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lundi 28 février 2022

Considérations ukrainiennes

La guerre en Ukraine est d’une tristesse sans borne et la seule réaction digne que l’on voudrait avoir  consiste à s’imposer silence. Les chrétiens dont je suis entrent dans trois jours en carême où il s’agira d’être économe de ses paroles et le silence est commandé surtout quand les événements sont si peu lisibles qu’à moins de s’autoriser d’une expertise, le mieux est de n’en rien dire, comme le disait Sosie à la fin d’Amphytrion de Molière et de prier, comme nous y invite le pape François, pour que les armes se taisent. Qu’on se rassure, je vais bientôt me taire, comme je me suis imposé silence à propos de l’opération Barkane depuis qu’un soldat français avec qui j’étais enlié indirectement est mort : je n’ai jamais rompu ce vœu de silence et ne l’ai jamais regretté. Je ne veux pas me taire maintenant, car j’ai besoin de comprendre l’histoire que je vis, et je ne crois pas à la vérité de cet incipit de la Tyrannie du plaisir de Jean-Claude Guillebaud qui dit que « les sociétés humaines comprennent rarement l’histoire qu’elles vivent ». Je crois que cet adage est gros d’une résignation démocratique mal assortie à la démocratie qui est un « régime de la discussion » pariant sur la compréhension ou la capacité de compréhension des peuples. Mais qui croit encore à la démocratie dans les démocraties ?

Ce qui me pousse à prendre la parole est le cynisme avec lequel je vois que les dirigeants européens semblent récupérer ce qui se passe en Ukraine pour justifier et même aggraver les erreurs de leur politique intérieure. J’entends dire que la présidente de la Commission européenne s’exalte : l’Ukraine serait l’une des nôtres et devrait être intégrée sans plus attendre à l’Union européenne, ce marchepied de l’OTAN dont l’extension vers l’Est met le feu aux poudres, sans compter qu’elle aurait dû cesser d’exister depuis la fin du pacte de Varsovie.

J’entends dire que la Commission européenne veut interdire les chaînes Russia today et Sputnik sur tout le territoire de l’Union, car ce seraient des organes de propagande de la Russie ce qui est certainement exact. Mais faut-il s’interdire en démocratie de connaître la position de l’adversaire et substituer la propagande à la propagande ? Le pompon de celle-ci doit être décerné à « France info », la radio de « l’info juste »comme elle se nomme elle-même, qui nous a expliqué une heure durant, dans l’émission « les Informés » rediffusée cette nuit, que « la campagne présidentielle était suspendue » alors que les meetings n’ont jamais cessé et qu’il est important de savoir comment les candidats se positionnent sur la guerre en Ukraine. Jean-Luc Mélenchon avait-il vu juste, non pas en formulant qu’ »on allait nous organiser un attentat », mais profiter de la première crise venue (et celle-ci est grave !) pour  orienter l’opinion publique à la dernière minute ?

Non seulement on veut interdire les chaînes du belligérant qu’on ne soutient pas, mais dans l’émission « Soft power » dont j’écoutais hier soir le podcast, on expliquait que, nous qui nous sommes toujours insurgés contre le  maccarthysme, nous allions délocaliser la finale de la coupe des champions de Moscou à Paris, exiger que tous les sportifs russes concourent sous drapeau neutralisé et que soient démissionnés tous les acteurs culturels russes qui ne se seraient pas déclarés contre l’offensive de Poutine en Ukraine.  

J’entends dire que le président ukrainien invite tous les Européens qui le souhaitent à venir combattre l’arméerusse aux côtés de son peuple. « France info » relaye cet appel et l’initiative de certains volontaires de guerre qui y répondent : le premier s’apelle Maxime,  ne parle qu’Anglais, a l’air désoeuvré et n’a jamais tenu une arme de sa vie ; le second a soixante-treize ans, est-ce un âge pour partir à la guerre ? Que dirait-on si des djihadistes nous racontent tranquillement comment ils s’enrôlent pour partir combattre en Syrie ?

J’apprends que l’Union européenne a débloqué un demi-milliard d’euros pour envoyer des armes aux Ukrainiens et je consonne à l’avertissement de Jean-Luc Mélenchon de ne pas « entrer dans ce nid de frelons », mais d’œuvrer au contraire « pour que les armes se taisent ». (Jean-Luc Mélenchon le marxiste populiste parle comme le pape, péroniste anti-populiste qui croit à l’infaillibilité du sens de la foi du peuple de Dieu.)  Pour faire bonne mesure, j’entends également Emmanuel Macron parler d’envoyer de l’aide humanitaire en Ukraine.

J’apprends que Gérald Darmanin félicite la Pologne et la Hongrie d’accueillir des réfugiés ukrainiens pour mettre ces deux pays en porte-à-faux avec leur hostilité vis-à-vis de la politique migratoire de l’Union européenne. L’exode est un réflexe des temps de guerre, l’urgence peut commander aux Ukrainiens de fuir, mais leur avenir n’est pas dans la fuite ni dans le statut de réfugiés. La Pologne et la Hongrie n’ont jamais été défavorables aux migrations des Européens à l’intérieur de l’Europe, mais redoutent l’hétérogénéité ethnique dans les pays européens. Gérald Darmanin veut leur faire regretter d’avoir refusé la répartition des réfugiés débarqués depuis le couloir libyen dans les différents Etats membre de l’union choisis au fil de l’eau, proportionnellement à la démographie des pays d’accueil et sans égard à la destination souhaitée par les migrants, comme si ceux-ci étaient des variables d’ajustement. Or soutenir que  les hommes sont des êtres génériques universellement substituables et déplaçables est la fine pointe de la théorie du « grand remplacement » portée par Renaud Camus.

J’entends dire en parallèle que Boris Johnson ferme les frontières de la Grande-Bretagne à toute arrivée de réfugiés ukrainiens, même au titre du regroupement familial et cela ne vaut pas mieux.

