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mercredi 14 septembre 2022

Le populisme selon Dominique Reynié


Le problème avec les définitions de Dominique reynié, c'est qu'elles sont imprécises, mélangeant du structurel et du conjoncturel.

 

Le choix du mot "populisme" est le premier sujet à caution. Le populisme devrait être l'essence de la démocratie puisque celle-ci est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Mais ne trouvant pas le mot de "démagogue" ou de "démagogie" au service de ce qu'il voulait discréditer (parfois le mot juste nous reste sur le bout de la langue), le premier sociologue ou éditorialiste qui a balancé, puis popularisé le mot de "populisme" a intenté sans le savoir un procès à la démocratie.

 

Examinons quelques-unes des pièces de ce procès. Et d'abord, le populiste donnerait-il effectivement le pouvoir au peuple s'il arrivait qu'il parvînt au pouvoir ? Je voudrais le croire, mais quelque chose me dit qu'il l'affirme aussi longtemps qu'il se pose en tribun de la plèbe. Que notre plébéien devienne un patricien dictateur et il pourrait oublier ses promesses de partager le pouvoir. Pour autant, est-il démagogique de recourir au référendum ? Je ne vois pas pourquoi, tant que le référendum n'est pas un plébiscite qui conforte un pouvoir personnel.

 

Examinons maintenant les termes de la définition de Dominique reynié.

 

« Le qualificatif de populiste désigne les partis qui cherchent à tirer profit de la crise en développant un discours contre les "élites", contre les immigrés, contre l'euro, contre l'Europe, contre la globalisation, contre les économies budgétaires, etc. » (in "Populisme, la pente fatale", Paris, Plon, avril 2011).,

 

"Le qualificatif de populiste" s'appliquerait donc à des "partis" et non à une attitude. Pourquoi ?

 

Que font de mal ces partis ? Ils "cherchent à tirer profit de la crise", c'est-à-dire qu'ils se repaissent des problèmes qu’ils posent sans y apporter de solutions? N’est-ce pas un procès d’intention ?  Dominique Reynié ne se pose pas la question. Il n'examine pas les solutions des populistes, il s'en prend au "discours" qu'ils développent en qualité de "[profiteurs] de crise".

 

Qui vise le discours produit par ces partis ? "les "élites", les immigrés, l'euro,  l'Europe, la globalisation, les économies budgétaires, etc.»

 

Les élites ou les immigrés sont des constantes de la société, mais les autres éléments visés sont conjoncturels. IL y aura toujours des " élites",  des immigrés et une Europe, par contre on peut sortir de l'euro et la zone euro peut éclater, et même si le fait est improbable, les nations peuvent se lasser de la "globalisation" et chercher à sortir de l'interdépendance pour retrouver une identité propre. Seul l'Occident n'a rien d'animiste et se délecte de l'internationalisation des goûts et des couleurs, de la standardisation de la culture et de l'impersonnalisation du producteur et du consommateur. Pour faire aimer leur musique, il arrive que des Japonais ou des Africains lui mettent une sauce ou une farce internationale, mais elle ne perd jamais tout à fait son sel. "Adieu ma concubine" reste un opéra chinois comme les films de bollywood n'ont repris que certains éléments de la culture américaine. Nous lui sommes beaucoup moins résistants, l'américanisation nous a beaucoup plus gagnés et rendus serviles que le reste du monde, comme nous en avertissaient Baudelaire ou Léon XIII.

 

Dominique Reynié introduit des éléments conjoncturels dans sa définition du populisme et cela me semble être une erreur de méthode, sinon une légèreté.

 

Est-ce que, selon Dominique Reynié, un gouvernement sain serait nécessairement favorable a tous les items qu'étrille le populisme et donc aux "élites", aux immigrés, à l’euro, à l'Europe, à la globalisation et aux économies budgétaires ?

 

D'abord, pourquoi Dominique Reynié met-il le mot "élites" entre guillemets ? Nierait-il, comme l'aurait dit Bourdieu (mais Dominique Reynié est beaucoup plus centriste et ne réduit pas, àjuste titre, la sociologie à un rapport de dominateurs à dominés), qu'un capital culturel distingue les héritiers et se transmet de manière à sécréter des élites dominantes issues de la bourgeoisie, qui est l'aristocratie républicaine ayant recyclé à son profit les privilèges arrachés aux nobles et abolis sous la Révolution? Certes, à présenter les élites sous un jour aussi peu amène, je puis difficilement poser la question qui suit : pourquoi le populisme se forge-t-il systématiquement contre les élites ? Bien sûr, si l’on pense que les élites ne sont à la fois pas issues de la méritocratie républicaine et qu’elles sont déconnectées du réel, on ne peut pas les aimer. Mais est-ce une fatalité ?

