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jeudi 30 décembre 2010

NOEL DE CETTE ANNEE PLACE SOUS LE SIGNE DES CHRETIENS D'ORIENT (dans la série du "DIALOGUE ENTRE LE TORRENTIEL ET UN CROISSANT DE LUNE" (partie III)

(troisième échange, répartie a)
(reposté par le Croissant de lune le mardi 28 décembre 2010 à 9h49, après que le Torrentiel n'eut pas vu passer un de ses précédents messages, le Croissant de lune craignant l'esquive du torrentiel)

Comme tu n'as pas vu passer l'un des messages, tu l'as retrouvé, mais l'autre. Dans l'incertitude, je te le renvoies. C'était pour le 25 décembre. Il y a dedans, des questions trop précises, des interrogations trop douloureuses, pour l'amitié, réponds-moi de même. En fait, la question majeure est de savoir quand donc l'église, ta patrie spirituelle, condamnera-t-elle sans ambiguïté, les guerres injustes de notre temps, et leur substrat idéologique, toute cette histoire de suprématisme Chrétien, suprématisme Occidental, que je nomme croisérisme, qu'Emmanuel Todd, désigne sous le nom d'occidentalisme. Va falloir répondre vraiment! Sinon, tu me laisserais croire, décidément, que l'ambiguïté est cousue à la peau du Chrétien, inséparable de son être. C'est souvent ce que je crois, en vérité. C'en est au point que je me dis, que si un Américain me dit "bonjour", il faut entendre mauvais jour, puisqu'il est incapable d'aucune vérité. Alors, disperces mes doutes. Lis bien, et réponds-moi. Voici plus bas.


Mon Torrentiel!


Permets-moi de sacrifier à l'usage, bonne et joyeuse fête de Noël à toi et à tes proches. La fête est belle, tellement que ma Nation l'a empruntée et copiée. C'est aux Croisés que nous devons de célébrer la nativité présumée de notre Prophète. Pardonnes-moi d'avoir suggéré un RDV téléphonique, je devais bien savoir que ces jours-ci, tu aurais trop d'occupation et de compagnie, pour ce genre de chose. D'ailleurs, je n'avais fixé aucun thème, et il n'est pas sûr que mes causeries et interrogations soient de saison, en ces jours d'allégresse. (...)


Ce Noël, dans l'univers médiatique Français, est sous le signe des Chrétiens d'Orient. Les politiques ont tenté une récupération malhabile du sujet, à tendance Occidentaliste, dirait Emmanuel Todd, Croisériste, selon mon registre personel, mais le corps social n'a pas vraiment suivi ni l'église. Et cette problématique s'est trouvée encadrée plus largement par ce qu'il faut bien apeler "Dialogue des religions", ne m'en déplaise. Il y eut tout le phénomène autour des moines de Tibérines, le film, largement diffusé et suivi, mais aussi, de récents témoignages et révélations, les versions initiales ont au moins, du plomb dans l'aile, plaise à Dieu, qui sait tout, découvrir et démasquer le visage des criminels. Puis est arrivée la tuerie de la cathédrale Notre-Dame de Bagdad, une plaie suplémentaire dans le tableau des soufrances Irakiennes. Cet évènement dut accélérer une migration qui se produisait déjà. Le public Arabe s'en émeut, plus qu'on ne se l'imagine ici, puisque certaines de ces églises sont des communautés peu nombreuses, et une fois disparues, des traditions et trésors culturels disparaîtraient sans retour. J'ai entendu à ce sujet, une analyse, qui pourrait ressembler à une mise en garde écologique. L'analyste présente la diversité religieuse comme un élément d'équilibre de la Nation, qui, une fois perdu, pourrait avoir des conséquences inconnaissables. J'en tombe d'accord, sauf qu'à l'heure présente, nous ne voyons pas quoi faire, pour qu'il n'en sois pas ainsi, étant dépourvus de souveraineté suffisante et de moyens d'actions.


Qu'y a-t-il à faire devant ce tableau? Peu de choses, apparemment. Réaffirmer les participations Chrétiennes aux situations de résistance nationales, ainsi fait le Hizb-Allah, mais il refuse de publier les noms, pour des raisons évidentes. Malheureusement, cette noble attitude se heurte à certaines révélations récentes d'un certain site Suédois, d'après lesquelles des responsables religieux, y compris semble-t-il, Monseigneur Nassrallah Sfeir, patriarche des Maronites, auraient pris langue avec l'ennemi, et se seraient entendus avec lui, pourvu qu'il ne bombarde pas les zones Chrétiennes. Or, il y a bien des chances que ces révélations soient vraies, les auteurs n'ont pas pu inventer un si grand nombre de documents. Je croyais naïvement que l'ennemi faisait de lui-même cette discrimination dans le crime, je dois me rendre à l'évidence, tels ne sont pas les faits. A cette aune, on doit considérer la mesure, la patience, ou la résignation, comme on voudra, des résistants Libanais. Tout ça nous laisse perplexes, et les réaffirmations de tolérance, du besoin d'équilibre, deviennent un rituel peu fondé. Certains objectent que les heurs et malheurs des Chrétiens d'Irak, les seuls Chrétiens innocents, au Moyen-Orient, c'est peu de choses, dans l'immenses flux des souffrances de la Nation, et qu'il est mal venu de s'afliger du sort de quelques milliers quand des millions ont succombé. Ce point de vue révèle à quel point nous serions devenus peu sensibles à la douleur, les coups étant innombrables et les lésions profondes. Ma Nation s'est trop durcie à la douleur, hébétée, elle ne s'afflige plus de rien, ou ne manifeste plus guère son affliction, le sort des Chrétiens d'Irak ne nous émeut pas autant qu'il faudrait, nous sommes difficiles à émouvoir. Bien simple: qu'un Palestinien perde sa maison, ou même qu'il soit tué, c'est devenu chose très ordinaire, les gouvernants ne présentent plus guère aucune plainte au Conseil de Sécurité, pour ne pas obliger l'Amérique à faire usage du vetto, pour ne pas la désobliger donc. Comme dans le petit poème que je t'ai traduit l'autre jour, ma Nation trouve qu'il est vain de se plaindre, voilà où nos ennemis nous ont réduit.


Les soufrances sont immenses, en effet. Les gouvernants, si on en croit les révélations, n'exercent plus de "politique", laquelle peut se définir comme étant l'animation des affaires publiques, pour ne pas parler de démocratie ... ils ne sont plus guère que des gestionnaires de domaines qu'ils tiennent en fief de Washington et qu'ils administrent plutôt mal, serait-ce au profit de leurs cleans. On aprend que les ressources consacrées en égypte, à la police et aux forces de sécurité intérieures excèdent les moyens de l'Armée! L'ennemi pourrait dormir sur ses deux oreilles, mais non content de cela, il agiterait et armerait des factions Coptes. Ces révélations, nous concernent au premier chef, plus même que l'Amérique. Le mot Maffia, reviendrait de façon rémanente, dans ces notes et communiqués, pour qualifier nos gouvernements. En fait, tout ça, nous le savions plus ou moins, régimes policiers maffieux, oligarchies kleptocratiques, actions dissociatrices de l'ennemi et de ses alliés, il devait en être ainsi. C'est le résultat naturel de la résignation devant l'injustice, la capitulation et le défaitisme, lequel ne fait même pas la sécurité, encore moins la prospérité. Si même le jeune roi d'Arabie, duquel on espérait beaucoup et qu'on ménageait un peu dans nos critiques, oublie sa dignité au point de confier son souhait, de voir bombarder un pays voisin, c'est que notre abaissement est extrême. Nos épreuves sont-elles finies? Non, car on augure, d'après ces nouvelles, qui confirment ce qu'on craignait, que l'année à venir pourrait bien voir la fin de certaines interrogations, notament Iraniennes. Une situation de plus grande tensions n'est donc pas exclue. Ce n'est donc pas la situation d'apaisement souhaitable, pour qu'il nous soit loisible de songer à préserver un quelconque équilibre, eu égard, notament, aux Chrétiens d'Orient.


J'ai dit que ma Nation est devenue trop peu sensible à la douleur, et que le sort des Chrétiens d'Irak, seuls Chrétiens relativement innocents du Moyen-Orient, ne l'occupe pas plus que ça, il faut dire que l'univers Occidental, s'il faut retenir les médias Français, comme témoins, est plus sensible au sort des Chrétiens qu'aux malheurs des autres! C'est d'une évidence confondante. L'Occident déchristianisé, et même la France laïque, ont une sensibilité discriminative à la douleur d'autrui, une sensibilité qu'il faut bien qualifier de confessionaliste. Le ton lamentablement pamphlétaire de l'article odieux de "Minute", transmis sur le blog de l'abbé, en est une caricature, certes, mais une image plutôt révélatrice sinon fidèle. Pourtant, le corps social Français, est plus réfléchi que ça. Peu à peu, il apprend, sans y être conduit par ses médias, à éviter ces réactions ambiguës et déloyales. Il fut un temps, lors de la guerre civile Libanaise, en 1974, où la classe politique, voire ta patrie spirituelle, choisissait indûment son camp. En ce temps-là, on montrait en exemple, tels qui partaient, volontaires, combattre dans les rangs phalangistes. Ils passaient même aux journaux de 20 heures, alors qu'à présent, on fait grief et on met en cabane, quiconque s'aviserait de partir pour l'Irak, dans cette perspective, ou de porter secours aux Résistants. Il en fut ainsi, alors qu'à présent, bien des gens s'interrogent. J'ai eu un patient catho, fidèle pratiquant, qui, avec mon épouse, a construit la Crèche, comme les autres années. S'agissant des Chrétiens d'Orient, nous en parlions bien des fois, comme lui-même connaît bien toutes ces régions, ayant beaucoup voyagé. Après l'évènement de Bagdad, je lui demandai un jour, si, en tenant compte de tout le contexte actuel du Moyen-Orient, on pouvait s'attendre, d'après lui, à un niveau de violence anti-Chrétien équivalent ou supérieur. Il me répondit, et tomba d'accord avec moi, que les violences pourraient être pires, qu'il est même surprenant qu'il n'en soit pas ainsi. Donc, le fait remarquable est que subissant des agressions perpétrées par des Occidentaux, ou bien des Judéo-Chrétiens, ma Nation soit si mesurée envers les Chrétiens de l'intérieur. Des millions de victimes, 4 millions de veuves Irakiennes, pour ne parler que de ce cas, des villes brûlées et rasées, des pillages considérables, quel effet pareille chose produirait dans d'autres univers? Il est permis de s'interroger. Je me permets, Torrentiel, ne t'en déplaises, d'affirmer, le plus simplement du monde, que l'homme Musulman, est meilleur, ou moins mauvais, qu'il est supérieur dans le sens éthico-moral, envers ses vis-à-vis Occidentaux, et en tout cas, plus juste, il n'y a pas d'erreur! Face aux Chrétiens, qui se parent eux-mêmes de toutes les vertus, nous qui souffrons, avons le droit d'affirmer la vérité de cette supériorité éthique, nullement ambiguë ou fictive. Même le Chrétien d'Irak, témoignerait et déposerait contre le Chrétien d'Occident, responsable de son malheur, puisqu'il n'eut pas l'énergie et le courage nécessaire pour se défaire de ses gouvernants criminels. Que ce soit dur à entendre, j'en suis d'accord, mais que dire d'autre? Es-tu bien sûr, Torrentiel, que ton point de vue sur l'élément Sioniste et les Anglo-Saxons ne relève pas de l'inexplicable et du viscéral?


Ce qui se fait, dans ma Nation, envers ces évènements anti-Chrétiens, ce sont comme exposé plus haut, des condamnations claires du Hizb-Allah Libanais, il y a aussi que les savants les plus écoutés, les plus justes, comme le cheik El-Carathaoui, s'expriment longuement dans ce sens. En contre-partie, il serait bien agréable et apaisant d'entendre des autorités Chrétiennes flétrir délibérément, sans ambiguïté, le Croisérisme et les guerres injustes. Ne pas prendre parti, c'est prendre parti. Le croyant, au minimum, a le devoir du témoignage. Témoignes donc, Torrentiel, c'est le moins que peut le croyant. S'il y a une part viscérale dans tes considérations, laisses-toi donc ébranler par la vérité et la justice. Sois Juste, déposes un peu de baume sur mon mal, rends-moi justice. Rends-moi le témoignage.


Ton croissant de lune dolent qui requiert justice.

NOEL DE CETTE ANNEE PLACE SOUS LE SIGNE DES CHRETIENS D'ORIENT (dans la série DIALOGUE DU TORRENTIEL AVEC UN CROISSANT DE LUNE" (partie III)

(troisième échange, répartie b)
(Du Torrentiel, posté le 29 décembre à 2h38)

Mon cher croissant de lune,

Je n'avais pas vu passer un message et, dès que je l'ai retrouvé, je t'y ai répondu ; ce qui m'en a informé, c'est, avant la copie que tu m'en renvoies, celui auquel je réponds à présent et auquel je m'étais proposé de répondre : c'est précisément pourquoi j'ai tenu à répondre en premier lieu au message que tu m'as envoyé hier avant de me mettre à la rédaction de celui-ci auquel, me dis-tu, "va falloir répondre", sans quoi ce serait la preuve que "l'ambiguïté est décidément cousue à la peau du chrétien"... Puis-je te tenir rigueur d'un tel jugement téméraire, moi qui t'ai dit en son temps que je craignais en mon for intérieur que le musulman installé sur le sol de France en venant à proliférer, signifie à ma main, pour autant qu'elle l'eût nourrie et que ce n'ait pas été ta main qui n'ait donné pâture de farine à ma paresse et à ma médiocrité, que le moment était venue pour elle, ma main, d'être mordue... Avant de pousser plus loin, cessons d'être suspicieux l'un envers l'autre.