Mon frère Gilles avec qui je passai le week-end me disait que l’offensive russe interrompait le processus de transition que vivait l’Ukraine, une évolution identitaire analogue à celle, heureuse, qui avait fait que nous, Alsaciens, anciens Galates, Gaulois, Celtes envahis par la Germanie et qui en parlaient la langue, avions apprécié de nous retrouver Français bien que nés Allemands. Je me sens viscéralement Français, francophone et francophile, mais je sais que je ne pourrai jamais me départir de ce qui fait de moi un Allemand sans le vouloir, moi qui aime le comique et l’esprit rabelaisien, mais pas du tout la morbidité ou la scatologie germanique et luthérienne, qui font de la mauvaise tragédie et rendent dramatiques ses névroses et auxquelles (sauf la scatologie) je cède plus souvent qu’à mon tour. Faut-il souhaiter à l’Ukraine de s’occidentaliser ou d’accepter d’être russe ?

J’entends Vladimir Poutine agiter le spectre nucléaire comme Donald Trump avait fait un concours avec le dirigeant nord-coréen, « Little rocket man »,  sur la taille de leurs boutons nucléaires respectifs, et puis l’avait enjoint de promettre qu'il ne ferait plus de tir pour essayer ses armes, promesse que Kim Jong-un s’est empressé de trahir. Mais Poutine est beaucoup plus sérieux que Trump. J’ai découvert peu avant le déclenchement de l’offensive russe contre l’Ukraine, grâce à un article de Françoise Thom,  que la rhétorique de l’effondrement du monde par le recours à l’arme nucléaire est monnaie courante en Russie, Poutine étant allé jusqu’à demander ce que vaudrait un monde sans la Russie, ce qui l’excusait, estimait-il, de détruire des pans entiers du territoire de ses ennemis. Je veux  bien faire la part de l’âme slave dans ces excès ou écarts verbaux, et aussi reconnaître que, depuis Hiroshima et Nagasaki, les Etats-Unis ne peuvent plus donner de leçons en la matière. Mais je ne peux que constater la régression morale que signale cette banalisation de l’évocation de l’usage de l’arme nucléaire dans la Russie de Poutine, car la Russie est signataire du traité de non prolifération nucléaire. J’étais de ceux qui n’imaginaient pas que la Russie ferait une guerre à l’Ukraine et qui croyaient dans les protestations poutiniennes contre un bellicisme américain qui se permettait d’avoir des bases militaires dans le monde entier alors que la Russie se contentait d’être une puissance défensive. Je me suis laissé berner comme, me dit-on, les trois quarts de la droite française un peu anarchiquement extrême à laquelle je ne me reconnais appartenir que de façon anarchique. Je me suis laissé berner et chat échaudé craint l’eau froide.

Pendant que les masques tombent sur les intentions géopolitiques de la Russie qui active le volet belliqueux de l’apocalypse orwellienne que nous vivons, la France bat les masques dans les lieux soumis au pass sanitaire. On peut trouver que cela n’a pas derapport, mais dans 1984, la société de surveillance, le ministère de la vérité, la « novlangue » qui la traduit selon des représentations loufoques et changeantes,  et la lutte contre un ennemi invisible ou imaginaire précèdent la guerre et la torture. Dieu nous en préserve, mais comprenne qui pourra !

Qui aurait pu imaginer que la fin de l’Union soviétique débouche deux ans plus tard sur la première guerre du golfe qui fut une guerre de tous contre un  où le monde entier s’est ligué contre l’Irak ? Puis, après le 11 septembre 2001,  George Bush inventa la « guerre contre le terrorisme », donc la guerre contre la guérilla et un ennemi indéterminé et invisible. On nous en fit croquer et on envoya nos armées en Afghanistan. Puis ce fut l’Absurdistan de la Covid. A présent nous nous mesurons à la Russie à l’instigation du « vieux Joe » (Biden), mais surtout de l’Union européenne qu’on croyait faite pour maintenir la paix en Europe. Chacun sent qu’on ne peut rester sans réagir alors qu’il faudrait ne rien fairepour éviter l’escalade au risque de se faire traiter de Munichois comme d’habitude. Poutine a tombé le masque du dictateur qu’il est, mais il n’a que faire de nos sanctions et de rodomontades. Seul lui importe de passer aux yeux de l’histoire pour le dirigeant qui aura su  reconstituer son empire en trente ans et dans ce jeu, l’Ukraine est une pièce maîtresse et suffisante puisqu’elle est le berceau de la sainte Russie selon la légende orthodoxe.

Je n’aimerais pas faire partie de la génération de mes parents et m’apprêter à partir en pleine déconfiture machiniste du modèle social de la Reconstruction, dans l’agonie des libertés que cette génération avait prises et su conquérir au risque de la transgression, dans la renaissance des pandémies et dans l’angoisse d’une autre guerre mondiale. 

mardi 22 février 2022

Les "nouveaux intolérants" ne sont pas si intolérables...

Les nouveaux intolérants, ces juges de la pensée qui rêvent de réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme eux (lefigaro.fr)


A la lecture de ce plaidoyer prodomo du "Figaro magazine" contre des gens qui n'ont jamais été vraiment ostracisés et se sont toujours plaints de l'être: 


-J'aurais tendance, une fois n'est pas coutume, à approuver Emmanuel Macron d'avoir tenu Alain Finkielkraut comme un commentateur de la vie intellectuelle plutôt que comme un philosophe. Je ne l'ai jamais connu ni perçu autrement, même quand il m'est arrivé de lire ses livres.


