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lundi 30 janvier 2023

La gauche et la culture

En écho à ce billet de Philippe Bilger: 


Justice au Singulier: Comme Fabrice Luchini, aimerions-nous être de gauche ? (philippebilger.com)


Amusant voire incroyable de tomber en cette nuit même où vous postez ce billet, sur cet extrait du cinquième entretien "A voix nue" de Catherine Nay que je ne connaissais pas, mais voulais écouter depuis longtemps et vous livre en glaneur que je suis, comme tous les contributeurs de ce blog.

Marie-Laure Delorme demande à Catherine Nay: "Pourquoi n'êtes-vous pas de gauche?" "C'était Lucchini qui avait une phrase très drôle. Il dit: "Je ne suis pas assez fort pour être de gauche, je ne suis pas assez moral, pas assez formidable." Parce que ces gens de gauche ont un tel sentiment de supériorité par rapport aux gens de droite qu'ils s'imaginent être incultes, être des barbares et eux ont la supériorité. Ça, je l'ai senti quelquefois quand vous arrivez dans des milieux de gauche et qu'on vous regarde comme une fille de droite. Moi, ils me trouvaient sympathique parce que probablement, je le suis, mais comme quelqu'un d'un peu inférieur parce que je ne suis pas de gauche. Cette espèce de prétention où on a pour soi la supériorité, la justice, la morale et la culture disent-ils, ça m'est absolument insuportable.

Mais vous voyez, pour la culture, le grand ennemi de la gauche, c'était Sarkozy, qui n'a pas digéré le fait qu'on le traite de barbare parce qu'il avait dit que pour être postier ou pour entrer dans l'administration, il n'y avait pas besoin d'avoir lu "la Princesse de clèves". Vous vous souvenez d'intellectuels qui se baladaient avec un badge au salon du livre: "J'aime "la Princesse de Clèves" et de tous ces artistes qui lisaient "la Princesse de clèves" sur les marches de l'Odéon pour montrer que Sarkozy, c'était vraiment un ignare, un inculte qui ne méritait pas d'être président de la République. C'a été pour lui une telle honte, une telle blessure qu'il s'est mis à lire tout ce qu'il n'avait pas lu avec la fougue qu'on lui connaît et comme c'est un hypermnésique, il a vu tous les films, il a lu tous les livres et pour nous montrer qu'il n'était pas l'inculte que l'on disait, il nous recevait, nous les journalistes, et on avait toujours le quart d'heure Lagarde et Michard où il nous parlait des auteurs. Si on avait lu Balzac, il trouvait toujours le roman qu'on n'avait pas lu, un roman vraiment inconnu, difficile à trouver, et il a même fait un livre sur sa culture, ses goûts en peinture, ce dont les Français se moquent un peu ou à quoi ils sont indifférents: il avait cette blessure de l'ego qui lui est venue de la gauche.

Mais regardez François Hollande.Il est interviewé pendant la campagne présidentielle en 2012 par Michel Onfray* qui lui demande: "Quel est votre livre préféré?" Il répond: "C'est "le Petit prince" de Saint-Exupéry." Vous l'avez lu comme moi, on me l'a offert pour ma communion solennelle. La morale, c'est: "On ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux."* C'est un peu court, c'est charmant, c'est gentil, c'est même gentillet, mais dire que c'est le meilleur livre... Onfray lui demande: "Et puis quoi d'autre?"

"Eh bien Marcuse." "Quoi de Marcuse?" "Tout Marcuse." Tout ça montre qu'il ne l'a pas lu. D'ailleurs, ceux qui connaissent bien François Hollande et Ségolène Royal et qui ont été chez eux savent qu'il n'y avait pas un livre dans la bibliothèque. C'était un couple qui était voué à sa vie politique. Il y a même une photo de Hollande dans un canot pneumatique lisant: "l'Histoire racontée aux nuls" ou "l'Histoire pour les nuls". C'est quelqu'un qui n'a pas de culture. Mais là, la gauche l'a élu sans lui demander des comptes s'il avait lu les grands auteurs qu'il fallait avoir lus. Comme il n'en a aucun complexe, la gauche ne pense pas à le stipendier, à lui dire qu'il était un mauvais homme de gauche tandis que Sarkozy,à cause de cette histoire de "Princesse de Clèves" passe pour un ignare, pour un barbare, pour un homme indigne d'être président de la République."""