Tu me dis que le Noël de cette année est, dans l'univers médiatique, placé "sous le signe des chrétiens d'Orient". Je n'avais pas remarqué. Sincèrement, ç'avait échappé à ma vigilance. Paraîtrait que ce serait Bernard-Henri Lévy qui aurait donné le "la" en répondant à un journal espagnol qu'aucune communauté n'a été aussi constamment, silencieusement et impunément persécutée que celle des chrétiens d'Orient. J'avais pourtant noté quelques signes d'intérêt qui m'avaient étonné, des détails qui te sembleront probablement anecdotiques :

1. L'émission "Foi et Tradition des chrétiens orientaux" qui était diffusée sur France-culture, vient de changer de présentateur. Exit Jean-Pierre Enkiry, après quarante-cinq ans de bons et loyaux services, qui est remplacé par Sébastien de courtois, journaliste voyageur et visiteur des différentes communautés chrétiennes orientales. Une chose qui m'a mis la puce à l'oreille sur un changement de climat éventuel est en effet que, lors de son avant-dernière émission, Jean-Pierre Enkiry, quia vai l'habitude de recevoir des "huiles" de l'Eglise occidentale ou orientale capables de disserter des théologiens arméniens, assiriens ou byzantins, a préféré, pour la première fois depuis que je suis son émission, recevoir Jean-Claude chabrier, un drôle de type, plutôt habitué des plateaux de "radio courtoisie" qu'il a présenté comme un vieil ami et qui, médecin, musicologue, soidisant membre du CNRS vingt années durant bien qu'il publie le premier livre de sa vie et peine à trouver un éditeur, visite chaque année, au cours d'un voyage qui paraît relativement improvisé, la plupart des communautés chrétiennes opprimées, essentiellement pour leur adresser un signe d'amitié venu de l'Occident, pour enregistrer leurs liturgies qu'il collectionne et pour prendre langue avec des évêques aux opinions peu modérées sur leur situation dans des pays dominés par l'Islam, tout en reconnaissant que les opinions des épiscopats des différents rites chrétiens à travers "l'Orient compliqué", qui va des Balkans à l'Irak, sont extrêmement variées.

2. Dans le même temps, autre personne atteinte par "la limite d'âge" qui passe le flambeau, l'"oeuvre d'Orient" change de main : elle était dirigée jusqu'à ce jour par Mgr Philippe Brisard ; elle a été confiée au Père Pascal Gollnisch, le frère de l'autre, le politique, qu'on m'a dit fâché avec son frère, bien que j'aie observé chez ce prêtre, depuis l'époque où je l'ai connu comme l'une des chevilles ouvrières de la "mission étudiante", une évolution qui l'a fait, d'une part adopter des positions conservatrices quant à la foi et aux moeurs (il a par exemple défendu le baptême des petits enfants), et faire d'autre part des pèlerinages en quasi solitude, allant à pieds, flanqué d'un seul compagnon, visiter l'Irak en guerre. Il faut dire que, sur le terrain de l'Irak en guerre, la famille politique dont le frère du nouveau directeur de "l'oeuvre d'Orient" brigue la présidence a été plutôt en pointe et dès le début. Précisément, c'est ici qu'il faudrait s'interroger : ne sont-ce pas les etats-Unis qui ont installé des régimes beaucoup plus défavorables aux correligionnaires de la majorité de leurs concitoyens, ou qui les mettaient davantage en danger que ceux qu'ils renversaient ? Il en est allé de paire avec la construction du Liban par le mandat britannique, avec sa constitution boîteuse : je redirai un mot de ce pays pour revenir sur tes allégations concernant le patriarche sfeir, que le peu d'informations dont je dispose me permettrait plutôt de confirmer.

3. Le succès du film "DES HOMMES et DES DIEUX" ne m'avait pas échappé et, si je suis allé le voir, si je l'ai trouvé plutôt bien fait et efficace, je n'ai guère aimé son intention, pas plus que je n'ai compris ce que les moines allaient faire dans cette galère pour autant qu'ils ne se sentaient nullement dans l'obligation de prêcher l'Evangile, d'être, même discrètement missionnaires : ils étaient là, ils accompagnaient une population qui les aimait. Ils étaient là et ils étaient restés là, semblant avoir établi, autour de leur communauté monastique, le même genre de vie qu'au Moyen Age, où les villages poussaient auprès des monastères. Un bourg musulman poussait aux pieds de ce monastère chrétien et semblait être relativement dépendant de son activité et des soins de son médecin: ici se bornait la mission de ses moines, contents s'ils avaient renouvelé le modèle monastique médiéval en plein pays maure, c'est du moins ainsi que nous le présente ce film. Ces moines avaient choisi d'habiter là et d'y demeurer, même après l'indépendance, c'était tout à leur honneur. Jamais on ne leur avait fait le chantage de la valise ou du cercueil. Survient le terrorisme et les temps changent, et voici que ces moines, qui ont pourtant fait le don de leur vie, sont déchirés de débats intérieurs : ne ferions-nous pas mieux de partir ? Rester n'est-il pas un suicide collectif ? Mais à ce compte, le Christ Dont nous confessons qu'Il a certes sué du sang avant de donner sa Vie, mais que, pas un instant, Il n'a songé à se soustraire à Son Destin et à son Sacrifice, même s'Il aurait préféré ne pas boire ce calice, aurait Lui aussi arrangé Son départ. Si l'on fait des voeux monastiques, on sait ce que l'on risque. Bien sûr, plus facile à écrire devant un ordinateur qu'à vivre devant la menace d'un égorgement collectif. La chose est évidente. Mais enfin, le martyre fait partie intégrante de la condition de moines qui choisissent de s'établir sans plus prêcher dans un pays musulman secoué par une vague islamiste. Si j'ose dire, au risque de passer à mon tour pour peu sensible à la douleur des miens, pas de quoi fouetter un chat, sauf si (j'abonde ici dans ton sens (et la publicité faite mondialement autour de ce film n'y contribue pas peu), sauf si l'on veut se servir de ces martyres monastiques comme d'amorces, auquel cas le dessein est fort peu louable. Du reste, le film montre un peu ça : ce qui fait vaciller les moines dans leur certitude de rester, c'est le massacre qui est fait, à quelques kilomètres de chez eux, d'ouvriers croates (catholiques) travaillant sur un chantier duquel on ne dit pas grand-chose, pas plus que de la mort atroce de ces ouvriers, qui vaut bien celle de nos moines. Mais le martyre est à géométrie variable. La vie du héros a toujours valu beaucoup plus que celle de l'innocent ignoré, et cela est d'autant plus injuste que le héros avait choisi de donner sa vie, l'innocent non ! J'ai souvent pensé que la médiatisation de la société était née au moment de l'affaire dreyfus : ça n'a fait que s'accélérer à ce moment-là, mais il en a toujours été ainsi : pour huit moines assassinés à tibérine, combien d'ouvriers croates égorgés ? Pour un soldat allemand capturé, combien d'otages? Pour un otage, combien de vies qui continuent de traîner leur misère en silence? Or ces moines avaient fait voeu de suivre le Christ jusqu'au bout, les ouvriers s'étaient juste contentés de venir travailler. Pour un dreyfus dont le procès avait peine à être révisé et qui se contenta de la grâce sans attendre d'être réhabilité, combien de victimes colatérales, combien de Zola exilés et de partisans de l'un ou l'autre bord assassinés ? Pour un pape qui s'exprime dans une chaire à ratisbonne, combien peu fait-on de cas de l'assassinat d'une religieuse ? Pour un christ qui donne sa vie en rançon pour la multitude "une fois pour toutes", combien de chrétiens martyrisés, amorces ou non ? Je suis d'accord que de se servir de martyres comme d'amorces n'a rien de sain, dans une religion comme dans une autre. Je peux te suivre jusque là que c'est la situation d'une population dans son ensemble qui est à considérer pour savoir si cette situation est ou non victimaire et si la nation qui a à en pâtir a ou non lieu de se victimiser, qu'elle sache ou non le faire. Tu m'as dit naguère que ta nation ne savait pas, je commence à penser qu'elle apprend vite. Car enfin le musulman n'est pas seulement la victime de ses ennemis extérieurs : ses ennemis intérieurs sont peut-être aussi ses pires ennemis, ainsi qu'il en va de ses chefs concussionnaires. Il y a aussi des brebis galeuses dans vos sociétés, ainsi qu'il y en a dans les nôtres, des brebis galeuses qui, si ces massacres sont ensuite instrumentalisés, ne les ont pas moins commis à l'encontre des moines de Tibérines, et les musulmans se sont rendus coupables d'autres oppressions à l'égard de chrétiens, comme on en a commis à leur encontre, mais il faudra un peu détailler la chose, ne nous emballons pas. N'entrons pas dans la dynamique des persécutions comparées. Revenons à notre sujet. Les chrétiens d'Orient sont-ils au centre de l'attention médiatique ?

4. D'habitude, à Noël, il en est ainsi, en effet, mais ce n'est pas pour dénoncer les mêmes brimades : celles que l'on dénonçait du vivant de Yasser arafat était l'impossibilité qui était faite à ce chef d'une autorité civile de confession musulmane, de se rendre à la messe de Noël qui était célébrée tous les ans à Bethléem et à laquelle feu ce raïs tenait à être présent. Les autorités israéliennes prenaient un malin plaisir à l'empêcher de s'y rendre. Ceci révoltait chaque année les chrétiens que l'on assurait par ailleurs qu'Israël était tout à fait respectueux de la liberté de culte de l'extrême diversité de ceux qui étaient célébrés sous la juridiction laïque de cet Etat qui tient son existence d'une raison religieuse. En dehors de cela, peut-on dire que le sort des chrétiens persécutés intéresse beaucoup, non seulement leurs correligionnaires, mais les médias ? On en a fait des tonnes pour soustraire à la lapidation de sakinéh en Iran, qu'on n'a plus appelée que par son prénom. On a prétendu que la Justice iranienne avait condamné cette femme à la lapidation parce qu'elle n'avait commis que l'adultère. Quand on s'est aperçu qu'elle était probablement la commanditaire de l'assassinat de son mari perpétré par ses trois amants, on a jeté un voile pudique sur ce fait nouveau, et on a continué de crier au scandale à la lapidation. Quels réseaux ont-ils permis à cette jeune condamnée d'attirer l'attention sur son cas, quand on a passé quasiment sous silence l'arestation par l'algérie d'ouvriers ayant rompu le jeûne du ramadan, sans compter le sort d'une autre chrétienne iranienne, incarcérée pour fait de prosélitisme religieux ? Pour tant de coptes que tu dis stipendiés par l'ennemi pour être embrigadés dans des milices devant compléter les effectifs de sa parapolice pour assurer sa sécurité, combien de villages passés au peigne fin, si possible au cours d'une liturgie, exactement dans les mêmes conditions que pour la cathédrale de Bagdad, par des troupes de paramilitaires islamiques fanatisées? Suis-je désinformé par celui que tu appelles ton ennemi ? Pas du tout, je puise mes informations aux meilleures sources, c'est-à-dire auprès d'amis coptes ruraux que j'ai connus, qui ont émigré pour fuir ce climat de terreur et qui ont gardé des contacts dans leur pays. En quoi ces chrétiens-là sont-ils moins innocents que les chrétiens d'Irak ? Est-ce parce qu'il a existé une minorité copte, beaucoup moins forte que la minorité chrétienne libanaise, qui a constitué une élite plus opulente dans la capitale égyptienne, qui pouvait rivaliser avec la classe des nababs musulmans de cette même capitale ? J'ai aussi connu, tenant un restaurant à Montparnasse, des descendants de cette espèce d'aristocratie copte du caire, et je ne dirai pas qu'elle m'était sympathique. Enfin, le pape actuel, sur les positions duquel je reviendrai, est allé visiter le patriarche Bartholomeos II de Turquie, dans le réduit où cette nation le laisse, non pas persécuté, mais à peine toléré. Trouves-tu que sa situation soit normale ? Tu me dis que je dois te laisser "les chrétiens d'Orient", ils sont à toi ; mais ne sont-ils pas aussi mes correligionnaires ? Ne dois-je pas m'émouvoir quand j'entends de quelles voies de fait attentatoires à leur vie ils sont victimes ? Et l'Occident laïciste s'en soucierait d'après toi ? C'est pour ça que la France ne délivre que cinq cents visas aux chrétiens iraquiens qui sont constamment menacés. Mais que valent ces cinq cents visas comparés au nombre de visas qui sont délivrés pour l'arrivée des Algériens en France, et de tant d'autres réfugiés politiques ? Même si l'on voulait ne comparer que ce qui est comparable, combien de reconnaissances du statut de réfugiés délivre-t-on à des chrétiens, en raison de la vindicte dont ils sont potentiellement poursuivis en tant que chrétiens, en comparaison de ceux que l'on délivre aux ressortissants non chrétiens d'autres pays ? En connaît-on le ratio et est-il vraiment discriminatoire en faveur des chrétiens ? Je crois qu'il faudrait connaître ces chiffres et répondre à ces questions avant de s'indigner si, pour une fois, dans un pays qui se qualifiait anciennement de "fille aînée de l'Eglise", l'attention est un peu attirée sur la situation des chrétiens à travers le monde, qui passent leur temps à être vilipendés, persécutés, ignorés et moqués, comme des minorités auxquelles on ne prend pas garde et dont notre indifférence est la meilleure ennemie, comme sont tes meilleurs ennemis ceux qui ne se comportent pas dignement à l'égard des exigences éthiques que sa religion confère à ta nation. Sous ce rapport, ne peut-on expliquer que par l'influence néfaste occidentale que 8 % des Pakistanais soient héroïnomanes ? Est-ce uniquement dû aux narco-trafiquants occidentaux ou chinois, héritiers des guerres de l'opium ? Et que dire de la pénétration de l'alcool en Iran (les Persans dans leur simple particulier ne sont pas toujours aussi bons musulmans que la loi de leur République le requérerait) ? Puis-je te laisser dire sans réagir que les musulmans sont meilleurs ou moins mauvais, ou plus justes que les autres ? Pour autant qu'ils le soient en effet, ce qui reste à prouver, en regard des exemples que je t'ai donnés ci-devant, ne sont-ils tout simplement pas en situation d'être aussi injustes que ceux qui les oppriment et que les gouvernants des divers etats de ta nation ne veulent pas désobliger pour le moment ?

