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lundi 25 juillet 2022

L'État sans continuité

Il y a beaucoup de bénéfices à tirer du fait qu'Emmanuel Macron ne jouit plus que d'une majorité relative à l'Assemblée nationale. 


Les transferts aux départements d'allocations qu'ils doivent verser avec des dotations qui se réduisent au cours des années malgré un Etat qui leur promet que ces dépenses nouvelles seront compensées à l'euro près, c'est toute l'histoire de la décentralisation.


Gaston Deferre, puis plus près de nous Jean-Pierre Raffarin nous l'avaient vendu comme un moyen  pour nos provinces  de ne plus être des déserts en gagnant en autonomie. La décentralisation se révèle à l'usage un moyen d'appauvrir "nos territoires". Elle devrait faire prospérer des bassins d'emploi et permettre le développement d'activités culturelles, mais les départements doivent cracher au bassinet sans pouvoir entretenir leurs routes départementales qui seront bientôt aussi cabossées que des pistes africaines.


"Quel est l'impôt le plus injuste?" demanda Emmanuel Macron à Jean-Jacques Bourdin en accouchant à la dernière minute d'un programme en 2017. Bourdin aurait dû réondre: "La TVA", mais il resta sans voix. Macron se répondit à lui-même: "La taxe d'habitation", et décida d'amputer les communes de cet impôt local. Non seulement l'État ne dote pas les collectivités locales des sommes qu'il leur demande de verser, mais il les dépouille, par le fait du prince,  de ressources  qui leur étaient nécessaires et sur lesquelles elles comptaient pour continuer de fonctionner. 


On nous assurait que la décentralisation contribuerait au développement d'une "République de proximité". Mais comme nos gouvernants n'ont pas un grand sens de la continuité de l'État, Manuel Valls envisagea un temps de supprimer cet échelon de proximité que sont les départements.


Je ne suis pas contre les minima sociaux, sans lesquels j'aurais du mal à vivre et beaucoup de mes congénères moins bien lotis que moi ne le pourraient pas du tout. Mais je considère que des allocations comme le RSA ou la PCH (prestation de compensation du handicap), payées par les départements, devraient être réglées par l'Etat qui les alloue, et attribuées non au bon vouloir d'"équipes pluridisciplinaires" qui instruisent des dossiers en faisant des économies de bout de chandelle tout en devant respecter un cadre légal très contraint qui les empêche de personnaliser l'aide qu'ils voudraient apporter dans le cas du handicap, mais avec un forfait qui prendrait en compte  la déficience ou l'infirmité, et non la compensation  éventuelle mais hypothétique de la "situation de handicap" créée par la déficience ou l'infirmité.


Pour le RSA dont vont bientôt bénéficier tous ceux qui peuvent y prétendre sans avoir à le demander, l'obligation de faire un travail d'intérêt général devrait être évaluée selon la situation du bénéficiaire, qui peut être dépressif et donc hors d'état de travailler régulièrement de sept à huit heures par semaine. 


J'aimerais bien qu'on m'explique comment revenir à une société de plein emploi quand beaucoup d'activités de ce genre ne seront plus rémunérées puisque compensant le versement du RSA, ou concurrencées par le bénévolat (la vie associative nuit beaucoup au plein emploi en rendant bénévoles des tâches qui devraient être salariées. Je prends l'exemple d'une de mes casquettes, qui est celle d'écrivain public). Comment enfin le plein emploi est-il compatible avec la compression de personnel qu'on pratique pour restructurer toutes les entreprises et les administrations? Car, malgré l'augmentation de fonctionnaires, y compris territoriaux, que l'on vient de voter, les concours administratifs sont de moins en moins ouverts, il n'y a plus de postes à pourvoir. Damien Cuviller et Benoît Collomba l'ont très bien expliqué dans leur livre "De Pompidou à Macron, le Choix du chômage."


Quant à la colère de Bruno Le Maire qui installe déjà sa rivalité avec Edouard Philippe en vue de 2027, c'est celle du grand commis de l'Etat à qui on refuse son sucre, et à qui des parlementaires qui rejouent leur rôle de législateurs rappellent qu'un ministre est un exécutant, comme membre de l'exécutif, et qu'un ministère est un service, au sens étymologique. 

Marie ou la force intranquille

"C’est pour nous que vous êtes mort et nous n’avons qu’à nous laisser vivre, il a fallu des martyrs et des pénitents, jadis, pour nous installer dans ce confort spirituel et matériel qui est probablement le miroir des Anges. Qu’avons-nous de mieux à faire que d’être généreux et doux envers nous-mêmes et de jouir de vos dons, en méprisant comme il convient les prophéties ou les menaces désapprouvées par nos pasteurs ?" (Léon Bloy [ici s'adressant à Jésus], Celle qui pleure", méditation sur l'apparition de Notre-Dame de la Salette, que nous avons tendance à recevoir comme cette mère citée par l'Echo de la montagne au début des années 1850: 


"« Des menaces dans la bouche de Marie, si bonne et si douce ! me disait, l’autre jour, une jeune mère ; des menaces contre de faibles enfants innocents et purs ! et des menaces de mort, de mort affreuse !... Non ! non ! Marie est mère, elle n’a pas pu les prononcer. Elle ne sait qu’aimer, la vengeance ne lui appartient pas, et je voudrais brûler la page où l’on a osé lui prêter un langage comme celui-ci : Les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les mains de ceux qui les tiendront. Moi, croire à cette Apparition ! répétait-elle, en serrant son enfant contre son cœur, non, non, pauvre petit ! Jamais cette dévotion ne sera la mienne ; car c’est l’épouvante et non l’amour qu’elle inspire."


Bloy met cette autre parole dans la bouche de Marie: "Tu l’as beaucoup dit, Mélanie, voilà 56 ans que je ne peux plus retenir le Bras de mon fils. Je l’ai retenu, cependant, parce que je suis la Femme forte, mais je cesserai bientôt. On doit s’en apercevoir déjà. J’ai besoin d’être deux fois forte, parce qu’Il compte sur moi. Son Cœur trop doux compte sur le mien. Il sait que je serai implacable : « Maledictio matris eradicat fundamenta – In interitu vestro, ridebo et subsannabo. J’éclaterai de rire et je me moquerai de vous, quand vous serez dans les affres de la mort. »

Ces Paroles s’accompliront exactement. Dérision pour dérision. J’ai donné, en 1846, le dernier avertissement."