-Je n'ai pas très envie de pleurer sur le sort de Jacques Julliard, cet historien de la gauche et représentant de la "deuxième gauche" qui rivalise de mépris social avec Luc Ferry pour contester au peuple qui a constitué successivement les Gilets jaunes et le mouvement des Antipass ou les Convoyeurs de la liberté, leur sentiment de déclassement. Mais Jacques Julliard retrouve le peuple quand il le suppose  obnubilé comme lui par la question de l'immigration. Or la dénonciation de ces hybrides que seraient l'islamo-gauchisme et l'islamo-droitisme trahit que, derrière l'islamophobie conçue comme peur de l'islam et de son violentisme, ou, variante, derrière la question que l'on peut poser à l'islam de son caractère intrinsèquement ou accidentellement guerrier ou pour le dire autrement, de la solubilité de la guerre comme accidentelle bien qu'elle fasse partie de la geste prophétique islamique, dans la spiritualité islamique; derrière cette islamophobie résiduelle ou cette question légitime, les xénophobes en profitent pour dissimuler une exécration de la personne des musulmans sous la peur qu'ils ont de leur religion, exécration qui se traduit par la focalisation sur un bout de tissu et la persécution des femmes qui le portent et sont d'autant plus inoffensives qu'elles veulent être pudiques. 


-Je me demande quels sont les travaux de sociologie dont Mathieu Bocq-coté peut se prévaloir pour avoir acquis depuis quelques années le magistère social de faconde conservatrice dont il bénéficie au point d'être invité sur tous les médias de cette mouvance pour en être le chroniqueur attitré. Il fait pourtant une remarque éminemment juste, synthétique et ciselée quand il constate: «La gauche a été si longtemps dominante qu’il lui suffit d’être contestée pour se croire assiégée et la droite a été si longtemps dominée qu’il lui suffit d’être entendue pour se croire dominante.» 


-Elisabeth Lévy se plaint d'être boycottée sur "France inter", mais elle ne l'a pas toujours été sur "France culture" où elle animait l'émission "le Premier pouvoir", comme Alain Finkielkraut continue d'y produire son émission "Réplique" en guise de rond de serviette même s 'il l'anime de moins en moins, probablement pour raisons de santé. Alain Finkielkraut a montré une fragilité touchante dans des colères incontrôlées, mais Elisabeth Lévy est poissarde, et la radio de service public n'a peut-être pas envie de s'assurer la collaboration de cette éditorialiste au parler pas toujours élégant, qui ne paraît pas autrement cultivée et interrompt grossièrement ses interlocuteurs pour leur servir une soupe idéologique qui n'est pas mitonnée au fumet de la rigueur.


-Le wokisme est en rigueur sémantique un évangélisme de la déconstruction portée à un comble logique. Quand j'étais petit, je m'imaginais qu'un jour, les Noirs voudraient prendre leur revanche pour avoir été esclaves à force que l'on parle de l'esclavage auquel ils furent historiquement réduits. Enfant de mon siècle, je mettais assez de sentimentalisme dans ma politique pour ne pas voir de mal à cette "machine ressentimenteuse" comme Michel Onfray appelle la Révolution française, et qu'était ce qu'on ne désignait pas encore sous le nom de sentiment décolonial. Sur mes quinze ans, en voyage avec ma mère en Guadeloupe en 1989, un café pris dans la Marina de Saint-Anne ou de Saint-François acheva de me persuader que le maintien de la dépendance de cette île vis-à-vis de la France  était une supercherie, n'était pas justifié, tenait artificiellement et se produisait là encore  au prix d'un mépris de classe que je trouvais pénible. Je ne savais pas que s'éveillait instinctivement en moi la révolte d'un Frantz Fanon que je lirais des années plus tard (à vrai dire assez récemment) dans le château d'un ami retraité de l'armée de l'air.


-Je fais un distinguo entre le wokisme et la cancel culture. Je conçois que celle-ci est l'aboutissement de l'éveil  au désir de vengeance, que contient le wokisme,  contre une oppression historique. La vengeance est toujours un plat qui se mange froid, elle est toujours improductive, elle fait malheureusement partie de la nature humaine. Voudrait-on ne pas se venger parce que ça n'a aucun sens qu'il arrive qu'on se venge inconsciemment et qu'on se rende compte qu'on s'est vengé quand la relation est consommée pour le malheur de tous ses protagonistes. Cela m'est arrivé naguère avec une ancienne amoure qui était portée sur la trahison des hommes qui l'aimaient "au-dessus de ses moyens", en bonne menthe religieuse qu'elle était. Je n'en tire aucune fierté et en ai plutôt honte. 

   Sur le plan politique, la cancel culture répond au même type de processus vain de vengeance à contre-temps. Elle est une réaction de type taliban qui exige le déboulonnage des statues au nom de la repentance et il faut s'en défendre, car une chose est de reconnaître ses torts, autre chose de vouloir que celui qui les a causé n'ait tout simplement pas existé comme Jacques Bainville l'aurait souhaité à propos de Napoléon et comme Jésus en adressa l'anathème à Judas, mais parce qu'il allait mourir de sa trahison. 


-Les conservateurs qui plaident contre la repentance ne sont pas conséquents, car étant conservateurs, ils devraient croire au péché originel et à son caractère transmissible. Autrement dit ils ne devraient pas considérer que la repentance est une façon de se battre la coulpe sur la poitrine des autres, ou que, si c'est le cas, elle tient compte du grand "mouvement de sympathie" dont la nocuité du péché originel est le revers.


-Bien qu'elle soit agaçante à souhait quand elle minaude ou agresse nonchalamment ses invités en les interviewant de façon superficielle, Laure Adler juge le monde selon les barèmes de la mitterrandie et ce n'est pas qu'on doive être nostalgique de cette époque de repli de la pensée sur ses nouveaux préjugés, mais contrairement à Jean-Michel Aphatie qui ne représente que lui-même et qu'on fait surtout l'erreur d'inviter sur les plateaux télé où il n'a rien à dire, Laure Adler a du fond, du savoir-vivre et quelquefois du mordant et du chien. Elle a su inventer le format radio des "Nuits magnétiques" avec son compagnon ou son mari Alain Vinstein même si, promue directrice de "Franceculture" après Patrice Gélinet, elle a participé à ce que cette radio sombre dans la sociologie de l'immédiat et ne produise presque plus de documentaires ou de fictions.


-Aymeric Caron se pose plus en utopiste qu'en humoriste.


