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vendredi 16 décembre 2011

Y a-t-il un risque d'analphabétisation des non-voyants du fait de la désaffection du braille?

Petit mémorendum fait pour un designer infographiste



La voici.

L'oralité gagne du terrain au détriment de l'écrit. Disons, de l'écrit normatif. On écrit beaucoup, mais des SMS. La syntaxe en souffre un peu, l'orthographe beaucoup. Mais l'orthographe est un encodage relativement récent. Donc y perd-on tant que ça? L'image gagne du terrain, le "smile", la photo, le mail est une lettre qui n'a pas encore trouvé sa forme juridique.

L'image est toute-puissante, les aveugles n'ont pas l'image, mais la voix fait écran au braille. L'attrait de l'informatique opérant toujours, la séduction de la voix opère pour l'aveugle en substitution de la séduction de l'image. On ne peut pas, pour un aveugle, pratiquer un substitut de la méthode globale ou semi-globale, avec les exercices permettant de faire correspondre les mots aux choses, pour le plus grand dérèglement du cerveau, nous dit-on, mais pour la plus grande vivacité de l'intelligence infantile, éduquée à être primesautière. L'enfant aveugle, quant à lui, peut prendre conscience de la langue par le traitement de la voix, l'intonation, les syllabes et les retrouvailles de l'écriture syllabique et du béaba grâce à la décomposition des mots pouvant être opérée par les synthèses vocales, ceci pouvant jouer en faveur de la synthèse vocale contre le braille que l'apprentissage de l'orthographe en est plus ludique et peut mieux correspondre à des personnes dont la sensibilité tactile n'est pas assez développée, voire est incompatible avec le braille, car il faut savoir que l'on n'est pas à égalité devant la sensibilité au braille, même aveugle de naissance).

Y a-t-il perte d'autonomie intellectuelle par la synthèse vocale? Cela peut arriver si une synthèse vocale, après avoir initié à la lecture, raconte trop vite, tel un parent virtuel, une histoire à un enfant qui n'a pas appris à se la raconter lui-même en lisant à haute voix, puis à voix basse. C'est encore évident lorsqu'une synthèse vocale est atone, ce qui est très souvent le cas (voir la synthèse vocale "éloquence" dont se sert la majorité des non-voyants comme support vocal du lecteur d'écran Jaws. L'atonie de cette synthèse vocale a un effet d'autant plus pernicieux pour la prononciation du Français inaccentué de france, qu'elle a un accent québécois très prononcé. Par contre, l'atonie peut rendre de très grands services si elle est non accentuelle et par la suite, non dans l'apprentissage de la lecture, mais dans celui de l'écriture, et plus exactement, pour l'écrivain, dans celui de se donner un style. Une synthèse vocale atone et non accentuelle peut servir de "gueuloir monotone". c'était le cas de "sonolect", synthèse vocale déjà ancienne qui permettait de lire sous le système d'exploitation MSdos. Inversement, quand on est bien initié à la lecture, une synthèse vocale tonale (beaucoup d'efforts sont faits en ce sens aujourd'hui) permettent vraiment de s'approprier un livre presque comme s'il était lu "en voix naturelle" (voir par exemple l'expérience d'une bibliothèque numérique comme "le sésame" qui pratique parfois, pour un seul et même livre, un support d'adaptation numérique lisible par synthèse vocale et une autre adaptation lue "en voix naturelle".

Importance de la langue écrite.

L'importance qu'on lui accorde est certes fonction de la valeur que l'on donne au support écrit, de la manière dont on accepte la dysorthographie dans toutes les classes de la population, de la manière dont on se projette aussi par rapport à la transformation de l'écrit. Le braille est un système normatif, mais cérébral, accessible à une classe de tactiles intellectuels, qui préfèrent explorer un texte de façon rêche plutôt que d'explorer une maquette de façon panoramique. Le braille a remplacé le système anciennement inventé par Valentin Haüy, qui était plus difficile à écrire, mais offrait plus d'intérêt figuratif, dans la mesure où il était la transposition pure et simple en cire des lettres ordinaires (voir à cet égard le musée valentin Haüy rue duroc à Paris).

Dans les années 1970, l'optacon, l'ancêtre de toutes les machines à lire, reproduisait le système de valentin Haüy en mettant directement le doigt en contact avec la forme des lettres du "livre en noir" que l'aveugle rencontrait en promenant une caméra d'une main sur la feuille, tandis que l'autre en recevait la forme qui lui était transmise par pizzoélectricité, d'où un contact direct de l'aveugle avec la forme de la lettre "en noir", mais un contact plus désagréable encore que ne peuvent l'être les picots du braille pour des personnes au toucher peu sensible.
En quoi le Braille demeure-t-il l'appropriation de l'écriture par les aveugles ?

Etrangement, beaucoup de voyants qui le voient pour la première fois l'identifient au morse et à un code secret relativement rébarbatif, ce qu'il est en réalité en grande partie, dans la mesure où il est totalement déconnecté de toute espèce d'imagerie. Il suppose et développe une grande capacité d'abstraction qui est utile à l'intériorisation d'un texte. Il est même une sorte de double abstraction puisqu'intrinsèquement fermé à l'image dans la mesure où il ne saurait reproduire la forme des lettres ordinaires sans créer de dichotomie entre la facilité de sa lecture et la difficulté de son écriture, il ne saurait, même de manière lointaine, évoquer un pictogramme, comme les lettres de notre alphabet en ont gardé une trace inconsciente, et rend donc impossible toute visualisation. Double abstraction interdisant la moindre visualisation, le Braille accentue le cloisonnement de l'aveugle dans son aperception visuelle, en même temps qu'il enracine l'aveugle dans l'appropriation maximale de l'écriture, en tant que l'écriture, si elle est trace du pictogramme, est constituée par la différenciation par excellence du signifié avec toute image à laquelle puisse renvoyer le signifiant. Le braille est donc particulièrement propice au symbolisme et, après le passage inévitable par les tâtonnements de l'ânonnement, à l'appropriation de la lecture à voix basse, de "la lecture silencieuse" (cf Roger Chartier). Mais il est permis de se demander si le braille ne favorise pas par trop l'esprit symbolique, voire l'onirisme de l'aveugle qui n'est que trop porté à vivre dans son monde, à travers l'appropriation d'une écriture rêvée à outrance.

Le braille et le vocal sont donc loin de se faire concurrence. D'autant que l'excès de cérébralité, de désincarnation visuelle et de symbolisme que véhicule le braille, le rend souvent répulsif aux aveugles tardifs, qui ont gardé un souvenir visuel ou qui seraient restés, envers et contre tout, des esprits visuels.

Si de nouvelles classes sociales apparaissent du fait de la concurrence des apprentissage au sein des déficients visuels, cela ne tient pas, cette fois, à à l'acquisition ou non du Braille, mais au fait que le braille avait l'énorme avantage de représenter un système normatif simple et peu onéreux alors qu'aujourd'hui, existent de grandes disparités au sein des déficients visuels, selon leur appareillage ou la manière dont ils sont équipés, la disparité de ces équipements, leurs possibilités d'accès à ceux-ci, qui rend très difficile d'évaluer à quel niveau de savoir et d'accès au savoir en est arrivé chacun, et qui rend également très délicat d'échafauder des modules de formation homogènes et progressifs pour tous.

le livre numérique est un avantage par le gain énorme de volume que cela représente et par le fait que le braille papier semble malgré tout relever d'un combat d'arrière-garde, mais si et seulement si l'on arrive à endiguer la disparité des classes sociales émergentes entre une élite de déficients visuels très équipés et de quasi analphabètes sous-informés, disparité induite par l'inégalité des aveugles devant le traitement numérique, qu'avait favorablement corrigée antérieurement l'égalité des aveugles devant le braille, non égalité de sensibilité, mais d'accessibilité à ce support écrit.

"- Quelles autres formes tactiles seraient-elles envisageables pour un contact haptique?"

1. La forme du Braille étant destinée à rester statique, ou plutôt le braille étant relativement aformel, l'appropriation de l'écriture de l'aveugle sera difficilement formelle, et pourtant il faut réconcilier l'aveugle avec la forme.

2. Ce qui peut se faire de deux manières : soit la maquette, soit des livres qui oublient le braille et apprennent ou réapprennent, d'abord en grand, puis en petit, d'abord en majuscules, puis en minuscules, d'abord en lié, puis en détaché, la forme des lettres "standard" en relief à l'usage des aveugles ; peut-être même la forme des images, dans des livres d'images, mais avec des reliefs plus différenciés, avec en bas l'explication du dessin, l'explication valant ici mieux qu'une légende. Comme éléments de relief, des matière, du bois pour un arbre ou pour un pont ; des tissus, des différences de textures, même des textures plus basiques, comme des lignes ou des points environnés de matières premières, synthétiques ou naturelles. Les vagues de la mer en torsades... graines, sable, tissu, feutrine, voire éléments de la nature... Pour un infographiste, il est nécessaire de Se poser la question de savoir si on peut inventer des composés infographiques ou des imitations de ces matières que l'on puisse aisément encoder, puis reproduire par l'impression...

La désaffection du braille est liée à son volume dans un système d'économie de papier, à son caractère peu attrayant pour qui n'en est pas connaisseur et au fait qu'il demande une grande conversion cérébrale. Le braille est informel, mais aformel. Or il peut être ludique pour qui sait l'apprendre en s'amusant, en comprenant que sa table d'alphabet est fondée sur des séries de dix combinaisons de points auxquels s'ajoutent, à chaque fois, dans la série suivante, un ou deux points supplémentaires. Que l'apprentissage du braille parvienne ou non à trouver les voies du jeu de pistes, son appropriation reste irremplaçable pour la lecture silencieuse, intérieure, introspective, c'est-à-dire pour la lecture non superficielle et, si j'ose dire, non cinématographique.

L'appropriation de l'information hypertexte a été résolue depuis longtemps, sur les seules "plages braille", ou lecteurs d'écran en braille, dont disposent très peu de non-voyants, car elles sont beaucoup plus coûteuses que les synthèses vocales, par l'adjonction de deux points au début du lien. C'est la seule adjonction de caractères avant un mot qui ne soit pas de nature à compliquer la lecture du Braille, car elle n'apporte pas une information typographique, mais seulement une information utile et "magnétique" (j'entends par là attractive), en indiquant où l'on peut opérer l'acte magique du "clic". Peut-on dire que l'invitation à cliquer est plus séduisante quand elle est lancée par une synthèse vocale ou quand elle est précédée de deux points braille ? Cela dépend vraiment du support que l'on s'est accoutumé à utiliser pour la lecture. Le "clic" séduit toujours, est toujours une invitation à l'information et au "changement de discipline". Ce qui rend ou non séduisante une voix de synthèse, outre son prix, est vraiment le cas qu'elle fait de l'intonation. Le braille est certes un support atone ; mais pour qui a choisit de l'utiliser en informatique, l'intonation est une "musique intérieure" qu'il se donne à lui-même.

L'analphabétisation qui menace les aveugles ne tient pas au danger que disparaisse l'alphabet braille, ne serait-ce que parce qu'au pire, il sera toujours utilisé peu ou prou en informatique. Le danger d'analphabétisation vient d'une trop grande méfiance vis-à-vis de la capacité d'abstraction que représente le Braille, tout comme le danger d'analphabétisation de la population des gens qui voient clair vient de la trop grande prégnance de l'image, à cette différence près que, comme nous l'avons noté plus haut, la capacité d'abstraction est double chez un aveugle, le braille développe en lui une propension à la concentration qui peut le surintérioriser et surtout attirer la méfiance cognitive des pédagogues envers cet outil d'écriture irremplaçable, dans la mesure où il pousse l'écriture à son paroxysme, dans le différenciel avisuel qu'il établit entre le signifiant et le signifié. Donc l'aveugle qui maîtrise le braille peut être le plus lettré des lettrés, comme le voyant qui ne maîtrise pas son écriture peut être le plus analphabète des analphabètes. L'aveugle ayant très tôt été initié au braille et s'y étant montré insensible, voire incompatible, ne sera jamais tout à fait analphabète, mais pourra être illettré.

Le Braille, trop rêche, linéaire, insensible et cérébral

Un extrait de ma réponse à un graphiste designer qui déplorait que, depuis 1830, aucune recherche de plaisir n'ait été faite dans le domaine du Braille.