Marie dit qu'elle est "la femme forte". Cette affirmation devrait convenir à notre Eglise devenue féministe. Le bras de Jésus ne veut pas s'"appesantir, car Il est doux et humble de coeur." Il y a quelque chose de principiel qui Le retient de jamais punir. Bloy prétend qu'Il est le premier concerné par la promesse de la terre contenue dans la béatitude de la douceur qU'Il a Lui-même proférée. Mais le Fils veut être vengé par sa mère, ou plutôt c'est la mère qui veut venger son Fils.  bloy voit dans l'avènement de Marie, concommitant du fait que la dévotion populaire est passée "de la face au Coeur" de Jésus, l'avènement du "règne du Père", la réponse au "Que ton Règne vienne" demandée dans le "Notre Père". 


Marie est "la femme forte". Et nous qui l'implorons pour qu'elle nous protège "à l'heure de la mort", entendons qu'elle éclatera de rire tandis que nous passerons, qu'elle nous rendra "dérision pour dérision", "car nous "[refusons] la pénitence." 


Fort élixire que les paroles de cet imprécateur et de ce vociférateur qu'est Léon Bloy (on est loin de la méditation de Benoît XVI du 14 septembre 2008 sur "le sourire de Marie" en la fête de la Croix glorieuse lors de son voyage en France et son pèlerinage à Lourdes). Bloy nous incite à ne pas dormir, nous secoue, nous réveille, nous rappelant cette prière au bas de l'Autel prononcée dans l'ancien rite et que je fais mienne inconsciemment tous les matins, moi qui n'ai pas la conscience tranquille: « Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? » Il faut bien la prier avant de conclure avec sainte Claire d'Assise: "Va tranquille, mon âme bénie!" Une clarisse de Cormontreui m'a précisé que les dernières paroles de sainte Claire furent: "Je te rends grâce, ô mon Dieu, de m'avoir créée."  Cette parole me choque par sa sérénité: la Création suffirait-elle? Serait-elle plus importante que la Rédemption et cette louange de sainte Claire avant de pousser son dernier soupir  signifierait-elle que la R2demption est superflue? Car, si la Rédemption ne fait que "rendre à l'homme sa confiance inaugurale dans la vie que Dieu lui a donnée" comme je l'ai entendu dire à Michel Deneken, que fait-elle et qu'est-elle? 


"Le Christ est mort pour nous, il ne faut pas que nous nous laissions vivre." C'est aussi puisant que cette phrase de Pascal: "Le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là." 

lundi 18 juillet 2022

Ce que dit la désertion sans intérêt de Wauquiez

Je crois qu'il y a deux angles sous lesquels regarder le refus de Wauquiez de rempiler à la direction de LR alors qu'il demandait à Fillon candidat de le laisser continuer, car il aimait ce qu'il faisait. Il attend aujourd'hui de trouver meilleur parti, celui de "sauver la France" façon Zemmour. Ces deux angles sont "la psychologie de Wauquiez" qui a tendance à détruire ses chances comme le faisait le ténébreux Fillon,  et la sociologie de LR qui se cherche, maintenant que la menace se concrétise d'être débordée par la notabilisation du RN après un coup de dé électoral qui a amené 89 députés (symbole révolutionnaire!) de ce mouvement, sans recours à la proportionnelle et sans que la présidente du parti ait calculé son coup.


Laurent Wauquiez fait du mauvais Villiers et du mauvais Bertrand. La France n'a jamais pu être dirigée comme les Hauts-de-France ou la Vendée, montrés en exemples de terroirs-miroirs. On ne déserte pas impunément son parti pour y revenir puiser dans ses ressources en gamélard sans scrupule, en espérant que les électeurs vous pardonnent et vous désignent candidat pour devenir chef de l'Etat après n'avoir pas voulu être chef de parti. Waquiez n'a pas tiré la leçon de la désertion de Bertrand et de Pécresse, leçon pourtant toute récente. 


Il sera difficilement pardonné à Wauquiez d'être le candidat de bullshits médiatiques ou des happenings à la Villiers dans son alliance de 1994 avec Jiimmy Goldsmith, puis plus récemment avec le fondateur de Libertas. Wauquiez imite aussi Nicolas Dupont-Aignan, qui choisit des thèmes saillants pour se mettre en valeur et faire du mauvais "buz" qui n'augmente pas sa base électorale. 


Wauquiez s'est essentiellement construit dans l'imitation, jusqu'à celle de Bayrou giflant un élève qui lui faisait les poches, quand il prétendit avoir fait la police au Puy-en-Velay auprès d'un petit malfrat  qui lui voulait je ne sais plus quoi et dont l'histoire raconta qu'il n'avait jamais existé ou que Wauquiez ne l'avait jamais arrêté ni emmené au commissariat pour lui apprendre à vivre. 


J'ai oublié la fin du fake, mais Wauquiez est un fake. Je ne sais pas pourquoi Sarkozy voit en lui "le meilleur d'entre les LR" comme Chirac s'aveuglait sur Juppé en voyant en lui "le meilleur d'entre nous".  


Wauquiez n'a pas de colonne vertébrale, ce qui ne suffit pas à assurer un grand destin politique. Il ne s'est montré de droite que quand il a cru que l'avenir était de ce côté-là. Auparavant, il était un honnête  collaborateur de Jacques Barrot et faisait valoir une proximité d'ambassade avec soeur emmanuelle, qui était trop âgée pour le gronder de se prévaloir de cette amitié largement montée en épingle pour créer une "droite sociale" qui dénonçait "le cancer de l'assistanat". 




Wauquiez a enfin fait une énorme erreur stratégique qui lui valut de perdre sa présidence de Lr, en promouvant François-Xavier Bellamy en tête de la liste de la droite  aux européennes. Bellamy avait le charisme d'une huître et ce délateur de la "société liquide" parlait le Villiers ou le Le Pen ou, pour faire plus simple, un langage anti-européen assez peu dans la tradition de la droite de gouvernement, sous une forme elle-même assez liquide, propre à ne pas faire remarquer qu'il avait une vision étriquée de l'Europe, peut-être pas au même point que Wauquiez qui préconise le retour de "l'Europe des 6" en pleine démonstration de puissance de l'Union européenne qui se fracasse sur la guerre en Ukraine.


     Sur le plan de la sociologie électorale, les meilleurs analystes prévoyaient que Marine Le Pen aurait remplacé la droite en tête de l'opposition en 2022. La chose est arrivée, non pas pour l'élection présidentielle, la seule pour laquelle concourt la très électoraliste fille de son père, mais pour les législatives où elle a toujours fait concourir son parti dans la plus grande impréparation. Ce nombre important de députés est donc arrivé par hasard, mais place la droite au confluent d'un populisme qui se calme et d'une bourgeoisie qui a perdu ses marques, maintenant que "Renaissance" a pris le centre en mains et que celui-ci n'a plus la sagesse de Giscard, mais les foucades de Bayrou et d'une jeunesse macroniste imbue d'elle-même et de son mépris de classe, sa seule boussole en politique. 