Catherine Nay : les autres et moi : un podcast à écouter en ligne | France Culture (radiofrance.fr)


*Que Michel Onfray étant encore de gauche morale pense, dans "Philosophie magazine", à vérifier la compétence des nouveaux présidents de la République en matière de philosophie en dit beaucoup sur la légitimité que la gauche ne songe même pas à mettre en doute à donner des leçons, à vérifier les devoirs et à donner des notes. La note attribuée à Nicolas Sarkozy par Michel Onfray était mauvaise parce que Nicolas Sarkozy avouait que ce qu'il aimait le plus dans la vie et ce qui l'intéressait le plus chez les autres était le côté transgressif. "La transgression n'est pas morale", cinglait Michel Onfray. Donc Nicolas sarkozy ne l'était pas non plus, et il était immature, donc recalé.

*Une sorte de morale à la: "J'aime les gens", affirmée par François Hollande dans son discours du Bourget, un amour déclaratif dont on peut se demander s'il peut être généralet générique, pourtant l'"amour des gens" peut avoir quelque chose d'immédiat qui n'est pas nécessairement synonyme de manque de profondeur. L'amour du particulier qui approfondit l'amour du général se signale par un supplément d'attention dont Simone Weil fait à raison la faculté d'entrée en communication et pour ainsi dire en matière avec les choses de l'esprit.

samedi 28 janvier 2023

La femme enfant et l'éternel adolescent

Pendant ce temps-là, je lui faisais découvrir sainte Thérèse de Lisieux et sa "voie d'enfance". Mais elle n'en avait pas besoin pour ce qu'elle se proposait.

Bernanos dit (je crois que c'est dans "Monsieur Ouine") qu'il rêve que le petit garçon qu'il était vienne rechercher le défunt qu'il sera. Je n'aime pas du tout cette citation, car je pense qu'il faut que ce soit un autre qui vienne nous chercher. Même l'enfant que fut l'homme ne peut pas le justifier, car on ne peut pas se justifier soi-même.

Un roman japonais dont j'ai oublié le titre se termine par cette phrase pour conclure une histoire d'amour: "Finalement ils finirent par pleurer sur leurs enfances". Les plus belles histoires d'amour bien qu'elles puissent finir mal sont celles de deux enfances non guéries qui essaient de se marier, mais ne peuvent s'apparier, car elles ne sont pas les mêmes.

Mon père et moi aimions à nous répéter lorsque j'étais enfant: "On est pareils". Mais on n'était pas pareils, mon père n'était pas mon pair.

"Je ne crois pas qu'il y ait des hommes-enfants. Je crois qu'il y a des femmes-enfants (et je les aime) et en face des hommes qui sont d'éternels adolescents". J'ai saisi cette expression dans un film dont je ne me souviens plus du titre et où elle caractérisait Michel Blanc.

Baudlaire a écrit une horreur sur les femmes: "La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable". Ce que j'aime dans la femme-enfant, c'est son désir naturel de dominer. Et je l'ai saisi au naturel chez une petite fille (mon ancienne petite voisine de Paris, Eva) qui, lorsqu'elle avait deux ou trois ans, arrivait essoufflée au cinquième étage où elle habitait et moi aussi, et où elle disait à sa maman qui l'avait laissée piquer son sprint: "Je suis arrivée la première", et de taper des pieds de satisfaction mais sans chanter "nananère".

La femme-enfant n'est jamais une réelle insatisfaite comme j'ai connu une éternelle adolescente qui jouait à être adulte, mais qui était une amoureuse de l'amour qui n'avait jamais réussi à aimer, que rien ne pouvait jamais contenter. Je l'aimais physiquement, sans parvenir à l'estimer. Et pourtant cet amour m'a laissé une empreinte qui n'est pas tout à fait effacée. Car elle se réveillait avec l'idée que le centre du monde avait bien dormi et on avait envie de passer sa vie à l'entretenir dans cette illusion, tant c'était charmant et vide, tant c'était vide et charmant, mais était-ce si vain  

samedi 21 janvier 2023

L'emprise

Justice au Singulier: L'emprise, une tarte à la crème ? (philippebilger.com)


L'emprise... est un phénomène sur lequel on a peu de prise. Il existe, mais on ne peut pas l'attraper. C'est sa ruse. Tel emprend qui n'est pas pris, et pourtant tel est pris qui croyait emprendre, car si dans un divorce ou dans une rupture amoureuse, il y en a toujours un qui souffre plus que l'autre, celui qui brise ses chaînes est vraiment libéré, alors que l'empreneur découvre que c'était lui qui avait besoin de l'autre, et non pas l'autre qu'il croyait si fragile qu'il ne pouvait survivre sans faire l'objet de son emprise. L'empreneur a du mal à lâcher l'emprise, mais l'empris la lâche et se libère. Il y a peut-être une libération pour l'empreneur qui arrive enfin à lâcher sa proie, mais cette libération se conquiert de haute lutte, quand il comprend que l'emprise est un phénomène de prédation et qu'il comprend pourquoi il s'est montré un prédateur. L'empris non plus ne se libère pas du jour au lendemain, mais sa libération est  un travail de rééducation: il réapprend à marcher et reprend les rennes de sa vie. 