"Ce que vous dites de l'absence de recherche de plaisir lié au braille est particulièrement vrai appliqué à la musique. Le "brailliste" musicien ne peut se figurer comment la musique est écriture, et je pense que cela le handicape dans sa manière de restituer une partition ou tout simplement de prendre plaisir à la jouer. Il agit par effet mécanique, et cela peut confiner à un certain autisme de son oreille ou de son apprentissage par coeur.

L'apprentissage du braille est, non seulement moins facile que celui des lettres ordinaires, mais, pour certains doigts qui n'y sont pas sensibles, un redoutable pensum intimidant. Donc il y a risque d'analphabétisme, oui, et probablement risque d'analphabétisme par ajout de points aux caractères existants, pour autant qu'on accepte la prémisse de Louis braille, que les six points auxquels il a réduit le système antérieur de Charles barbier, appelé "écriture nocturne", étaient la quantité tout juste nécessaire pour épouser la sensibilité des coussinets des doigts. Comment remédier à cette insensibilité relative ? Les moyens actuels d'embossage ou d'impression du braille devraient constituer une réponse relativement adaptée, dans la mesure où ce traitement informatique produit des points qui s'effacent moins. Du moins peut-on le supposer, mais il faut voir ce que deviendront ces ouvrages à long terme ! Je ne sais pas si on a le recul nécessaire. Je suis d'accord avec le fait que la reliure des ouvrages récents est particulièrement peu attrayante.

Il y a un troisième point, toujours dans le désordre, à considérer : c'est que la plupart des personnes qui ont perdu la vue tardivement ont toujours une image mentale tout à fait adéquate de ce qu'ils ne perçoivent plus par les yeux. Cela leur rend l'accès au braille d'autant plus difficile. A ce stade, on peut dire que les difficultés d'accès au braille varient selon deux séries de facteurs :

1. le fait de savoir si une personne a vu ou non, avant de perdre la vue et quelle image mentale elle a conservé de la vue dans l'affirmative. (Par exemple, est-ce que ses souvenirs visuels l'impressionnent à longueur de journée ? C'est le cas de ma compagne !)

2. le fait de savoir si un aveugle ayant vu ou n'ayant jamais vu serait plutôt à ranger dans la catégorie des auditifs ou des visuels. C'est une distinction par moi forgée, mais je crois qu'elle est assez productive. Pour farie simple, un aveugle auditif compensera assez peu par le toucher. Il visualisera peu et le braille est fait pour lui ! Un aveugle visuel recourera beaucoup au toucher et le braille lui sera d'un usage plus difficile.

Autre manière d'approfondir le même problème : un aveugle n'ayant jamais vu et à tendance auditive n'a aucune notion de perspective. Préalablement à toute cartographie, il y a donc un apprentissage à lui faire faire dans ce sens. Je suis tout à fait dans le cas d'avoir à faire cet apprentissage. Inversement, un aveugle, soit qui a perdu la vue, soit qui est de tendance visuelle, a, de façon presque innée, le sens de la perspective.

Pour en revenir à mon obsession musicale, j'avais acquis il y a quelques années (et mal rangé, selon mon habitude) un ouvrage qui expliquait la musicographie ordinaire aux aveugles. faute de l'avoir travaillé avec un voyant, je n'y ai rien compris et en ai beaucoup de regret, la matière étant difficile d'appréhension pour mon esprit abstrait et aussi peu visuel que possible.

Encore une digression : quand j'étais gamin, je rêvais d'imaginer un système qui m'aurait permis de voir un film en relief, en 2D. J'en rêve encore et crois possible de voir le jour où l'on touchera des images en relief. Je me demande si ce procédé, dans lequel personne n'a à ma connaissance fait de recherches, n'a pas plus d'avenir que l'adaptation de "bandes dessinés" ou d'ouvrages de bibliophilie en braille, car il faut bien se rendre compte que le braille est dans une situation de survie. La numérisation via la synthèse vocale le menace très sérieusement, en dépit des dysorthographies que cela va provoquer. Le braille a été très longtemps une écriture normative. C'est même en cela qu'il a été le plus original. Cette normativité est en train de perdre du terrain.

Peut-être faudrait-il inventer une table générique et normative des objets dans la fabrication d'équivalents "bandes dessinées" en braille. Mais du coup, les objets perdant toute forme et devenant de purs symboles de légende, demeureraient-ils encore des objets? Mais surtout, comment inculquer la notion de perspective à quelqu'un qui n'a jamais vu la verticale de ses yeux?"

Peut-on être rétrospectivement contre la loi de 2005?

Dans un précédent message, j'avai déjà critiqué ma question en disant que, certes, les questions rétrospectives n'ont pas de sens et qu'il en va de celles-ci comme de ces sujets de dissertation historique où l'on se demande si tel événement aurait pu être évité. Pour avoir été un jour pris au piège d'un tel sujet, je me souviens que celui qui l'avait posé, en marge de sa correction, avait regretté qu'aucun de nous, qui nous étions donnés du mal à le traiter, n'avait remarqué qu'il était absurde, puisque l'événement, sur lequel nous avions à disserter, avait eu lieu. Or je n'ai jamais été convaincu par cette prétendue absurdité d'un sujet rétrospectif, étant entendu que ce n'est pas parce qu'un événement a eu lieu qu'il était inévitable.

Ici, la pertinence de la question me paraît justifiée par le préalable qui a raisonné comme une antienne avant toutes les interventions des militants associatifs aussi bien que politiques :

"Certes, il est incontestable que la loi de 2005 a été un très grand progrès, mais, dans le domaine qui m'occupe", et suivait une litanie de complaintes qui expliquait qu'elle avait été une catastrophe dans ce domaine. Or, comme cette antienne a été répétée à peu près dans tous les domaines, j'en suis arrivé à la conclusion très logique que cette loi a été une catastrophe dans tous les domaines, mais qu'oser le dire relève du tabou et que, pour éviter de transgresser un tabou, on prend la précaution oratoire d'excepter la catastrophe qu'a été l'application de la loi de 2005 dans son seul domaine particulier d'intervention, lequel s'ajoutant à tous les autres, la catastrophe est générale.

On pourrait m'objecter que ma conclusion n'est pas objective, je confirme. J'ai un très mauvais souvenir de la manière dont nous a été présentée la loi de 2005. Non qu'elle n'ait fait l'objet de comptes rendus très circonstanciés et fréquemment mis à jour par Philippe chazal, le Président de notre confédération, notamment dans "le Louis braille". La discussion de cette loi nous était également expliquée dans ses soubassements sociologiques, à travers l'explication qui nous fut donnée par Michel gouban, de l'évolution de la perception de la notion de "handicap" en termes de "situations incapacitantes" susceptibles de "stratégies de compensation". Dans un numéro antérieur, nous étaient donnés quelques extraits du rapport qu'avait publiée la commission parlementaire présidée par vincent Peillon qui dressait un état des lieux des problématiques posées par la déficience visuelle et ses diverses formes de compensation. Auparavant, du sein de nos milieux, via la fréquence FM parisienne que le CSA avait allouée pour six mois sous la responsabilité d'Hamou bouakkaz, s'exprimaient des revendications dont on se demandait où elles finiraient. Signe de l'absurdité qui rôdait et de l'incompréhension majeure des pouvoirs publics, cette antenne avait été théoriquement consentie par l'autorité octroyant les fréquences de la bande FM pour permettre, par l'intermédiaire de la radio, aux aveugles de se familiariser à l'euro, ce qu'on ne peut faire que sur pièces.

En un mot, nous professions un discours où émergeait une conscience syndicale, corporative, revendicative, que la léthargie qui avait couvé cette conscience comme une belle aux bois dormant excusait sans doute de vouloir tout dans le désordre, sans distinction ni priorité ; mais cette boulimie revendicative apparaissait dans un contexte, aidée par lui ou le servant, où l'Etat voulait faire des économies en réduisant la compensation personnelle du handicapsous couvert de se montrer plus incitatif ou exigeant quant à l'accessibilité de la société aux personnes handicapées, de l'emploi au bâti. La perspective a bien évidemment enivré ceux qui étaient associés aux discussions et ont cru aux intentions de l'Etat en oubliant de consulter leur base. Ils ne manquaient pourtant pas de l'informer, mais ne lui donnaient que des mots d'ordre pour les soutenir, sans jamais lui demander son avis.
Or cette base était plus circonspecte et moins enthousiaste, si je mesure sur moi. Elle sentait confusément que l'adéquation entre des revendications qui enflaient toujours, et un désir d'économies de l'Etat qui se masquait sous des intentions d'accessibilité irréalisables, ne pouvait que lui être défavorable en créant des relations incestueuses entre l'Etat, qui n'avait pas renoncé à se défausser sur des associations, "gestionnaires du handicap", et la confédération des principales de ces associations, dont le Président se voyait en rougissant donner le titre de "monarque incontesté" ayant toujours son "rond de serviette, veuillez noter, grégoire", à la table des négociations, sans que lui ne proteste ni que la base ne conteste, se demandant, dans une consternation gênée :

"Philippe, qui t'a fait roi ?" (NDLR: Cette remarque fait référence au fait qu'inaugurant les Etats généraux de la déficience visuelle, la ministre roseline Bachelot-Narquin prétendit que Philippe chasal, Président de la CNPSAA (confédération Française pour la Promotion sociale des aveugles et amblyopes, était considéré comme un "monarque incontesté" et qu'il aurait toujours son "rond de serviette" dans les négociations à venir, priant son chef de cabinet, grégoire-François daindy, de bien noter ceci. La ministre concluait en faisant allusion à l'amitié dont elle croyait pouvoir dire que Philippe chazal en avait pour elle, ce que celui-ci confirma d'une approbation discrète.)

Mais ne sombrons pas dans la démagogie de ne pas dire son fait à la base et de ne pas regretter que, tandis que les organisateurs de ces Etats généraux lui ont demandé de bien vouloir leur en faire un "retour", elle ne se sent pas un devoir de leur en donner un "ressenti", pas même un devoir dicté par la politesse et le savoir-vivre. A ce jour, nous ne sommes que trois, sur cette liste (NDLR: la liste préparatoire à la discussion sur les affaires sociales), qui a pourtant ardemment agité des idées fortes, à leur avoir donné satisfaction.


Bon, mettons que ma question rétrospective sur le bien-fondé de la loi de 2005 ne soit que l'effet de ma frustration de ne pas avoir été consulté lors de son élaboration. Mettons encore que, si nous, déficients visuels, y avons perdu des billes, cette loi a été positive pour d'autres catégories de handicapés dont les malades psychiques, désormais éligibles à l'AAH. Comment mesurer l'impact de la maladie psychique, à l'analyser du simple point de vue de la déficience ? On peut discuter de cela ; est-ce à dire que les parents d'enfants autistes ont vu la situation de leurs enfants s'améliorer notablement, tant aussi longtemps qu'ils sont en âge scolaire ou vivent sous leur toit que par la suite ? Est-ce que les places dans des établissements spécialisés ne sont pas comptées pour des parents en ayant fait la demande et souhaitant qu'avoir un enfant autiste ne les empêche pas d'avoir une vie après cette épreuve, si ce n'est simplement de ne pas envisager de disparaître sans que leur enfant soit pris en charge ? Est-ce qu'en dépit de l'audience inespérée du film "Intouchables" , qui abonde dans le cliché du handicapé forcément issu d'un milieu favorisé, les tétraplégiques bénéficient de ressources suffisantes pour accéder à l'aide humaine dont ils ont besoin ? Le simple côtoiement dans la manifestation du collectif "ni pauvres, ni soumis", ou la simple connaissance de personnes ayant à faire face à de telles situations nous permet de répondre par la négative. La loi de 2005 n'a pas non plus résolu leurs difficultés.

Mais, pour sortir d'une évaluation subjective, je voudrais m'en rapporter à l'exposé que nous a fait, à la fin de notre dernière table ronde, notre "grand témoin", M. Patrick GOHET, Inspecteur Général des Affaires Sociales, Président du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées et ancien Président de l'UNAPEI. Cet exposé, qui était beaucoup plus préparé que la simple réaction spontanée qu'il nous promettait, nous fournit des outils d'analyse précieux, à l'aune desquels on peut se permettre une évaluation assez précise de la manière dont la loi de 2005 a ou non atteint ses objectifs, mais encore de la pertinence de ceux-ci.