Le  RN ne facilite pas la situation de la droite, car il a, à la xénophobie près, les mêmes idées que la Nupes, mais il a toujours aspiré à se revendiquer de droite et à draguer cet électorat. C'est ce qu'il fait en pratiquant une opposition moins agressive et moins vulgaire que la Nupes et que LFI sous la conduite de Mathilde Panneau, face à qui la modération n'est pas difficile à pratiquer. 


La droite LR ne peut résoudre son équation de sociologie électorale avant que la situation se stabilise et décide qui est le plus crédible, d'une Le Pen notabilisée ou de cet appareil qui n'a plus vraiment de raison d'être, piégé qu'il est dans l'alternative, ou bien de se noyer dans le macronisme, ou de faire dans la surenchère  à la politique d'austérité que prépare le gouvernement, alors que Macron gouverne comme la droite, qui veut continuer à exister électoralement dans un paysage où Edouard Philippe s'est positionné pour prendre la relève et de Macron, et de la droite, mais cinq ans, c'est très long. 


LR devrait conforter la majorité relative de Macron et y chercher sa nouvelle identité. Ce serait la seule manière pour ce parti de ne pas exister artificiellement. 

dimanche 10 juillet 2022

La rémission des péchés et la résurrection de la chair

Cher Guillaume,


Tu abordes dans ce billet (et mon coup de fil d'hier n'était pas prémédité par l'intention de le recevoir, j'ignorais que tu l'avais écrit), le dogme qui me paraît aujourd'hui le plus mystérieux dans le christianisme, le plus digne d'attention, sur lequel il est le plus urgent de réfléchir, et même le plus dangereux s'il est mal compris. Car le risque existe que nous identifiions le christianisme avec une religion éventuellement culpabilisante (la culpabilité ça ne mange pas de pain), mais à tous les coups déresponsabilisante, car enfin si tous les péchés sont remis, toute conduite morale est relative et en effet tout est permis.


Or, je crois, contrairement au diagnostic que tu formules, que notre société ne supporte plus du tout cette irresponsabilité. Il fut un temps où comme tu l'écris, "La pastorale [détournait] trop souvent les fidèles de la croix." Je ne dis pas qu'elle nous fait à nouveau jeter les yeux sur la Croix, mais elle nous fait jeter les yeux sur ce qui se passe quand il n'y a pas la Croix. Et la crise des abus pour rester neutre, la bobologie et la victimologie pour dire les limites du mouvement actuel, nous ont réveillés d'un sommeil de somnifère où nous croyions que nous pouvions pécher impunément et accumuler  sur la tête des autres toutes les offenses sans qu'aucun traumatisme ne s'ensuive, dont nous serions comptables. D'où tant de réputations détruites d'icônes à peine refroidies érigées en saints de vitrail avant le temps, qu'on prétend désormais piétiner pour l'éternité, ce qui ne vaut pas mieux. Réveil comme à l'enfance de la responsabilité, car elle n'est pas plus mûre, mais réveil néanmoins. Il fut un temps où "la théologie Polnareff" existait, notre société a gagné en inquiétude, je ne dis pas sur son propre salut, il ne faut pas exagérer, mais sur le salut des salauds, sur le salut des autres, étant entendu qu'on ne saurait soi-même être un salaud, sauf quand on se retourne sur sa propre trajectoire, qu'on regarde la trace que l'on a laissée au risque d'être transformé en statue de sel, que l'on "compte les morts" comme disait Jean Ferré citant "le Travail intellectuel" de Jean Guitton.  ET alors on est pris d'un vertige personnel. Du moins celui qui t'écrit a souvent été pris par ce vertige en allant accompagner laudes ou messes aux petites heures en se faisant l'effet d'un imposteur. Accepter de se faire cet effet comme tu l'écris, c'est ne pas esquiver l'expérience du mal. Et toute bonne confession commence par là. Toute confession commence par une confession du péché, des péchés, du mal en tant que mal. Toute confession commence par ne rien banaliser et ne pas dire que le mal est bien ou que le bien est mal.


Et ensuite, il faut aller plus loin. Il faut faire le parcours que tu proposes. Il faut accepter la rémission des péchés, parce que le dogme suivant, l'apposition suivante des oeuvres de l'Esprit comme tu l'écrivais en introduction de ton commentaire de la dernière partie du "Credo", le commande. Il faut accepter la rémission des péchés parce que la résurrection de la chair est à l'horizon, qui le commande. Il faut accepter celle-ci pour se reconstruire au moyen de celle-là. Que dis-je, se reconstruire? Cela serait égoïste. Non pas pour se reconstruire, mais pour reconstruire.Ca tombe bien, je me sens en phase de préreconstruction, mais je veux dépasser ici mon cas personnel et donc je pose avec toi la question "comment faire"?


Tu donnes deux clefs qui me semblent essentielles: après avoir discuté avec Dieu, accepter que c'est Lui qui va nous rendre notre innocence parce qu'"Il nous a aimés plus que Lui-même" selon la citation que tu fais du vieux cantique inconnu de moi, qui nous indique une expérience indispensable à faire pour que le parcours psycho-spirituel soit concret. Cette indication d'une expérience à faire me rejoint, moi qui me suis demandé un nombre incalculable de fois, y compris dans les colonnes du Métablog, en quoi il était intéressant d'adhérer à un Dieu qui paraissait s'être aimé Lui-même plus que nous-mêmes, à voir comme la théologie n'a cessé de nous Le présenter comme un Créateur qui nous infériorise, nous créant dans la limite avec un amour prétendument infini, nous toisant de manière que nous ne puissions jamais aller à Sa hauteur. Et certes, c'est ontologiquement exact, car il ne s'agit pas de monter jusqu'à Lui, mais de se laisser hisser par Lui jusqu'à Lui. C'est même en cela que consiste la divinisation qu'Il nous propose, où l'amour qu'il s'agit d'atteindre n'est pas une affaire de taille, ce n'est pas d'abord un petit ou un grand amour, ce n'est pas un amour quantitatif, ce n'est pas un amour de performance, c'est l'amour de Dieu, un Etre qui sera nécessairement toujours plus grand que nous puisqu'Il est l'Etre suprême, mais que cela n'empêche pas de nous aimer plus que Lui-même. Car il ne suffit pas à Dieu comme à nous de nous aimer comme Lui-même, il faut qu'Il nous aime plus que Lui-même. Sinon cela ne tient pas, la Rédemption ne tient pas, le rachat ne tient pas, le salut ne nous est pas proposé.