5. Quelle est la position de l'Eglise envers les guerres que vous menez ou qui vous sont faites puisque tu dis que "ne pas prendre parti, c'est prendre parti" ? Tout d'abord, puis-je me tenir pour un ambassadeur de la position de l'Eglise ? D'autre part, l'Eglise est-elle une société si pyramidale qu'une chose ne soit pas la position de ses autorités supérieures et une autre la position de ses militants de base ? Tu avais l'air de dire toi-même que, si l'attention avait été focalisée sur les chrétiens d'Orient dans la sphère médiatique, il n'en était pas allé de même dans l'opinion chrétienne, encore que je ne sois pas sûr que l'eglise de france n'ait pas, pour une bonne part, récupéré le film sur le massacre des moines de Tibérines pour mettre les émotifs de son côté, comme jadis, on aimait à mettre les rieurs ? Mes positions te sont connues, aussi ne les développerai-je pas. Celles de l'autorité pontificale t'importent davantage, jetâcherai donc d'exposer comment il me semble les avoir vues évoluer, mais je ne puis le faire qu'en simple observateur qui ne me croit pas particulièrement bien informé, non sans faire précéder les remarques qui vont suivre de cette observation liminaire que le pape est réputé infaillible en matière de Foi (ce que je peux comprendre) et de moeurs (ce qui me paraît déjà plus contestable), mais certainement pas en matière politique. Autrement dit, quelle que soit la manière dont a pu évoluer la diplomatie vaticane, le fidèle catholique de base, pour ne s'en tenir qu'à lui, n'est pas tenu de le suivre dans ses atermoiements ou revirements. Mais, pour reprendre le point de vue de l'observateur, il va sans dire que l'évolution de la diplomatie vaticane est allée dans le sens inverse de ce qu'il en a été de l'évolution de l'opinion publique occidentale, et ceci a été essentiellement dû à la différence des perceptions, des influences et des personnalités des pontifes entre Jean-Paul II et benoît XVI, et aussi au fait que Jean-Paul II était, du fait de son état de santé plus que déficient, en perte d'influence au moment où la seconde guerre du golfe s'est déclarée, pour laquelle soutenir, le Vatican n'a jamais clairement pris position, mais il s'en est fallu de peu, du moins est-ce l'impression que j'en ai retirée...

Au moment de la première guerre du golfe, le cardinal de courtray avait fait scandale pour avoir été le seul à reprendre l'argument prétendument antimünichois de George bush père et pour avoir appliqué à l'événement la célèbre phrase de Churchill concernant la guerre et le déshonneur. Jean-Paul II a été vent debout contre cette invasion américaine. Il faudrait dire un mot de l'impact qu'a eu l'intervention des Alliés dans les balcans, y compris sur la diplomatie vaticane, en partie parce que le cardinal Lustiger, très influent à Rome, s'était montré particulièrement choqué du spectacle qu'avaient donné les attaques serbes contre la bosnie. De toi à moi, nous n'avons guère parlé de ces guerres balkaniques, dont le moins que l'on puisse dire est que le camp supposé chrétien n'a là encore pas défendu les siens. Le cardinal Lustiger avait beaucoup d'influence sur Jean-Paul II, ce qui a peut-être poussé celui-ci à être moins sévère sur l'intervention de la coalition onusienne dans les balkans que sur l'intervention de la même coalition dans le golfe.

Lorsqu'entre le 11 septembre et la seconde attaque des Etats-Unis en irak, un an et demie s'écoula durant lequel on prépara l'opinion à ce qui allait se passer, tandis que Jacques Chirac essaya de faire valoir que cette guerre était injuste, un sulpicien un peu connu de moi, Mgr René cost, commettait un livre sur "les guerre préemptives", où il en présentait une défense un peu embarrassée. Jean-Paul II étant malade, l'Eglise s'interrogeait. N'avait-elle pas toujours considéré certaines guerres comme justes ? Pouvait-il en aller ainsi des guerres préemptives ? C'était là manière d'avancer à pas feutrés que la position changeait et changeait dans le sens inverse des aiguilles de l'opinion mondiale. Pourtant, le Vatican ne soutint pas clairement la seconde intervention dans le golfe, mais son opposition s'y montra moins frontale.

Ceci s'explique sans doute par la relation assez particulière que nouait le cardinal Ratzinger, qui était à demi pressenti pour succéder à Jean-Paul II, avec les Etats-Unis. Au cours de la campagne électorale qui se disputa dans ce pays pour décider de la succession de george bush, le cardinal ratzinger ne prit certes pas ouvertement position pour le candidat républicain, d'autant que le Parti Démocrate était représenté par un candidat catholique ; mais il émit une circulaire en interne pour faire savoir que tout candidat catholique qui se déclarerait favorable à l'avortement ou ne s'opposerait pas aux juridictions actuellement en vigueur contre ce fléau prises dans le pays se mettait en état de péché public, ce qui justifiait que la communion ne lui fût plus distribuée. Ainsi agit du moins une minorité d'évêques proches du courant ratzingerien qui estimèrent mettre par là en application ce qu'"ils avaient lu de Rome. Lorsque Jean-Paul II était allé voir Bil clinton, l'entretien n'avait pas été tendu entre les deux hommes, mais l'opposition avait été très nette entre le chef du catholicisme et le Président des etats-Unis, et cette opposition avait porté sur ce que ce pays-monde véhiculait des valeurs matérialistes incompatibles avec les aspirations spirituelles véhiculées par le christianisme. Tout autre fut la relation entre BenoîtXVI et George bush d'abord, puis Barak Obama par la suite. Lorsque celui-ci se présenta pour succéder à celui-là, les circulaires avaient cessé de pleuvoir contre les candidats qui ne convenaient pas à rome ; mais il semblait que la politique d'ensemble que menaient les Etats-Unis était davantage comprise et approuvée par le Siège de Pierre. Le terrorisme devint une des menaces contre le monde que se mit à brandir périodiquement benoît XVI. En un mot, il semble que, depuis l'avènement de ce pontife, l'Eglise ait davantage occidentalisé ses positions et ne soutienne plus, quand elle est légitime, la lutte que vous menez contre l'oppression dont vous êtes la cible, de la part, non pas d'un suprématisme chrétien, mais d'un certain impérialisme américain.

6. Tu fais état de certaines rumeurs d'ententes illicites qu'il pourrait y avoir eues entre le patriarche Nassrallah Boutros Sfeir et l'ennemi israélien qui, pourvu que ne soient pas bombardées les zones chrétiennes, lui aurait fait quelques concessions. Oui, mais lesquelles ? Il me semble que les alliances dans la nation libanaise sont assez souvent réversibles, ne serait-ce que parce que les chrétiens entre eux sont divisés, entre les partisans de Samir Geagea ou ceux du général Aoun, et les musulmans ne sont pas plus unis. Ce que je sais du patriarche sfeir est que le gouvernement libanais, à l'époque où il était dirigé en sous-main par la sirie, mais peut-être même après, voulait lui faire rendre certains de ses domaines, ce qu'il refusa, arguant que ces domaines n'étaient pas à lui, mais la propriété du pape. Je tiens cette histoire d'une conférence où je l'ai entendue raconter à antoine Joseph Assaf, qui y voyait une preuve d'habileté de son patriarche, quand je n'y voyais, moi, qu'une preuve de dissimulation et de manque de patriotisme qui ne pouvait être bon à rien qu'à flatter des ambitions d'un autre temps. La preuve m'était apportée par là que le christianisme maronite n'a point renoncé à être domanial. Ce n'est pas, comme le nôtre, un christianisme de la désappropriation. Il n'a pas renoncé à ses ambitions patrimoniales. Mais encore une fois, la couture du Liban est-elle assez solide pour qu'on puisse en tirer quoi que ce soit de généralisable à l'ensemble de la civilisation islamique dans laquelle les chrétiens sont une part de la nation ? Tu sembles faire aveuglément confiance aux allégations de Wikyleaks. Sont-elles bien sérieuses, et toi qui n'es pas homme à nier qu'il puisse y avoir du complot dans l'histoire, qui te dit qu'il n'y a pas une vaste intoxication derrière cet écran de fumée, intoxication visant par exemple à diviser le front de la nation islamique en y aggravant le désespoir ? Je n'ai jamais jeté un oeil aux dépêches de Wikyleaks et le considère comme une lacune, mais je crois cette interprétation possible, étant donné ce qu'il en appert : ce ne serait plus seulement Israël qui voudrait la fin de l'Iran, mais le roi d'arabie qui supplierait à genoux les Etats-Unis de la détruire. Est-ce bien sérieux ? Je ne manifeste nulle ironie en posant cette question, je sais que les hommes, même d'un même camp, sont capables d'assez de divisions pour qu'ils n'aient pas besoin de se faire aider. Mais ce que je vois derrière les informations qui filtrent de ces dépêches, c'est que finalement, tout le monde est d'accord... L'empire américain ressort plutôt grandi de ces révélations, sinon certes qu'il ne sait pas se protéger de ceux qui veulent divulguer ses télégrammes non chiffrés. Depuis quand les télégrammes des services secrets ont-ils cessé de l'être et leurs auteurs de prendre les précautions minimales pour ne pouvoir être interprétés par le premier venu ? Autant je vois mal comment les Etats-Unis auraient eu intérêt à se découvrir non invincibles à travers un complot par lequel ils auraient organisé eux-mêmes leur 11 septembre pour faire ensuite une guerre d'Irak où ils ne capturèrent qu'un Saddam Hussein en loques et une guerre d'Afghanistan où, s'enfonçant dans le bourbier afhgan, ils ne réussirent jamais à mettre la main sur Oussama Ben Laden, autant, de voir ainsi la diplomatie des etats-Unis censés tous nous espionner accessible au tout venant, les rend plutôt sympatiques. Si ma contribution pouvait seulement te rendre espoir, bien que je ne te suive pas dans toutes tes sommations, je n'aurais pas perdu mon temps.

Quant à l'antienne sur le bénéfice de la puriculturalité dans ta nation et à l'apport de l'élément chrétien, tu la cites bien que ne te déclarant guère convaincu. Pourquoi l'éventuelle trahison des chrétiens te paraît-elle plus grave que la trahison des tiens, tout aussi éventuelle ? N'exiges-tu pas beaucoup en demandant à l'élément chrétien de se reconnaître "musulman de nation" ? Ne faut-il pas que, chez toi comme chez moi, l'élément indigène permette à l'élément allogène de relever la tête pour qu'il puisse se sentir partie prenante d'un destin croisé, le terme étant pris ici dans le sens inverse de celui que tu lui donnes habituellement ? Mais toi aussi sais jouer avec. Est-ce que ce qui ressort de tout ce que nous disons n'est pas la nécessité d'une définition d'une "identité territoriale" à travers le monde à l'instant t de cette époque déboussolée et sans repères ? ? Car je sais bien que cette identité est amenée à se mouvoir.