-Rokhaya Dialo

 partage avec Valérie Pécresse, Anne Hidalgo ou Ségolène Royal la regrettable manie de présenter le fait d'être une femme à la fois comme un privilège émancipateur et comme une source infinie de mise au rebut victimaire qui ne correspond plus à la réalité de l'écoute non "genrée" que l'on a aujourd'hui pour la parole des femmes. La revendication féministe se présente à contre-emploi comme une sempiternelle protestation de minorité. Or bien qu'avec #MeTo, les néo-féministes irrespectueuses du droit de la défence et qui "balancent leur porc" fassent comme si elles étaient constamment susceptibles de détournements de mineurs au lieu de donner une bonne claque aux harceleurs dont elles repoussent les avances, les femmes ont heureusement accédé à la majorité. 


-La charge du "Figmag" contre Edwy Plenel est injuste. Pour ma part, je lui trouve un petit côté crieur de  "Mediapart" qui croit que le drame du pouvoir est dans la corruption, voit celle des autres et rarement la sienne, fustige les agissements illégaux des autres, mais estime de désobéissance civile de ne pas s'acquitter au titre de son journal de la TVA qui a été fixée pour le modèle inédit de presse qu'il a créé. Il se croit plus blanc que blanc au sens de la propreté sur lui. C'est même un patron syndiqué et tout le monde l'est à "Mediapart" où tout est parfait dans le meilleur des mondes. C'est un patron de SCOP qui se dit bientôt sur le départ et à qui on ne peut pas enlever une véritable xénophilie qui contraste positivement avec la xénophobie d'autres visages de la médiasphère cités avec aménité dans cette enquête pleine d'indulgence pour les vrais intolérants du moment qu'ils sont néo-réacs ou conservateurs. 

vendredi 18 février 2022

L'index de Bolloré

On aurait souhaité que le pluralisme s'impose de lui-même aux journalistes comme un devoir d'honneur lié à la liberté de la presse et de l'information. Les journalistes l'ont négligé, donnant à la gauche dont ils étaient majoritairement issus, le monopole de la culture et du choix (donc de la représentation), comme de l'interprétation de l'information (ou du présent sélectionné de l'actualité), et entretenant l'illusion d'un progressisme monolithique avec ses effets cliquet et ses mouvements irréversibles vers une société en voie d'émancipation et de libéralisation des moeurs qui avait pour corollaire (mais cela, les journalistes de gauche ne s'en sont pas aperçus), une soumission de plus en plus insensible au néo-libéralisme économique bon teint, formant la vulgate de l'opinion, à la manière dont Céline Pigale , dans la citation que vous reproduisez, ne fait que réciter l'adage qui justifia Chirac dans sa volonté de ne rien faire de ses deux mandats présidentiels, et qui peut se résumer ainsi: "Il ne faut pas bouleverser les équilibres sociaux. La société est tellement fracturée qu'il vaut mieux ne pas toucher le malade pour étouffer ses cris." 

Aussi a-t-on préféré pratiquer la rétention d'information ou ne pas faire de journalisme dissensuel dans les chaînes info d'avant "Cnews", qui sait jusqu'où ne pas aller trop loin dans le déchaînement du clivage.


Les journalistes de gauche, malgré leur sociétés de rédaction et leurs assauts de déontologie, n'ont pas su s'imposer la discipline de la liberté de la presse. Il aura fallu qu'un Vincent Bolloré leur morde les mollets pour que le conservatisme rentre dans la presse par la bulle économique, détruisant jusqu'à la dérision de "l'esprit Canal", avec un grand patron certes caricatural, dont Eric Zemmour avoue dans "la France n'a pas dit son dernier mot" qu'il est sa créature, un "deal", qu'il décrit à demi-mots dans cet ouvrage, ayant été passé pour le faire émerger sous la houlette d'un prêtre, directeur de foyer d'étudiants financé par Vincent bolloré, et de conscience de son ouaille impétueuse contre les excès de son affairisme. 


Les journalistes progressistes se retrouvent pris dans la nasse du pluralisme autoritaire d'un commanditaire décomplexé, qui n'a pas hésité, quand il prit la tête de "Canal plus", à tourner des pilotes de sketchs qu'il voulait voir désormais mis à l'antenne. "Cnews" pas plus qu'aucun des titres de Vincent bolloré n'a le droit de se moquer du patron ni de commenter son actualité ou ses affaires françaises ou africaines, car il n'a pas un grand sens de l'humour. Vincent Bolloré assume sans complexe l'adage: "Qui commande paye."


L'index de Bolloré est montré du doigt par celui de médias traditionnels, qui se trouvent tout désappointés, car c'est depuis la bulle néo-libérale qu'ils n'ont jamais dénoncée, tout acquis à la pensée du "Cercle des économistes" ou de "Terra nova", que Vincent Bolloré a acquis son magistère moral et monté le piédestal de sa domination, comme un pied-de-nez à la bien-pensance généreuse sur fonds publics, subventions à la presse et contrôle volontairement léger de milliardaires qui n'étaient pas fâchés de faire croire que leur argent ne les empêchait pas d'être philanthropes. 


Les médias sont désappointés, mais ne manquent pas de culot.  

En marge du journalisme (puisque tel est désormais la place des livres), Achille Brettin (alias Antoine Gallimard pour les non céliniens), qui a immédiatement cédé à la mode du néo-puritanisme en déséditant Gabriel Matzneff aussitôt qu'il fut accusé par Vanessa Springora, avertit contre un monopole tant "économique qu'idéologique" que pourrait s'arroger Bolloré s'il prenait le contrôle du groupe Lagardère et d'Hachette.


Les journalistes progressistes n'auraient pu imaginer que le dernier avatar de celui-ci et de "la société ouverte" (s'il faut absolument faire allusion à George Soros dans ce bref développement), serait le machinisme algorithmique d'un Emmanuel Macron tellement déshumanisé que François Bayrou l'avait qualifié d'hologramme avant de se rallier à son panache blanc-cassé, et que notre président soi-disant progressiste pourrait passer pour transhumaniste, tant il déconsidère ses concitoyens. 