M. gohet, au-delà des trois grandes aspirations majeures qu'il a énumérées comme étant celles de tout citoyen, "la sécurité, la liberté et la dignité", a identifiétrois objectifs que la loi s'était fixée, dont c'est trop peu de dire qu'elle ne les a que partiellement atteints.

1. Le premier d'entre eux était la simplification. S'il faut confirmer régulièrement à la MDPH qu'un enfant est toujours trisomique ou toujours tétraplégique, cela n'a pas changé non plus pour les aveugles, et nous l'avons relevé dans ces travaux préparatoires. De plus, "les équipes pluridisciplinaires", dont on nous promettait qu'elles seraient plus compétentes et moins administratives que celles de la COTOREP, ne font en réalité que compliquer l'instruction individuelle des dossiers des personnes handicapées en général. Sans compter qu'au-delà de ces "équipes", nous apprenons que les conseils d'administration des MDPH seront bientôt presque exclusivement composés de leurs financeurs.

2. La Maison départementale des Personnes Handicapées (MDPH) devait être garante du deuxième objectif qui était celui de la proximité.

a) Sa première mission est d'accueillir. Or certaines ne sont même pas accessibles.

Pour lancer une pierre dans notre jardin, nos associations sont elles aussi de moins en moins accueillantes et accessibles. Pour preuve, la médiathèque de l'AVH (Association valentin Haüy) est quasiment inutilisable sans l'aide de tierces personnes accompagnatrices, ou sans monopoliser les bibliotécaires, qui ne sont souvent pas formés aux machinnes dont ils sont censés apprendre à se servir ceux qui voudraient bien les utiliser. Le hall d'accueil de l'AVH est large et rectangulaire, entouré d'un grand nombre de portes vers lesquelles le personnel d'accueil nous dirige à la voix, sans que, si nous ne savons pas précisément où se trouve le lieu de notre rendez-vous et pour peu que celui-ci se situe dans les étages, nous puissions nous y rendre, sauf à rencontrer une bonne âme qui nous y conduise. Le "self" qui sert de cantine au siège parisien de la rue Duroc est certes accueillant et se veut peut-être une préparation à ce que les étudiants du CFRP (Centre de formation et de reclassement Professionnel) rencontreront dans l'entreprise, mais il n'a d'un "self" que l'aspect formel, heureusement que des serveurs ont l'habitude de placer ceux qui y viennent pour la première fois, et un "self" doté de tout petits plateaux n'est pas nécessairement ce qu'il y a de mieux adapté pour une clientèle aveugle. Au magasin de l'AVH, le temps des vendeurs est compté et les queues sont interminables. Pour avoir fait récemment l'acquisition d'un Milestone 386, j'ai bénéficié de la démonstration très compétente d'un vendeur de qui, quand je lui ai dit que nous pourrions nous isoler pour nous asseoir, ne pas parler derrière un guichet de manière à en faire profiter tout le monde, je me suis entendu répondre qu'il n'en avait pas le droit, la procédure ne le permettait plus. Les parents ou les accompagnateurs de personnes venant de perdre la vue qui prennent contact avec le service du matériel spécialisé ne bénéficient pas d'un acueil particulièrement chaleureux, les agents commerciaux ne les distinguent pas de leurs autres clients et leur prodiguent des explications à peine plus élaborées.

b) La seconde mission des MDPH est d'informer. M. gohet nous rappelle que les MDPH devraient être en mesure de nous dire quels sont nos droits, quelles sont les adresses utiles, les procédures qu'il faut suivre, etc. Or on est loin, en entrant dans une MDPH, d'avoir l'impression de se trouver dans un centre de ressources où l'on puisse espérer avoir affaire à un guichet unique. Dans le meilleur des cas comme à Paris, les MDPH sont dotées de plateformes d'accueil. A ce stade, on ne voit pas très bien ce qui distingue une MDPH d'une COTOREP. D'autant qu'il n'est pas du tout certain que la proximité soit un facteur de simplification, un objectif prioritaire de la loi de 2005 peut donc en desservir un autre. Car enfin, la décentralisation, non seulement du lieu d'instruction des dossiers, mais du lieu de détention des budgets, peut rendre l'instruction des dossiers fonction des budgets départementaux, et l'application de la loi variable d'un département l'autre, non seulement pour peu qu'un département invoque qu'il n'a pas reçu la péréquation des financements qui lui sont nécessaires à la satisfaction de ses obligations légales, mais, plus arbitrairement, pour peu qu'il conteste lesdites obligations au gré des baronies locales, attitudes contre lesquelles on peut certes opposer un recours, mais avec l'espoir d'obtenir réparation dans quel délai ? Pourquoi les départements se gêneraient-ils pour ne pas appliquer la loi, du moment que l'exemple vient d'en haut et qu'il nous a été répondu le plus tranquillement du monde au cours de nos assises par la ministre en personne que l'abolition des "barrières d'âge", qui est certes inscrite dans la loi, n'était plus qu'une priorité, dont elle nous donnait à entendre qu'étant donné le caractère "impécunieux" de notre etat surendetté, elle serait ajournée sine die ?

Mais rétropédalons de l'application de nos droits à l'information que nous avons sur eux et faisons un nouvel aller-retour de la MDPH à nos associations pour, en balayant devant notre porte, voir dans quelle mesure elles nous informent. Je dois dire qu'il aura fallu que je sois venu (presque par hasard) aux Etats généraux de la déficience visuelle pour que j'apprenne qu'en dépit de la non rétroactivité de l'ACTP pour ceux qui en ont obtenu le droit avant que la PCH ne devienne la nouvelle norme, il faut que je certifie par une lettre séparée, dans le dossier de renouvellement de mes droits, que je souhaite continuer à bénéficier de l'ACTP. Encore ne sais-je exactement comment formuler cette lettre ni à qui l'adresser, ni quel article invoquer, ni dans quelle case du formulaire spécifier de rechef le souhait de mon maintien à mon affiliation d'origine, ni si le certificat médical qui y est attaché doit toujours être rempli par un oftalmologue ou peut l'être par mon médecin traitant, ni comment le médecin doit répondre aux questions, dès lors que les critères d'évaluation se sont étendus. Nous nous plaignons assez souvent de ne pas avoir accès aux informations culturelles sur la vie dans nos villes ou régions, mais nous pourrions en dire autant de nos droits sociaux, qui engagent davantage notre vie quotidienne.

c) Puisque le pli est pris de faire des allers-retours, nous entendons maintenant dire par M. gohet que la MDPH où nous retournons a aussi pour vocation de prendre connaissance et d'évaluer avec nous notre "projet de vie". Je dois dire que cette notion de "projet de vie" est de toutes celle que j'ai le plus de mal à souffrir.
D'abord, c'est souvent une ineptie pratique. Pour m'être maintes fois entretenu avec des éducateurs spécialisés travaillant dans le secteur du handicap mental, cette évaluation permanente leur fait perdre un temps fou, les oblige à tout justifier, y compris les actes les plus simples de la vie d'un jeune, fait qu'ils doivent se placer dans une dynamique de progrès lors même qu'ils savent que le progrès n'est possible qu'à dose infinitésimale ou que la pathologie est dégénérative, et que tout ce travail de synthèse qu'ils fournissent afin qu'il puisse être analysé au cas par cas par les "équipes pluridisciplinaires" qui ne voient jamais les jeunes, non plus qu'elles ne nous voient jamais, en fait de mieux prendre en compte des besoins personnels, réduit les personnes à un ensemble de "savoir-faire" et de "savoir-être", ne veut absolument plus en faire des élèves, des résidents, encore moins des usagers ou des patients, mais des clients, ce qui a pour corrolaire que, de même que les jeunes sont évalués par un questionnaire qui confine au "contrôle qualité", à plus forte raison, les établissements où ils sont "pris en charge" font-ils, eux, l'objet, de "démarches qualité" qui ne se cachent pas de l'être.

Mais, au-delà de l'ineptie pratique qu'il y a, pour des publics particulièrement en difficulté, à construire des "projets de vie", un "projet de vie", s'il n'est pas une ineptie théorique, du moins relève-t-il d'un préjugé existentialiste selon lequel il ne saurait y avoir de vie qui ne se justifie par un projet. Si l'on pousse la logique jusqu'à son terme, dans nos sociétés qui ont aboli la peine de mort, une vie sans projet est une excroissance injustifiable et susceptible de mort civile. Pour un peu, on ne rétablirait pas la peine de mort pour ceux qui n'ont pas de "projet de vie". du moins pourrait-on impunément les frapper de "mort civile" et d'ailleurs, c'est ce qu'on fait : il y a un million de majeurs protégés en france, ce qui, en forçant à peine le trait, est dire qu'il y a un million de plus ou moins "morts civils" ou de prisonniers sans condamnation pénale qui ne remplissent pas les prisons françaises dont on se refuse à augmenter les places, en dépit de l'inhumanité du système pénitentiaire français, inhumanité dont il n'est jamais dans les prérogatives du secrétariat d'état aux droits de l'homme, quand il y en a un, de la mesurer : ce secrétariat d'état facultatif est toujours rattaché au quai d'Orsay et mesure les manquements aux droits de l'homme dont se rendent coupable les pays étrangers, cependant que la france est régulièrement condamnée par l'ONU, le conseil de l'europe et même les observatoires des droits de l'homme américains qui n'ont certes rien à lui envier, pour ses atteintes aux droits humains de ses détenus : on n'a pas encore avisé, manifestement, ces organisations des atteintes aux droits de nos "majeurs protégés".

(NDLR: évoquer le régime des tutelles comme une mesure pénitentiaire et comme une "peine de mort civile" ne signifie en rien que l'on soit partisan du rétablissement de la peine de mort, comme un de nos lecteurs a cru voir dans cette manière de poser le problème de la protection des majeurs et de la valeur absolue de la vie indépendamment de tout projet s'y rattachant, un "sous-entendu politique malveillant".

Je ne peux pas souffrir la notion de "projet de vie" parce que, bien qu'elle se place dans une "logique d'inclusion" qui se voudrait apparemment généreuse, la sémantique attirant tout dans le giron de ce qu'elle signifie, le contraire de l'inclusion, c'est l'exclusion ; tout comme le contraire d'une personne pitoyable, qui a pitié, c'est une personne impitoyable. Notre loi de 2005 est une loi d'inclusion ; or elle a probablement favorisé l'exclusion, et personne ne s'insurge que notre société se reconnaisse des "exclus", comme si ce n'était pas une deuxième façon pour elle de les mettre à la poubelle, parmi ces "déchets" (elle n'oserait plus appeler des hommes ainsi) dont elle fait le "tri sélectif" avec l'aide de sa "machine à papier", de sa machine à compresser les personnes en savoir-faire et savoir-être, de sa machine à recycler ou à réinsérer, qu'est l'administration, du jeu de laquelle est loin d'être sortie l'approche pratiquée par les MDPH et ses "équipes pluridisciplinaires" qui, ne voyant jamais ceux dont elles instruisent les dossiers, ne sauraient les connaître et entretenir avec eux des rapports de proxmité ; et qui, si, par extraordinaire elles les voyaient, seraient bien en peine d'échafauder avec eux des "projets de vie", pour autant que l'on ôte à cette expression sa charge dangereuse pour la valeur absolue de la vie, parce que ces "équipes pluridisciplinaires" sont avant tout, sont plus que jamais, au service d'une administration qui a eu beau créer, à travers la CNSA (caisse Nationale de Solidarité et de l'autonomie), une cinquième branche de la caisse Primaire d'assurance Maladie dont pas même la moitié n'a été dédiée aux personnes handicapées : cette caisse représente, de mémoire, à peine le triple de l'aide Médicale d'etat, donc est fort peu dotée, et satisfait désormais des besoins que le mécénat était prêt à continuer de combler, comme le financement des "aides animalières" ; l'etat se disant quant à lui hors d'état de tenir ses promesses, non seulement de supprimer les "barrières d'âge" pour l'attribution de la PCH, mais, ce qui est impossible dans les coupes drastiques que l'on pratique dans la fonction publique, de doter les MDPH d'un nombre d'employés suffisant pour qu'elles puissent véritablement être en lien avec les personnes handicapées ressortissant de leur juridiction départementale.
(NDLR

1. Faire une allusion sémantique à l'ancienne expression injurieuse de "déchets de la société" n'est certainement pas regretter sa disparition, ce qui se tire en toute logique du fait que l'auteur de ces lignes abhore le terme d'"exclusion" et croit voir sous "le tri sélectif des déchets" une apologie de "la sélection naturelle" et, à travers la poursuite des citoyens dans leurs moeurs les plus intimes et domestiques, les germes totalitaire d'une intimidation de l'homme sous couvert de sauver la planète.