L'emprise est à la base de toutes les dérives sectaires. On sent que le phénomène existe, on sait ce qu'il est, mais Aristote n'en aurait pas fait un "élément de preuve" en matière judiciaire. 

mercredi 18 janvier 2023

Écrivain, un métier de parole

Parler est utile, écrire va vers sa transcendance qui découvre ce qu'on ignorait qu'on voulait dire, l'écriture va vers la littérature et la littérature est vitale.


"Le métier de l'écrivain a changé", l'écrivain "se livre à un exercice de parole", il se confie au "dictaphone"... (Vamonos, comentateur)


"Le dictaphone" ne rend plus nécessaire à l'écrivain public de saisir méticuleusement tout ce que son "biographé" a dit. Dragone est passé par là. Il agit pour rendre inutile la retranscription par un J.S. Bach des partitions de ses prédécesseurs, grâce à quoi il est devenu le musicien de référence de la musique occidentale. 


Le chirurgien se saisit de son dictaphone et dicte à sa secrétaire une lettre pleine d'aménité destinée à un de ses confrères à propos d'un patient dont il fera le diagnostic complet de tout ce qu'il sait de ses symptômes. Quiconque a entendu un chirurgien dicter tout d'un coup une telle lettre à une secrétaire absente en parlant comme un livre  à son dictaphone en garde une impression inoubliable.


L'écrivain écrit, et puis il donne des entretiens. Je ne parle pas des entretiens promotionnels qui font la retape d'un livre et en donne le synopsis, mais d'entretiens au long cours tels qu'on en donne sur "France culture". Souvent, en les écoutant, je me dis qu'il y a des études universitaires à faire sur le statut de cette parole. Résume-t-elle le livre? Le contient-elle? Le condense-t-elle? Qu'en retranche-t-elle, mais surtout,  qu'y ajoute-t-elle? Je ne sais pas si les entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet ajoutent quelque chose à son "Journal littéraire", mais je suis persuadé que les entretiens de Jean Amrouch avec André Gide ou Jean Giono font partie de l'oeuvre de ses deux écrivains.


Notre société régresse-t-elle vraiment vers une tradition orale? S'orientalise-t-elle? S'africanise-t-elle comme sa musique au rythme répétitif, lancinant  et pauvre? 


Un jour, m'en allant enregistrer un CD-maquette dans une association d'artistes aveugles, je devisais avec l'un des salariés et comparais notre situation avec celle d'illustres prédécesseurs (Jean Langlais, Gaston Litaize ou Louis Vierne pour viser haut), qui écrivaient eux-mêmes de la musique en Braille entièrement mentalisée, quand nous, avec tout le matériel dont nous disposons... "Écrivons de la musique de m...", m'interrompit mon camarade. Ben oui, malheureusement.


Notre société ne s'oralise pas tellement que ne se déploie une articulation différente entre l'oral et l'écrit. Ce n'est pas parce qu'on apprendra à un enfant à écrire directement sur son ordinateur que sa pensée va devenir squelettique. Du moins je veux le croire, contre tous les désillusionnistes qui assurent que la tenue d'un stylo est nécessaire à la pensée. Dans la frange de population à laquelle j'appartiens, les élèves lisent et écrivent de moins en moins en Braille. Ils me paraissent pourtant mieux connectés à leur époque qui a moins d'orthographe, mais l'orthographe n'est pas une invention si ancienne. L'intelligence des "enfants indigos" d'aujourd'hui est moins analytique, mais elle va droit au but. Ce n'est pas parce qu'on a fait ses humanités qu'on a plus d'humanité. 

samedi 14 janvier 2023

Jésus grand prêtre. Lire l'épître aux Hébreux avec Véronique Belen

"Un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché." Hébreux 4, 15 | Méditations bibliques (histoiredunefoi.fr)


J'aime beaucoup votre réflexion, et ce d'autant plus qu'elle part d'    une "jointure", d'un écartèlement qui ne me la rend pas immédiatement accessible. Comment comprendre ce Jésus qui peut compatir à nos faiblesses et se fait homme et notre grand prêtre, se montrant capable d'offrir des sacrifices en notre faveur alors qu'il aurait tout assumé de la nature humaine à l'exception de ce qui en constitue la partie incompréhensible et propre à la faire détester, ce mal, ce péché, par lequel l'homme cesse de penser qu'il est bon, qui le dégoûte de lui-même et qui est comme une spécificité de la nature humaine: seul l'homme pèche, les anges choisissent une fois pour toutes d'être du côté de Dieu ou de lui être insoumis, et les animaux obéissent à leurs instincts. Donc dire que Jésus S'est fait homme à l'exception du péché, n'est-ce pas une contradiction dans les termes? Quand je faisais part de ma perplexité auprès d'un ami très girardien (et René Girard a commencé par refuser la lecture sacrificielle de l'épître aux Hébreux), il m'a répondu que le christianisme n'était pas à un oxymore près. La formule m'a plu. 