Et on ne saurait s'en tirer avec "la réversibilité des mérites". Car qui la comprendrait? Les plus héroïques d'entre nous pourraient peut-être s'en tirer en offrant leurs souffrances. Mais la première façon de s'en tirer est de contempler cet amour de Dieu pour nous plus grand que l'amour dont Il S'aime Lui-même. Car tout est dans le désir de Dieu. Si Dieu nous a rachetés, il n'est pas dit que tout soit réparable. Mais si Dieu ne désire pas nous racheter, rien ne sera réparé. "Pourquoi ne profites-tu pas d'être catholique pour te reconstruire?", me demandait un ami, ajoutant: "Tu as la chance d'être le croyant d'une religion qui croit dans la réparation et dans la reconstruction. Pourquoi n'en profites-tu pas?" Je serais tenté de lui répondre: "Parce que le résultat ne m'appartient pas." Le désir de Dieu non plus, mais lui, je le connais. "Dieu ne regarde pas au résultat", m'asséna un jour tout de go l'abbé Guy Pagès, "Dieu regarde au désir, donc peu importe que vous ayez le sentiment d'avoir très mal mené votre barque comme vous me le dites". Cette saillie me surprit tellement que je répondis du tac au tac: "Je crois que je suis assez inattaquable sur le plan du désir..."Alors combat gagné? Je persiste et je signe: le résultat ne m'appartient pas, il appartient à Dieu, mais quel allié j'ai dans le combat lors même que je le refuserais, ce que je suis bien capable de faire, avec la nature détraquée que je me promène, un beau morceau de nature humaine!


Et cependant un mot encore sur ce désir de Dieu où l'on verra que le diable porte pierre, si j'ose dire. Je n'aime pas du tout le sort qui est fait à la mouvance traditionaliste à laquelle tu appartiens. Les traditionalistes ne sont pas sans excès, mais ils ne méritent pas d'être maltraités au point qu'on veuille tuer le rite par lequel l'Eglise s'est sanctifiée pendant 2000 ans. Le motu proprio "Traditionis custodes" a présenter l'intention d'assassiner ce rite et je n'approuve ni cette intention, ni la brutalité de cette décision. Et pourtant le pape François, à la politique de qui je ne comprends rien, mais que je comprends dès qu'il parle d'Evangile, car il est plein d'Evangile, le pape a donné en fin de mois dernier l'explication  qui dit tout de notre sujet  du jour, qui est la rémission des péchés, mais aussi de l'origine de toute liturgie: "J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous." Et le pape d'ajouter qu'il n'y a pas une seule messe qu'un prêtre célèbre où un fidèle se rende, pas une seule communion que le Christ n'ait  désirée, et le Christ ne désire pas que Ses fidèles Le mangent pour leur condamnation. Cette intention à l'origine de toute liturgie est une très bonne nouvelle.


Bien à toi,


Julien 

samedi 9 juillet 2022

Un amour qui justifie?

Les Evangiles ont cela d'extraordinaire qu'à chaque fois qu'on les lit, on en découvre un aspect inattendu.


Aujourd'hui, pour moi, dans la parabole du bon Samaritin, pourtant connue et ultraconnue, mâchée et remâchée, jusque dans l'inversion de la question de "Qui est mon prochain" en "Qui a été le prochain de cet homme", m'interpelle le motif de la question du scribe qui pinaille: "    Mais lui, voulant se justifier,

dit à Jésus :

« Et qui est mon prochain ? »


Il n'a pas la présomption du jeune homme riche, promettant, insatisfait, que tout cela, honorer son père et sa mère, ne pas voler, ne pas tuer, ne pas commettre l'adultère, il l'a observé depuis sa jeunesse. Il l'a observé, en est-il certain? Il l'a observé et cela ne l'a pas rendu heureux? Il l'a observé et cela ne lui a pas suffi? Il l'a observé et ne s'est pas senti justifié par l'accomplissement d'une loi qui était pourtant tout près de son coeur, comme le dit le livre du Deutéronome que la péricope nous donne à lire en première lecture de ce dimanche?


Mais ce scribe ne jurerait pas comme saint Thomas d'Aquin ou comme Jean-Marie Le Pen qu'il vaut mieux préférer ses soeurs à ses cousines et ses cousines à ses voisines. Il ne sait pas qui est son prochain. Il ne s'appartient plus, il n'appartient même plus à sa tribu. Si le Maître lui avait dit de prêcher premièrement aux habitants de la maison d'Israël, pas sûr que ce scribe devenu disciple aurait été content de l'ordre. C'est un scribe un peu cabochard et cosmopolite, un scribe qui ne trouve pas évident d'aimer son prochain, qui ne voit pas de quoi il s'agit, et qui pourtant perçoit, comme le jeune homme riche, qu'aimer devrait suffire, qu'aimer devrait nous justifier, même sans la précaution de voir Jésus derrière le prochain qu'on aime, mais ce n'est pas évident d'aimer, sous-entend le scribe.


Et d'ailleurs Jésus le lui confirme. Il l'emmène hors de son cadre et lui raconte l'histoire d'un homme qui n'est pas lui et dont des bandits n'ont pas pensé un instant à se faire les prochains, les camarades de vie, qu'ils n'ont pensé qu'à dévaliser et à laisser pour mort. Pourquoi ces bandits n'ont-ils pas été les prochains de cet homme? Pourquoi suis-je le bandit de mon prochain? Puis-je cesser d'être un bandit de grand chemin? Puis-je m'en sortir? 




Il se peut bien que la réponse n'aille pas de soi, il se peu à condition de laisser Jésus faire et tenir les cordons de ma bourse, déterminer ce que j'aurai mérité quand j'ai cru démériter et ce en quoi j'ai démérité quand j'ai cru acquérir des mérites. Je dois non seulement Le laisser tenir les cordons de ma bourse, et L'instaurer juge de mon existence, mais je dois me décentrer du service de mon prochain. Je dois m'en remettre non pas même à Jésus, mais à l'aubergiste pour le soin de mon prochain samaritin. A lui les soins du quotidien, à moi le pécuniaire, donc le superflu, ce qui ne compte pas, le geste de "grand seigneur" que l'on n'emporte pas au paradis. A moi certes l'élan des premiers secours, celui qui me pousse à penser qu'il n'y a qu'une chose à faire, que j'y arrive ou pas, que je le fasse bien ou non: c'est de prendre soin de mon prochain, c'est de désirer le faire ou l'avoir fait, c'est de vouloir l'aimer et cela me justifie, non pas parce que Jésus me surveille du coin de l'oeil et qu'Il regarde derrière moi, mais parce qu'IL veille sur mon désir, IL garde mon désir, Il clarifie mon regard, Il transforme ma volonté en Sa Volonté en exaucement du "Notre Père"." Il me demande de rester vigilant et c'est Lui qui veille sur moi. 

jeudi 7 juillet 2022

Un pouvoir sans réalité

Le pouvoir n'a plus de réalité. Tel est le spectacle qu'il donne.