2. Evoquer le fait que la CNSA soit dotée d'à peine le triple de l'aide Médicale d'etat, ce n'est pas se prononcer contre l'aide Médicale d'etat, cet exemple n'ayant été choisi que parce qu'au cours de notre table ronde, Marie-christine arnotu l'avait bien sûr évoquée en chiffrant elle-même son coût à 600 millions d'euros, chiffre qu'elle voulait faire claquer comme exorbitant auprès de son auditoire, alors qu'il est naturellement dérisoire en matière de dépense sociale ou comparé au "trou" de la sécurité sociale et au non recouvrement par l'etat des créances sociales dont sont redevables envers lui beaucoup de grandes entreprises.
Nous croyons avoir dissipé deux autres "sous-entendus politiques malveillants" dictés par la "haine" et dénoncés par notre lecteur, qui nous aura manifestement mal compris).

On peut donc oublier "la proximité" promise par la loi de 2005, et cet objectif ne pourra pas aller en progressant, comme s'en berçait encore d'illusions M. gohet au début de son intervention, en regrettant que tous les objectifs assignés par la loi, notamment aux MDPH, n'aient pas été atteints.

3. Nous avons déjà relevé que l'objectif d'équité, qui s'associait à celui de la simplification et de la proximité, et qui voulait éviter les inégalités de traitement entre les départements, a été entravé par la décentralisation, les dépenses de la PCH (Prestation de compensation du Handicap) en termes de ressources allouées aux personnes ne relevant apparemment pas de la CNSA, mais restant à la charge des Conseils généraux.


Aux trois aspirations dominantes à l'origine de la loi que sont la sécurité, la liberté et la dignité (nous noterons au passage que la sécurité devient le premier des droits de la personne handicapée, en quoi celle-ci se distingue encore des autres citoyens pour des raisons qui ne se justifient que par la pathologie, l'incapacité ou la déficience, mais différence qui nuit en tout cas à la citoyenneté à part entière revendiquée par ailleurs par la personne handicapée), la loi a voulu répondre par une simplification qui complique, une proximité qui favorise l'inégalité de traitement, contrairement au troisième objectif d'équité qu'elle s'est fixée.

Par ces trois "aspirations"-horizons et ces trois "conditions"-"objectifs" cette "loi de société" a voulu apporter trois réponses :

1. Le handicap ne devait plus être traité comme une "question à part", mais être envisagé "a priori", avant qu'il ne concerne tout ou partie de la société qui, à travers le cours de la vie des individus qui la composent, passerait par des phases de "handicap", de maladie, de dépendance. Or, là encore, sous l'intention généreuse, une idée souvent vraie, souvent, mais pas toujours ("répondre à la question du handicap, c'est faire progresser les conditions d'existence de l'ensemble du corps social, cf l'exemple des plateformes du bus emprntées par les personnes handicapées comme par les personnes âgées ou les femmes avec une poussette"), se mêle à deux aberrations :

a) Il faut traiter un problème quand il se pose. A le traiter a priori, on dépense des sommes faramineuses pour une "guerre à l'autonomie" qui ne sera jamais gagnée. Qui ne sera jamais gagnée, parce qu'on ne pourra jamais rendre tout accessible à tout le monde. Il faut donc prioriser les accessibilités aux besoins de ceux pour qui elles sont les plus urgentes. Mais qui ne sera jamais gagnée non plus, parce que telle solution qu'on mettra en oeuvre pour l'autonomie du plus grand nombre ne saurait convenir à toutes les "personnes à mobilité réduite", souffriraient-elles du même handicap. De là, le désarroi du "contribuable municipal" devant le fait que celui-là même pour l'autonomie de qui on a dépensé tant d'argent, a encore besoin de son aide ! De là, le gain en isolement de celui que les "balises d'autonomie" ne rendront jamais tout à fait autonome. Et que dire de la personne handicapée qui, cette guerre de l'autonomie, choisit de ne pas la livrer ? Ne devrait-on pas, en bonne équité, la sanctionner ? A partir de quand l'etat déclarera-t-il la chasse ouverte contre cette personne accusée de faire preuve de mauvaise volonté, comme il a déjà commencé de faire la chasse au pseudo ou au vrai faux chômeur ?

(NDLR: dire que cette chasse à ceux qui déclarent forfait au combat du "handicap" est au bout de la logique de l'autonomie et de l'accessibilité tous azimuts, ce n'est pas la souhaiter, surtout quand on remet en cause le lien soi-disant intrinsèque entre "handicap" et combattivité, avis pour rappel à ceux qui, comme l'ANPEA (Association Nationale des Parents d'enfants aveugles), militaient il y a une trentaine d'années pour que le mot de "handicapés" soit remplacé par celui de "différents", tout en éditant une revue intitulée "Comme les autres", cherchez l'erreur!)

b) Et puis, ne pas traiter le handicap comme une "question à part", c'est, au nom du droit, et même de l'amour de la différence, c'est philosophiquement n'aimer la différence que si elle est invisible. C'est une sorte de tartuferie qui consiste à "cacher cette différence que je ne saurais voir" sans souffrir, moi qui ne me prévaus du droit à la différence que s'il me devient indifférent, puisque j'ai cessé de le voir, puisqu'il a cessé de me heurter le regard et de me toucher les yeux.

2. On est parti du principe que "la première cause du handicap, c'était l'inadaptation... de la cité"." A quoi bon culpabiliser la société ? la première cause du handicap, c'est une déficience fonctionnelle à laquelle il faut s'adapter de son mieux. Mais la société, se sentant coupable, se disant qu'elle était la cause, elle et non le corps qui peut tomber malade, déchoir, a fait le pari généreux qu'"il faut rendre la société accessible", "toutes les activités de la société à toutes les formes de handicap". C'et folie ! Dès lors, on est passé du pari généreux au pari impossible comme nous croyons l'avoir démontré.

3. "Une fois qu'on aura rendu la cité accessible, il faut la rendre praticable par ces citoyens-là ; et, pour la rendre praticable, il faut leur permettre d'accéder à la compensation personnelle dont elles ont besoin". Qu'y aurait-il à redire à ce qui n'est, au fond, qu'une déclaration d'intention qui n'a pas varié entre la loi de 1975 et celle de 2005, la première répondant mieux, me semble-t-il, à toutes ces intentions sans prendre tant de soin de bien les exprimer ? Oh, presque rien, sinon qu'il n'est aucune catégorie de citoyens qui ne saurait réclamer tout sans contrepartie. La contrepartie, c'est la précarisation des personnes au profit d'une meilleure reconnaissance sociale, hypothétique. La contrepartie, c'est qu'il n'y a pas de droits sans devoirs. La société nous caresse de nos droits sans nous dire nos devoirs, nous devrions nous méfier. Car enfin, sommes-nous prêts à reconnaître que nous avons des devoirs ? Sommes-nous prêts à les accomplir ? Et auparavant, sommes-nous à égalité pour les accomplir ? Si nous reconnaissons notre inégalité, les mieux lotis d'entre nous sont-ils prêts à se sacrifier pour ceux qui vivent dans des conditions beaucoup moins décentes que les autres ? Sommes-nous prêts à envisager les conséquences de nos demandes exorbitantes ? Les avons-nous mesurées pour les différentes catégories de population qui composent le kaléidoscope sociologique hétéroclite de la déficience visuelle ? Y sommes-nous prêts avant que le marché du travail ne s'ouvre effectivement à nous ? Sommes-nous prêts, nous-mêmes, à évaluer, avec ou sans l'aide d'"équipes pluridisciplinaires", mais surtout avec des sociologues à qui nous passerions commande d'une enquête et qui nous réuniraient autant qu'ils auraient avec un échantillon représentatif d'entre nous, des entretiens individuels, sommes-nous prêts à évaluer le "handicap social" que représente la cécité ou la déficience visuel ? Sommes-nous prêts à nous engager à ne faire aucune demande dont nous n'ayons mesuré les conséquences ? Sommes-nous prêts à nous concerter, du haut vers le bas et du bas vers le haut, avant toute prochaine discussion avec les pouvoirs publics ?

"Nous sommes venus pour nous organiser pour résister, disait Vincent Michel au début de nos etats généraux: nous voyons bien en gros à quoi nous devons résister, mais nous sommes sortis de notre réunion aussi désorganisés que devant. N'y aura-t-il encore que des "associations gestionnaires du handicap" ou prenons-nous la main ? comment notre confédération compte-t-elle nous la donner ? C'est peut-être à ces questions qu'il nous faut désormais répondre.

bien cordialement

Julien weinzaepflen

vendredi 25 novembre 2011

Nos doléances, sous bénéfice d'inventaire

Chers amis,

Tout au long de nos échanges, je me suis efforcé d'inventorié nos popositions et doléances.

C'est cet inventaire que je voudrais vous proposer ici.

Pourquoi me permettre de proposer mon inventaire ?

1. Pour que vous le complétiez;

2. Pour aider le modérateur de cette liste, mais oui, je me pique de cette ambition !

3. Pour l'aider en lui accordant toute ma confiance, mais parce qu'il faut en même temps que nous exercions notre vigilance.

4. Pour dresser une liste sur laquelle j'espère que nous aurons un droit de suite, mais aussi un devoir militant.

Voici donc mon inventaire, à compléter par vous, à moins que vous ne préfériez m'opposer le vôtre :

I Revendications sociétales

Parentalité et déficience visuelle :

- Développer des unités semblables à celle de Madame Edith Thoueille de préférence à des recherches sociologiques, la nomenclature des besoins concrets des parents aveugles étant largement recensée et leur compétence à savoir élever leurs enfants étant depuis longtemps mises à jour ;

- Sensibiliser les services sociaux au fait qu’il est infâmant de menacer a priori de retirer ses enfants à des parents aveugles, dont beaucoup font écho qu'ils ont subi cette menace de la part des services sociaux de la maternité ou de la municipalité où ils habitent;

- réinterroger le "dogme" de l'intégration systématique des jeunes enfants dans le tissu scolaire ordinaire,

-laisser coexister les deux modèles: l'enseignement spécialisé et l'intégration scolaire précoce;


Accompagnement et sensibilisation

- accompagner psychologiquement les personnes devenues aveugles ou qui perdent progressivement la vue, se rapprocher d'elles, via les oftalmologues, pour qu'elles bénéficient des informations nécessaires,

- concevoir une vaste campagne nationale d'information et de sensibilisation sur la nécessité de rééduquer spécifiquement toute personne qui perd la vue,

- devenir les acteurs de la sensibilisation médiatique à la déficience visuelle et nos propres conseils en accessibilité, sans mépriser l'ingénérie de ceux qui se sont spécialisés dans ce domaine,

- devenir plus exigeants quant à la formation de nos auxiliaires de vie, de gériâtrie et de nos accompagnateurs dans le transport des personnes à mobilité réduite en général,


II Intégration sociale

Accessibilité

- savoir prioriser nos demandes en matière d'accessibilité,

- Promouvoir l'adaptation des appareils du commerce à notre usage : télécommandes de téléviseur, poste de radio, Iphones, écrans tactiles, téléphones portables, distributeurs de billets de banque, de tickets de train, de métro, ou de bus, orgues électroniques, pianos numériques, synthétiseurs...