Quant à l'idéologie de Bolloré, c'est celle de "Baba"-Hanouna (qui ne fait pas que de la mauvaise télé), d'Elisabeth Lévy et du catholicisme conservateur le moins vertébré et le moins cortiqué, il ne faudrait pas prendre les enfants du bon Dieu pour des cygnes...


Ce qui suit n'intéresse que votre serviteur, mais j'ai terriblement manqué de jugeote. Au lendemain de l'escapade sarkozyste sur le yaght de Bolloré, j'intervenais sur "Radio ici et maintenant" et trouvais qu'on en faisait beaucoup à propos du prétendu empire médiatique de Vincent bolloré qui, n'ayant pas grand-presse, ne pouvait influencer fortement le nouveau président. "qui lit Direct matin" et "Direct soir"?, demandai-je, me rappelant sans doute la phrase de Ségolène Royal: "qui connaît Eric Besson?".  Depuis lors , le petit empire Bolloré est devenu grand, Eric Besson est tombé dans l'oubli et Patrick Buisson est passé de Martin bouygues à Vincent bolloré pour faire réussir l'aventure d'Eric Zemmour. Quant à Jean-Yves Le Gallou, son émission E-médias sur "TVlibertés" ne dénonce pas avec la même acrimonie l'influence que VincentBolloré a sur son poulain Eric Zemmour qu'il n'éreintait  celle de Patrick drahy sur Emmanuel Macron, mais ceci est une autre histoire. 

lundi 14 février 2022

La mort de Dieu

Il est difficile de parler de la mort de Dieu, mais nous comprenons d'instinct ce qu'est la mort à soi-même: c'est faire le deuil de sa propre image. Prendre sa croix est encore autre chose, ce n'est pas accepter passivement ce deuil, c'est prendre à bras-le-corps la volonté de briser l'idole, c'est briser l'image, c'est provoquer ce deuil.


Restent les questions posées par la mort de Dieu. Tout d'abord, qui meurt en Jésus-Christ, de l'homme divin seulement ou de Dieu tout entier? Si l'homme est seul à mourir, la logique est sauve, mais le compte n'y est pas. En effet, comment le Créateur de l'univers pourrait-Il mourir? Mais Dieu pourrait-Il S'incarner sans que toute la divinité s'engage et en meure? Il en va d'une incarnation au rabais comme de l'"exception du péché" dans l'Incarnation du Fils. "Il S'est fait homme à l'exception du péché": c'est comme s'il se faisait homme à l'exception du principal. Car la nature humaine n'est pas entièrement pécheresse, entièrement pourrie, elle est semi-pécheresse, semi-déchue, à moitié foutue. Mais ce qui la caractérise est d'être foutue à ce point-là, est d'avoir subi la chute, est d'être capable de pécher (et non de persister simplement dans son être).


"Il s'est fait homme à l'exception du péché", nous n'en serions pas à un oxymore près si Jésus ne S'était  fait péché en mourant sur la Croix, et c'est en cela que consiste sa "mort pour nos péchés".


Quid alors de l'exception de la "mort de Dieu" dans celle du Christ-Fils? Il fallait bien que quelque chose de Dieu ne meure pas pour qu'ait lieu la victoire sur la mort; il fallait bien que la justice de Dieu ne meure pas. On peut certes s'en tirer en disant que Dieu le père est mort de déréliction en voyant la mort de Son fils. Les "entrailles du Père" ont dû s'émouvoir de compassion en sentant l'angoisse de Jésus-Christ dans la nuit de Gethsémani, mais le Père ne L'a pas consolé pour Le laisser S'ensevelir dans cette angoisse et choisir d'entrer dans Sa mort. Le Père n'a pas consolé, Il n'a pas assisté le Fils dans l'angoisse de son agonie, il ne le fallait pas. Je ne sais pas pourquoi le Fils a tellement tenu à répéter le Père, mais je crois que le Père laisse le Fils faire ses choix. Le fils S'empare du Père pour Le répéter, sans intention de Lui donner la mort, sans intention de Le tuer, mais le Père ne s'empare pas du Fils, au contraire de la mère qui met au monde un "être pour la mort" aussi longtemps qu'elle donne toute latitude à son instinct fusionnel, à son instinct maternel de se l'approprier et de le posséder. Le Père donne la vie pour se déposséder, voudrait-il se prolonger en la donnant; la mère voudrait la donner pour se donner et s'oublier en se donnant, elle en a les aptitudes biologiques et les entrailles du coeur, mais le plus grand danger qu'elle court en se donnant ainsi est de se donner à elle-même.


La Résurrection du Christ est objet de foi et travail d'enfantement de notre esprit à l'incroyable; la mort du Christ est constatable. Elle est constatable dans l'évidence qu'on a voulu nier au point d'avancer  que le Christ a été substitué et soustrait à la mort pour ne pas avoir à ressusciter. Elle l'est encore dans le procès qu'"on" (et d'abord le christianisme) a voulu intenter à Ses frères en humanité persécutés au "Golgotha  du monde" qu'est la Shoah qui, si elle n'avait pas cette atroce singularité, serait un génocide comme les autres, un génocide affreusement banal.


Mais il fallait que Dieu s'engage plus avant dans Sa mort pour que Ses enfants prétendent constater "la mort de Dieu", en ne se rendant pas compte que la mort de l'homme suit de près le constat, moins objectif qu'optatif, de la mort de Dieu.


Pourquoi Jésus fixe-t-il les bornes du plus grand amour à donner Sa vie pour ses amis? Le plus grand amour n'est-il pas, par impossible,  de la donner à ceux que l'on aime pas? Là encore, la limite paraît logique: je n'aime que ceux que j'aime, et je ne peux pas donner une preuve d'amour à ceux que je n'aime pas. Mais la Parole de Dieu ne passe-t-elle pas la simple logique? Une réponse consolante est de penser que Dieu ne peut pas ne pas aimer. Mais cela est un peu trop cousu de fil blanc.