Mais je continue de creuser ma perplexité. Vous écrivez que Jésus n'a commis "aucune faute ni de parole, ni de comportement". Cela ne se vérifie pas à première vue. Tant de fois il est dur, y compris avec sa mère,  Il rabroue ses disciples, Il les menace de l'enfer. Il va presque jusqu'à la violence en renversant les étales des marchand du Temple, l'exemple est topique, mais même en entrant dans sa Passion, avant de demander à ses disciples de rengainer leurs épées, Il se félicite qu'ils en aient acheté. Autrement dit, quand j'essaie de vérifier si Jésus n'a point péché, je commence par trouver que si.


Or  mine de rien, vous nous proposez une définition du péché à l'aune de laquelle la vérification s'inverse. Pécher, c'est, dites-vous, "éprouver de la défiance envers Dieu". Là où nous pensons qu'il faut "tuer le père", Jésus Lui cherche "à accomplir la Volonté de son Père", dit qu'Il est venu pour cela, qu'il y trouve sa nourriture et la réalisation de Sa vie, consentant même à endosser la mission du serviteur souffrant.


Vous ne voulez ni du Dieu vengeur ni du Dieu faible et impuissant. Vous continuez de croire au miracle et d'espérer la parousie. Vous dites que Dieu nous attire parce qu'Il ne cesse pas d'agir et qu'Il n'y renoncera jamais. Vous battez en brèche le Dieu évanescent d'une société quiétiste. Parole rare, qui me renvoie en écho celle d'un aumônier d'hôpital disant un jour: "Nous sommes trop rapidement passés d'un Dieu dur à un Dieu mou qui nous permet de nous dédouaner." Et quand je lui demandais de préciser quel était selon lui le vrai Dieu, il me répondit que c'était le Dieu Père, à la fois exigeant et miséricordieux. Jésus ne cesse donc de nous ramener au Père. Sa cohérence est dans le Père, comme la cohérence de l'aporie entre le Dieu tout-puissant et le Dieu impuissant. 


Un père à qui l'on demande du pain ne saurait donner des serpents ou du poison à ses enfants, nous dit Jésus dans l'Evangile, car "même vous qui êtes mauvais savez donner de bonnes choses à vos enfants". Et pourtant le Père de Jésus ne recule pas devant le sacrifice de son Fils unique. Le mysticisme contemporain,  puisant parfois aux meilleures sources (je l'ai vu chez une amie véritablement mystique) croit de bon ton de se mettre à distance de la lecture sacrificielle de la passion du Christ. Il le fait, croit-il, par compassion.  Or la véritable compassion qu'on doit au Christ, c'est de prendre sa croix et de participer à sa Passion, c'est de ne pas se croire plus fort que Lui, qui ne s'est pas laissé submerger par une logique des événements qui L'aurait dépassé, mais Qui est venu sur terre à la fois pour enseigner et pour marcher vers la souffrance, et pour souffrir, et pour mourir, et pour que cette mort nous apporte quelque chose, nous déleste de nos péchés, nous soustraie au mystère d'iniquité, nous rende libres comme la Vérité qui n'est complète que si l'on ajoute à celle de la mort du Christ la vérité de Sa Résurrection. 


Comme beaucoup d'hommes perdus en cette vie où nous marchons sans en comprendre le sens parce que nous ne nous en donnons pas la peine,  je me suis souvent amusé à traquer les soi-disants infidélités de Dieu. Aveugle moi-même, je me suis complu à démontrer à un aveugle évangélique qui me guidait qu'un aveugle peut guider un autre aveugle sans que tous les deux ne tombent dans un trou. Je me suis également amusé à relever que "qui cherche" est loin de nécessairement trouver, mais vous avez raison de croire en un Dieu qui se laisse chercher et trouver. Mon meilleur ami me renvoya une question comme je lui demandais ce qu'il pensait de moi. "Veux-tu vraiment entendre la réponse ou poses-tu la question pour le plaisir de la question?" Nous ne trouvons pas Dieu quand nous prétendons Le chercher parce que nous ne voulons pas Le trouver et préférons Le chercher  dans et pour le plaisir de la recherche. "Avoir question à tout", est stimulant et "en philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses" disait Karl Jaspers, car les questions sont des mots de l'enfant des "pourquois". C'est sans doute exact, mais qu'en est-il de notre vie si  elle ne s'oriente pas vers une réponse? Car compte au premier plan l'orientation fondamentale que nous lui donnons et le "vouloir foncier" qui indique le sens de la marche d'un être humain. Je ne sais pas si nous serons jugés à l'aune de ce "vouloir foncier", et de cette orientation fondamentale, mais notre vie appelle réponse.