Je ne puis, ni épouser toutes tes causes, ni les proscrire toutes. La justice réclame que je les pèse avec équité. Tu es accueilli chez moi (pour simplifier), tu as été modifié par cette culture et cette terre et tu entends la modifier. Jusqu'où puis-je accepter de prendre ton parti sans me renier moi-même ? Charge à moi de ne pas te demander de renoncer à ce que tu es, ce que je ferais si, en te nationalisant à la va vite, je déclarais sans te demander ton avis que je t'ai adopté. Il y a une chose à laquelle je suis très sensible dans ta situation c'est que le différentiel entre les Arabes qui connaissent une langue européenne et les Européens qui connaissent la langue arabe est de 1/250000. Je ne puis certifier l'exactitude de ce chiffre, mais je l'ai entendu citer il y a peu, et je crois que le rapport est de cet ordre-là. D'autre part, il y a une chose à laquelle j'ai été très sensible dans ta missive : c'est lorsque tu me dis que le dialogue islamochrétien est par essence asymétrique parce que, par l'héritage dont se réclame ta religion, tu es obligé de me reconnaître et moi pas. Pire encore, je suis obligé d'invalider ta révélation-doctrine pour m'assurer dans la mienne. Cette asymétrie me commande la douceur et le respect. Elle est à l'origine, plus encore que ne peut l'être la différence de suprématie entre ta nation et le bloc occidental hérité de l'influence chrétienne qui tient encore le haut du pavé et dont je gage que cet impérialisme te désespère plus que mon christianisme ne pourra jamais le faire en se montrant franc avec toi, de ton sentiment de frustration. Ceci, je ne peux que l'entendre et je dois en tenir compte lorsque j'entre en relation avec toi. Tu es dans une asymétrie idéologique et médiatique qui te tient en humiliation existentielle. Où tu me trouveras toujours de ton côté est que je souhaite ton relèvement. Mais où tu ne me feras jamais t'approuver est si tu considères que ton relèvement ne peut faire l'économie du ressentiment. Les Juifs disent que la shoah relève de l'impardonnable. Cela va à l'encontre de leur foi, car le pardon fait partie des préceptes qu'ils doivent respecter. Ne les imite pas et apprends à pardonner. Si tu t'élèves sans avoir pardonné d'abord, tu seras un tyran implacable. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, et le préalable de notre discussion ne porte pas que je sois certain que tu t'élèveras. Elle me porte néanmoins à te le souhaiter même si, dans ton état d'esprit actuel, je ne gage rien de bon de ton élévation. Rien qui ne m'assure qu'un ordre injuste sera, si tu es couronné, remplacé par un ordre juste. Car l'accumulation de trop d'injustices ne peut être vengée. Aussi, pardonne avant de te relever, et laisse peut-être à penser que le pardon, que la cessation du ressentiment est peut-être la condition de ton élévation. N'oublie pas que tu ne dois t'élever que pour le bien de l'humanité. Si tu es dans ces dispositions, je ferai fi de l'élément religieux et j'épouserai tes causes. Mais si j'y vois trace de haine, je ne puis être avec toi dans la lutte. Tu me diras que cet ordre du monde te hait. Il te hait peut-être sourdement, mais tu risques de me haïr aveuglément. Tu vois qu'insensiblement, je viens de me confondre avec cet ordre du monde, de me rallier au bloc occidental. C'est que je ne puis m'empêcher, si je suis un chrétien apatride, d'être un occidental qui se raccroche à ce qui reste, solide ou non, de son suprématisme bien entamé et qu'il est tout prêt à te céder si tu t'apaises. Salam,

sur toi du Torrentiel

PAROLES CROISEES (dans la série "DIALOGUE ENTRE LE TORRENTIEL ET UN CROISSANT DE LUNE", partie III, deuxième échange, répartie A)

(Du croissant de lune, posté le 23 décembre à 23h46)

Mon cher Torrentiel!

Si je t'ai fait un peu de bien, l'autre nuit, j'en suis heureux en retour. Merci, pour ta chanson des neiges, ses paragraphes inégaux, se prennent bien en main, comme des brassées ou des boules. Au moins, toi, tu n'accuses personne, pas besoin de coupable, comme certains, qui en font un réflexe conditionné, si tu vois ce que je veux dire. En voilà un, s'il faut un symptôme de plus, que la France souffre. Décidément, plus moyen d'invoquer les impondérables. Le même jour, il y eut en Allemagne, une dizaine de morts sur les routes, par suite des intempéries, sans que la chancelière accuse personne. Des maux de la France, j'entends reparler une autre fois.

J'ai brassé de la neige à pleines mains, aussi, j'ai entendu et senti couler tes interrogations idéatives, à moins que ce ne soit comme l'envol d'une vapeur, fumée ou esprit. Vraiment, tu es intangible. On aimerait te saisir, te presser, pour être bien sûr de ta corporalité et matérialité terrestre. Comme tu jubiles, dans ces choses. En vrai, tu me fais penser, par le ton et le contenu, à un certain Claude Métra, que j'ai entendu parfois sur France-Culture, il y a longtemps de ça! Connais-tu beaucoup de gens qui te ressemblent, sous ce rapport? Je trouve ça étrange, et pourtant, c'est plaisant, je ne sais pourquoi, il me plaît d'entendre ce genre de chant. Des soufis et mystiques te sont semblables, ils chantent et soupirent pour l'unique, pendant de longues heures. J'aime les entendre, sans qu'il soit nécessaire de les comprendre, si tant est que ce me soit possible. C'est tout un monde, un horizon où évoluent des êtres, qui suggèrent à l'homme juste, un sentiment de bienveillance, voire de protection.


Concussionaires, faibles et lâches, sont les gouvernants de ma Nation, il y aurait même plus que ça! Faiblesse dialectique évidente, dont tu fus témoin, quand tu fis certaines rencontres, dans des cafés: ils n'ont pas su redresser tes arguments. Ce n'était que des passants, mais les imans eux-mêmes, n'eussent pas mieux fait. Tableau de léthargie, indifférence à son propre sort, à son avenir, proche fût-il, des guerriers, dis-tu, mais pas des foudres de guerre. Qu'on les accuse de quoi que ce soit, au bout d'un temps, ils commencent à le croire. Quand les pilotes Américains, en 91, arrivèrent sur Bagdad, ils trouvèrent la ville éclairée comme à l'ordinaire. Je parie que la veille et le jour même, les gens ont vacqué à leurs affaires comme d'habitude, sans panique particulière. L'angoisse extrême est certainement malfaisante, mais cet état de confiance infondée, cette insouciance maladive, de la base au sommet, qu'est-ce donc? J'aime mieux mon angoisse et mon mal, plutôt que cet état de léthargie, d'homérisme, de défaitisme en fin de compte.

Je te prie, Torrentiel, de souffrir de moi, l'essai de la traduction partielle d'un poème populaire naïf, en rapport avec les évènements de 1991, qui atteindront leur 20 ans d'histoire dans moins d'un mois. Il dit à peu près ceci. :


" Ah, si les pleurs pouvaient à rien servir,
je trouverai une cassida dont les rimes,
seraient gémissement, sanglots, pleurs et soupirs.
Si les larmes des yeux, pouvaient à rien servir.

Si la source des pleurs nous rendait quelque chose,
du temps perdu, qui nous a dépassé ;
il y a une durée et des années,
que le flot coule sans tarir.
Si vous questionnez, pourquoi t'affliges-tu?
Mais voyez l'état des jeunes gens!
Si ton coeur est sur la beauté,
tu trouveras le bien des femmes ;
si tu aimes à maçonner les murs,
certes, par toi, le chantier s'élève et progresse aisément!
Si t'atteins le mal des prisonniers,
un jour viendra, tu ouvrira le portail.
Mais si ton coeur est sur le peuple de Palestine,
qui ont oublié jusqu'au pays des Arabes,
que diras-tu à ces raisons?
Mais après, objecte encore à ma douleur.
Ah, si de rien servaient les pleurs.


Comme tu veux que la tristesse se dissipe,
et que sèchent mes paupières ;
comment donc, puisqu'à l'entour,
c'est moitié oisifs et moitié sans travail!
Si résigné, j'y voyais de la raison,
je cesserais de m'affliger,
et je ne trouverai plus ni vers ni parole,
ni rime ni exemple,
sachant qu'à rien on n'aboutit,
ce n'est que des mots que l'on dit,
mais à quoi bon, des paroles sans action,
pourquoi des armes sans hommes,
pourquoi des Arabes sans chefs,
des responsables sans projet?
De quoi s'agit-il?
Rien d'autre que l'excès d'indignation ;
Ah, si les pleurs pouvaient servir. "


Voilà un petit exemple de ce qu'on nomme poésie populaire. Ce phénomène garde une grande importance et vivacité, je ne crois pas qu'il y ait un équivalent, dans la France actuelle. Du reste de l'Europe, j'ignore ce qu'il en est. Ce qui fait presque mal au coeur, c'est d'entendre cette simplicité nue, qui transparaît malgré la traduction. Ce qui est charmant, c'est d'une part, que la forme importe autant que le fonds, d'autre part, l'indistinction relative des thèmes qui ne sont pas délayés. Ce n'est pas de la réthorique, tout se mêle dans une même plainte, tant le chômage que le défaut de solidarité envers l'Irak et la Palestine. Dans le coeur du peuple, tout ça va ensemble. L'intuition générale, est qu'il faut choisir entre un état de résignation et de marasme à tous égards, ou un élan de relèvement, bâtisseur et combattant dans le même instant. Je suis intimement persuadé, que c'est parfaitement exact, quoi qu'en pensent, certains socio-démocrates et comparses, qui s'imaginent pouvoir dissocier les causes les unes des autres. Ce n'est pas sans raison que le peuple les rejette, on les voit servir d'opposition paliative et décorative, jouissant du soutien des gouvernants et de la force étrangère. Le sens du peuple a souvent plus de justesse et de vérité que les délires complexes et les constructions de certains. Délivrer les terres prises et les peuples gémissants, tout en bâtissant et en dressant les édifices et ouvrages, voilà le voeu juste de la Nation.


Pour en revenir aux propos du message précédent, je viens de voir sur la Jézira, une émission sur le thème : "L'islam et la liberté". Entre bien des choses, j'ai retenu que le Coran, parole de Dieu, ne contient pas de simples ordres. Ce sont bien souvent des directives ou injonctions, suivies d'une invitation à réfléchir. A une injonction succède une proposition du style : "Ceci est bon pour vous, puissiez-vous réfléchir" ou bien, "Si vous saviez". D'autre part, le Coran est en partie une conversation, un dialogue. Il semble répondre à des questions que le prophète se pose, ou encore, des questions que d'autres lui ont posées. Enfin, il faut ajouter la compréhension de l'unicité s'opposant aux idoles, ce qui est aussi une démarche libératrice. C'est que les idoles ne sont pas que des statues ou figurines, le polythéisme offre le moyen de tout diviniser. L'homme peut ainsi diviniser ce qui convient à telle passion ou vice auxquels il s'adonne. Si on entend la liberté, comme étant, d'être libre tout aussi bien envers soi-même, et non pas seulement envers des contraintes extrinsèques, l'unicité tend à libérer l'homme. Si le paganisme eût survécu jusqu'à présent, qui sait si on n'eût pas façonné un Dieu, déesse ou esprit du tabac, par exemple. Avec tout ça, il est clair que certaines traductions sont arbitraires. Même l'abbé que tu aimes bien, avait repris cette antienne dans son article, je ne l'ai pas relevé. Il s'était permis aussi d'émettre des doutes sur l'authenticité du Coran, qui fut, certes, rassemblé quelques temps après la prophétie, sur le papier, étant fixé et rassemblé dans les mémoires des milliers de récitants. Sur ce point, il eût été aisé d'en remontrer à l'abbé, à propos de certains évangiles tardifs! Qu'il ne revienne pas s'y frotter! Qu'en est-il de ceux qui se trouvent parfois, rarement, en prière, sur la voie publique, aux abords des mosquées? Je paries que sur le blog de l'abbé, divers commentaires se bousculent. Pourtant, la faute et l'accusation, devraient peser sur le gouvernement Français, qui a toléré, sans poursuivre ni punir, les maires qui ont retenu abusivement certaines autorisations et permis, ce qui est un dénit de justice élémentaire, et un défi à la loi! Comme quoi, ce qu'on nomme laïcité, n'est pas neutre, mais bien complaisant, au contraire, ce qui revient à dire qu'on n'est pas en laïcité.


Hé, Torrentiel, ne vois-tu pas en Afrique, un évangéliste, arc-bouté sur son pouvoir? C'en est un, par sa femme, de la même secte que Georges W Bush, l'évangélisme réel! Parles-moi d'apolitisme après ça! Flèche du parthe que je t'envoies avant de m'enfuir dans la nuit.


Avant de te quitter pour ce soir, je te demande, qu'en penses-tu si on se téléphonait? Si ma proposition t'agrée, fais-le moi savoir, et remets-moi en mémoire ton téléphone! En tout cas, au demeurant, je forme pour toi, des voeux de joie et de pleinitude, en ces périodes de fête. Que soit pour toi, bonne et douce, la grande fête des Chrétiens.


Ton croissant de lune enneigé.

PAROLES CROISEES (dans la série : "DIALOGUE ENTRE LE TORRENTIEL ET UN CROISSANT DE LUNE, partie III, deuxième échange, répartie b)

(du Torrentiel le 27 décembre 2010 à 23h48)

Mon cher Croissant de lune,

Tout d'abord, je te prie instamment de me pardonner si je n'ai pas vu passer ce premier message auquel je réponds bien tardivement, au détour duquel tu me proposais un rendez-vous téléphonique qu'il m'eût fait plaisir d'honorer, si je n'avais, je ne sais comment, pas vu passer ce message. Aussi, pour peu que nous convenions d'un jour, je te redonne mon numéro :
.........
Je te remercie également pour ce que tu me dis du rapport de ma poésie intitulée "chanson de neige" avec la poésie soufi. Tu sais bien voir ce qui se cache derrière une inspiration poétique : la désincarnation et, bien que de violence et de romantisme existentiels ce poème soit teinté, le besoin de protection que dissimule une telle écriture. Quant à ton opinion que je suis intangible autant qu'insaisissable, puisse-t-elle être vraie bien que ce puisse être une souffrance. Car être insaisissable, c'est l'être aussi pour soi-même.