 

samedi 12 février 2022

L'homme du hasard

de Yasmina REsa.


Je recopie ceci, noté à l'instant dans mes carnets, volontairement sans le corriger, au risque d'y laisser toutes les ratures possibles:



"Ce 13 février 2022 (toujours une hésitation, quand j’inscris la date du jour, entre écrire « ce » ou ne pas écrire « ce » avant cette date. « Ce », c’est ce qu’écrivait Jeanne Watelet, je crois, dans un livre que nouslisait sœur Marie-Albert à propos d’un petit aveugle, Franz ou Francis ; c’est ce que j’écrivais, moi, dans mon premier journal, qui commençait par : « Je ne veux pas être unbateau sur la mer des choses » : l’article était intitulé « Le fondement », j’ai perdu ce journal, j’ai donc perdu mon fondement et je suis devenu un bateau sur la mer des choses, mais je pose ; c’est aussi ce qu’écrivait Francis, qui par hasard, s’appelait comme ce héros du roman que nous lisait sœur Marie-Albert et lui aussi était aveugle. Francis et moi, qui n’avons jamais été copains de bistrot bien que nousoutre-bûmes ensemble, mais amis de plume, nous écrivions « ce » avant la date, à l’orée d’un article de notre journal ou, pour Francis qui n’était pas diaryste, mais grand épistolier, à  l’oréed’une lettre.


C’est par hasard que j’écris dans ces carnets certains jours et certains jours je n’écris pas.


Ecouté à l’instant « L’homme du hasard » de Yasmina Resa. J’en avais reçu le lien par mail et je tenais à l’écouter. Mon lecteur Vlc ne s’est pas mis en marche quand je l’ai téléchargé, aussi sui-je directement allé le chercher sur « France culture » et je l’ai écouté.


Je commence par en retirer ces phrasesmassives, glanées au fil de l’écoute :


« Pourquoi tant désirer pour si peu éprouver ? » « Nous fabriquons la matière que nous donnons au hasard. » « Je préfère la transe aux droits de l’homme. » (Serge, l’ami de Martha) « Nous arrivons autres à la fin d’un voyage et ainsi allons-nous d’autre en autre jusqu’à la fin. » 


Œuvres citées dans la pièce : « la Cathédraleengloutie » de Debussy, « l’Oiseau prophète » de Schumann, « La nuit transfigurée » (je rois que c’est de Stravinsky, mais je ne suis pas sûr et ne veux pas tricher).


« Mon frère est persuadé que l’ordre du monde dépend de l’excellence de son passage, un ordre du monde avec tous ses croisements, y compris le nôtre, Monsieur Barsky. »Cette persuasion est l’énoncé positif de la pathologie que Barsky appelle « la maladie du dénombrement » et Zola « la rythmomanie » dans la Joie de vivre. J’en parle à mon aise, j’en suis atteint. Chez moi, elle se caractérise par la peur du diable qui est mon tabou si je le touche en pensée. Il m’attteindra, me possèdera et me contaminera, moi qu’il hante, moi qui suis, malgré moi, sujet de hantise. L’énonncé négatif de cette pathologie est la crainte que, si mon tabou me touche, non pas tout mon monde sera renversé, mais le monde entier s’effondrera.


Personnages de la pièce : Elie bretling, ami secondaire de Barsky ; Youri, ami important ; Jean, Nathalie, les enfants de lécrivain ; M. Slets, l’amant de Nathalie, le « polygendre » de Barsky, non, ce n’est pas polygendre, c’est un autre mot, peut-être protogendre ; Serge, ami important de Martha (jouée par Jeanne Moreau. Barsky est interprété par Michel Picoli.)Georges, ami secondaire.Nadine, la femme de Serge. Serge et Georges, deux prénoms qui s’attirent, généralement porté par des gens à la forte personnalité.Madame Serda, secrétaire de Barsky : « Toutle monde a une secrétaire et toi, tu as Madame Serda. » « Madame Serda devient de plus en plus acariâtre. » « Avec un physique comme le sien », on ne peut pas être de bonne humeur. Ce n’est pas la seule femme laide et toi, tu lui payes Biaritz. »Je me suis toujours repenti de mes élans vertueux. » « Quand on a passé sa vie à se positionner contre les rouges (est-ce une expression de la laideur dans le PIF (paysage intellectuel français) ?), on ne peut être que déboussolé par la chute du mur de Berlin. (La pièce doit avoir été écrite aux alentours et fut jouée à Avignon quelques années plus tard.)



Martha : « J’ai toujours aimé les gens désespérés, moi qui aime la vie. Car dans leur rage à vitupérer, ils expriment la vie même. »(Deux acteurs m’ont toujours fait penser à mon père : Michel Blanc pour le côté adolescent irresponsable et Michel Picoli pour l’attitude face à la vie. Yves Montant aurait suffi pour l’attitude dans la vie : dandy, frimeur, un peu crooner. Et j’ai toujours cru déceler que Michel Picoli n’aimait pas la vie. Mon père aimait vivre, mais pas la vie. J’ai hérité de lui et c’est une rage destructrice.)


Procédé d’écriture de la pièce: cela ressemble ou cela part d’une mise en abyme assez basique (depuis le second XXème siècle, la litérature est devenue masturbatoire  e:elle parle de littérature comme l’école parle de l’école ou l’Eglise de l’Eglise, toutes autoréférentielles, jusqu’au « synode sur la synodalité » pour l’Eglise ou pour l’école, cette contre-Eglise, jusqu’à nourrir ces deux catégories d’universitaires préposés à y réfléchir que sont les didacticiens et les pédagogistes.


« Un écrivain de renom voyage avec une inconnue qui lit son dernier livre », expose Barsky qui commente : « Bon sujet de nouvelle un peu vieillot, pour Stefane Zweig.)


