tout cela," dit-tu, "c'est ce qu'a fait de toi ta mère", Pardon papa, mais ce qu'a fait de moi ma mère, je l'aime bien - car il faut bien que je vive avec moi - comme elle aussi, j'ai fini par bien l'aimer, d'un amour qui ne se démentira pas, quelque prodigieux agacementdont elle m’indispose.

 

Et toi, mon père, mon pareil, qui as tout fait pour ne pas devenir ce que je suis devenu et as bien fait, toi, je t'aime aussi, et je ne te demande même plus de m'aimer comme je suis, je t'aime comme tu es, il faut partir de là, qui est le degré zéro de la vie :

 

un enfant naît, anormal, expression de la Vie Qui Est Dieu, car Dieu Est la Vie, Il l'a dit et Il la Veut. Anormale Est Sa Volonté.



[1](Si j'en parle, c'est que c'est lui qui y insiste)
[2](Cité par François Brune in LES MORTS NOUS PARLENT)
[3]Elle était luthérienne.