Tu as réagi à un poème que j'avais écrit quasi sous l'impulsion d'une écriture automatique. Si le poète se prouve en traduisant, tu es bon poète parce que bon traducteur, exercice auquel je ne me suis jamais livré. J'ai particulièrement apprécié ces deux vers :
"Si t'atteint le mal des prisonniers,
Un jour viendra, tu ouvriras le portail."
Tu aideras celui qui est injustement tenu dans les fers, ou qui n'a pas trouvé en lui assez de ressort pour connaître la liberté fût-elle intérieure, à prendre son essor, à s'évader plus loin que l'onirisme. Tu briseras ses chaînes. Il y a là un horizon plus vaste que de simplement proposer aux prisonniers de s'évader en dormant, comme le faisait Edith Piaf dans sa chanson. "Briser les chaînes" du prisonnier fait partie de l'utopie cryptochrétienne, dirais-tu peut-être, de la seconde moitié du vingtième siècle, de bâtir un monde nouveau, dans laquelle j'ai été élevé. "Je plains cette utopie" (c'est-à-dire que je la regrette), parce qu'elle était encore porteuse d'une espérance, si tu veux politique, mais politique en ceci qu'elle voulait assigner au monde certaines valeurs. Nous croyions à un "monde nouveau" fondé sur l'amour, répétions-nous. Le christianisme d'après l'euphorie postconciliaire a tout simplement renoncé à croire au progrès humain. Il s'est inscrit dans la dépression qu'a suivie la défaite des idéologies. Il l'a crue sienne. Or le christianisme ne saurait être entraîné dans la défaite des idéologies, d'abord parce que c'est une spiritualité et non seulement une idéologie, ensuite parce qu'il a pour lui les promesses de la vie éternelle, de sorte que son espérance, lors même qu'elle veut avoir les pieds sur terre et s'incarner dans cet ici-bas qu'elle veut rendre meilleur, n'est pas mortelle.

Par contre, que veulent dire les deux vers suivants :
"Mais si ton peuple est sur le peuple de Palestine
Qui a (plutôt que qui ont) oublié jusqu'au pays des Arabes"... ?
Cela veut-il dire que c'est parce que le peuple de Palestine a oublié son arabité qu'il en est à cet abandon ?" Cela veut-il dire que les peuples de la nation arabe ont oublié le peuple de la Palestine ? L'abandon de la Palestine résulte-t-il au plan intérieur de ta nation du croisement de ces deux phénomènes ? Une chose est sûre : c'est que "la rue arabe" (pour autant que l'on puisse employer pareille expression que je trouve méprisante) n'a pas oublié le peuple de Palestine, si ses dirigeants l'ont fait. Sadam Hussein aurait-il été l'homme qui, à la faveur d'une menace, s'en serait ressouvenu ? Et s'en serait-il ressouvenu pour instrumentaliser cette cause ? Je ne l'ai jamais cru, pas plus que je ne pense aujourd'hui que l'Iran fasse ainsi. Cette région du monde étant son point névralgique, les judéochrétiens sont vraiment judéochrétiens, au risque d'être en réalité sionisto-occidentalistes ; et les islamo-palestiniens sont réellement des panislamaistes qui voudraient faire de la Palestine le levier d'une renaissance de leur grande nation, tu me l'as assez démontré. Deux projets politiques émanant de deux ères géographiques se font face. Te disant que le judéochristianisme adoptant le territorialisme de ce que le judaïsme comporte de moins spiritualiste devient un occidentalo-sionisme, je te fais l'aveu que le sionisme est un projet occidental à contre emploi de l'orientalisme des origines de ce territorialisme, mais qui cesse d'être à contre emploi si l'on considère que l'Occident est devenue l'ère d'influence sur laquelle s'est émancipée le judaïsme en son exil. Nous reviendrons plus tard sur la justice ou la justesse de ces deux projets, je n'ai pas encore désespéré de répondre à ta missive. Pour le moment, tu te félicites de la pénétration d'une poésie populaire qui exalte l'action, qui dit qu'il faut des hommes pour les armes, qui ne se résout pas au chômage de masse, bref qui entrevoit comment régler les problèmes politiques que l'incurie des dirigeants laisse en friche. C'est une preuve de plus, croissant de lune, que la solution politique passe par la ressaisie par le peuple de la souveraineté. La politique est poésie parce que la poésie est création et projet et que la politique ne peut se faire sans dessein. Le peuple est souverain de son expression à sa décision. Que ta nation soit passée maîtresse en cette sorte de poésie populaire, je te le concède en partie, ne fût-ce que parce que, du peu que j'ai pu connaître de l'atavisme préislamique kabyle, il y avait cette poésie tribale, où la parole d'un homme, du chef, du guerrier, où ce qu'il répondait sur le marché à qui essayait de le truander ou à qui lui disputait de pouvoir vendre telle denrée là où il l'avait transportée, se colportait en une sentence qui devenait la parole de la tribu. Ainsi les poètes étaient les plus grands chefs de tribu, ce qui va exactement à l'encontre de ce que j'énonçais à l'instant ; encore qu'une parole ne naisse jamais directement d'un peuple avant qu'elle ne soit sortie d'une bouche dont la produire est le charisme, répercutant l'inspiration d'un peuple qui, ensuite, peu la reprendre à son compte. L'avènement de la démocratie directe s'il a jamais lieu, si ce n'est pas une utopie comme je ne souhaite pas pour toi que le soit la ressaisie de ses forces vives par ta nation, n'exige pas l'avachissement des "leaders". Alors elle s'opposerait au charisme naturel de certains individus. Or s'opposer à quelque chose de naturel est simple vanité. Mais si je dis d'autre part que ce bon sens de la poésie populaire de ta nation fait partie de songénie, mais n'est pas son monopole, ce n'est pas seulement pour regretter que tu aies tendance à monopoliser pour elle certains traits du génie des peuples qui n'est à proprement parler le propre d'aucun d'entre eux. C'est aussi pour te rappeler le succès de certaines manifestations comme "le printemps des poètes", de l'ensemble des poèmes affichés dans le métro et qui vont bien plus droit au but que ne sauraient le faire des poèmes forgés par des intellectuels et publiés des revues lues par une improbable élite ; le succès de toutes les académies poétiques ou clubs de poètes florissant dans toute la province française ; mais même du Tag, du SLAM ou du RAP qui ont certes pris certains traits de la prosodie nègre (la même dont on a fait les negro spirituals et de la même origine dont on ne peut nier que le soit le RAP), mais qui se sont bien acclimatés au Français tel qu'ils le renouvellent. Je ne puis moi non plus te rendre compte dans des termes exacts et précis de ce qu'il en est de la vivacité poétique populaire dans d'autres pays d'Europe ou ailleurs dans le monde. Ce dont je suis sûr en revanche, c'est qu'une antienne nocive consiste à regretter le manque d'influence de la poésie dans l'édition contemporaine. Evidemment, si la poésie en question est purement formaliste et nullement significative parce que paradoxalement adepte de la religion du signe aud détriment du sens, elle ne saurait se répandre et susciter l'intérêt des masses. Mais, là où tu peux comme moi espérer dans la reprise en main par tout peuple de son destin, c'est qu'un peuple n'a jamais la religion du non sens. Et c'est ainsi que le peuple n'a jamais cessé d'aimer et de lire de la poésie, pas plus qu'il n'a jamais cessé de fréquenter et d'alimenter les expositions de soidisant "peintres du dimanche", dont j'aimerais que l'inventivité des "artistes contemporains" que le marché de l'art surpaye et qui sont subventionnés par les DRAC ou le ministère de la culture, ait quelque chose à envier à cette créativité tous azimuts et du tout opposée au non sens. S'il y a, parmi ces peintres du dimanche, d'inévitables sans talent qui exposent des "croûtes", ils ne sont pas majoritaires. Une expérience toute récente me convainc avec émerveillement et émotion de la créativité des faiseurs d'estampes qui ne sont pas estampillés, subventionnés ni pensionnés.

Est-ce un avatar de notre "civilisation de l'image" que les producteurs d'images aient perdu toute imagination ? La chute de l'offre télévisuelle est catastrophique. Est-ce parce que le cinématographe n'était pas tant le septième art qu'il ne représentait une régression dans l'art en ce qu'il se proposait moins de dessiner la nature qu'il ne se contentait de la remettre en scène, avec à peine un correcgtif quant au zoom ou au plan de ce qui était filmé? Va-t-on nous taxer d'obscurantisme parce que nous nous permettons des remarques acerbes sur ce que nous appelons d'un nom qui paraît surgi du fond des âges, le cinématographe ? Puisque nous sommes si bien partis, continuons sur cette lancée. Il y avait quelque chose de vrai au fond de l'intuition iconoclaste. Ce quelque chose de vrai, c'est qu'à force d'imiter la nature, nous allions avoir un culte de l'images, au point de nous fatiguer les yeux à fixer une image formée par vingt-quatre images par seconde, de nous fatiguer les yeux jusqu'à imiter les trois dimensions sous lesquelles nous regardons pour croire voir des films en relief. L'art s'était donné pour fonction d'imiter la nature en en parachevant la perception. La civilisation de l'image a poussé l'imitation jusqu'à la singerie, la dérision, la mise en scène sans perspective, avec défiance de l'art qui devait aller jusqu'à démystifier son geste et sa finalité, jusqu'à ne plus croire au signe ni au beau, étant donné la prolifération de l'image, laquelle devait de son côté amener ceux qui en produisaient à perdre toute imagination. On ne peut donc impunément ironiser sur l'iconoclasme. Pour autant, faut-il voir une source de paganisme dans le fait que nous aurions attribué une énergie à toutes nos passions, voire à l'aura de toute chose ? Je me ris de ce que tu supposes un "esprit de tabac" tout comme on a parlé d'"esprit de vin" qui n'était pas l'esprit du vin, mais je ne sais quelle composition formée à partir du vin. Où le jeu de mots poussait encore à la chanson était que les spiritueux se trouvaient avoir même racine que le spirituel. Le vin est l'espèce à partir de laquelle le Sacrement réalise la transsubstantiation dans le Sang du christ. Tu me diras peut-être que mon goût immodéré du vin m'égare et qu'il n'est pas étonnant que je m'aveugle à décliner ce spiritueux en énergie spirituelle. Au vrai, l'énergie existe et l'énergie est esprit. L'énergie est ce que Freud après les Mélanésiens auxquels il emprunta le nom, aurait appelé "le manah" de la matière. La matière n'est qu'une certaine condensation, déperdition et sédimentation de l'énergie. Chair est matière tout comme Esprit est énergie. Toute énergie doit-elle être élargie à la dignité d'une spiritualité ? Certainement, si seulement l'on sait pratiquer "le discernement des énergies" ou le "discernement des entités, expressions que je préfère au "discernement des esprits", car l'esprit n'est pas divisible alors que le diable règne sur un "royaume divisé". On pourrait parler de "discernement des énergies" ou de "discernement des entités", par où l'on pourrait revenir à vos gins. Mais les entités ne sont pas l'Esprit, justement parce qu'elles sont contenues entre l'étroitesse de la chair, réduites à une passion ou à une impulsion, et la largeur, et les largesses de l'Esprit libérateur, qui peut "ouvrir le portail des prisonniers" pour les élargir, à qui est sensible à leur "mal". Le contraire du mal, c'est l'esprit. Il ne faut donc pas craindre une dispersion des esprits en autant d'impulsions énergétiques que donnent à l'homme ses passions puisque l'esprit ne saurait être dispersé dans ce qui le divise. Une occasion pour moi de te dire (peut-être répondrai-je ainsi à ta missive par petites touches) que tu fais un bien mauvais procès aux lumières, catégorie philosophique pas autrement raisonnable que ça, d'être une réaction contre l'obscurantisme chrétien. Ceci peut être de ta part une réaction dialectique ou rhétorique, mais tu ne peux pas supposer que "les lumières" soient une réponse à "la Lumière". Tu dis que l'Islam est "lumière sur lumière" et que "l'Islam des lumières" prôné par Malek chebel laisserait à penser qu'il pourrait seulement n'être pas lumineux. N'oublie pas que c'est Saint-Jean qui a, le premier, ajouté à sa définition de Dieu comme "amour, l'affirmation toute aussi prédicative que "dieu Est Lumière". Dernière concordance avant de quitter ces sphères, celle du commandement que donne le Coran et du commandement vétérotestamentaire accompli a fortiori dans son expression néotestamentaire : le commandement est moins conçu comme un ordre que comme une explication des lois de la nature. Les "tables de la loi" sont moins gravées comme des sentences à respecter que comme des explications du mode d'emploi du coeur et du monde ou des lois ontologiques. Elles contiennent moins des injonctions qu'elles ne sont assorties d'une promesse. Les exégètes les ont appelées "les dix paroles", de même que les béatitudes, qui accomplissent la vaine de l'expression du commandement, déclarent "heureux en espérance" celui qui adopte telle attitude spirituelle. Il n'y a donc pas grande différence entre l'énoncé primitif du commandement accompli par la béatitude et l'injonction coranique assortie d'un "cela vous est bon". Comme toi, je crois qu'il ne saurait y avoir Parole de Dieu qu'abondée par une parole humaine, que répondant à des questions que le prophète (ou voyant) pose à dieu parce que le peuple les pose au prophète, ou à des questions que Dieu sait que l'homme se pose. Il ne saurait y avoir de prière qui n'émane d'un dialogue de l'homme avec Dieu où la liberté de l'homme est d'abord insoumise, et c'est par où la dénomination de Jacob comme Israël exprime une réalité puissante quant à la liberté religieuse : le nom de Jacob est changé en Israël qui signifie : "fort contre Dieu" ou même, d'après certaines traditions rabbiniques, "en lutte avec dieu". Par opposition, on a voulu faire de vous les "soumis à dieu" comme des esclaves spirituels. L'une et l'autre attitude se justifient : il ne faut lutter qu'en vue de se soumettre, mais on ne peut se soumettre qu'après avoir lutté afin d'être "un home complet sorti des mains de Dieu", comme l'exprimait fort bellement un texte spirituel sur lequel je n'ai jamais cessé de méditer ma vie durant.