Nous ne voulons "rien devoir" au sacrifice du Christ parce que, comme me le disait l'abbé Yannick Vella lors d'une conversation au débotté dans un hôtel albigeois, nous traversons depuis très longtemps une crise de la pensée sacrificielle. Cela a commencé dès le judaïsme que l'effet cumulé de la Passion du Christ et de la destruction du Temple a fait passer d'un judaïsme sacerdotal (et donc de sacrifice) à un judaïsme rabbinique (de simple enseignement), de même que nous voudrions bien sinon d'un "christianisme sans la Croix" comme le déplorait déjà Paul VI; du moins souhaiterions-nous passer d'un christianisme kérigmatique à un christianisme évangélique. 


"La Passion du Christ va beaucoup plus loin qu'un simple mystère de mort et d'ensevilissement", ajoutait l'abbé Vella. "Benoît XV (dont il ne retrouvait pas la citation exacte) parle de destruction de la victime, la victime est brûlée, la descente aux enfers est un moment de consomption, la Résurrection du Christ ne vient qu'à ce prix-là". 


Nous dénions toute valeur au sacrifice, car nous tenons absolument à être responsables de notre vie. Le sacrifice est douloureux, mais notre consentement à cete douleur de la perte entraîne paradoxalement une moindre responsabilit de notre part une fois le sacrifice consommé. Et si nous devons le pardon de nos péchés au sacrifice d'un autre, nous nous sentons amputés de notre responsabilité. 


Jusqu'à mieux définie, la Rédemption est un transfert de responsabilité. J'écris cela en ayant essuyé les foudres de beaucoup de commentateurs d'un autre blog pour avoir avancé cette définition, mais on ne me propose pas de définition alternative.


La crise de la pensée sacrificielle est l'autre nom d'une allergie qu'éprouve aujourd'hui notre Occident démocratique (et où la démocratie se porte mal) pour toute forme de verticalité et de sacralité. La lutte contre le cléricalisme est l'implicite du refus  par incompréhension du sacerdoce en tant que tel, du sacerdoce ordonné comme du sacerdoce du Christ, car le prêtre produit du sacré, et l'Incarnation du Christ n'a pas désacralisé la divinité du Christ, à preuve son refus du péché. Elle a sacralisé ou plutôt divinisé l'homme s'il veut bien entrer dans le projet de cette divinisation et ne pas se la donner par impossible à lui-même. 

vendredi 13 janvier 2023

Benoît XVI, un pontificat catéchétique

La dimension catéchétique du pontificat de Benoît XVI en constitue le troisième fait marquant selon Laurent Dandrieu.


Il répondait à la question de Philippe Maxence dans "le Club des hommes en noir":


Benoît XVI, bilan année 2022 : Club des Hommes en noir exceptionnel - L'Homme Nouveau "Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans son pontificat?"


Je suis très heureux de l'avoir entendu donner cette réponse, car dès le discours d'"intronisation de Benoît XVI", je me suis douté que c'était la mission essentielle qu'il s'était assigné.


Ayant eu un "flash" à l'issue des JMJ de 1997 qui m'avait persuadé que Jean-Paul II savait qu'il vivrait jusqu'en l'an 2000 (raison pour laquelle il avait nommé ste Thérèse de Lisieux docteur de l'Eglise, ce qui était peut-être rétrospectivement une erreur, je peux y revenir), et bien que la longévité de Jean-Paul II ait excédé mes prédictions, je renouvelais mon "esprit de prophétie" et m'imaginais que le pontificat de Benoît XVI durerait trois ans, comme la prédication de l'Évangile. La Providence l'a fait excéder mes prédictions et heureusement, car la prédication de Benoît XVI ne s'est pas bornée à réannoncer le kérigme: le pape défunt a prononcé lors de ses audiences générales des synthèses remarquables qui sont un compendium d'histoire des saints et de l'enseignement des docteurs de l'Église.