Je marque une marche arrière en ajoutant que Yasmina Resa se saisit de l’idée de Nathalie Saraute à la base des « Fruits d’or », idée du nouveau roman s’il en fût, mise en abyme de la mise en abyme : un milieu snobe parle d’un livre au titre fantôme, les Fruits d’or, livre dont la substance ne nous sera pas dévoilée pendant tout le roman, mais autour duquel le gratinmondano-littéraire prend des positions critiques avec snobisme. Pour Sartre, le nouveau roman était issu du « psychologisme français ».


Nous sommes dans le train. Deux personnages assis face à face pratiquent le monologue intérieur jusqu’à se rejoindre. Elle sait qu’il est l’écrivain dont elle lit le dernier roman. Va-t-elle ou ne va-t-elle pas sortir le livre de son sac ? Va-t-elle briser le charme qui lui permet de lui parler de ses amis ou de son frère tandis qu’il ne la remarque pas, est lui-même dans ses pensées, ignore qu’elle lui parle, se demande si elle est allemande (pourquoi va-t-elle à Franckfort ? Pour retrouver un amant chef d’orchestre avec qui elle va rompre, décide-t-il quand elle sort son livre de son sac) ? La rencontre de l’auteur sera-t-elle décevante comme de Dieu, il est essentiellement à craindrequ’Il nous déçoive quand nous L’aurons trouvé ?(Pourquoi devrions-nous embrasser la Vérité quand nous L’aurons rencontrée, comme le croit naïvement le concile Vatican II ? Et s’il arrivait que nous ne l’aimions pas ?) 


Et dans ce dialogue de deux monologues (la rencontre entre les deux héros est longtemps différée), les amis de Martha, j’allais dire les amis de Jeanne, Serge, son frère, deviennent des personnages de Barsky, « font partie de son univers », surtout Serge qui n’aimait pas Barsky et estimait que sa plus grande chance était d’avoir su se faire aimer par un personnage aussi subtil que Martha, lui traquant à le llire « l’invisible » qui le rendait aimable. Au moment où Barsky imagine qu’il devrait jouer l’Oiseau prophète de Schumann, Martha se rappelle que, pour son enterrement (« Comment vivre dans un monde où Serge est mort ? »), Serge avait exigé qu’on ne prononce pas une parole, mais qu’on diffuse du Schumann et qu’elle y veille.


Il y a tout le fumet de la littérature moderne dans cette pièce sans que ça soit empesé comme dans Duras. Jusqu’à la point de distinction qui fait que nos personnages alternent entre la pensée de « gérer [leurs] intestins » comme Barsky, passage obligé de la scatologie contemporaine qui n’a plus la jovialité rabelaisienne ni la vulgarité luthérienne, et des occupations de référence, des pièces de piano.

Le choral est le plus facile et le plus séduisant des procédés contemporains: que des monologues s’enchâssent dans un dialogue. C’est pourquoi, si j’étais prof de Français, je ferais étudier l’Amante anglaise de Duras et l’Homme du hasard de Yasmina Resa, pardon, de Paul Barsky.



Œuvres fictives citées dans la pièce :  la Remarque (l’amie de mon frère, Nathalie Quintane, a écrit un recueil poétique intitulé Remarques que je n’ai jamais réussi ni pris le temps de faire transcrire. J’aurais également voulu lire son recueil intitulé Chaussures que j’aurais moins voulu lire que Remarques bien que je sois un fétichiste du pied féminin et du prénom Nathalie depuis l’âge de quinze ans), Un passant comme un autre, le Pas d’un homme pauvre (je n’ai jamais pris le temps de lire la Femme pauvre de Léon Bloy et ai donné envie à Anita de le lire, car son oncle lui disait qu’elle était une femme pauvre. Pour moi, Nathalie, c’est « la femme pauvre »).

Paul Barsky à propos de lui-même (en se faisant passer pour un lecteur de Paul Barsky) : « De la mort il n’a parlé qu’avec mondanité en ricanant comme une pauvre toupie. De la tristesse il n’a su dire que la sienne, avec quelle frénésie de ressassement. » (Son critique et ami Elie Bretling n’a pas su lui dire : « Tu ressasses », lui reproche-t-il.)

 

Dernière phrase de Martha à Paul : « Vous n’avez pas le droit d’être amer. En vous lisant, il y a eu mille instants comme des éternités et pour être à la hauteur du diable qui m’a mis à côté de vous dans ce compartiment, dans une autre vie, je me serais envolé pour n’importe quelle aventure avec vous. » Gros rire de l’auteur. 

samedi 5 février 2022

Le courage de Maistre

On ne sort pas indemne de la lecture du chapitre 3 des "Considérations sur la France" de Joseph de Maistre, qui s'intitule "la Destruction de l'espèce humaine."


L'auteur y déplore avec sensibilité que le roi du Dahomey semble avoir eu raison, quand il affirma "à un Anglois qui le consigna: "Dieu a fait ce monde pour la guerre."


Il note que très brefs ont été dans l'histoire les intervalles de paix.


Et il se demande pourquoi. "Si "beaucoup d'animaux sont destinés à mourir de mort violente", pourquoi n'en irait-il pas de même des hommes? 


IL relève que l'arbre humain est "taillé sans relâche" par une main qui, dans son système, a tout lieu d'être providentielle.


"Or, en suivant toujours la même comparaison, on peut observer que le jardinier habile dirige moins la taille à la végétation absolue qu’à la fructification de l’arbre : ce sont des fruits, et non du bois et des feuilles, qu’il demande à la plante. Or les véritables fruits de la nature humaine, les arts, les sciences, les grandes entreprises, les hautes conceptions, les vertus mâles, tiennent surtout à l’état de guerre. [...] On diroit que le sang est l’engrais de cette plante qu’on appelle génie." 


A l'idéalisme de Dostoïevski qui veut s'illusionner que "la beauté sauvera le monde", Maistre oppose à titre préventif: "Je ne sais si l’on se comprend bien, lorsqu’on dit que les arts sont amis de la paix." Et certes, le beau doit être l'ami du bien, Maistre le nie d'autant moins que la consolation de philosophie d'un Boèce lui est sensible, il n'écrit pas pour nous déprimer; mais Gilles Deleuze n'a-t-il pas dit qu'"écrire, c'[était] sortir du rang des criminels?" 