Mais redescendons sur des terrains plus politiques où l'actualité nous commande. Marine le Pen, à qui tu fais allusion sans la nommer, a assimilé à l'"occupation" le fait que des rues soient "occupées" par des musulmans qui prient. Au début, révolte et condamnation unanimes des médias et de la classe politique avant que les uns et les autres ne se ravisent. Il faut dire que la "fille à papa" (pour qui je n'ai nulle tendresse) se défend habilement : "ce sont les réflexes conditionnés des médias qui écrivent ce mot d'occupation avec un O majuscule". Ben voyons, comme si les mots étaient innocents ! Marine, qui veut faire avec la bénédiction de celui-ci, une OPA sur le parti de son père, qui ne rêve à rien tant que d'associer à son nom une force protestataire et de former une dynastie républicaine, était censée dédiaboliser le Front, elle en reprend les dérapages les plus nauséabonds. Mais tout à coup, dans la bouche de Marine, ils ne deviennent plus des dérapages, parce que ces dérapages ne sont pas antijuifs (Marine a d'ailleurs adhéré à l'association "france-Israël"), mais antimusulmans. Comme on s'en aperçoit, la parole médiatique se libère : voilà que le fait de voir des gens prier dans la rue contrevient à la laïcité, ces gens qui prient occupent donc la rue... Ceux qui processionnent aux dates élues par le calendrier chrétien en font autant, mais on n'empoierait jamais le mot d'"occupation" à leur sujet... Même on ferme les yeux, on se voile la face, non pas parce que la laïcité ne serait pas neutre, mais quand bien même rêverait-elle d' effacer pour jamais le terreau culturel chrétien de dessus le sol de France pour le remplacer par son athéisme qu'elle ne le pourrait pas : l'empreinte en est trop marquée. Et quand bien même le pourrait-elle, l'empreinte du christianisme s'effaçant à force d'indifférence, qu'elle ne le voudrait plus, car son athéisme ne supporterait pas qu'une religion encore plus affirmée que ne l'aura été le christianisme en ses heures les plus triomphantes ne vienne suppléer au néant de la laïcité, néant, non pas idéologique, mais spirituel ; or, comme tu le dis à juste titre, la nature a horreur du vide spirituel. La laïcité est neutre, mais c'est l'identité qui ne l'est pas. Si tu dis que les municipalités ne délivrent pas facilement de permis de construire, attentant ainsi inutilement à la liberté de culte et exaspérant la religiosité musulmane en une délinquance juvénile éventuelle, c'est que les réticences sont fortes dans la population à voir construire, à supposer qu'il le faille, autant de mosquées que d'églises, bien qu'il y en ait déjà beaucoup qui soient désaffectées. La laïcité doit reconnaître malgré elle qu'elle est plus identitaire qu'elle ne se voudrait. Mais, étalant ses contradictions, elle se révèle d'autant moins respectable par les vrais religieux quels qu'ils soient. Elle perd toute respectabilité parce qu'elle se révèle une pure idéologie désincarnée, déterritorialisée, à la superbe de qui le principe de réalité vient rappeler en la narguant qu'elle ne saurait vivre à moins de s'incarner sur un territoire et dans une identité. La laïcité se révèle ainsi comme le fruit d'une histoire et celui du christianisme. Mais comme c'est un fruit qui a poussé en haine de son arbre, la laïcité se révèle comme l'ennemi des autres religions parce que l'ennemi de sa religion mère. Donc le laïcisme est le fruit pourri du christianisme, le rejeton de la mère qu'il a rejetée. L'Occident n'ira que sur une pente déclinante en se réclamant de ce fruit pourri-là. Quant à Marine le Pen, je te sens enclin à croire que, si les médias et la classe politique ont été si prompts à se raviser, c'est qu'il ne fallait pas oublier que la droite républicaine voulait faire alliance avec elle. Je persiste à n'en rien croire. Mon interprétation du cordon sanitaire que les médias forment autour de "la fille à papa" contre son adversaire dans l'élection à la présidence du front National qui n'est jamais invité que dans des émissions marginales est que, depuis trente ans, la politique actuelle a pu continuer de se mener, toujours la même, contre un épouvantail dont on connaissait le nom. Sauvegarder à la présidence du parti contre lequel on est censé faire front et qui est censé faire front contre le système, quelqu'un qui porte le nom de l'épouvantail, nom qu'on connaît depuis trente ans, c'est donner à cet épouvantail une chance de le rester, ne pas fatiguer les médias à devoir en choisir un autre et pouvoir, de la sorte, continuer de faire tranquillement ses affaires. Il n'est pas jusqu'au cardinal Vingt-trois qui, en termes moins véhéments que ceux de son prédécesseur, ne vienne commenter les déclarations de Marine le Pen. Il les commente assez pitoyablement d'ailleurs. Il dit que le problème n'est pas que d'autres occupent les rues en venant y prier ; qu'il n'a pas à se déterminer en fonction de ce que sont les musulmans ; mais que, si nous ne savons plus qui nous sommes, c'est bien triste. Or il ne suffit pas de se survivre : il faut encore faire des néophites. "Lève-toi et prêche", dirais-tu. Eh bien oui : bien que je n'aie pas l'impression qu'au terme de ce dialogue, je vais te convertir, quelle joie ce serait pour moi si cela arrivait ! que, pour le chrétien, le prosélitisme cesse d'être un gros mot !

Quant à la dernière pique que tu me lances concernant l'évangélisme du dictateur ivoirien qui refuse de céder la place, tu me permettras de tomber d'accord avec toi qu'il est désolant que l'évangélisme produise en afrique des personnalités aussi brutales à la tête de pays qui se tenaient comme la côte d'Ivoire. Pourtant, je ne serai pas sans apporter quelques nuances aux conclusions que tu en tires généralement à propos de l'évangélisme, produit d'importation américaine. Tu n'es pas sans savoir qu'à l'heure qu'il est, Laurent Gbagbo n'a pas le soutien des Etats-Unis. D'ailleurs, quelles sont les influences de Laurent Gbagbo ? Laurent Gbagbo est un chercheur et un opposant ayant vécu dans nos banlieues françaises qui, francophone, francophile et ayant force amitiés et entourage français, ne cesse de cracher sur la France. On dit qu'il a aussi bénéficié des largesses soviétiques pour poursuivre ses études, comme pas mal de chefs d'etat ou de membres des élites africaines, même et surtout si ces êtres prometteurs étaient aspirants pasteurs ou fils de pasteurs, ce qui n'est pas le cas de Gbagbo, bien qu'époux d'une évangéliste et se livrant lui-même à un mysticisme pour expliquer son maintien au pouvoir. J'ai discuté un jour avec un de ces étudiants africains, boursiers dans feu l'Union Soviétique. Je lui demandai ce qu'il pouvait bien être allé chercher en Union soviétique et comment quelqu'un de religieux comme lui avait pu accepter d'aller y recevoir son enseignement et ses subsides. Il me répondit qu'on ne lui avait dispensé aucun enseignement de nature idéologique, qu'on lui avait seulement permis de faire de bonnes études que d'autres puissances ne pensaient pas à financer. Son imprégnation idéologique n'était donc faite que de reconnaissance. Quelle reconnaissance a aujourd'hui Laurent Gbagbo pour le pays d'origine des missions qui ont surtout galvanisé sa femme, mais aussi son mysticisme personnel de plus ou moins pur alliage ? On ne peut pas dire que cette reconnaissance soit grande puisque Laurent gbagbo accuse les Etats-Unis d'être, avec la France, à la tête du "complot occidental" qui veut le destituer. Quant à son rival vainqueur Alassane-Raman Ouattara, il est de confession musulmane et néanmoins soutenu par les etats-Unis. On l'a même présenté comme le "candidat des affaires", d'une part parce qu'il fut un brillant économiste aux Etats-Unis et accéda pour cette raison au poste de premier ministre en côte d'Ivoire sous la présidence de Félix Houphouët-boigny, mandat au cours duquel il emprisonna le syndicaliste et opposant remuant Laurent Gbagbo qui militait pour le multipartisme; et d'autre part parce qu'après avoir été démis de sa charge de premier ministre, il fut nommé directeur adjoint du FMI. C'est sous la présidence d'Henri Konan bédié, successeur désigné d'Houphouët-boigny que furent adoptées les lois sur l'"ivoirité", sorte de préférence nationale à l'ivoirienne, qui disposaient que le candidat à l'élection présidentielle devait être natif de la côte d'Ivoire, ce qui n'était pas le cas d'alassane OUattara. Etant donné qu'il était le représentant le plus aguerri des rebelles du Nord, les accords de Marcoussis durent revenir sur cette ivoirité de manière à rendre légitime sa candidature à venir aux élecctions présidentielles, repoussées pendant cinq ans par celui contre lequel on prétend qu'il les a gagnées. On ne fait que le prétendre, attendu que les fraudes ont été massives dans le Nord, fief de ce candidat dont, ce qui est certain, c'est qu'il fut le second au premier tour et qu'il ne devra d'avoir gagné, si la chose se confirme, qu'au soutien d'Henri Konan bédié, dont la présidence fut si répressive qu'elle fut renversée par un coup d'Etat milittaire. Alassane Ouattara a basé sa candidature sur le fait de s'être placé dans le sillage d'Ouphouët-boigny. Il est évident que ce fondateur animiste et catholique de la côte d'Ivoire, chef coutumier d'un village dont il a fait la capitale de son pays, bien qu'il ait lutté tant qu'il a pu contre le multipartisme, a exercé une présidence beaucou moins rude que celle de Laurent Gbagbo. Il faut dire aussi qu'il n'a pas été confronté aux mêmes péripéties politiques de division du pays en deux. Que sera la présidence d'alassane OUattara si la communauté internationale parvient, selon toute apparence, à obliger Laurent Gbagbo à abandonner le pouvoir ? Une présidence qui profitera à la Côte d'Ivoire ou aux amis que OUattara se sera faits à travers le monde ? Nul ne peut le dire encore. Dieu fasse que ce pays connaisse de meilleurs jours que les guerres civiles qui l'ont secoué depuis quinze ans ! Mais cela dépend-il vraiment de la confession du dirigeant ?

Ton Torrentiel qui ne le croit pas

mercredi 29 décembre 2010

ROUSSEAU OU LA JUSTIFICATION

(en lisant "LES REVERIES D'UN PROMENEUR SOLITAIRE", huitième promenade).

Le drame intime de Rousseau, c’est que, jusqu'à son dernier souffle, il a voulu être son propre juge, il a voulu se justifier devant les hommes et devant dieu au point d'apporter son "ROUSSEAU JUGE DE JEAN-JACQUES" à Notre-Dame à la veille de la Révolution et au lieu d’abandonner le jugement de soi-même à dieu. Il l’a voulu parce que, sur son terrain paranoïaque, s'était greffée l'angoisse protestante de celui qui n'a jamais cessé d'être "le citoyen de genève". Or celui qui est à l'affût de la fausse opinion que les autres se sont faite de lui est à même d'émettre des observations très justes sur le phénomène du jugement humain :

"Je voyais que souvent les jugements du public sont équitables ; mais je ne voyais pas que cette équité même était l’effet du hasard, que les règles sur lesquelles les hommes fondent leur opinions ne sont tirées que de leurs passions ou de leur préjugés qui en sont l’ouvrage, et que lors même qu’ils jugent bien, souvent encore ces bons jugements naissent d’un mauvais principe, comme lorsqu’ils feignent d’honorer en quelque succès le mérite d’un homme non par esprit de justice mais pour se donner un air impartial en calomniant tout à leur aise le même homme sur d’autres points." Or ceci est "le plus inique et absurde système qu’un esprit infernal pût inventer…" Puis Rousseau ne peut s'empêcher de revenir à son cas personnel, ce qui affaiblit son raisonnement.