Commençons par relever un point positif: le discours d'Elisabeth Borne avait de la tenue et fut sans doute la meilleure déclaration de politique générale qu'ait jamais prononcée aucun des premiers ministres d'Emmanuel Macron. Philippe I  fut contraint à s'exprimer pour la première fois devant les députés le lendemain de son mentor qui lui avait grillé la politesse en convoquant les parlementaires au au Congrès, et les députés LREM tout frais moulus lui offrirent une claque qui rendit ce premier discours inaudible. Philippe II parla du "plastique" qui n'était plus fantastique et déclara que l'"acte II du quinquennat" serait entièrement consacré à une lutte contre ce fléau d'emballage. Quant à "M. Déconfinement" nommé après lui, bien malin qui pourrait se souvenir des paroles qu'il prononça en dehors du Covid qui lui avait valu de prendre la place d'Edouard Philippe qui eut le malheur pour de le mettre en selle. 


A côté, Elisabeth Borne donna presque l'impression de parler comme Michel Rocard: "Puisqu'il a réussi à créer des majorités de compromis malgré sa majorité relative qui, à l'époque, avait le droit de recourir au 49-3 autant que de besoin, nous réussirons, il n'y a pas de raison". 


Mais nous réussirons à quoi? A endiguer l'inflation et la perte de pouvoir d'achat due à l'effet cumulé de la guerre en Ukraine précédée de l'assèchement covidique? A recréer "le plein emploi" au milieu de la vague démissionnaire qui affecte toutes les entreprises et les services publics les plus impliqués dans la survie au jour le jour de notre Etat, éducation comprise, qui ne recrute plus?  


On a suspendu sans rémunération, pour ne pas dire mis dehors, des soignants qui manquent cruellement à l'hôpital et après avoir nommé Agnès Buzyn  première ministre (sic) de la santé, qui nous expliquait matin et soir qu'on résorberait le malaise de l'hôpital par le recours à une médecine de ville qui n'existe plus; après avoir nommé Jean Castex premier ministre, qui fut un des fossoyeurs de l'hôpital public sous Xavier Bertrand et qu'on chaperonna de Nicolas Revel qui s'illustra dans les mêmes compétences; on promeut Olivier Véran au porte-parolat et, ce qui ne manque pas de sel, au "renouvellement démocratique" (on ne pouvait tout de même pas le laisser s'occuper du Parlement après que, dans un coup de sang, il eut voulu mettre les parlementaires dehors parce qu'ils s'égosillaient en pensant que le virus était allé "prendre une bière", il a dû en prendre quelques-unes depuis, tant on ne s'occupe plus de lui, maintenant qu'il y a de vrais sujets); et le président choisit, pour nouveau ministre de la santé, le rapporteur d'une "mission flash" (sic), qui pour la première fois assume (oh certes à titre provisoire) que l'on doit "trier" les patients qui se présentent aux urgences, comme si on pouvait désormais entrer à l'hôpital autrement que par les urgences, sauf opération prévue de longue date, à condition bien sûr d'être malade et vacciné.

La "priorité santé" d'Elisabeth Borne, qui n'est même pas nommée comme telle dans son discours de politique général, entre dans une "France de l'égalité des chances", mais est précédée par l'illusion que l'on va porter une transition écologique qui va changer notre climat pour complaire à des jeunes déconnectés de la nature, au service desquels la première ministre (sic) s'engage à porter une écologie " radicale mais non décroissante". On prend les mêmes et on continue.


Jean Castex va pantoufler dans une usine à gaz qui surveillera les infrastructures routières, ne refera pas les départementales qui sont de vrais tape-culs hérissés de "gendarmes couchés" dont on se demande comment ils ne provoquent pas plus de tonneaux sur les routes, mais va construire des autoroutes qu'on revendra à l'encan comme l'avait fait Dominique de Villepin, après que l'Etat aura bien investi pour créer ces nouveaux joyaux de la pollution. EDF ayant à payer une dette insupportable et à investir de quoi compenser le surcoût énergétique de la crise actuelle, on se rappelle tout à coup que c'est un joyau de notre patrimoine énergétique, et on le revendra dès que le contribuable français se sera saigné aux quatre veines pour reverser ce joyau dans la "concurrence libre et non faussée" dérégulatrice de la société, dérégulation par laquelle Emanuel Macron s'est fait connaître, pour être un de ses hérauts, Emmanuel Macron qui nous dit agir au nom des "générations futues" en creusant leur dette pour des générations et des générations, histoire, croit-il, de rendre l'Union européenne vraiment irréversible, mais on sait le sort que réserva l'Union soviétique aux "emprunts russes", auxquels Elisabeth Borne fit une allusion très mal venue, en répondant à Mathilde Panneau parlant de l'augmentation du Smic. 


Pour compléter le tableau, Reste à y ajouter la dérégulation identitaire, par laquelle il n'existe plus de prédateur sexuel comme par enchantement, être homosexuel n'est plus être "antiphysique" au sens de Guy de Maupassant, et les femmes sont des hommes comme les autres et réciproquement, ce qui crée une insécurité non seulement culturelle, mais psychologique. 


     Je ne sais pas si Michel Rocard se retournerait dans sa tombe, mais voilà la politique promise par sa lointaine successeur(e) qui au moins sait parler et qui, contrairement à ce qu'on attendait, sait même nous gratifier d'un peu d'humour.


      Face à ce pouvoir sans réalité, on espérait se consoler en se disant qu'une certaine réalité populaire était entrée au Parlement. C'avait toujours été le rêve de Jean-Luc Mélenchon d'incarner une République parlementaire. Il l'a réalisé en faisant son dernier coup politique et en se retirant du jeu. A part François Ruffin, qui n'est certes pas le dernier dans l'esbrouffe et l'organisation des happenings, mais qui a quelquefois des accents de sincérité, tous les lieutenants de Mélenchon parlent faux et s'ingénient à le singer en prenant de lui le plus mauvais côté, l'agressivité, comme s'il allait de soi que ceux qui parlent au nom du peuple devaient le faire de manière théâtrale, en aboyant ou en soulignant l'agressivité populaire, nécessairement en révolte contre ses élites. Mathilde Panneau répondit à Elisabeth Borne par un discours au ton d'abjection, et Marine Le Pen n'eut rien à lui envier, préférant répondre à côté, en faisant le procès d'Emmanuel Macron, plutôt que de relever argument contre argument.