- accessibilité du matériel plus encore que des lieux parce que l'intégration sociale passe par le recours à l'aide humaine,


Intégration sociale

- Créer une antenne des Auxiliaires des aveugles dans chaque ville où c’est possible, ou une structure similaire ; trouver des volontaires pour y participer ;

- Faire des établissements scolaires anciennement dédiés aux déficients visuels des antennes naturelles de leur intégration sociale, en partie pour désengorger les MDPH, en partie aussi pour pérenniser leur présence dans le tissu local comme interface de la déficience visuelle avec les partenaires institutionnels,

- donner un statut particulier aux Centres Régionaux de transcription du braille et créer partout des pôles d'accès aux nouvelles technologies ;

- encourager le maillage national de SAVS et de centres médico-sociaux de suivi des personnes déficientes visuelles ;


Intégration par l'emploi

- Réévaluer la pertinence des dispositifs d'aide au retour à l'emploi, les simplifier et les unifier,

- Augmenter les moyens alloués aux ESAT et les rendre attractifs, même à des aveugles ne souffrant d’aucun « handicap associé », voire à des personnes non handicapées, pour développer un modèle d’intégration alternatif horizontal, du milieu ordinaire vers le milieu spécialisé

- (Proposition faisant débat et suscitant une forte opposition, sans doute à retirer) promouvoir le Couplage ou la compatibilité de l’AAH et du RSA, avec astreinte similaire des déficients visuels à effectuer sept heures de travail d’Intérêt général Hebdomadaire pour leur conférer le statut d’ »actifs visiblement employables », dotés d'un poste de travail un tant soit peu adapté,

- développer le statut du travailleur indépendant auprès de l'AGEFIHP pour qu'elle contribue à cet équipement préalable et personnel, transférable dans le futur emploi,

- veiller à ce que des mesures incitatives soient prises, en vue du retour à l'emploi des déficients visuels ne souffrant pas de pathologies cumulées (dépression, schizophrénie par exemple)et s'étant résignés à ne pas exercer d'activité professionnelle, dans la crainte sans doute abusive de travailler à perte;

- donner un statut rémunérateur à la plupart des activités bénévoles des déficients visuels comme des précaires de façon générale;


III Nos revendications en termes de ressource

Philosophiquement,

- En débat, proposition disputée: revenir sur la notion de « situation de handicap", critère indistinct de la compensation de celui-ci, et substituer à cette notion une distinction entre la déficience objective, dont la compensation doit être personnelle, et le handicap (subjectif), dont la diminution est dévolue à la société et d'ordre social, et entraîne des réponses en termes d'accessibilité.

- Proposer cette nouvelle distinction, y compris pour l'établissement du budget de la branche de la sécurité sociale allouée pour partie aux personnes handicapées,

- suggérer des mesures de redéploiement du budget alloué au handicap, moins vers les structures et davantage vers les personnes,

- réfléchir à la situation des personnes souffrant de handicaps cumulés (ALD par exemple),

Plus concrètement

- aller vers des formulaires, lors du renouvellement de nos droits auprès de la MDPH, qui rappellent clairement le droit à la non rétroactivité de l’ACTP ,

- mais aussi militer pour qu'on sorte de l'absurdité du renouvellement systématique des preuves à apporter tous les dix ans de sa cécité, ce qui serait générateur d'économies pour la CPAM, dans les cas où celle-ci est irréversible,

-s'interroger sur les critères d'évaluation de la cécité et de la surdité, avant ou après appareillage prothétique ou/et orthétique;

- faire bénéficier les travailleurs reconnus handicapés commerçants, artisans et libéraux, de la diminution à trente ans de la durée de cotisation donnant droit à la retraite, acquise pour les autres travailleurs handicapés par la loi de 2005;

- Ne pas arrêter le versement des rémunérations pour les étudiants masseurs- kinésithérapeutes aveugles et malvoyants en reconversion professionnelle,

- en débat: ne pas définir le statut financier de l'étudiant aveugle en fonction de son âge, mais lui ouvrir le droit à une bourse d'étudiant, et récompenser son effort d'intégration en le mettant à l'abri du besoin de compléter ses ressources par des "petits boulots" ; le traiter financièrement avec une considération analogue à celle que constitue le tutorat pour son intégration universitaire, avancée récente et fort magnanime;

-ne pas priver de leurs droits à rémunération de formation des personnes ayant perdu la vue et s'engageant dans une reconversion professionnelle.


A présent que voici achevé cet inventaire, qu'il vous appartient de compléter, laissez-moi vous dire qu'il me semble que le handicap offre à la société une chance de se montrer magnanime et humaniste, ces deux adjectifs étant assez synonymes et le second pouvant paraître passé de mode à l'heure où la crise économique a l'air de passer au tamis l'humanisme comme l'ambition pour un pays d'être social.

Or, au-delà des redéploiements qui sont, ici comme ailleurs, considérables, si l'on veut bien se donner la peine d'évaluer les bonnes pratiques et de dévaluer les usines à gaz, qui se sont discréditées et disqualifiées, le handicap, par le simple fait qu'il ne rappportera jamais autant qu'il coûte, si ce n'est que l'enrichissement qu'il peut procurer peut faire fluctuer positivement la qualité des relations humaines, le handicap peut donner une chance à la société de renouer avec le sens de la gratuité.

C'est là au fond son privilège le plus insigne et le plus extravagant : rappeler à la société que l'utilitarisme n'est pas tout, qu'il y a une valeur intrinsèque à la vie humaine, dont gratuit faisant une irruption fatale dans une mécanique fonctionnelle.

Le handicap, qui est dysfonctionnel, est aussi un non sens économique. Il a pour fonction de rappeler à la société qu'elle n'est humaine que si elle est ordonnée au plus faible.

Mais il faut que noblesse oblige ! Il faut que le handicapé soit le premier, non pas à croire qu'il est corvéable à merci à l'enfer de la preuve et du dépassement de soi, non pas qu'il doit être jugé premièrement sur sa réussite, mais sur sa capacité à reconnaître qu'il a besoin des autres et à regarder comme à se rendre accessible à plus malheureux que lui.

Il ne faut pas que son "autonomisme" devienne un "tout-le-mondisme". Il faut qu'il essaie de ne pas céder à prendre son cas pour une généralité, mais qu'il apprivoise au contraire sa singularité ontologique. Il ne faut pas qu'il passe toute sa vie à essayer de rattraper ceux qui courent plus vite que lui. Il faut enfin et surtout qu'il ne renvoie pas à la société par un autonomisme exacerbé le reflet de son propre individualisme social.

Puisqu'il a intégré, pour le meilleur et pour le pire, qu'il a un devoir d'exemplarité, que celle-ci se déploie dans une humanité qui n'ait rien à prouver, mais beaucoup à donner et qui sache écouter beaucoup plus que se montrer.

"Le bonheur est une idée neuve en Europe", disait saint-Just au temps de la révolution. Que la conscience d'être un miroir de la gratuité tendu à la société soit une idée neuve dans le monde du handicap ! Que cette conscience passe dans les psychologies jusqu'à la réhabilitation de la pitié, de cette "pitié naturelle", qui est le premier sentiment de l'homminisation d'après rousseau, non seulement pitié que les autres peuvent avoir de nous, mais que nous aussi pouvons avoir des autres ! Que nous nous rappelions que le contraire d'une société pitoyable, c'est une société impitoyable ! Que nous sachions ne pas nous mmontrer impitoyables, et ces etats généraux n'auront pas manqué leur but : ils nous auront fait avancer, et la société avec nous.

Cordialement, dans une projection vers demain, ses luttes pour nos droits et l'accomplissement de nos devoirs,

Julien weinzaepflen,

Le refus immotivé de faire acception de ressources coûte cher au modèle social français

Le refus de l'acception de ressources est un point de notre droit qui m'a toujours choqué et qui, s'il disparaissait, libérerait beaucoup de ressources pour notre "modèle social" qu'on dit grevé de sa générosité.

pourquoi ne pas faire acception de ressources dans le versement des différentes prestations sociales, ceci débordant bien évidemment le cadre de la déficience visuelle, mais s'étendant aux prestations familiales et même au degré de remboursement qui est le même, qu'on soit smicard ou multimillionnaire, des frais médicaux par la caisse Primaire d'assurance Maladie, de sorte qu'à la fois on détourne le principe fondateur de la sécurité sociale :

"de chacun selon ses besoins à chacun selon ses moyens", .

et on aboutit à une médecine à deux vitesse.

Si les ressources étaient prises en compte dans le calcul de ces dépenses et dans la globalité des actes commerciaux, on n'arriverait pas à cette aberration que l'on reste longtemps non imposable, même quand on a relativement de quoi vivre alors que tout le monde est à égalité devant l'impôt indirect. Tout le monde paye la même TVA,

Je me souviens qu'au moment de la discussion de la loi de 2005, le CFPSAA était vent debout contre l'acception de ressources et je n'ai jamais compris pourquoi.

Tout se passe comme si l'allocation adultes Handicapés (AAH), qu'on refuse de cumuler avec le RSA et qui est déplafonnée, à peine un travailleur touche-t-il un revenu salarié, ce qui n'est guère incitatif au retour à l'emploi et donne le sentiment aux travailleurs handicapés d'être les seuls à travailler à perte, était la seule prestation sociale qui fasse exception à la règle de non acception de ressources. Comprenne qui peut.

L'intégration scolaire précoce, le témoignage sur le vif d'une expérience déjà ancienne

Témoignage de CD.



Bonjour,

Je n'ai aucune prétention de résoudre la question, je ne peux livrer que ma propre expérience d'enfant DV intêgrée totalement dans tous les milieux sociaux ordinaire depuis ma toute petite enfance.

Juste pour donner une petite idée du contexte, mon handicap visuel vient d'une cataracte congénitale due à la rubéole que ma maman a contractée durant sa grossesse. Malgré des examens sangains qui lui montraient que l'atteinte n'avait pas eu lieu, je suis née quand même avec de gros troubles, jugée non-viable à la naissance, puis avec deux ans d'espèrance de vie maximum.
Mes yeux sont malformés, leur croissance et leur évolution ayant été stoppée net, j'avais un gros souci cardiaque et pas mal de petits défauts physiques, genre si je voulais passer inaperçue, c'était raté! lol.
Mes parents, absolument pas conseillés parce que de toute façon on leur avait dit de ne pas s'attacher à "ça" et de faire un "bébé de remplacement", se sont débrouillés comme ils ont pu.
Je grandissais, je guérissais de toutes les maladies qui me sont tombées dessus les unes après les autres, je parlais, riais, chantais, courais, fonçais partout... Donc un jour un médecin a donné une adresse sur Lyon à mes parents pour qu'on voie si je pouvais être opèrée des yeux.
C'est ainsi qu'à l'âge de 3 ans j'ai pu voir réellement un peu.
Pourtant, mes parents, qui travaillaient, se sont d'abord battus pour que je me fasse accepter en crêche, et apparamment ça a été très très difficile, puis à l'école maternelle.
Je me souviens qu'on m'avait mise dans une classe spéciale de mon quartier, avec une instit qui pratiquait une pédagogie différente et qui ne prenait que les élèves dont on n'espèrait rien. Je me souviens encore de cette chaleur humaine, de toutes ces petites choses qu'on apprenait en touchant, en répêtant, en regardant de très près, en comparant... Plus tard, je retrouverai cette pédagogie en exerçant mon métier d'éducatrice. ça a vraiment été une année extraordinaire et moi j'ai progressé.
Ensuite l'instit qui a pris le niveau du dessus ne voulait pas savoir que j'avais besoin d'aide, les récréations passées devant une feuille parce que je ne comprenais pas l'exercice, des punitions, des mises à l'écart parce que j'étais bête, c'est ce qu'elle disait aux autres.
Un déménagement m'a sauvé la mise et je suis retournée dans une classe avec une super instit, petit effectif, et je suivais normalement, il me fallait juste un peu plus de temps que les autres pour certaines tâches plus fines.
Je suis entrée au CP en même temps que les autres, j'ai appris à lire, écrire, même si je ne voyais pas bien du tout le tableau. J'avais le droit de me lever et de me planter le nez dessus, et même d'y revenir pendant la récré si je voulais, avec l'instit pour me réexpliquer ce que je n'avais pas bien compris.
Parce que moi, les récrés... à part me faire moquer, qu'on joue avec moi "pour du beurre", ça n'avait rien de bien interessant, et je n'avais pas trop le droit de courir, pour ne pas buter dans un autre camarade et casser mes épais verres de lunettes qui valaient si cher. Donc, autant que possible, j'évitais la cour.
J'ai fait toute ma primaire ainsi, sans redoubler, et je suis bien vite devenue meilleure en français plutôtt qu'en mathématiques, ça me demandait un temps infini pour bien cerner le problême et comprendre ce qu'on me demandait. Comme on ne me laissait pas ce temps, et que de toute façon tous les élèves ordinaires ont une matière faible, on m'a casée dans les nulles en maths et puis voilà.
Le souci qui se posait, c'était de pouvoir lire les livres scolaires, d'abord c'était pas mal gros pour les premiers livres de lecture, avec plein de couleurs, puis, plus les années passaient, plus c'était écrit petit et plus c'était sombre et triste.
C'est là que ma famille aurait eu besoin d'aide, de conseils et d'écoute.
Ils ne savaient même pas oû s'adresser vu qu'ils avaient refusé ma scolarité dans l'établissement spécialisé de ma ville, quand ils y sont allés, ils ont eu tellement peur des enfants qu'ils y ont croisé qu'ils ont refusé que j'y fasse même un essai. Donc on les a laissés dans la m..., non seulement eux mais moi surtout.
Personne ne leur a jamais parlé du matériel de base, je n'avais qu'une petite loupe pliante de poche, que je devais changer régulièrement pour un grossissement plus gros. Et rien que ça, ça m'en a occasionné des problêmes avec les autres élèves, des sobriquets idiots qui me suivaient partout, des moqueries incessantes, je n'étais plus moi, j'étais ce surnom, c'était invivable!
Comme chez moi, la tactique était de ne pas répondre pour que la rumeur s'en aille toute seule, évidemment ça a duré, duré, duré... jusqu'à ce qu'un jour j'explose et que je frappe littéralement les instigateurs de la dite rumeur. Puisque jamais aucun instit ni la Directrice de l'école n'ont rien fait pour ma défense, jamais expliqué aux élèves, ils se sont sentis coupables et je n'ai pas été punie pour ça.
Comme par magie, la rumeur s'est terminée définitivement ce jour-là précisément.