Comme si les loups sortaient de la bergerie, les imprécateurs de Benoît XVI s'en donnent à coeur joie et vont jusqu'à limiter en lui le théologien en lui reprochant de n'avoir enseigné que de la théologie fondamentale. C'est ce dont les âmes avaient besoin. Benoît XVI donnait aux âmes la nourriture dont elles avaient besoin quand François ne dit au monde que ce qu'il a envie d'entendre, bien que ses homélies improvisées soient pleines d'Evangile et de formules savoureuses, mais encore?


Je n'oserais dire que la doctrine de François est floue, craignant de sous-entendre que selon la formule travaillée dans le flou de Martine Aubry, "où c'est flou, il y a un loup", et la première mise en garde de Benoît XVI pape était contre "les loups dans la bergerie"...


Ayant eu un "flash" à l'issue des JMJ de 1997 qui m'avait persuadé que Jean-Paul II savait qu'il vivrait jusqu'en l'an 2000 (raison pour laquelle il avait nommé ste Thérèse de Lisieux docteur de l'Eglise, ce qui était peut-être rétrospectivement une erreur, je peux y revenir), et bien que la longévité de Jean-Paul II ait excédé mes prédictions, je renouvelais mon "esprit de prophétie" et m'imaginais que le pontificat de Benoît XVI durerait trois ans, comme la prédication de l'Évangile. La Providence l'a fait excéder mes prédictions et heureusement, car la prédication de Benoît XVI ne s'est pas bornée à réannoncer le kérigme: le pape défunt a prononcé lors de ses audiences générales des synthèses remarquables qui sont un compendium d'histoire des saints et de l'enseignement des docteurs de l'Église.


Comme si les loups sortaient de la bergerie, les imprécateurs de Benoît XVI s'en donnent à coeur joie et vont jusqu'à limiter en lui le théologien en lui reprochant  de n'avoir enseigné que de la théologie fondamentale. C'est ce dont les âmes avaient besoin. Benoît XVI donnait aux âmes la nourriture dont elles avaient besoin quand François ne dit au monde que ce qu'il a envie d'entendre, bien que ses homélies improvisées soient pleines d'Evangile et de formules savoureuses, mais encore? 


Je n'oserais dire que la doctrine de François est floue, craignant de sous-entendre que selon la formule travaillée  dans le flou de Martine Aubry, "où c'est flou, il y a un loup", et la première mise en garde de Benoît XVI  pape était contre "les loups dans la bergerie"... 

dimanche 8 janvier 2023

Les rencontres du papotin

    Que penser de ces Rencontres du papotin que je viens d'écouter moi aussi? Emmanuel Macron a bien fait de se prêter à l'exercice, même si c'est avec un peu de narcissisme, qu'il y a une certaine démagogie à applaudir à l'éternel "J'aurais voulu être un artiste", à penser que nous sommes "tous journalistes" ou à répondre à une histoire d'amour désespéré entre un élève et une encadrante que tout amour est possible parce que "regardez-moi, j'ai bien réussi le mien", mais au prix de combien de non dits? Une séquelle qui reste une inconnue pour moi de l'affaire "Jean-Michel Trogneu" à laquelle je ne crois pas est la question de savoir pourquoi la mort de Louis-André Auzière, le banquier et père des trois enfants de Brigitte Macron et son premier mari, n'a même pas été annoncée à l'opinion publique. 


Quand Emmanuel Macron dit que sa grand-mère lui manque ou qu'il aime ses parents, il fait le service minimum. Idem, quoique dans un registre moins intime, quand  il dit qu'il gagnait plus d'argent avant d'être président. Mais où donc est passée cette quantité de monnaie phénoménale où donc s'est envolé "ce pognon de dingue"? Aux Bahamas comme on le sussure ou dans la rénovation de la maison de Brizitte?


Seuls des personnes handicapées auraient-elles le droit de poser des questions sans filtre? Je ne me suis jamais expliqué qu'aucun journaliste n'ait demandé à notre président philosophe puisqu'il se pique de philosophie, comment  on doit comprendre le banquier philosophe, ce personnage inédit qu'il incarne, qui rêvent d'une jeunesse qui veuille devenir milliardaire? Autrement dit, comment l'argent entre-t-il en péréquation avec les arcanes de la sagesse? C'est très calviniste et très américain. Or la France est un vieux pays catholique. Emmanuel Macron lui a reproché au Danemark de ne pas être assez luthérienne.