     Cependant que dans la République de la reconnaissance universelle,  Elisabeth Borne choisit ceux qui sont dignes d'être cités et les "infréquentables" qui ne valent pas même la peine d'être nommés, si ce n'est pour les accuser d'invectives ou soutenir qu'ils ne vivent pas dans la même France que qu'elle. 

Pap Ndiaye veut indiscriminer les enfants de toute "race" et de toute couleur, c'est tout à son honneur, mais si leur âme ne contient rien à force d'avoir été entretenue dans le vide dont la nature a horreur, à quoi sert-il de promouvoir ces futurs citoyens à des places quelconques si ce n'est pour qu'elles soient occupées et pour les occuper! L'école de Pap Ndiaye, que certains accusent d'être un "Noir professionnel", prépare-t-elle une citoyenneté occupationnelle? Si le "choc d'attractivité" qui fait que l'on s'engage à devenir enseignant  se limite à être mieux rémunéré, est-on  à la hauteur des enjeux de la transmission? Délitement de ce pouvoir sans réalité, qui va jusqu'à doucher les espoirs des élèves, qui pourront certes avoir un corps plus sain dans un esprit malmené en faisant une demie heure de sport tous les jours à la place de la chorale et à partir de la rentrée prochaine, mais que "Parcours sup"empêche d'exercer les métiers qu'ils souhaitent ou de s'orienter comme ils veulent, nous faisant vivre une des formes de sélection les plus dures et les plus injustes dont la droite de Devaquet ou de Pécresse ait rêvée, à moins d'apprendre les codes à l'Ecole alsacienne, comme les enfants du ministre Ndiaye ou comme Gabriel Attal, un temps chargé d'organiser le service civique universel... A-t-on jamais vu un tel chaos? 

lundi 4 juillet 2022

Conversations sur Dieu (3)

@Pierre Durand, @Tipaza, @Etienne, merci pour cette conversation. Employer ce terme au début de ce commentaire me rappelle les remerciements émus que m'envoya mon ami de plume de regrettée mémoire, qui était plutôt  avare de compliments, lorsque je lui offris l'enregistrement dialogué que nous avions réalisé avec ma lectrice des trois volumes de "Conversations avec Dieu" de Neal-Donald Walsh, sorte de Platon américain qui ne fait pas que de la soupe quand certes en bon Américain, il promet que qui fait confiance à la voix de Dieu qui lui parle à l'intérieur et ne donne pas de prise à la peur en sera récompensé en ce monde par la corne d'abondance, mais il dit aussi (et pour moi, c'est la découverte la plus fondamentale de son livre) que "Dieu crée pour faire l'expérience de Lui-même" à travers nous. "C'est la première fois, m'écrivait mon ami, que l'on m'offre un livre sur Dieu."


Quand j'étais petit, j'ai retrouvé la foi que j'avais perdu précocement. Je l'ai retrouvée trop tôt, me croyant saisi d'un transport mystique dont je ne suis certes jamais revenu, mais c'était la découverte d'un enfant. Comme j'aimais déjà mettre des mots sur ce qui se passait en moi, je me mis en tête d'approfondir la foi que je venais de découvrir et de la consigner dans un livre que j'ai malheureusement perdu. Sur les conseils de ma tante, j'allais interroger des "sachants" dont une soeur, à propos du premier chapitre de cet "Approfondissement de ma foi" que j'escomptais écrire. Le chapitre s'intitulait: "Qu'est-ce que Dieu? "Mauvaise pioche", me dit la soeur qui était une catéchiste assermentée, il faut te demander "qui est Dieu". Respectant son autorité, j'admis cette douche froide et modifiai mon titre, mais restai sur ma faim. Car avant d'être personnel, Dieu est conceptuel, je suis d'accord avec vous, Pierre. Dieu est quelque chose avant d'être quelqu'un et pour ainsi dire, Il est quelque chose pour faire de nous quelqu'un. Comme la philosophie est un roman conceptuel à la lecture et à l'écriture duquel on reçoit quelques lueurs de sagesse, la sagesse étant "le féminin de Dieu" selon cette autre image de la Bible, son Verbe-enfant qui jouait sur la terre pendant qu'il créait le ciel et la terre. Cette idée du Dieu Créateur me parle, contrairement à vous. Et contrairement à ceux qui postulent une vie post mortem qui me fait plus peur qu'elle ne m'intéresse à l'approche de la cinquantaine, car j'ai le sentiment de n'avoir pas très bien mené ma barque et de m'être souvent trompé de priorités, je suis plus intéressé par "le sentiment d'innatalité" dont parle Rudolf Steiner (car d'instinct, l'homme n'a pas la notion du temps, mais il a la notion de l'éternité), que par l'immortalité de l'âme qui me fait l'effet d'une rampe de lancement pour nous aider à vivre le présent en l'orientant selon une finalité que l'on ne connaît pas, mais que l'on devine: réaliser ses potentialités dans la mesure du possible, certes, mais nos talents ne servent qu'indirectement à nous-mêmes, nous les avons reçus pour en faire profiter les autres, nous ne vivons pas de nos dons, c'est un capital à usage collectif, même si personne ne nous demande rien et que les gens s'usent quand on ne s'en sert pas; mais s'orienter vers le bien dans la mesure de la perception que l'on en a, essayer d'être heureux et de rendre heureux, et c'est sur ce point que mon bilan laisse  à désirer à ce tournant de ma vie, en cette crise de milieu de vie. Autant la quarantaine m'avait réveillé, autant la cinquantaine me secoue: "Qu'as-tu fait de ta vie ?" Pas grand-chose de valable. Et c'est en quoi la "puissance de la résurrection" me relance sur les feux de la rampe pour que je m'oriente mieux, pour que je me reboussole après m'être beaucoup désaxé par refus de la vie tout à fait conscient et métaphysique: j'ai bu pour oublier que je devais vivre et pour rendre cela supportable. C'est en quoi la puissance de la résurrection m'intéresse et j'aimerais m'en emparer, si ma morbidité toute germanique ne prend pas le dessus.


A l'être, tout comme vous, Pierre, j'accroche d'abord cette idée d'avoir une réalité. Est ce qui a une réalité. Jésus, qu'Il soit un personnage conceptuel comme le soutient Michel Onfray, ou un personnage historique comme le croient la plupart des gens (sur ce point ma religion n'est pas entièrement faite), Jésus a une réalité, car même à supposer que nous L'ayons fait exister, Il nous aide à vivre.