Au collège, pour que je sois dans une classe avec de bons élèves, mes parents m'ont fait prendre allemand première langue, effectivement j'étais dans la crème de la crème niveau travail mais dans le sommet de l'idiotie niveau camaraderie. J'ai dû les supporter 4 ans, jusqu'à la fin de ma 3ème, parce qu'en plus ma famille m'a fait choisir anglais et latin, pour ne pas tomber avec n'importe qui et continuer à travailler comme il fallait.
ça, pour bosser, j'ai bossé, je n'avais que ça à faire d'ailleurs faute de camarades de classe sympa et faute de solidarité si j'avais besoin de voir quelque chose au tableau.
J'ai très très vite appris à écouter ce que racontait le prof et à prendre en note par écrit. Résultat, je ne faisais pas du tout perdre de temps à la classe et il avait été un temps question que je sois la référence pour la prise des cours aux copains malades. J'ai refusé en bloc parce que, quand moi j'avais besoin qu'on me copie au carbone un shéma au tableau, personne ne voulait le faire, certains se faisaient même payer pour ça!
De moi-même je suis donc aller enquiquiner les profs pour qu'ils m'aident et j'ai fini par aller voir le Chef d'établissement pour avoir gain de cause.
Evidemment, "la ptite handicapée", elle s'est très vite faite mal voir et les moqueries ont recommencé de plus belle...
J'ai terminé mon année de 3ème par de terribles crises d'angoisses, une phobie scolaire qui a duré plusieurs mois et j'ai dû être prise en soutien par un pédopsychiâtre tellement j'avais plus envie de rien et tellement les autres en général me dégoûtaient.
Malgré tout, je me suis accrochée, je suis retournée en cours et j'ai eu mon BEPC, puis je suis entrée au lycée.

Là j'ai fait une section d'études qui me plaisait énormément, j'avais décidé depuis longtemps que je m'occuperai d'enfants, alors en sciences médico sociales, c'était le top!
J'ai appris beaucoup, sur des tas de domaines très diff"érents, de bonnes bases en droit constitutionnel, droit de la famille, médecine, psychologie, éducation, secrétariat, sténo, synthèses et analyses de documents, confrontation des idées, jeux de rôles pour défendre un point de vue sur un projet par exemple (pour la construction d'un autoroute, être l'architecte, l'écolo ou la personne expropriée...), c'était très très intense et enrichissant.
Evidemment, toujours des idiot, ou plutôt des idiotes puisque je n'étais que parmi des filles dans ma classe. Mais là, les profs ont réagi et de lourdes sanctions ont été prises contre certaines, et la plupart de mes camarades me soutenaient, m'aidaient pour que je puisse avoir les shémas soit au carbone soit en photocopie sur grand format. Pour travailler, les conditions étaient plutôt bonnes. Fallait juste donner beaucoup de soi et de son temps, mais ça en valait la peine.

Après avoir eu le Bac, je suis entrée en formation d'éduc-spé. J'étais super motivée, j'avais eu le concours d'entrée au bout de la seule et première tentative, alors que je n'avais pas encore le Bac! Je me suis rendue compte après coup que pas mal de mes camarades de promo ont dû passer ce même concours dans divers endroits et à plusieurs années coup sur coup avant de l'obtenir. Aïe, je suscitais déjà des jalousies à peine arrivée, qui sait si on ne lui avait pas donné son concours à "l'handicapée"? ça commençait mal!
Evidemment, ces souppçons m'ont poursuivie durant les 3 ans de formation... En plus j'avais un suivi personnalisé, manque de bol c'était un formateur tout jeune et tout mignon, et bien il a été dit que j'y allais pour qu'il m'augmente ma note en échange de quelque petit plaisir partagé!!!
Ignoble, infâme!
J'ai donc fait stopper ce suivi et j'ai bien fait préciser que mes notes n'étaient que le reflet de mon travail, bonnes quand elles devaient l'être et mauvaises quand c'était le cas.
ça n'a jamais calmé les rumeurs, et même lorsque j'ai eu mon D.E, une membre du Jury m'a dit en sortant que si je n'avais pas été handicapée, jamais je n'aurais eu mon diplôme et qu'elle allait s'arranger pour que je ne sois jamais embauchée en CDI sur Reims, parce que je n'avais pas à faire ce boulot, c'était pas ma place.
Je vous assure qu'elle l'a fait...

Je ne saurai dire ce qui est bon ou pas, ce qu'il aurait fallu faire, c'est mon parcours.
J'ai eu la chance de pouvoir suivre niveau compréhension, d'avoir un reste visuel suffisant pour que je puisse me débrouiller seule, même si je dois bien avouer que, avec le recul, avoir fait beaucoup d'imprudences et avoir dépassé souvent les limites de la sécurité étant enfant. Mais je naviguais entre le laisser-faire, histoire de se donner l'illusion que j'étais comme les autres, et le coocooning, parce que, la pauvre petite... Mais me dépasser me plaisait beaucoup, donc voilà.

Le plus dur, est le manque de relations sociales normales, le manque d'amis, de contacts autre que malsains avec les autres.
Les profs et instits n'étaient pas du tout informés ni formés pour gèrer ça, eux aussi comettaient pas mal de maladresses, faut être super solide pour résister à tout ça.

Après, on ne peut pas généraliser, mon parcours n'est pas celui d'un autre, un enfant aveugle de naissance ne réagira pas comme un enfant malvoyant, chaque cas est à prendre de façon individuelle me semble t il.

C'est ce qu'on faisait quand j'étais éduc-spé. Les gamins déficients intellectuels qui pouvaient être intêgrés l'étaient et ceux qui ne le pouvaient pas poursuivaient leur projet, soit en leur donnant plus de temps, soit en en modifiant les objectifs. On ne peut pas prendre un groupe et faire un projet d'intêgration pour un groupe, c'est de l'individuel.

Pour ma part, je me dis que j'ai eu beaucoup de chance d'avoir pu en faire une force de tout ça. Certes ça m'a forgé un caractère que beaucoup n'apprécient pas, mais au moins je suis toujours là malgré tant de nuisances envers ma personne.
Alors quand on a bien cerné à fond la connerie humaine chez les valides et que, quand on arrive auprès des personnes DV et qu'on pense y trouver un peu de solidarité, d'écoute et de conseils... et qu'au lieu de ça on trouve des gens, même si c'est pas une majorité entendons-nous bien, mais ce sont les premiers que j'ai rencontré durant des années, des gens disais-je qui ne pensent qu'à se moquer, qu'à être méchants, qu'à propager eux aussi des rumeurs niveau maternelle, qui ne partagent pas leurs informations, qui vous cassent si vous osez dire que vous n'êtes pas d'accord... je vous assure que ça ne fait pas spécialement envie de s'en sentir solidaire, de penser en faire partie... Combien de fois ai-je plutôt eu envie de fuir cet univers pire que celui des gens qui voient!!!
Faire partie d'une quelconque communauté... euh non, pas vraiment.
Je me sens surtout plutôt genre extra-terrestre, pas comme les voyants mais pas comme les DV non plus, enfin pas dans une certaine forme de mentalité qui attendent tout sur un plateau, qui ne savent pas se tenir correctement en sortie quand ils sont à plusieurs, auxquels rien jamais ne convient... non, surtout pas à ces personnes-là.
Mais il faut de tout pour faire un monde, alors qu'ils tracent donc leur route et moi la mienne, avec juste du respect quand on se croise, c'est tout.

Pour finir, je me dis que votre message ferait beaucoup de peine à une amie, maman d'un petit garçon autiste et qui se bat pour qu'il soit intêgré à mi-temps dans une classe spécialisée sinon le petit devrait rester chez lui sans stimulation adaptée à son handicap et il serait condanné, à long terme, à terminer ses jours en institution psychiatrique...
Ne rien généraliser surtout...

Cordialement.

C.

Pour lire d'autres témoignages, on se reportera utilement aux archives publiques du forum des etats Généraux de la Déficience Visuelle consacrées à l'aspet social du problème.

Rechercher sur google socialegdv, forum Yahoo.

L'intégration scolaire précoce

Chers amis,

N'est-il pas un peu tard pour aborder un sujet si sensible ?

Et peut-on encore inverser la tendance ?

De fait, nous avons beaucoup, sur cette liste, évoqué des préoccupations d'adultes.

Or, pour m'être entretenu ce matin avec un professeur en SAAAIS, pour avoir encore présent à l'esprit l'aveu que me fit la dernière directrice de l'école où je suivis ma scolarité jusqu'en 4²ème, je ne crois pas abusif de conclure un peu témérairement des acteurs de la vie scolaire qui ce que pensaient les acteurs de la vie scolaire qui s'en sont ouverts à moi de l'intégration des jeunes enfants, que celle-ci est loin d'être une réussite, mais qu'il ne faut surtout pas le dire, pour ne pas froisser l'education Nationale, ni les parents d'élèves.

La première a fait de l'intégration précoce des enfants handicapés un dogme, sous l'influence des seconds. On ne peut pratiquement plus s'y déclarer opposé sous peine de passer pour quelqu'un qui défendrait la discrimination. Or les acteurs de l'Education Nationale, les enseignants qui se trouvent avoir dans leur classe un élève déficient visuel, non seulement ne connaissent guère sa problématique et les ressources qui pourraient lui permmettre de poursuivre une scolarité normale, mais ne se montrent guère assidus lors des sessions de sensibilisation marathon qui sont organisées pour mieux les faire appréhender l'univers de leur élève, et ne sont jamais sanctionnés lorsqu'ils n'y participent pas.

Quant aux parents, qui ont obtenu de haute lutte de pouvoir mener une vie familiale normale avec leur enfant aveugle ou malvoyant de naissance, ils l'ont fait sans savoir qu'ils ne connaissaient pas les bases palliatives du handicap visuel, non sseulement le Braille, la géométrie ou la géographie adaptée, mais les moyens sensorimoteurs d'acquisition de l'autonomie pour un enfant déficient visuel, de la locomotion à la psychomotricité, à l'apprentissage du toucher et de l'habileté dans les travaux manuels.

Les élèves qui, très tôt, sont immergés dans le grand bain du milieu ordinaire, doivent montrer beaucoup de dextérité pour acquérir instinctivement des stratégies de contournement des obstacles qui se lèvent sur le chemin de leur acquisition du savoir, à commencer par le tableau noir.

Ces élèves, en sus, sont dans la situation d'un quasi "travail des enfants", certes pour leur compte, dans la mesure où ils font une quadruple journée : la journée scolaire proprement dite, les heures de permanence consacrées au travail avec leur professeur de SAAIS et leur Auxiliaire de Vie scolaire, le temps long du ramassage scolaire et les devoirs à faire à la maison.

La plupart des acteurs de la vie scolaire avec qui j'ai parlé conviennent que les élèves déficients visuels devraient suivre leur scolarité dans un Institut spécialisé durant les années du primaire, pour acquérir les bases qui leur sont propres et ne pas connaître l'épuisement et le combat dès la petite enfance, puis être intégrés, certes le plus tôt possible, mais chacun en son temps.

Est-il désespéré de faire entendre raison en haut lieu aux parents comme à l'education Nationale et de revenir sur ce dogme créateur d'anarchie scolaire qu'est la scolarisation obligatoire de tous les élèves, sans discrimination, dans des classes ordinaires ?