Emmanuel Macron a multiplié les rappels de son passé banquier: "Ce n'était pas ma prof, c'était ma prof de théâtre, laissez-moi négocier", lance-t-il à Adrien qui s'en amuse. Quand le présentateur se trompe sur la date de l'interview de Nicolas Sarkozy, il dit: "Ça ne pardonne pas", comme étonné de ne pouvoir se livrer aux approximations mensongères qui font le "sel" (pour employer un mot dont il use et abuse) de la politique. Mais il m'a semblé trahir un ressort profond de sa personnalité lorsque, répondant précisément à la question de son amour pour Brigitte, il dit que "tous les jours, il faut se convaincre". Se convaincre ou faire la vérité? Il a répété à l'envi qu'il aimait convaincre. Tout s'explique: notre président ancien inspecteur des finances et banquier Rothschild n'est pas un philosophe, c'est un sophiste et la politique de la France se fait à la corbeille. 

vendredi 6 janvier 2023

Le lion de Juda

Je vais porter un témoignage. A l'été 1988, mon ami Franck et moi sommes allés faire un voyage à Assise et à Rome avec la communauté des Béatitudes qui s'appelait encore à cette époque, je crois, "le lion de Juda et de l'Agneau immolé", tout un programme. Mon père me donnait une éducation libérale et du moment que Franck faisait le voyage, que la soeur qui s'occupait de lui l'avait inscrit là, il n'en demandait pas davantage. Il m'accompagna à Nîmes après no vacances passées non loin de là, dans notre petite maison de Saint-Quentin la poterie. Nous arrivâmes au point de rendez-vous. Il avait une amie et tous les deux étaient en short. On les regarda de haut en bas en se disant: "Quelle indécence." Je ne me souviens plus comment j'étais habillé. 


S'ensuivirent des vêpres magnifiques, avec une belle polyphonie et des glossolalies que Franck et moi nous trouvions ridicules. Nous allions être, surtout Franck, des trublions pendant tout le voyage. Franck était plus mal en point et plus traumatisé que moi, mais il était lumineux et il était génial quand je n'étais que surprenant.


Lors de l'énoncé des consignes qui nous furent données, on dit à tous ces ados que nous étions: "On ne flirte pas. On ne se prend pas la main." Je trouvais ça surréaliste. Amputer un ado de la plus belle part d'amour et d'affectivité qui peut s'offrir à lui au moment où c'est le plus beau et où il faut apprendre à le découvrir, c'est manquer volontairement une éducation. 


Durant le voyage, un frère profondément bon, mais aussi immature, dit à Franck: "Un jour, j'ai tiré un passage dans la Bible et j'ai reçu cette parole: "Ceux qui rêvent sont des fous." Franck et moi ne faisions que rêver, rien d'autre ne nous intéressait.


Je ne savais pas où je tombais, je n'avais rien demandé, Franck n'en savait pas plus long que moi, mon père ne s'en souciait pas  et la soeur qui élevait Franck ne nous avait rien dit. Je fus étonné de me trouver là, car je connaissais la communauté. Je le reçus comme une grâce et c'en fut tout de même une. J'avais écouté auparavant deux cassettes du frère Ephraim sur l'oraison où il avait cité cette parole de sainte Thérèse d'Avila: "Ne réveillez pas l'amour avant qu'il le veuille." Plus tard, j'écoutai une cassette du beau-frère Philippe Madre, le psychiatre, sur"la purification passive des sens." On voit ce qu'il en est résulté.


On n'aurait découvert toutes ces dérives que récemment. Ce n'est pas vrai. Je me souviens d'un documentaire au début des années 80 qui filmait la communauté du "lion de Juda". Les parents et les enfants étaient séparés. Le documentariste pointait une dérive sectaire et ceux qui ne voulaient pas le voir répondaient: "Il ne peut pas y avoir de secte dans l'Eglise catholique.". Une de mes amies qui m'avait offert les cassettes réellement nourrissantes des deux fondateurs de la communauté (celle du frère Ephraïm étaient de loin les plus habitées, Philippe Madre était assez poseur), regrettait que les évêques surveillent cet élan tellement plein d'Esprit Saint qu'était le renouveau charismatique, et elle me décrivait ainsi l'Eglise: "Il y a les charismatiques et les classiques. Moi, je suis plutôt charismatique." Pourtant elle composait de la musique classique.


Durant ce voyage, j'eus la grâce de prier dans la grotte d'Assise avec le P. Jacques Philippe, dont j'ai appris récemment qu'il avait écrit des livres qui étaient des succès internationaux, dont un sur "la liberté intérieure". Il en faisait preuve. C'était un homme magnifique qui vit ce qu'il écrit.