Jésus a une réalité, donc Il est. J'accroche la réalité à l'être, car il faut s'accrocher à la réalité. Mais aussitôt que j'ai dit ça, la parole qui le définit le mieux est cette réaction de fuite que Jésus a quand Marie-Madeleine veut l'étreindre, L'ayant reconnu ressuscité: "Cesse de me tenir". Jésus ne fuit pas comme une anguille ainsi que je fais à tous les conseils qu'on me prodigue. Jésus proclame qu'avant d'être ineffable (et j'ai un nom qui me rapproche de l'ineffable puisqu'il est presque imprononçable), l'être est insaisissable. La parole voudrait-elle le cerner qu'elle n'en aurait qu'un instantané. On ne peut pas mettre une image de Dieu dans la boîte, que ce soit Dieu qui nous ait créé ou nous qui  le lui ayons bien rendu, créant Dieu à partir de nos manques, comme le pense Feuerbach, ce grand théologien devant l'Eternel, sans plagier ce que Cioran dit de Bach. Et on ne peut pas non plus remplacer des "caricatures de Dieu" du passé par des images d'un Dieu désirable qu'on voudrait promouvoir, comme l'écrit StannRougier tout au long de ses livres. On ne doit pas nécessairement aimer la vérité qu'on embrasse, mais on doit embrasser la vérité que l'on découvre.


Et la vérité, comme vous le dites, Tipaza, c'est qu'on ne connaît pas notre finalité, la finalité de Dieu ni celle de la vie, si ce n'est qu'elle est un édifice à construire ensemble et à perpétuer. Saint Thomas d'Aquin dit peu de choses du mal quand il ne le considère que comme un manque à être. Le colloque singulier entre Dieu et le diable dans le livre de Job m'a toujours fait penser à "la partie de cartes" dans la pièce de Pagnol, je crois que c'est dans "Marius". Jung est plus conséquent quand il l'identifie comme l'ombre au tableau, car l'ombre est dans le tableau. Mais sommes-nous suivis comme notre ombre par notre ombre ou la suivons-nous? Voilà un premier choix à faire. Il est utilement complété par ce conseil de Jésus d'aimer notre ennemi, notre ennemi intérieur, non pas pour lui complaire ou pour le terrasser, mais pour lui faire la part de l'ombre, se réconcilier avec Satan, suggère Anick de Souzenelle, pour le faire entrer dans une espèce d'apocatastase intérieure où Origène croyait que Jésus est venu sauver même le diable en personne. "Il faut tomber dans les hérésies vers lesquelles tu penches", me conseilla très malicieusement un de mes meilleurs amis prêtres à qui je donne beaucoup de fil à retordre.


Non, le mal n'est pas un manque à être, il fait partie de la réalité. Mon amie Nathalie, qui est d'autant plus intelligente qu'elle n'aime pas lire, me dit un jour qu'il y a deux dieux, le dieu du bien et le dieu du mal, celui qui donne les maladies, car un  père ne rend pas malade, ce que Jésus abonde en disant que "si même vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-Il l'esprit-Saint à ceux qui le lui demandent." J'ai toujours été interpellé par cette parole de Nathalie définissant deux dieux, qui exprime sous une forme pure la croyance des Manichéens. Je ne sais pas s'il y a deux dieux, mais il y a un Dieu dans lequel le combat du bien et du mal n'a pas voulu se jouer, d'où l'interdiction (mythique?) à nous faite de consommer du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu ne voulait pas voir le mal, il préférait polariser dans "la coïncidence des opposés" ou "l'union des contradictoires" dont je crois que parle  Simone weil (à moins qu'elle s'en tienne à l'"union des contraires", mais elle est trop profonde pour cela). L'homme est combattif et a transformé en combat ce qui supposait une séparation en vue d'une réunion, chaque pôle étant aiguisé. L'homme a fait qu'il n'est plus possible d'éluder le combat  spirituel, excepté au terme du devoir de s'asseoir, il doit calculer s'il a de quoi payer. Et l'enjeu, c'est encore Michel Onfray qui m'en donne la formulation dans "Cosmos", supposant une ontologie des deux, à égalité, leur présence dans la réalité: est-ce que je veux être un prédateur ou être une proie ? Je préfère être du côté des proies que des prédateurs, mais je ne suis pas le sauveur des proies, sauf à me placer sur un des sommets du triangle infernal du sauveur, du bourreau et de la victime. Je ne suis pas le sauveur des proies, mais Jésus nous a  sauvés sur la Croix. Je suis l'indigne serviteur de ce Sauveur, si peu que vaille ma foi sur ce sol où je la ramasse. 

Dieu, essence et langage

Suite du dialogue précédent.


@Tipaza,


Vous ne semblez pas croire au diable, et pourtant mes tourments me persuadent qu'il existe un ennemi de nos âmes, qui ne veut rien de moins que leur destruction pure et simple, que cet ennemi soit allégorique, symbolique, métaphorique ou réel. Mais nous ne pouvons pas projeter notre propre mal à notre propre encontre, sinon peut-être à travers notre cerveau reptilien et les pensées rampantes qui le parasitent, comme sainte Thérèse d'Avila en parle très bien dans les "premières demeures" de son "Château intérieur". 


J'en veux à Gainsbourg qui m'a choqué par cette seule saillie (et par le fait qu'il ait demandé le concours de sa fille Charlotte pour consommer un "inceste" au moins artistique et d'autant plus réel qu'il se voulait symbolique): "Je ne crois pas en Dieu, mais je crois au diable." Et aussi parce qu'à deux jours de regagner Paris pour y mourir, il s'était installé dans l'hôtel de Vézelay sans mettre un pied dans la basilique, un des plus beaux lieux qu'il m'ait été donné de découvrir sous le ciel. Rien que pour cela, je pardonnerais à la Nièvre de s'être donnée François Mitterrand pour député parachuté.


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@Pierre Durand /04 juillet 2022 à 09:18


"Arrivé à mon âge je n'ai toujours pas compris ce que pouvait bien vouloir dire :

Jean 1:1  Au commencement était le Verbe (la Parole), et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu."


Je ne vais pas vous faire comprendre ce mystère, mais essayer d'y plonger avec vous dans la méditation. 


Le Verbe-Parole=en tant que Logos, sens de la Création, sa logique, puis l'articulation de cette logique en un langage qui l'explicite, Lui en vue duquel ou en miroir de Qui la Création fut érigée, Lui, le futur suprême Erigé, ressuscité: "Emparez-vous de la puissance de la Résurrection", écrivait le théologien alsacien  François Durwell (un peu trop heideggerien à mon goût). C'est pourquoi  le Verbe était "auprès de Dieu au commencement", non pour manifester le "pourquoi" ni comme des mots qui précèdent la pensée (car il n'y a pas de pensée sans langage), mais la parole met en mots la pensée.