Or il est vrai que nous cherchons à nous donner un air impartial ; pour ce faire, nous refusons d’aller au fond de notre pensée et de notre intime conviction, non que certains aspects seulement d’un être humain sont blancs et d’autres noirs, mais que tel homme est entièrement blanc ou noir. Nous le refusons en contradiction avec la pente naturelle qui nous fait penser le monde en blanc et noir. Nous ne voulons pas donner libre cours à notre nature manichéenne. Nous feignons de sortir par le haut du manichéisme pour conserver ce flou nous concernant dans le jugement des hommes. Aussi disons-nous que nous n’émettons pas de jugement de valeur alors que nous ne pouvons faire que cela. Nous ne pouvons faire que cela parce que nous avons mangé du fruit de l’arbre moral. Moins peccamineusement, nous ne pouvons encore faire que cela, car nous devons respecter le précepte de ne pas juger pour ne pas être jugés. Mais, là où cette fidélité au précepte spirituel qui consiste à ne pas indéfiniment recommencer à manger du fruit de l’arbre moral pour ne pas renouveler incessamment le péché originel en matière de jugement se retourne contre nous, c’est que cette abstention de jugement moral a pour effet de nous faire entrer dans la dialectique de la justification. Or en dernière analyse, la justification consiste de notre part à n’en remettre le soin qu'à nous-mêmes. Quoique nous nous récriions, nous ne voulons être justifiés par aucun agent, ni par la foi, ni par nos œuvres. Nous justifier, c’est nous défendre contre tout verdict de la justice humaine sous prétexte qu’elle serait incohérente et qu’il n’y a pas à y croire. C’est déclarer incompétente la Justice humaine pour pouvoir, l’heure venue, mieux déclarer incompétent le tribunal de la Justice de dieu. Or, tout cela, nous ne le faisons pas de mauvaise foi.

Le catholicisme et le protestantisme se sont longtemps déchirés pour savoir quel agent de justification, de la foi ou des œuvres, il faudrait prendre comme recours. Etant donné ce qui précède, je ne devrais pas entrer dans cette querelle. Or je ne puis m’en empêcher. Le protestantisme répond à l’angoisse du Jugement de dieu en disant qu’on est justifié par la foi. Le catholicisme répond qu’on ne saurait être trouvé juste si l’œuvre de notre vie ne manifeste pas un minimum de cohérence avec la foi que nous confessons. Pour ma part, lorsque j’essaie de m’analyser, je constate qu’il s’est fait en moi comme un divorce entre l’artiste et l'homme. L’artiste est libéral et consolateur, l’homme est implacable et rancunier, colérique, n'oubliant aucune offense, ne voulant jamais trouver de compromis ni capituler, quand même il se sentirait dans l’erreur. Ces lignes prennent un relief tout particulier, étant écrites dans l’une de ces crises où je voudrais de nouveau attirer sur moi la bienveillance du jugement des hommes et ne pas être perdu de réputation ; où je m’enferre dans la justification sans oser « aller vers mon prochain pour lui demander pardon, ni vers mon risque » pour l'assumer. Or aller vers son risque, c’est « aller vers soi », comme Dieu enjoint de le faire à abraham.

Enserré dans l'étau du débat contradictoire d’un procès civil de divorce entre moi et moi, entre l’artiste et l’homme en moi, je crois débrouiller l’échevau enprenant parti dans la querelle sur la justification, vaine occupation par laquelle je ne cherche qu'à me calmer, et puis qu’à me justifier moi-même. J’en arrive à la conclusion qu’assurément, je suis justifié par mon art d’être ce que je suis et d’avoir la personnalité complexe dont je ne peux me défaire. Je suis justifié par mon art, c’est-à-dire par mon œuvre, par l’œuvre que je fais de ma vie, non par les œuvres que pourrait dispenser ma charité au jour le jour, à ceux que je finirais par appeler « mes pauvres » et qui deviendraient les clients de ma conscience. Je me sens justifié par mon œuvre, par mon art plutôt que par mes œuvres et plus assurément que par ma foi, même si je reconnais que ma foi me justifie en espérance.

Dans le Verbe Incarné, Fils de Dieu descendu parmi les hommes, je reconnais à la fonction filiale du christ, deuxième Personne de la Trinité, le pouvoir de me garantir contre le refus initial de ma volonté non sollicitée face au dessein Initial oppressif de la volonté créatrice qui m’a donné le jour sans que j'aie pu l'avaliser, parce que mon âme n’a pas de volonté, ne saurait acquiescer de son vivant à son destin, ne saurait le comprendre qu’après ma mort. Voire saurait-elle même comprendre à ce terme combien elle a probablement choisi ce destin plutôt que tel autre qui me paraît aujourd'hui plus heureux. Mais avant ce terme et à défaut de volonté, parce que je sens mon âme et ma liberté faites pour la volonté, je me sens justifié par mon œuvre, par mon art et par le verbe. Ce n'est pas que mon oeuvre émane davantage d'une volonté que je n'ai pas. Mon oeuvre m'est donnée par le déterminisme génitif de l'inspiration. Mais je me sens justifié par l’œuvre de ma vie qui devient mon art parce qu'il me fait me mettre au service du souverain Maître de la beauté dont je n’ai peut-être pas à l’origine adhéré aux desseins qui m’étaient impénétrables, mais je ne puis que reconnaître le beau et consentir à mon inspiration parce que je perçois qu’elle me mène vers une perfection de joie intérieure, même si je suis loin d’être passé maître en mon art, sans quoi je pourrais dire toutes ces choses en les rendant moins ennuyeuse. Mais je me sens surtout justifié par le verbe. En cela, je ne manifeste nulle originalité puisque je ne fais que proclamer à nouveau le primat de la Parole. Si ce n’est que ce primat prend une consistance toute spéciale chez moi du fait que je suis aveugle et que j’ai compensé ma cécité par la parole. Des proches m’ont souvent reproché que je me payais de mots pour me perdre en paroles. Or je proclame que les mots, qui ne m'ont point manqué, m’ont littéralement sauvé la vie. Ils ont fait plus que compenser un organe de perception qui me manquait, cet œil qui, si on sait l’ouvrir, nous fait communiquer, puis adhérer à l’état d’esprit du mondephénoménal. Une parole s’est dressée en moi pour opposer une représentation du monde à ceux qui me disaient que je n’en connaissais rien. Cette parole a pu (et peut) aller jusqu’à une folie de mots qui peut sembler une loghorée. Or je prétends que tout aveugle est frappé d’une folie de la parole, c’est un de ses handicaps invisibles ajoutés. Les mots m’ont littéralement sauvé la vie, c’est-à-dire qu’ils m’ont affirmé au-delà de la justification. Ce n’est pas que je ne reste passible d’être justifié par celui qui vient au jour le jour me chercher au fond de mes enfers et sonder mes entrailles. Mais, sans que les mots, sans que la parole aient déclaré tout à fait superflue ma condition de justiciable, ils m’enseignent à ne chercher aucune solution ni absolution temporelle dans la justification, où je ne ferais que rendre à moi-même ce que seul, le colloque intime de mon âme avec dieu peut décider sans mot dire dans l’abdication de mon « moi ». La parole me fait sortir du piège de vouloir comparaître en plein jour et en tiers dans ce colloque pour assurer ma défense. C’est le Paraclet qui me défendra. Quant à moi, les mots me sortent de cet angoissant dilemme pour me proposer d’affirmer mon être. Les mots changent ma liberté d’expression, tentative sanguinolente de me situer à corps et à cris dans le débat intime entre Dieu et mon âme, en liberté de parole. Et ce qui est valable pour moi dans ce travail que fait sur moi le verbe le serait tout autant sur la nature politique du corps du peuple humain. Le peuple devrait passer de la liberté d’expression à la liberté de parole.

SAINT ET SALIM (suite), dans la série "DIALOGUE DU TORRENTIEL AVEC UN CROISSANT DE LUNE" (partie III, échange 1 B)

Du torrentiel

Mon cher croissant de lune,

Ton message me fait littéralement du bien, outre qu'il répond à une question très ancienne chez moi, qui a nourri nombre de mes dialogues impromptus avec des jeunes musulmans rencontrés à la terrasse de cafés ! Je dois dire que je leur posais des questions qui témoignaient contre moi que j'étais intoxiqué. Je leur demandais coment ils concevaient d'être portés par une soumission à Dieu qui avait tout d'un esclavage. Or la soumission ou, si tu préfères, non pas la servilité, mais la "servitude volontaire" à dieu n'est pas un esclavage, d'abord parce qu'elle est volontaire, d'autre part parce que c'est à Dieu qu'on se soumet et non pas à l'un quelconque de ses égaux en matière de condition humaine. Comme le dit l'abbé de tanoüarn dans un de ses récents articles réellement magnifiques, c'est à l'aune de l'infini que l'on doit mesurer son petit "moi". Telle est l'humilité, non pas jouer les faux modestes, mais se mesurer à l'aune de l'infini et disparaître dans cette considération du peu que l'on est, le peu n'étant pas rien. Je ne dirais pas disparaître, mais adorer, se prosterner, tomber la face contre terre pour ne pas oser regarder Celui qui Est dans le ciel. J'ai quelquefois commis l'erreur d'écrire que l'adoration était un Mystère de regard. Non, l'adoration, c'est d'avoir le respect de l'Invisible qui consiste à ne pas oser le regarder. Pour faire un dernier sort à notre abomination de la soumission à dieu, qu'est-ce qui, dans le christianisme, est le contraire de la soumission ? La rébellion, c'est-à-dire ni plus, ni moins que l'attitude qu'on prête au diable, e tiers des anges déchusétant le tiers des insoumis. Enfin, comment pouvons-nous dans un même mouvement trouver extraordinaire que Pascal ait écrit :
"L'homme n'est grand qu'à genoux"
et pratiquer d'autre part nombre de prosternations, génuflexions et autre contorsions du corps en trouvant désobligeant que d'autres, sous prétexte qu'ils n'auraient pas la même religion, voient dans la soumission à dieu la première des qualités et attitudes religieuses ?

Mais je pressentais comme toi que la racine que l'on retrouve dans "islam" comportait moins la soumission que la paix et tous ses dérivés si j'ose dire, plutôt tous ses prolégomènes, tous ses prérequis : la bienveillance, l'intortuosité, la perméabilité au message de Dieu, l'absence d'hostilité, enfin l'écoute qui laisse passer, qui ne fait pas barrage ni obstacle. Sais-tu que, dans l'evangile, le terme "skandalon" est une mauvaise traduction grecque d'un mot hébreu qui veut dire "embûche", obstacle mis sur le chemin d'un autre pour le faire tomber ? Et celui par qui le scandale arrive est répréhensible, non parce qu'il aime à soulever des lièvres ou à provoquer, mais parce qu'il prend plaisir à faire tomber son vis-à-vis. Alors oui, commençons par ne pas faire obstacle à la Parole de Dieu et décidons d'en vivre ! Je ne sais pas si celui qui prendrait une telle décision serait intrinsèquement musulman ou chrétien. Du moins est-il sûr que, s'il parlait l'arabe, il serait musulman, quand bien même serait-il chrétien. Remarque cet autre appel du pied de la langue(je crois au Logos Qui nous attire dans sa compréhension par tant de signes et clins d'oeil linguistiques qu'il nous fait pour nous faire comprendre) : c'est qu'en Français, le mot "sain" et le mot "saint" sont des homonymes. Or le premier prérequis de la paix telle que tu me l'as décrit en remontant les sens du mot "salim" est la santé mentale. Je n'entends pas par là que doivent être aucunement stigmatisés ceux qui n'ont pas la chance d'être en parfaite santé mentale, et je crois encore moins faire partie de ceux qui le seraient. Mais la santé mentale est un bien parce qu'elle évite à celui qui l'a d'être tourmenté, d'être torturé au point d'en devenir le tortionnaire de soi-même avant peut-être, par acharnement du malheur, de devenir le tortionnaire des autres.

Tu suggères cette triste chose que, dans notre présentation comparée des religions, nous avons une tendance instinctive à vouloir que ce qui est la qualité de l'un soit son apanage et ne puisse être concuremment la qualité de l'autre. Plus j'avance et plus je crois qu'en réalité, l'anthropologie qui se cache sous toute les religions du livre (pourquoi ne reprendrais-je pas cette expression ?) est fondamentalement la même. Il y a des invariants spirituels. Ce qui change, c'est, si j'ose dire, à quel saint se vouer, à qui se fier, à qui donner sa foi. Attention : loin de moi de prétendre que ce changement ne soit pas significatif! Ce changement est tout. Les religions ne sont pas solubles les unes dans les autres. Du moins faut-il voir par où elles s'accordent et par où elles divergent. Or la soumission à dieu (selon l'erreur commune de la poser en préalable), l'amitié pour la paix, la santé et la sainteté sont des préliminaires qui constituent autant de constantes de religions aussi différentes, bien que nées sur un socle commun, que peuvent l'être les trois religions du Livre.