Parce que le diable porte pierres. Une racine pourrave peut faire éclore un homme comme Jacques Philippe. Le péché originel est rédimable. L'homme est bon et il est méchant. L'homme n'est pas manichéen. Il trace des chemins de lumière d'un coeur enténébré. Il faut que ses ténèbres arrivent à la lumière. aujourd'hui, on dit que si un homme a fauté, tout son héritage est discrédité. J'ai la faiblesse de penser que non, parce que je veux continuer avec la vie qui continue de couler en moi, moi qui n'ai pas fait le bien que je voulais, moi qui ai fait le mal, moi qui ai déraillé, moi qui n'aime pas regarder la trace que je laisse et moi qui suis malade et ne veux pas me soigner, et dis qu'on ne peut pas, qu'on ne sait pas soigner ma maladie et qu'on est incurable. Je crois que la résilience est le chemin et la guérison le but. On ne meurt pas guéri, car guérir, c'est ressusciter. Mais on va vers la guérison et la foi, c'est ce qui nous fait aller, agir et traverser l'épreuve. Jésus n'aurait aucune raison de nous sauver si nous n'étions pas perdus. 

mercredi 4 janvier 2023

Les partis


https://www.philippebilger.com/blog/2023/01/les-partis-ne-peuvent-ils-pas-penser-.html#comments


"Eux aussi (les partis) méritent d'avoir droit au tout." PB). Très bonne chute.


Écoutons notre constitution: « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie."

En recherchant cette citation (Google est notre ami), je croyais me souvenir que la constitution leur faisait obligation de concourir à l'expression des idées dans notre vie démocratique. J'étais bien naïf. La constitution n'est pas loin d'ironiser sur ces organisations, et l'on y reconnaît le clin d'oeil des constitutionnalistes au tropisme antipartidaire du général De Gaulle pour qui ces légistes "pensaient" (sic) un mode de gouvernement adapté à sa stature ou à la certaine idée que le général se faisait de lui-même. 


"Les partis concourent à l'expression du suffrage?" La constitution a pris soin de ne pas ajouter "universel" pour ne pas laisser supposer que ce sont des machines électoralistes.  En n'accolant pas d'adjectif au "suffrage", la constitution ennoblit les partis en les faisant participer aux choix par lesquels la nation essaie d'incarner, tel un corps politique, la société dont elle rêve.


"[Les partis] doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie." Est-ce à dire qu'ils doivent être souverainistes? Pourquoi ne pas  encourager cette lecture maximaliste avec une dose de mauvaise foi? Mais on a compris: ils ne doivent surtout pas être inféodés à l'étranger, ils ne doivent pas être des "partis de l'étranger", ils ne doivent pas subordonner le destin national à des visées internationalistes. La constitution visait-elle le parti communiste qui fit des corcs-en-jambe au général De Gaulle durant le Gouvernement provisoire? 


Mais la constitution est inflexible sur le respect de la démocratie. "La France insoumise" n'a qu'à bien se tenir. À soixante ans de distance, notre constitution, que Jean-Luc Mélenchon veut remplacer par un écrit "gazeux", forgé par une Assemblée constituante en grande partie tirée au sort, parle d'or et parle contre lui. On comprend son hostilité à la Vème République et le côté farcesque de son gaullo-mitterandisme internationaliste. Et c'est un électeure sceptique de Mélenchon qui écrit.


Mais blague à part (si ce qui précède est une blague), sans me rappeler tous les arguments contenus dans la "Note"  de Simone Weil "sur la suppression des partis politiques" (et la parution de ce billet va certainement me donner l'occasion de la relire), on peut relever votre opposition entre les partis politiques et les cercles de réflexion ou "sociétés de pensée" comme aurait dit Augustin Cochin en répondant qu'en effet, les partis ont le triple inconvénient de préférer le suffrage universel au suffrage de la nation qui s'affirme au terme de la discussion démocratique, qu'ils ne sont pas faits pour penser, car l'intrigue y règne en maîtresse et l'intrigue et la pensée ne vont pas bien ensemble, et qu'ils démembrent la République indivisible en autant d'intérêts catégoriels,  car chaque parti politique représente une partie de la société de façon privilégiée au détriment de l'intérêt général. 


Sur ce dernier point, les partis agissent à l'instar des associations qui souvent divisent les causes qu'elles veulent faire avancer. Et comme l'Etat ne demande qu'à se défausser sur les associations , le corporatisme et la république associative se développent contre la République indivisible. Chaque président d'association rêve d'être président de la République comme tout chef de parti. Les partis ne respectent même pas leurs statuts qu'ils changent au bon vent de la conjoncture girouette. (Gouverner, c'est réagir, gouverner, ce n'est pas prévoir.) Faits pour concourir à la démocratie, les partis montrent un contre-exemple de vie démocratique.