Et pourtant il y a un mystère du langage et comme une antériorité de celui-ci à la pensée. Roland Barthes concevait l'écriture comme un mystère où l'on regarde passer le langage et où on se fait happer par ce passage, car tout à coup, les mots débordent de nous et on parle en ne sachant pas ce qu'on a dit. On pense par éruption, impulsion, comme un moteur à explosion. C'est ce que ne comprenait désespérément pas mon ami René Pommier ou cette autre infirmière antillaise wokiste avant la lettre me disant, comme j'écoutais sur "France culture" une émission consacrée à Roland Barthes, pourquoi je m'intéressais à cet auteur qui "parle un petit peu pour ne rien dire". Justement, il parle, car bien qu'il n'ait pas écrit de romans, c'est un écrivain. Et  l'écrivain, c'est celui quiregarde passer le langage. 


En sorte que si j'essaie d'exprimer tout cela par une analogie trinitaire pour ajouter au recueil déjà trop foisonnant de ces aperçus,  j'obtiens que Pensée est le Père; Parole est le Fils et Langage ou Musique est l'Esprit, car autre est la Parole et autre le Langage, même si la parole est issue du langage: "y a du roulis, y a du tangage." 


Musique ou Langage, car la musique est un paralangage, ou l'essence du langage est incluse dans la musique, ce langage qui planait au-dessus des eaux et raconte dans un souffle ce "pourquoi en sons et sans sens qu'est l'intermédiaire entre deux râles qu'est une vie humaine.


Denis Monod-Broca a raison de dire que "Dieu n'existe pas, mais qu'il est", et vous ne devriez pas le railler: "Vous confirmez que Dieu n'existe pas." Vous faites fi de son essence.  Encore faut-il embrasser l'être comme ce fleuve héraclitéen dans lequel on ne se baigne jamais deux fois, l'être dans sa fluidité, l'être dans son imprévisibilité et non dans son impassibilité: "Je serai ce que je serai, tu verras bien qui je suis, je me oue de toi comme tu devrais jouer ta vie, car je serai qui je serai, je suis l'être en devenir. Je suis l'avenir qui ne t'appartient pas et que tu ne connais pas. Je suis la surprise du langage des événements, la moins définissable des choses, la plus efficientement causale, donc la plus sans intérêt, et pourtant n'est que ce qui intéresse et inter-est. Je suis l'être en relation." Tel est Dieu, me semble-t-il.

L'innocence divine et l'innocent châtié

Je vous recommande ce billet de Philippe Bilger, d'une très grande sensibilité, assorti de ce mien commentaire beaucoup plus fruste:


Justice au Singulier: Woody Allen invente le licenciement divin... (philippebilger.com)


Ah, que j'aime votre billet, cher Philippe.


Pour commencer de le commenter de manière mondaine, je rappellerai que Laurent Dandrieu a écrit un livre sur Wa, intitulé "L'antimoderne". Je n'ai pas lu ce livre, mais j'ai eu le privilège de partager la table de Laurent Dandrieu, un homme très discret, assez solitaire, beaucoup moins flamboyant que moi dans sa manière de manger, de boire et de converser, mais très profond, qui nous dit qu'étant déjà un critique de cinéma expérimenté, il ne se voit plus s'infliger des films qui lui font perdre du temps, et WA n'est précisément pas un de ceux-là, c'est en quelque sorte un maître à vivre pour cet autre anti-moderne qu'est Laurent Dandrieu.


Francis James repris par Georges Brassens dit en un mot le plus grand scandale qu'on peut reprocher à Dieu de son vivant, tant qu'on n'en a pas la claire vision: "Pourquoi l'innocent bafoué, pourquoi l'innocent châtié?"


Ce n'est pas vous, Philippe, ni moi, qui, non contents de ne pas avoir demandé à naître, auriez imaginé qu'accédant à l'existence, vous devriez vous coltiner la responsabilité du péché originel de vos premiers parents à nous transmis. Ces parents que la psychanalyse (et c'est la pire de ses déconstructions, le plus grave de ses torts) nous a appris à déshonorer, en transgression du quatrième commandement, le seul assorti d'une promesse (non tenue): "Honore ton père et ta mère pour avoir longue vie sur la terre."


La liberté de l'homme, oppose-t-on au mystère du mal, quand du moins on essaie de le sonder, ce qui est à l'honneur des hommes d'Eglise qui le font. Tintin, oui. Surtout lorsque saint Augustin complète ainsi: "Dieu qui nous a créés sans nous ne peut pas nous sauver sans nous." Ah bon, il peut l'un et pas l'autre? Et ceci encore: Dieu nous a créés par amour, mais Il va nous juger. Juge-t-on ce qu'on aime? N'a-t-on rien de mieux à faire?


Un prêtre que j'aime beaucoup et qui a le discours le plus élaboré sur les fins dernières parmi ceux que j'accompagne pour des cérémonies de funérailles dit que toutes les religions s'imaginent un jugement dernier, donc que c'est une vérité anthropologique. Mais, rappelant la célèbre parole de saint Jean de la Croix, il ajoute que nous serons jugés sur l'amour, celui que nous avons donné et celui que nous avons reçu, car on ne peut donner que ce qu'on a reçu, affirmation qui me laisse perplexe. Mais il a raison d'ajouter que le véritable amour n'est ni dévorant ni fusionnel et qu'on ne peut pas éviter le combat contre soi-même. C'est sans doute la seule réponse à nos questions sans réponse. Je m'enlise de vouloir éviter ce combat. Et s'enliser, c'est enliser les autres.


Mais Dieu nous a envoyés son Fils pour nous sauver. Il s'est vidé de sa substance divine et s'est fait homme, "à l'exception du péché". Comme me le disait un chef de choeur que j'appréciais beaucoup, "nous ne sommes pas à un oxymore près." En effet, la nature humaine n'est pas déchue, mais elle est à demi pécheresse. Je crois dans la lutte avec l'ange, mais à la fin, ma raison s'inclinera, car je verrai Dieu, l'insensée bonté de Dieu, son Amour qui jettera bas toutes mes prises de bec intellectuelles qui ne m'en donnent pas la moindre idée.


Autre question que je suis à ma connaissance le seul à poser depuis plus de trente ans. Le même saint Augustin a imaginé un enfer d'éternelle combustion sans consomption, autrement dit un feu qui ne s'éteindra jamais et n'aura jamais fini de nous brûler. Mais un Dieu qui admettrait un enfer pareil serait pire qu'Hitler et que ses fours crématoires, qui n'a, somme toute, que métaphorisé cet enfer chrétien...


Dieu pardonnera aux hommes tous leurs blasphèmes et tous leurs sacrilèges, promet Jésus dans l'Evangile, à l'exception du péché contre l'Esprit. Qu'il Lui plaise que je ne l'aie pas commis, mais je sais que je ne l'ai pas fait. Je Lui fais confiance pour m'en préserver.