Tu me parles d'une occurrence coranique faisant mention de l'arrivée du prophète. Un autre interlocuteur musulman avec qui j'ai brièvement échangé sur le sujet parce qu'il aimait à nous envoyer des brochures condensant ce qu'il fallait penser d'un sujet d'après le coran, brochures qui, bien qu'écrites par des universitaires arabes de premier plan, étaient souvent rédigées comme des abrégés de manuels évangélistes, avait fait mention de certaines prédictions de l'avènement du prophète de l'Islam que l'on trouve dans l'Ancien Testament non expurgé comme tu dirais. Je prends acte de ce point de vue et de ces mentions tout en ne méconnaissant pas que la manière dont nous avons nous-mêmes prétendu en remontrer aux juifs que le Messie était le Christ d'après les prophéties des ecritures, exercice dans lequel Pascal était passé maître, à la fois obéissait à un désir de se prouver quelque chose à soi-même et a été désavoué avec autant de bien fondé par les autorités rabbiniques, dont le peu aimable Saint-augustin prétendait pourtant qu'elles ne subsistaient que pour être notre bibliothèque confirmative qui, par ses dénégations mêmes, nous donnait raison. De là est né l'antijudaïsme chrétien, ce fratricide à la limite du parricide qui dura vingt siècles. Je prétends (peut-être un peu vite) que Saint-augustin en porte la responsabilité, de même que je le crois l'inventeur du génocide éternel parce qu'il a mis l'accent sur l'idée d'un enfer où nous brûlerions dans un feu qui, non seulement ne s'éteindrait pas, mais ne nous consumerait jamais. Même ceux qui jetaient les dépouilles des camps de concentration dans les fours crématoires n'ont jamais eu le sadisme d'imaginer une chose pareille, ni de croire qu'ils les envoyaient à un bûcher éternel. Faisons notre autocritique, j'en tombe d'accord, mais faisons-la tous, avec intransigeance, sans complaisance pour ce que nous serions en regard de nos ancêtres dépréciés, mais sans davantage de ressentiment. Ne jetons pas des pierres dans le jardin de nos concitoyens d'une autre religion. Suggérons-leur des manque à gagner qui feraient partie de leur prêt-à-penser (tout croyant a le sien), mais sans leur dissimuler ce qui est critiquable dans le nôtre. Or je dois redresser ceci : c'est que Saint-Augustin a certes mené une vie dissolue avant sa conversion, il s'en est lui-même accusé, avant mais pas après. Quant au "récit légendaire" que ferait Saint-Paul, en quoi le serait-il ? ? Ce qui me gêne avec Saint-Paul, c'est qu'il apporte une problématique personnelle très puissante à la transmission qu'on pourrait souhaiter brute d'un message qui n'était pas le sien et dont il n'était pas le témoin oculaire ni auditif de la prédication. Saint-Paul apporte dans l'annonce de l'evangile le zèle d'un ancien persécuteur qui se fait le prosélite d'une religion dont le tort intrinsèque est peut-être d'avoir trouvé un bienfait dans la persécution (cf la béatitude des persécutés qui ne cadre pas avec les précédentes, voir Mathieu, chapitre 5 et dont je ne suis pourtant pas du tout homme à croire qu'elle y fut surajoutée : elle sortit certainement de la bouche du Seigneur, mais à quelle fin ? Ca reste un mystère pour moi, quand je vois quel mal a pu faire notre culte de la persécution). Le sentiment de persécution et l'espèce de prélassement dans son ressassement est à la base de la paranoïa. Or Saint-Paul était un grand paranoÏaque, que Dieu me pardonne, mais je ne puis m'empêcher de penser que tel était son filtrage du message qu'il eut à transmettre ! Ce qui fit qu'il truffa l'evangile de nombre d'obsessions qui lui étaient propres et qui ont rendu le christianisme naturellement névrotique. Philippe Sollers, brillant liseur et même causeur, déclara son respect pour l'eglise catholique, "la grande pourvoyeuse de névrose, elle est là pour ça, il y a du vrai là-dedans. L'état de la mentalité occidentale et de son indéniable déclin ne tient pas qu'à des causes extérieures et à la lente déchristianisation par laquelle elle aurait apostasié. Avant cette "apostasie silencieuse", comme l'appelait Jean-Paul II, il y a des causes internes qui couvent un mal-être au sein même de la doctrine qui doit nous rasséréner. Le dire et le voir ne fait paps de moi un renégat, car je crois que c'est du désir de guérir de ce mal que nous renaîtrons.
"Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, disait le centurion romain, mais dis seulement une parole et je serai guéri". Tel est ma prière à mon seigneur quand je considère ces choses et les porte en les écrivant à ta connaissance.

Par contre, essayer de dire le vrai ne permet pas d'être injuste envers soi-même. Tu dis que les pères de l'Eglise étaient gens peu amènes, j'en tombe d'accord, car écartelés entre deux prédications : celle du christ qu'ils auraient dû considérer comme l'emportant et celle de Saint-Paul dont ils auraient dû se permettre d'évaluer le filtrage. Pourtant, je reste très perplexe devant les assimilations répétées que tu fais du christianisme et de la féodalité. Il me semble, je le maintiens, que le christianisme est foncièrement apolitique. La politique est un accident dans l'histoire du christianisme qu'en un sens, la Révolution a eu le mérite de corriger en expulsant le christianisme hors de la politique. Mais la blessure a du mal à cicatriser : notre épiscopat croit ne pouvoir compter dans la société que s'il y dispense une parole politique. Cette persistance dans l'originelle erreur l'amène à la fois à bien des compromissions et à ne rien dire qui compte, tant qu'il reste dans cet ordre-là de discours. Ce qui est vrai, c'est que la politique fait l'histoire et que, si le christianisme n'avait pas pris une assise et comme une contrenature politique, le passage dans l'histoire aurait été difficile, de cet apolitisme qui est devenu tête de civilisation. C'est, je crois, pourquoi, pour autant qu'il soit licite de ma part d'essayer de percer le secret des desseins de la Providence, c'est pourquoi sans doute la Providence a permis cet accident dans l'histoire du christianisme. Le concéder ne me fait pas avaliser que le christianisme et la féodalité ne soient pas fondamentalement des terres étrangères l'une à l'autre qui se sont certes compénétrées par la proximité de leurs percées historiques respectives, mais qui, originellement et fondamentalement, n'avaient rien à voir. C'est comme si je te disais que la concussion faible et lâche des dirigeants des pays musulmans était intrinsèque à l'Islam. De plus, je ne sais pas pourquoi, mais de même que j'avais l'intuition que l'Islam venait d'une racine qui ne comportait pas la trace de la soumission, le petit Montesquieu manquant de documentation qui someille en moi me dit que la féodalité ne saurait avoir une origine latine. Elle sent son produit d'importation des grandes terres froides du Nord.

La France avachie, abâtardie, formée de citoyens assoupis qui ne pourraient se ressaisir puisqu'ils ont une existence économique très menacée et ont sombré dans un individualisme tel que, tout absorbés qu'ils sont dans la consommation, ils ne sauraient seulement plus penser à penser ? Le constat est impitoyable, mais tellement factuel... Comment de tels citoyens pourraient-ils avoir le ressort intérieur de redonner un consentement et de reprendre une souveraineté populaires ? Je conçois que la question se pose, mais je suis tout aussi sûr que c'est de se sentir décisionnaires et non pas seulement militants pour que dale que l'élan reviendra. Quand, comment ? En popularisant cette idée que je ne suis pas le seul à porter. Tu dis à juste titre que l'on doit avoir du pain de farine pour produire du pain spirituel et pas seulement l'inverse. Là encore, je ne saurais que te suivre. Mais pourquoi le "pôle emploi" n'ouvre-t-il pas la boîte à idées pour recenser tous les besoins insatisfaits et faire éventuellement des études de marché sur la viabilité respective de chacune des entreprises qui s'offrirait à satisfaire tel de ces besoins ? Au lieu de quoi on entretient des fonctionnaires uniquement commis à exaspérer leurs concitoyens à coup de normes qu'ils pondent parce qu'il faut bien s'occuper. On maintient ces bureaucrates incompétents en place au lieu du redéploiement que l'on avait promis et, non seulement on n'en emploie pas à faire de la prospective, mais on supprime des postes dans les écoles où l'on souffre une crise de la transmission sans précédent, quelle que soit la péréquation entre le nombre de professeurs (je n'aime pas dire "enseignants" et le nombre d'élèves, ou dans les hôpitaux où l'on ne garde plus les malades parce qu'il faut faire circuler la patientèle à flux tendu dans des lits qui doivent recevoir des malades à la chaîne, et où l'on déplore quinze mille décès par an, pour cause de maladies nosocomiales, soit quelque chose comme trois fois et de mie plus que les décès causés par l'insécurité routière. Voilà, si je puis dire, pour le volet économique que je ne prétends pas avoir épuisé. Mais tu soulèves un empêchement plus fort à notre ressaisissement ! Nous ne pourrons nous ressaisir de notre destin que le jour où nous aurons une identité. Certes, je suis sûr que nous acquérerons notre identité en redevenant maîtres de notre destin, autant qu'une telle maîtrise est permise à l'homme. Je crois qu'au préalable, nous gagnerions beaucoup à souhaiter que le militantisme cesse de s'orienter vers la défense des intérêts de la catégorie sociale à laquelle nous appartenons, mais que nous embrassions la cause des autres. Il y a un sain altruisme qui n'est pas de l'humanitarisme, mot injustement baffoué d'ailleurs, si ce n'est que la réalité des gestes humanitaires a dû gravement dévier , il soit aussi mal connoté que la charité chargée par les années de paternalisme. Nous ne pourrons nous ressaisir tant que nous n'aurons pas déserté le spectacle. Nous ne redeviendrons maître de nous et de nos émotions que nous n'ayons quitté la salle pour céder à des impulsions raisonnées. Mais quel est donc l'hypnotiseur qui nous maintient cloué à notre fauteuil ? En tout cas, il y a un hypnotiseur ; parce que, quand un Eric cantonna abondamment repris par un internaute propose de poser un acte qui ferait sauter le système et définit la stratégie d'une révolution sans violence, les élites unanimes le traînent dans la boue et le traitent de footballer, préférant sauvegarder leur précarré de révolution permanente et manifestationnaire plutôt que de s'engager sur la voie d'une reprise en mains sans lutte des classes du peuple par le peuple. Tout à coup, tout le monde vole au secours de l'usurier. Il n'y a pas si longtemps, le prêt à intérêt était interdit par nous comme par vous. Aujourd'hui, il est interdit de ne pas avoir de compte en banque, et celui qui en ouvre un n'est pas averti qu'il n'est nullement garanti de retrouver l'argent qu'il a déposé comme dans un coffre-fort, mais que celui-ci va circuler et que, si un krach vient à passer par là, ou si la banque fait faillite ou se fait cambriolée (les banques sont-elles assurées contre le vol ?), on ne lui rendra que le plus qu'on pourra et qu'il s'en estime heureux, sans penser à faire sauter la banque ! Il y a bien un hypnotiseur qui empêche ce peuple d'avoir la moindre identité, pire, qui le désidentifie, autant dire qui l'annihile. C'est ainsi que l'alliance de ces deux mots, "identité nationale", a fini par devenir un gros mot, que celui-là même qui a voulu l'instrumentaliser à son profit politique a dû retirer, parce qu'il ne faisait pas recette. Eh bien, une nation qui accepte, non seulement qu'on ne lui permette pas de réfléchir sur son identité, mais qu'on la lui retire, a quand même du souci à se faire, et l'immigration n'est pas la cause de ce souci. Ce sont les hypnotiseurs de cette nation qui lui suggèrent cette désappropriation de soi qui sont à blâmer, parce que cet "oubli de soi" s'apparente au suicide. Ce sont les meneurs de cette nation qui la conduisent au suicide. Le font-ils sciemment ou sont-ils inconscients du mal qu'ils font ? D'un côté, quel serait leur intérêt à avoir du pouvoir sur un cadavre ? Mais d'un autre côté, ils raisonnent peut-être comme Louis XV à qui l'on prête d'avoir dit :
"Après moi, le déluge !" Puisqu'ils n'exerceront plus le pouvoir, ils se fichent de ce que le pouvoir deviendra. C'est ainsi que la plupart de nos politiques auront rêvé d'être présidents de la République. Mais, peut-être pour être le dernier qui puisse s'honorer d'avoir à porter ce titre à défaut d'être en capacité de détenir le recors de longévité présidentielle, qui restera détenu par François Mitterrand qui exerça deux mandats alors que la constitution française interdit désormais à un Président d'en briguer un troisième ; pour se défausser d'être inégalables en cela et pour l'être néanmoins en quellque chose, ils envoient la France valser et se faire mettre ou soumettre par la Présidence de ce conglomérat sans âme qu'est "le marché commun" qui prétend avoir une personnalité juridique un peu moindre qu'un Etat et s'appeler l'"Union Européenne". La mort des etats nations est peut-être programmée dans les gènes du devenir du monde. Du moins ne doit-elle pas être précipitée par ceux qui gouvernent ces Etats.

Un dernier conseil avant de te laisser pour ce soir : si tu veux lire un Evangile qui contienne le récit de la vie de Jésus de son début à sa fin, prends le plus historique des quatre: l'Evangile selon saint-Luc, écrit par ce médecin qui voulut être un historien exhaustif de faits qu'il avait collectés et à quelques-uns desquels on ne sait pas très bien s'il avait participé.

Sur ce conseil de lecture nocturne, je te souhaite de refaire tes forces

Ton Torrentiel à la recherche d'un pain de farine à produire