Pour être providentialiste, Maistre n'est pas un leibnitzien ni un optimiste à la Pangloss. Il ne dit pas que tout est bien, ni que la Providence ordonne tout en vue du meilleur des mondes: "Il n’y a que violence dans l’univers ; mais nous sommes gâtés par la philosophie moderne, qui a dit que tout est bien, tandis que le mal a tout souillé, et que, dans un sens très-vrai, tout est mal, puisque rien n’est à sa place." 


Car il y a une loi d'entropie morale, dont la première à me parler fut une adventiste du septième jour: "La note tonique du système de notre création ayant baissé, toutes les autres ont baissé proportionnellement, suivant les règles de l’harmonie. Tous les êtres gémissent et tendent, avec effort et douleur, vers un autre ordre de choses." 


"La Création est en travail d'enfantement", rappelle-t-il en citant saint Paul (Rm 8-22 et ss), estimant que la palingénésie de Charles Bonnet a quelque rapport avec cette gestation souffrante de la Création dans "la réversibilité des mérites" de l'Innocent au coupable. Abordant il y a près de cinq ans le monumental ouvrage de René Laurentin sur la Trinité que je n'arrive pas à finir, je m'étonnai que le théologien assumât que la révélation de l'amour de Dieu est progressive, nous élargit spirituellement sans nous libérer des tribulations de l'histoire. Laurentin comme Maistre ne sont pas Marc Sangnier. 


Ils ne récusent pas le sacrifice comme, avec inanité, René Girard imagine que le christianisme est la religion de la sortie du sacrifice parce que le Christ serait le dernier des sacrifiés. Au contraire, Maistre écrit: "Le christianisme est venu consacrer [la pensée du sacrifice], qui est infiniment naturel[le] à l’homme, quoiqu’ilparoisse difficile d’y arriver par le raisonnement." 


"On demande quelquefois à quoi servent ces austérités terribles, pratiquées par certains ordres religieux, et qui sont aussi des dévouemens ; autant vaudroit précisément demander à quoi sert le christianisme, puisqu’il repose tout entier sur ce même dogme agrandi, de l’innocence payant pour le crime."


A quoi sert le christianisme? La question qui tue, que je me pose presque tous les jours et que les modernes ne se posent jamais. Que je me pose depuis ma première crise de foi d'enfant nouvellement converti, quand je me demandai si Dieu n'était pas méchant. Que je me pose quand je me demande à quoi a servi le martyre du Christ s'il faut continuer de "souffrir ce qui manque à la passion du Christ", si "le sang des martyrs est semence de chrétiens" et si les tribulations de l'histoire sont là pour attester que le martyre du Christ, sinon n'a servi à rien, du moins  n'a rien résolu en matière de mortalité des innocents frappés: nous n'avons aucune preuve tangible de l'effectivité de la Rédemption. Cela me hante comme Bernanos ou comme Baudelaire écrivant son poème "Réversibilité". 


https://www.bonjourpoesie.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/charles_baudelaire/reversibilite


Je suis reconnaissant à Maistre de ne pas éluder ces questions qui font mal, et même de tenter de nous consoler à sa manière:


"Il est doux, au milieu du renversement général, de pressentir les plans de la Divinité. Jamais nous ne verrons tout pendant notre voyage, et souvent nous nous tromperons ; mais dans toutes les sciences excepté les sciences exactes, ne sommes-nous pas réduits à conjecturer ? Et si nos conjectures sont plausibles ; si elles ont pour elles l’analogie ; si elles s’appuient sur des idées universelles ; si surtout elles sont consolantes et propres à nous rendre meilleurs, que leur manque-t-il ? Si elles ne sont pas vraies, elles sont bonnes ; ou plutôt, puisqu’elles sont bonnes, ne sont-elles pas vraies ?"


Je conseille donc vivement la lecture de ce chapitre 3  des "Considérations sur la France" de Joseph de Maistre.


https://fr.wikisource.org/wiki/Consid%C3%A9rations_sur_la_France/Chapitre_III 

vendredi 4 février 2022

Valérie Pécresse, la candidate bon chic et mauvais genre

Commeentaire en forme de billet primo-posté sur le blog de Philippe Bilger, "Justice au singulier", sous l'articlce:


Justice au Singulier: Conseils d'un amateur à Valérie Pécresse... (philippebilger.com) 


Victime de son absence de conviction, la droite républicaine (ou de gouvernement, traduire la droite opportuniste), a été sociologiquement grand-remplacée par le macronisme, cette décadence de la bourgeoisie qui a perdu le sens de ses obligations ou sa justification de classe  et n'a plus cru de son devoir d'être philanthrope, et elle a vu ses valeurs raptées par l'extrême droite, comme beaucoup d'analystes perspicaces prédisaient que ce serait la victoire de Marine Le Pen (aujourd'hui  enserrée par Eric Zemmour)d'occuper le créneau de l'ex-UMP renommée les Républicains. 


De plus, les primaires sont une machine, sinon à perdre, du moins à sélectionner le plus mauvais candidat: on l'a vu à gauche en 2012 avec la victoire de François Hollande et à droite en 2017 avec la victoire de François Fillon. 


Valérie Pécresse souffre du syndrome Fillon: elle croit qu'avoir emporté la primaire l'autorise à s'endormir sur ses lauriers. Xavier Bertrand aurait été plus pugnace, mais il n'aurait pas produit un bien meilleur spectacle. Lui aussi fait depuis des années du média training, a un coach vocal et parle faux. 


Comme Valérie Pécresse travaille son incarnation de "dame de fer" à la française, elle  ajoute une touche de vulgarité qui n'est pas dans la manière de "l'éternel féminin" subsumé par la "galanterie française" pour qui Rabelais n'est pas une personne du sexe. Employer des expressions comme "cramer la caisse" donnent mauvais genre à cette candidate BCBG.