J'espère que non.

Toutefois, je suis conscient qu'il fautmitiger ce point de vue d'une nuance importante.

A vrai dire, nous sommes au milieu du gué, et il est trop tôt pour savoir si cette forme d'intégration obligatoire et précoce va développer l'intégration sociale ou non. C'est de fait la seule chose qui compte.

Quand ma génération est sortie de l'INJA (je suis né en 1973), on disait qu'une personne sur dix s'intégrait un emploi. Bref, la scolarité profitait selon sa suite logique à un dixième à peine de ceux qui l'avaient suivie. Il faut nuancer le bilan humain d'un bilan social pour lequel on n'a pas le recul nécessaire. Or la probabilité va dans le sens de prévoir que, plus tôt on aura côtoyé les autres, mieux on saura s'intégrer à leur monde et plus on se rapprochera de la normalité, qui n'est pas un horizon indépassable, mais avoir accès à un "bonheur normal" (l'expression existe, elle n'est pas de moi) est tout de même souhaitable.

En attendant qu'on ait pris ce recul peut-être faudrait-il proposer une "scolarité à la carte" sans abandonner, ni l'une, ni l'autre des deux possibilités de scolarité, mais en proposant la meilleure réponse en fonction de l'élève et du souhait de ses parents, à qui la société n'a bien sûr pas le droit de confisquer leur autorité.

On peut craindre que cette multiplicité de l'offre ne soit jugée trop complexe par les autorités de tutelle qui auraient à l'avaliser. Or, dans toute autre domaine, la sagesse du législateur veut que l'on propose ad experimentum, pour expérimentation, un nouveau modèle avant de l'évaluer. Cette coexistence des deux modèles avant qu'on soit en mesure de dresser le bilan social qui évaluera le modèle de l'intégration scolaire obligatoire pour tous les élèves dans le milieu ordinaire est donc de pure et simple sagesse législative.

Julien weinzaepflen

mardi 22 novembre 2011

La diversification des ESAT, ou pour un modèle d'intégration horizontal (ou d'intégration à l'envers)

> Cher clément,

> combien ce que vous dites est vrai ! On n'a pas abordé ce sujet, je m'étais
> promis de le faire, mais sans vous, j'aurais oublié et ç'aurait été bien
> coupable, ne serait-ce que parce que le premier degré de vérité que contient votre message est que, manifestement, le niveau culturel, syntaxique et
> intellectuel de ceux qui prennent part à ces discussions est au-dessus de la
> moyenne et qu'il y a donc beaucoup de "sans voix" qui n'auront pas dit ce
> qu'ils pensaient de nos problèmes. (...)

> Je trouve de la vérité à ce que vous écrivez à trois autres niveaux :

> 1. Pour commencer par le plus simple, oui, il faut des moyens pour les ESAT,
> et sans pouvoir me prononcer si le budget affecté aux personnes handicapées
> est suffisant, du moins est-il important, et beaucoup de redéploiements
> seraient à souhaiter, beaucoup de dispositifs ne servent à rien, et beaucoup
> d'argent part dans le trou sans fond du financement de services qui ne sont pas
> prioritaires.

> 2. Votre expérience rejoint donc la mienne, et vous osez formuler comme je
> l'ai fait, ce qui paraît un tabou rarement levé, que beaucoup d'aveugles de
> naissance souffrent en plus d'un "handicap associé", d'une "maladie de
> l'intelligence" ou d'un autre trouble moteur, sans que ce simple constat
> paraisse intéresser la recherche, de crainte que l'on conclue hâtivement que
> tous les aveugles seraient débiles, bien sûr que non, mais afin que l'on
> essaie de comprendre ce qui relie les unes aux autres ces déficiences, lorsqu'elles sont cumulées.

> 3. Non seulement beaucoup d'aveugles souffrant d'un handicap associé
> trouveraient leur place dans des ESAT qui auraient plus de moyens, mais beaucoup d'aveugles qui ne présenteraient pas de déficience intellectuelle souhaiteraient d'y trouver un emploi si, comme vous le dites, les activités que l'on pouvait y exercer étaient plus valorisantes que la chaiserie ou le
> conditionnement, au mépris des capacités du public auquel on s'est accoutumé
> que ces structures s'adressent.

A ces activités plus valorisantes, pourraient être intéressées des aveugles souffrant d'un handicap associé, mais aussi des aveugles ne présentant pas d'autre trouble ni déficience intellectuelle, d'autant plus s'il était possible de faire travailler dans ces entreprises des personnes ne souffrant d'aucun handicap, sensibilisées au préalable à la problématiqque des personnes handicapées, ce en vue, moins d'espérer une hyypotétique réinsertion des déficients visuels dans le milieu ordinaire (pourquoi l'intégration des aveugles devrait-elle être toujours à sens unique et verticale ?) que de faire de ces structures des "milieux ordinaires" en miniature.

> Je connais au moins deux exemples d'ESAT, l'une gérée par l'AVH et l'autre
> par "voir ensemble", l'une où l'ambiance est exécrable et l'autre où elle est
> excellente (vous devinerez vous-même dans laquelle l'ambiance est quoi), où
> on a eu l'idée de faire travailler les aveugles qui le pouvaient sur le
> support écrit, dans l'une pour faire saisir au kilomètre à ces employés des
> rapports de réunion, d'assemblée générale, de comités d'entreprise, de
> conférences ou de colloques ; dans l'autre, on a poussé le pari de "la
> lumière par le livre" et de "l'avenir par la culture" (les plus anciens reconnaîtront un clin d'oeil à la devise d'un organisme qui n'existe plus)
> jusqu'à travailler dans le secteur de l'édition adaptée et à faire participer leurs employés à la fabrication du livre, de sa saisie à sa correction,
> moyennant, pour ceux qui voudraient aller plus loin, une remise à niveau en français, d'autant plus efficace que le produit sur lequel ils travaillent
> étant concret, l'apprentissage des difficultés du Français devient utile.

> Un dernier point, pour déborder un peu le cadre de votre message.

Je crois savoir que les CAT (Centres d'aide par le Travail) n'existent plus. Une grave atteinte au code du travail qui y avait cours était que les employés de ces structures n'avaient pas le droit de se syndiquer, ce qui a été heureusement corrigé dans les ESAT, où l'on élit un délégué du personnel, de manière à pouvoir faire
> progresser les revendications sociales des employés de ces structures de
> l'intérieur et par eux-mêmes. Qu'en est-il aujourd'hui pour les CAT ?
> Existent-ils encore et cette grave atteinte au droit du travail a-t-elle été
> corrigée ? je serais heureux de le savoir.

> Cordialement et en vous remerciant beaucoup d'avoir soulevé ce problème.

Julien weinzaepflen

Plus de moyens pour les ESAT (Etablissements et Services d'aide par le travail)

Par clément Gass

Bonjour, ce sujet n'a pas encore été évoqué, mais nous devons revendiquer une
augmentation des moyens des Ésat et autres ateliers de travail protégé. Sur ces
listes (NDLR: listes de discussion des etats Généraux de la Déficience visuelle), il n'y a probablement que des DV (Déficients visuels) autonomes qui aspirent à travailler en milieu ordinaire, mais pour beaucoup d'autres il n'y a pas d'autre issue possible qu'une place en Ésat.

Beaucoup d'aveugles complets de naissance ont en plus des troubles mentaux associés, et il serait fantaisiste de penser qu'ils
puissent s'insérer en milieu ordinaire, si déjà les malvoyants avec bac +5
galèrent pour trouver du travail.

Le problème est que, vu leur peu de moyens, certains Ésat préfèrent recruter les handicapés les plus légers, qui seront plus
rentables, et recrutent à ce titre sur le même mode que les entreprises
soucieuses de remplir leur quota de 6%.

Je connais un Ésat pour DV géré par une association nommée "Les Cannes Blanches", et pour y être allé avec un voyant, je peux vous dire qu'il y a à peine le quart des employés qui ont besoin d'une canne blanche pour se déplacer. C'en serait comique si le sujet était plus léger.

Parmi les employés de ce même Ésat, il y a un ancien camarade de classe à moi,
dont je me suis toujours demandé ce qu'il faisait en école spécialisée. Il n'est
pas plus malvoyant que les millions de français myopes ou presbytes. C'était
toujours le premier pour faire des sales coups aux aveugles dans la cour de
récréation.

Mais aujourd'hui, lui a une place en Ésat, alors que la plupart de
ses camarades aveugles n'ont rien, voire ont une place en foyer occupationnel ce
qui revient au même, parce que ces foyers sont régressifs et on n'y travaille
même pas l'autonomie, ce sont des maisons de retraite pour jeunes aveugles
rejetés par leurs familles...

Enfin, les rares Ésat qui emploient de vrais aveugles se cantonnent à la
chaiserie ou au conditionnement, choses fort peu valorisantes. Mais c'est la
même chose pour les autres handicaps: je connais un Ésat pour handicapés mentaux
à Troyes qui fait de très bonnes choses dans le domaine musical, mais son avenir
est incertain parce que le financement d'une place dans cet Ésat est 10% plus
cher que le financement d'une place dans un Ésat de conditionnement.

Alors plutôt que de dépenser des fortunes pour la mise aux normes
d'accessibilité de bâtiments dont il est improbable que des handicapés les
fréquentent (exemple de vestiaires d'un terrain de foot près de chez moi),
plutôt que de financer des licences de Jaws à 1800€ pièce, plutôt que de
financer le développement d'applications iPhone dont la seule fonction est
d'annoncer le temps d'attente pour le prochain métro (cas de la Ville de Lyon),
on ferait mieux de financer des places en Ésat !

Le budget handicap de l'État et des collectivités est relativement élevé, mais
très mal utilisé.

Cordialement,

Clément

Handicap ou déficience?

Ma réponse à M. Michel gouban.

Cher Michel,

Si je vous comprends bien et surtout si j'essaie de résumer et simplifier votre propos, il faudrait faire un distinguo entre déficience et handicap.

Réduire le handicap serait le rôle dévolu à l'accessibilité en général, tandis que palier les déficiences serait le rôle des allocations compensatoires et des associations venant en aide aux personnes.

Gommer, ignorer, minorer, faire oublier le handicap s'imposerait en matière d'empoi pour que le travailleur atteint d'une déficience ne se voie pas répondu que "ça ne va pas être possible" avant le premier entretien d'embauche.

Autrement dit, le handicap serait à réserver aux politiques priorisées de diminution des situations handicapantes par le biais de l'accessibilité, tandis que la déficience resterait l'instrument de mesure de la compensation financière ou humaine de l'atteinte physique ressentie par la personne.

Il me semble qu'une telle clarification est plus qu'enrichissante et eût gagné à être énoncée en ces termes au moment où était discutée la loi de 2005, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire, et proposer au législateur des distinctions dialogiques plus simples que celles que suggère le vocabulaire sociologique qui, transposé en norme juridique, aboutit, si sa transposition n'a pas cela pour vocation, à léser les personnes sous prétexte de mieux remédier à leur situation, en diminuant le handicap, quitte à oublier la déficience.

Introduire une telle distinction entre handicap et déficience aurait pu permettre, pourrait permettre encore, de séparer nettement les lignes budgétaires dédiées, l'une à la compensation des déficiences et l'autre à la diminution du handicap, pour autant que ces budgets soient extraits de la part de la cinquième branche de la Sécurité sociale qui est consacrée pour partie au handicap, de par la loi de 2005.

Ne conviendrait-il pas, en vue d'améliiorations indispensables à apporter, non seulement à la rédaction, mais encore à l'application de la loi de 2005, d'affiner la distinction que j'ai peut-être un peu librement tirée et par trop simplifiée de l'analyse que vous nous proposez ?

Dans l'espoir de pouvoir en discuter plus avant avec vous,

J. Weinzaepflen

"Situation de handicap" ou "handicap de situation"?

Réponse de M. Michel Gouban à mon interpellation.

"Cher Julien,

Je me souviens de cet article (NDLR: le lire ci-dessous sous le titre: "Handicap, à la croisée des regards") qui visait à expliciter la notion de handicap de façon à ne pas la confondre avec la déficience notamment. Or, je constate que cette notion est largement confondue avec la maladie ou la déficience quelle qu'elle soit.
Je pense qu'il ne serait pas inutile qu'une association, comme la CFPSAA peut-être, organise un congrès sur la question du handicap.