 

Ayant fait un sort aux élites, voyons quel est celui des « immigrés ». Les premières roulent-elles nécessairement pour les seconds ? Les associer dans le « discours » produit par les partis profiteurs de crise dans un immigrationnisme fantasmé est certes un facteur de dissociété et de dissolution de la société, mais il ne faudrait pas oublier que, jusqu’à l’après-Seconde guerre mondiale, l’histoire a toujours été xénophobe. C’est une lente désaccoutumance que de changer de paradigme. Si les partis populistes s’y refusent dans leur « discours », tout comme à abandonner le parler poissard, on peut en conclure qu’ils se comportent comme des alcooliers qui soulent le peuple des restes de sa haine recuite en le méprisant, mais aussi que le populisme prouve à son corps défendant que le nationalisme ne peut être que xénophobesous peine de ne pas être. Et si le nationalisme est xénophobe, c’est que le nationalisme, c’est la guerre.

 

Vouloir vaincre le RN n’est pas une condition suffisante, mais nécessaire  et quand on lit le rejet des déracinés qui ont le malheur d'"avoir des origines", on en sent la nécessité poignante. Mais ceux qui semblent ne pas vouloir le faire, ou voudraient bien le faire, mais abordent continuellement les thèmes serinés par le RN, cèdent à un réflexe de fascination dans l’attrait sémantique duquel je ne puis me défendre de croire que consiste le fascisme, qui est une sorte de fascination des archaïques.

 

 

Reste à examiner trois items. L’euro n’est-il pas une monnaie condamnée de naissance du fait de la disparité des niveaux de vie des pays qui se sont réunis pour l’adopter et n’est-il pas une trappe à bas salaires, à inflation et à baisse du pouvoir d’achat, bref à grand déclassement des classes moyennes inférieures, à l’origine de la crise des Gilets jaunes ? L’ »Europe », que Dominique Reynié confond avec l’Union européenne, n’est-elle pas en train de mourir de sa bureaucratie et de ce que les peuples n’en veulent pas parce qu’elle s’est faite dans leur dos ? L’Europe a été faite pour brider des peuples peu pacifiques, et les passages sur l’Allemagne que contient le livre de Robert Schumann, Pour l’Europe, dont l’auteur était un catholique mosellan, ne dissimulent pas qu’il s’agit d’éviter que le démon belliqueux des Allemands les reprenne. Un projet fait pour brider un élan immaîtrisé est condamné à ce que ceux qu’on veut brider demandent qu’on leur lâche la bride. Les peuples veulent consumer leur histoire de manière débridée.

 

Si l’Europe se défait comme elle en prend le chemin, le naturel des grandes aires d’influence reviendra au galop. Le Brexit en a donné le signal et la mort d’Élisabeth II rappelle l’existence du Commonwealth. L’Allemagne est attirée vers la Mitteleuropa et la France a la francophonie pour faire communauté au sein de la latinité. Nicolas Sarkozy n’aurait jamais dû entraîner l’Allemagne dans l’Union méditerranéenne qu’elle a peut-être détruite. L’implantation des valeurs occidentales dans une Ukraine de koulaks consuméristes montre que ce genre de greffe ne prend pas à côté d’un Empire russe qui veut se reconstituer sur une arche de valeurs conservatrices plus en rapport avec la réalité que le monde reconstruit qu’on veut nous imposer de toutes pièces jusque dans la négation des genres.

 

Ce »nouveau monde » (« libéral conservateur » ?) est-il assujetti à l’interdépendance économique ? Il semble que oui et que la révolution des transports s’allie à la révolution numérique pour que la circulation des personnes n’aille jamais aussi vite que celle des biens, mais soit tout aussi inévitable.

 

Qui peut être contre « les économies budgétaires » ou la baisse des dépenses publiques ? Pas plus les partis populistes que les partis dits de gouvernement. Mais si « le cercle de la raison » décide que la compétitivité doit primer sur l’affectation des recettes de l’État aux dépenses de santé, au maintien de l’hôpital et de l’école, de la police et de la justice, à un service public qui tienne sur ses agents et sur ses guichetiers pour tenir la route, au lieu de privilégier les ronds de cuir, pondeurs de normes, sans être démantelé par un État dérégulateur, les partis populistes sont-ils infondés à dire que l’on pratique une politique d’austérité injuste, même si la campagne de Jean-Luc Mélenchon a promis un arrosage tellement général que le tournant de la rigueur qui s’en serait suivi aurait été d’autant plus douloureux ?