En effet, en fonction de ce dont on parle, quand il s'agit de communiquer avec les organismes sociaux pour revendiquer des prestations, il convient d'amalgamer la déficience et le handicap. Ainsi, je ne suis plus aveugle, mais handicapé et si possible, très handicapé. Dans la société, dans la vie de la cité, il faut bien identifier les situations de handicap, si on veut tenter de les réduire. Si dans ce contexte nous nous disons tous handicapés, il n'y a aucune raison que l'on fasse la différence entre les conséquences de la surdité, la cécité et la déficience motrice ou mentale ou psychique pour l'accessibilité à la voirie ou au cadre bâti ! Et, si on veut, avec une déficience importante trouver un emploi, on a intérêt à minorer la question du handicap si on ne veut pas se faire jeter avant même d'avoir décrocher un entretien. Donc, le handicap peut se lire au travers du "menu contextuel". Il convient juste de savoir quelle paire de lunettes nous avons prise pour regarder les choses ! Or, dans mon article, il ne s'agissait nullement de gêner qui que ce soit, juste faire le point sur des façons différentes d'approcher cette notion qui, je vous le concède, n'est pas un concept universellement reconnu ! Ce qui fait, que nous pouvons avoir des approches plurielles.

Il est intéressant par exemple de regarder comment les associations, par le biais de leur intitulé, approche la question du handicap. Les Auxiliaires des Aveugles par exemple, ont une approche sociale et individuelle de la question ils ciblent l'aide à la personne aveugle, or, la cécité c'est quelque chose d'objectif et bien lisible pour les personnes bénévoles dont ils ont besoin pour les services à la personne. Pour autant, ils tendent à diminuer le désavantage donc le handicap.
L'association Handicap Zéro par exemple, a, de mon point de vue, une approche davantage sociétale, elle s'attaque à des problèmes de société, plus universels. Cette asso se propose de travailler en amont, vers les opérateurs de téléphonie, les labos pour les médicaments, la société du tour de France... du coup, ils entendent légitimement travailler à la réduction du handicap, c'est-à-dire de la difficulté ou du désavantage rencontré par les personnes aveugles et malvoyantes en général et, par suite, par chacun en particulier évidemment. Et il est légitime de se proposer d'aller jusqu'au zéro du handicap !

Mais, même après avoir réduit le handicap, nous n'en serons pas moins toujours aveugle ! Les deux approches sont complémentaires, avec un angle d'attaque dialogique.

Pour les kinés, ils se sont appelés U M K A, Union des Masseurs Kinésithérapeutes aveugles, puis en 1985, avec l'émergence de la prise en compte de la malvoyance on a mis handicapés visuels, désirant englober les différents niveaux de déficience, et, en 2001, j'ai souhaité que l'on retourne à la cible des mots aveugles et malvoyants, car, le handicap étant synonyme de désavantage, je ne pensais pas, ainsi que mes confrères, que le désavantage était porteur d'une quelconque manière pour l'emploi !

En 1993, dans un article de licence traitant du handicap, Hervé cochet montrait qu'il n'y avait pas de "situations de handicap", mais que des "handicap de situation", ce qui mettait bien le curseur sur la contextualité de la difficulté et aussi, sa labilité...

Oui, la loi de 2005 ou tout du moins ses décrets d'applications, ne s'appliquent pas, en ce qui concerne la retraite, à tous les travailleurs des différents secteurs d'activités.

J'espère ne pas avoir été trop long, peut-être hors sujet, et suffisamment explicite. Mais, la question est complexe et donc on pourrait en parler longtemps !
Je pense qu'améliorer notre culture de la question du handicap, pour nous, les personnes dites stigmatisées (GOFFMAN) et pour les "normaux" même auteur, ne peut que renforcer la communication entre les publics et la pertinence des actions associatives notamment !

Michel gouban

Michel Gouban, un pompier pyromane?

Lorsqu'en 2002, j'ai lu l'article de Michel gouban, "le handicap à la croisée des regards", j'ai compris qu'un tournant était en train de se produire, que l'auteur de cet article, en se bornant simplement à vulgariser le discours sociologique sur le handicap", ne savait pas qu'il favorisait.

Quelle ne fut pas ma stupéfaction, neuf années plus tard, de lire le même auteur, citoyen ou administré, ne pas se rendre compte que la caution qu'il avait naguère apportée en tant que clerc à un discours sociologique qui s'était traduit en loi, avait eu une portée concrète.

Je veux rendre compte ici de son étonnement et de ma première interpellation à celui avec qui, depuis neuf ans, je rêvais d'avoir un échange verbal ou épistolaire. Qu'il soit remercié ici de s'y être prêté d'aussi bonne grâce!


1. " Michel gouban:

Bonjour,

Dans ses adhérents, l'UNAKAM (Union Nationale des Masseurs-kinésithérapeutes Aveugles et Malvoyants) compte de nombreux professionnels exerçant la profession de masseur-kinésithérapeute à titre libéral. Or, aujourd'hui, il semble bien que ceux-ci, comme tous les travailleurs handicapés artisans ou commerçants, sont encore écartés des dispositions législatives et réglementaires qui permettent à des travailleurs des autres secteurs d'activités la possibilité de faire valoir leurs droits à retraite à 55 ans. Qu'en est-il aujourd'hui, quelles sont
les perspectives de réduire ces inégalités de droit entre les travailleurs reconnus handicapés selon les différents secteurs d'activités dans lesquels ils exercent ?


MDPH :

à l'occasion d'un renouvellement d'un dossier PCH (NDLR: Prestation de compensation du Handicap, à base fixe, mais à montant variable, qui a remplacé l'ancienne ACTP (Allocation compensatrice pour tierce Personne à montant fixe), j'ai trouvé le dossier particulièrement lourd, avec un tas de documents et questions sans objet pour une personne aveugle.

Je sais, la question du handicap est complexe et multiple. Je m'en ouvrirai auprès de la CDAPH et de la commission exécutive de mon département, étant membre."

Michel GOUBAN


2. Ma première réponse.

"

Cher Michel,

Sans entrer avec vous dans une mauvaise polémique, il me souvient que c'est vous qui, dans un article du "Louis Braille", avez popularisé auprès de nos milieux la notion de "situation de handicap".

Or, à partir du moment où celle-ci prenait en compte des critères subjectifs concernant la manière dont chacun était ou non en mesure de supporter son handicap, ne s'ensuivait-il pas presque fatalement que, si l'on admettait l'introduction d'une telle notion de "situation", qui certes devenait un critère d'évaluation international du handicap, les dossiers de renouvellement de la prestation susceptible de compenser, non plus d'après le handicap, mais, au cas par cas, celui qui en était porteur (NDLR: nous ferons bientôt une distinction plus fine entre handicap et déficience), deviendraient forcément très lourds...

Outre qu'il est assez ridicule de nous entendre au jour le jour désigner par cette circonlocution jargonnante de "personne en situation de handicap",
Il me semble également me souvenir que, lors de la discussion de la loi de 2005, un point acquis concernait les retraites, auxquelles les personnes handicapées pouvaient prétendre après trente années de cotisation. La loi n'aurait-elle pas tenu ses promesses sur ce point comme ailleurs ?

En amont, croyez-vous qu'il soit trop tard pour revoir, expérience faite, la compensation du handicap selon le barême du caractère objectif de la déficience fonctionnelle?

Pour exemple, en cas de "handicaps associés, la Sécurité sociale fait déjà une distinction entre un aveugle qui n'est qu'aveugle et un aveugle qui serait également malade psychique.

Ne pourrait-on pas s'en tenir à une telle distinction et affecter la prise en charge du handicap supplémentaire éventuel à une meilleure prise en charge (type ALD, Affection de Longue durée) par la Caisse Nationale d'assurance Maladie, du régime général de laquelle nous continuons de dépendre, malgré la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, pour les soins que nous nécessitons, en dehors de toute maladie liée au handicap ?

Le problème, de fait, est complexe, quand on sait que la maladie psychique est considérée comme un handicap donnant droit à la perception de l'Allocation pour adultes Handicapés. Comment traiter humainement et financièrement le caractère cumulatif des handicaps en dehors de la "situation de handicap" dont on a vu qu'elle a été, en réalité, un cheval de troie pour grever nos ressources ?

Comment accepter en outre le caractère profondément inégalitaire du traitement des personnes handicapées, dont les plus gravement touchées sont loin d'être les mieux loties ?

Poser ces questions nécessite, je crois, une réflexion entre nous sur ces sujets.

Bien à vous

J. Weinzaepflen

L'égoïsme d'émancipation et l'individualisme social

Cher Michel,

Je viens de lire pour les publier, et de publier pour contextualiser nos échanges - et, rassurez-vous, de publier en donnant l'auteur et le contexte de vos articles - les trois articles que vous m'avez fait l'amitié de me faire parvenir.

Mon préféré est de loin le dernier, parce que vous y insistez pour dire qu'"il n'y a pas d'autonomie sans dépendance" et qu'"être autonome, c'est choisir ses dépendances" pour accomplir son projet dans l'être-au-monde.

J'aime qu'en d'autres mots, vous preniez acte qu'il n'y a pas d'autonomie sans hétéronomie. L'autre matin, j'écoutais le physicien anagrammiste Etienne Klein sur "france inter" où il était invité avec l'auteur de polars Jean-bernard Pouy, qui s'est toujours affiché comme libertaire. A la question si lui aussi se sentait anarchiste, etienne Klein a fait cette réponse:

"Un physicien ne peut pas être libertaire puisqu'il reconnaît l'existence de lois physiques."

Nous sommes dans une société qui n'aime pas les dépendances, une société indépendantiste, où l'addict est pourchassé jusque dans ses dépendances affectives.

Or celui qui se voudra "autonome" pour "(renforcer son) identité" et agir sur le milieu social, qui n'est pas purement biologique, mais surtout, dites-vous, pour développer son être-au-monde et son projet de transformation de soi par le monde et du monde par soi, ne le sera qu'à la fois dans une perspective relativement individualiste, et dans l'exacte mesure où la société acceptera de se mettre au service du développement de son individualité.

La question vaut d'être posée si c'est le rôle d'une société que de cautionner cet individualisme, sauf à ne le servir que parce qu'il est le reflet de son propre individualisme social, mais au risque d'une déliaison réciproque de l'individu et de la société, mûs par un égoïsme d'émancipation, sans voir à quoi celle-ci est sacrifiée.

Or il me semble que la survalorisation de l'autonomie, comme aussi la survalorisation du combat et du défi, non seulement intériorise le combat comme une norme et son corrolaire la victoire, donc la loi du plus fort, mais, partant, puisque c'est l'individu qui est la seule mesure de la priorité et le seul donneur d'ordre de la priorité, la société dépriorisée par lui en vient à nuire au plus faible, car la société ne veut plus s'ordonner à lui. La société, oubliant qu'elle est d'abord faite pour protéger le plus faible, entérine une "sélection naturelle" qui aboutit à une élimination du plus faible, élimination qui a lieu jusque dans le champ sémantique où on parle de son exclusion. Le plus faible n'a dès lors plus qu'à déclarer forfait.

Dangereux contre-coup de l'autonomie et de l'émancipation individuelle, encouragée par la société elle-même individualiste, qui oublie qu'elle est faite pour protéger le plus faible. Ce contre-coup, on en voit les conséquences dans tous les secteurs d'activité et les catégories socio-économiques. Mais il était à craindre qu'il dût frapper plus fort ces fragiles que sont les "déficients" fonctionnels, indépendamment de toutes les "situations de handicap" ou des "handicaps de situation".

Je regrette de véhiculer une vision si pessimiste de ces grands acquits. Mais j'ai toujours eu l'intuition que la précarisation serait au bout du chemin de nos revendications, qui ont commencé aux alentours de 2002 au point de ne plus connaître aucune limite, et je crains que la conjoncture économique, qui n'est elle-même que le reflet de notre consumérisme effréné, ne vienne sanctionner douloureusement notre oubli du plus faible, oubli inconscient de notre part, tant la société nous flattait d'être des gagneurs.

Notre défaite économique est un retour de bâton qui remettra peut-être nos velléités à la place qu'elles peuvent occuper, entre le légitime élan qui nous fait vouloir nous hisser au-dessus des situations et le regard que nous devons toujours porter à plus malheureux que nous, pour ne pas tellement le distancer que la cordée se brise en faisant s'écrouler tout l'édifice.

Julien, un soir de crise.