Bref, il existe un discours alternatif qui ne cherche pas tant à profiter des crises qu’à trouver d’autres solutions pour vivre les crises sans affecter le moral du peuple et du pays, et c’est ce que Dominique Reynié s’entend à ignorer dans sa disqualification très tempérée, façon Fondapol, dont les études accusent une certaine superficialité, de l’objet populisme. 

samedi 10 septembre 2022

La France en deuil d'une reine

    1. Elisabeth II a accompli "un destin qui a sublimé la royauté et parfois même suscité, dans d'autres pays, l'envie de changer de régime..." (Philippe Bilger))

Et pourquoi pas dans le nôtre? Je suis rien moins que monarchiste, mais notre fascination pour la monarchie britannique fait que rappeler les princes de la maison de France ne semble pas même nous effleurer. Nous suffit-il qu'Élisabeth II ait été notre reine par procuration, au point de nous faire oublier la notion de perfide albion ou pire encore d'ennemi héréditaire? Élisabeth II nous aurait-elle fait oublier Jeanne d'Arc, parce que ses attitudes "l'avait constituée comme un membre de notre famille, de cette communauté universelle qui sait, sans s'égarer jamais, pleurer ceux qui méritent authentiquement de l'être"? (PB) d'où vient que nous ne savons pas juger les gens de leur vivant, mais que l'opinion ne se trompe jamais sur les morts? 


    2. Élisabeth II était à la fois fidèle au Commonwealth et à l'Union européenne, dont elle avait discrètement arboré le drapeau pour dire son opposition implicite au Brexit. Pourquoi le Commonwealth est-il resté le grand oublié de tous ceux qui s'opposaient farouchement au Brexit? Les citoyens britanniques peuvent-ils être simultanément attachés à ce qui reste de leur empire et faire allégeance à ce qui devrait être leur destin commun du fait d'une proximité géographique et parce que le marché commun avait fait de l'Union européenne son partenaire commercial le plus proche? Le commerce n'a-t-il pas partie liée avec cette zone d'influence que l'Empire britannique, tel un nouvel Empire romain, garde encore de nos jours sur "la moitié du monde connu", dans une union dont le souverain britannique n'est pas le souverain universel, mais ce n'est pas nécessaire à son influence...? Pourquoi la France a perdu le souffle de croire en la francophonie, comme on oublie que le Royaume-Uni croit au Commonwealth? La francophonie n'est-elle pas la sphère d'influence naturelle de notre pays comme le suppose François Asselineau avec un souffle convaincant? Que nous y croyions si peu a fait porter à la tête de la francophonie une ancienne ministre rwandaise cependant que le Rwanda quittait la francophonie pour rejoindre le Commonwealth, et cet événement ne nous fait pas réfléchir? La Grande-Bretagne, dont on a dit qu'elle avait colonisé sans se faire aimer et que l'opinion publique européenne voyait isolé après le Brexit, continue de maintenir avec ses anciennes colonies un lien vivant, pendant que nous nous berçons de l'illusion lyrique et gaullienne qu'il y avait un pacte entre la grandeur de la France et la liberté du monde... Nous avons cru que le Brexit faisait de la Grande-Bretagne un pays fini tandis qu'il lui donne des perspectives et que c'est la bureaucratie européenne qui fait mourir l'idée européenne de sa belle mort au moment où elle croit malin d'acheter un seul type de vaccins génétiquement invasifs pour lutter contre la Covid ou d'adopter des sanctions contre la Russie au risque d'une escalade mondiale à l'occasion de la guerre en Ukraine. 


    3. Beaucoup ont dit que la reine Élisabeth était impénétrable. On la dit également de François Hollande ou d'Emmanuel Macron. Mais il n'y a pas la même qualité dans la manière dont ces personnages sont impénétrables: nos deux derniers présidents le sont en cultivant un mystère où il n'y a rien à percer; Élisabeth II l'était dans une transparence que montrait sa voix cristalline, qui n'a guère changé au fil des ans, sauf lorsque les ravages de l'âge avaient inévitablement modifié sa voix, mais non pas la clarté de son âme.



    4. Celui que nous devons désormais nous habituer à appeler Charles III nous adressé dans son "Discours du roi" un portrait de sa mère dont il nous disait qu'elle adorait les traditions, mais savait épouser les évolutions qu'avait introduite la transformation des moeurs, avec laquelle fut obligée de composer la monarchie anglaise. Tel est le conservatisme de la reine, devant arbitrer entre des coutumes qu'elle voulait continuer de suivre à la lettre, et une évolution qui la laissait parfois pantoise et devant laquelle elle ne savait comment réagir. Martin Buber dit que "l'homme a soif de continuité". Combien c'est vrai ! Mais le conservatisme n'est pas à l'abri des surprises et quand on est pris de cours, on fait des erreurs. Nécessairement la reine s'est trompée en ne voulant pas faire passer ses émotions à force de pudeur! 


Élisabeth II a su rester fidèle au serment qu'elle avait fait à l'âge de vingt et un ans de servir ses sujets et d'accomplir ses devoirs. Elle bénissait ceux qui sauraient le comprendre et essayer de suivre sa trace. Puissions-nous être de ceux-là! 

jeudi 1 septembre 2022

Macron, l'homme qui en rajoute

Justice au Singulier: Apologie d'un président qui ne pourra pas changer... (philippebilger.com)


"Comme si, avec lui, il convenait d'aller plus loin, plus profond dans l'analyse, en franchissant le mur séparant le privé et le public". (PB) 

Mais non, il ne convient pas. Parce qu'en  lui, il n'y a de profondeur que celle qui dissimule l'homme et le projet publics pour nous perdre dans la diagonale du vide de l'homme privé, dont la "personnalité" n'est pas "forte", mais le charisme oui. 


Chercher à percer le charisme, c'est s'engloutir dans le mystère d'un souffle, d'une bombe qui souffle tout sur son passage, sous prétexte d'aura et de dandysme, à commencer par la seul chose qui devrait nous intéresser en politique: les idées ou le projet, ah ce fameux "projet". 


Emmanuel Macron n'a pas plus de fond que François Hollande, mais plus on analysait l'un, plus on avait envie d'en retrancher dans l'illusion de profondeur qui était censée se rattacher au pourquoi cet homme était devenu président. Cet homme n'était que "flou", il n'était pas un "loup". Au contraire, pour comprendre Emmanuel Macron, qui devint présidentiable du jour même où il fut nommé ministre, on a toujours envie d'en rajouter dans la complexité ou dans l'énigme, car lui-même ne cesse d'en rajouter pour nous perdre. 


Analyser François Hollande, c'était se condamner à l'appeler "Pépère". Tomber dans le piège de deviner qui est l'homme privé Emmanuel Macron avec sa Brigitte en bandoulière, c'est ne pouvoir s'empêcher de l'appeler "Jupiter" ou "Vulcain" si tel est son bon plaisir, tant cet homme qui en rajoute (et le "en même temps" n'est qu'un rajout permanent) nous pousse dans nos retranchements. Mais ce rajout permanent est une diversion.


"Il faut être économe de son mépris étant donné le nombre de nécessiteux", disait Chateaubriand. Cet homme nous méprise tous au point de paraître le seul nécessaire. Il ne se "rapproche" jamais de nous, c'est lui qui nous "éloigne" de lui. Il ne "déteste" pas les "intrusions psychologiques" destinées à en déchiffrer l'énigme. 


Je ne crois pas qu'il soit homme à croire en la supercherie analytique, cette thérapeutique apophatique qui ne vise pas à la connaissance de soi, mais à nous faire prendre conscience de notre manque ontologique. 


Emmanuel Macron ne se manque pas à lui-même, le nihilisme le satisfait come l'autre pôle de l'infini, mais il veut nous manquer. 


Et il ne manque pas sa politique, il la continue  avec une régularité de métronome ou d'horloge, car pendant que nous cherchons à savoir comment il peut être le "maître [du temps]", pendant que nous voudrions le résoudre pour trouver la solution à ce problème qu'il nous est devenu, il continue à nous en poser, en étant heureux de nous faire opérer cette diversion pour le laisser gouverner comme il veut. 


Emmanuel Macron s'est acclimaté à son mistère, il en rajoute pour nous occuper à le percer, pendant qu'il continue à nous raboter machiavéliquement et sans état d'âme, car ce qu'il y a de profond en lui, c'est qu'il n'a pas d'affect. C'est plus que du mépris de classe: pendant que nous sommes occupés à le sonder, lui sait qu'on perd son temps à savoir quelle est l'ossature idéologique ou dogmatique d'une personnalité charismatique, qui n'est là que pour nous abuser.