(Suite du dialogue entre le torrentiel et un Croissant de lune, partie IV, herméneutique 13, codécryptage)
1. Du torrentiel au Croissant de lune, envoyé le 27 février 2011 à 8h52
Je crois que, ce qui perd Kadhafi, ce n'est pas la démocratie directe, mais la démocratie pyramidale. Il meurt du "peuple en armes", dis-tu. Et pourtant, il n'a pas craint d'armer le peuple. L'une de ses originalités et grandeurs aura été de n'avoir aucun poste officiel. L'un de ses errements aura été de surfer entre les causes augré de l'aura de son art oratoire. Le colonel Kadhafi se sera sans doute perdu en paroles. Un point qui me navre, c'est que l'on surrenchérisse sur le caractère à chaque fois plus corrompu du régime renversé. Cela ne me paraît pas vraisemblable. Le vrai motif du renversement des régimes arabes n'est pas tellement la corruption de ses chefs que le vice intérieur de ces régimes. Pas autant vicié que les autres n'était celui du lybien tortionnaire si, bien sûr, il n'avait banalisé la torture et sans le makiavélisme qui les faisait passer en double vie du régime et du personnage. Pas aussi vicié que les autres parce qu'émanant d'une geste personnelle, comme le régime de Saddam Hussein. Les occidentaux, même s'ils se sont montrés plus tardifs à dénoncer la répression lybienne, n'ont jamais pu voir Kadhafi en peinture, parce qu'ils détestent les gestes personnelles transformées en coups d'essai politiques, dernière forme, quoi qu'on en dise, et pour le meilleur ou pour le pire, de l'héroïsme, voire du prophétisme en politique. Mais la persistance du prophétisme, ce serait, aux yeux de nos sociétés traumatisées par deux guerres mondiales, la persistance des "heures les plus sombres". Or, sans un minimum de prophétisme, il ne saurait y avoir de politique. Les lybiens ont renversé un prophète, cela va les obliger à proposer une véritable alternative au régime déchu. Les tunisiens et les égyptiens se sont trouvés face à rien moins que des prophètes, c'est ce qui fait qu'on ne sait pas trop à quoi la victoire du peuple va être consacrée. Reconstruire est un travail de longue haleine. Que dieu ne les abandonne pas au milieu du gué !
2. Du Croissant de lune au torrentiel, envoyé le 27 février à 23h24
Bonsoir, Torrentiel,
Comme toi, je suis ému et partagé envers le sort du colonel. Combien j'eusse mieux aimé qu'il eût moins parlé et agi davantage, qu'il ait fait selon ce qu'il disait et qu'il ait dit ce qu'il faisait! Dans son cas, très particulier, on parle de "dictature idéologique". Cet homme se dit lui-même prophète, on le dit poète, il aime à l'excès l'idée et la parole, sans être pour cela, un orateur magnifique. Crois-moi, il maîtrise mal l'art oratoire, mais il veut qu'on l'écoute! Ce qui arrive est fort triste, en vérité.
Geste personelle, chacun est juge. Pas utile de comparer, mais il s'en faut de beaucoup, que sa vie et son expérience équivalussent à celle de l'imam Khomeini, Nasser, ou le roi Ibn-Séoud. Ce grand roi, quand il mourut, on compta sur sa dépouille trente-huit cicatrices et traces de blessures reçues dans les combats! Jamel Abd-El-Nasser, le plus grand de nos raïs, ne participa lui-même, et personellement, à des opérations de reconnaissance, en 69, derrière la démarcation du Sinaï, derrière les lignes ennemies. Son ministre de la défense périt martyre cette même année, en pareille opération. Rien ne certifie que notre colonel ait jamais combattu ni vécu nul péril! J'ignore même si les 300 mirages Français, achetés à grands frais, ont servi en octobre 73, ou s'ils sont restés sagement sous les hangars, comme on le prétend. Il y en aurait beaucoup à dire, sur les titres de gloire de tel ou tel, je ne vais pas m'étendre là-dessus.
Toutefois, je concède que l'histoire du colonel a quelque-chose d'émouvant. Si j'ai bien compris, il naquit et grandit dans le dénuement d'une famille Bédouine, il tient donc de l'Arabité la plus profonde, par ses origines. Pour ces gens, la seule issue, environ le seul moyen de promotion, consistait dans la carrière des armes. Les Bédouins font partout de bons soldats, cette carrière convient bien à leurs aptitudes de résistance physique. Il dut soufrir bien des sarcasmes, souvent le Bédouin est moqué! On se moque du Bédouin, autant qu'on l'exhalte. Or, le Bédouin, c'est l'Arabité même, tellement que le mot Arabe, peut très bien s'employer en lieu et place du mot Bédouin. Ceci le fit soufrir au point, qu'il s'est partout imposé, de coucher sous la tente, mu par un besoin douloureux d'affirmation. La douce France ne fut pas assez bonne, pour lui épargner ses railleries, lors de sa dernière visite. Sans doute, il s'enthousiasma et tint pour Nasser, et sa révolution à vocation Panarabe, il s'est dit fils spirituel du grand raïs. En 67, le colonel assista la mort dans l'âme au désastre égyptien. Etant affecté, avec d'autres officiers, au voisinage de la base Américaine de Walis, on les éloigna de là, pendant les opérations. Mais ils surent que des pilotes Juifs volontaires, ont été entraînés sur cette base, et ont chevauché des appareils Américains, participant aux bombardements massifs et traîtreux sur l'égypte. C'était cuisant d'humiliation, mais ils surent, suivant l'impulsion avisée de Khaddafi, préparer nuitament le coup d'état, s'inspirant du modèle des Officiers Libres égyptiens. C'est qu'en ce temps-là, il était assez avisé pour bien tenir sa langue. On ne sut absolument rien de l'affaire, jusqu'à son aboutissement, le premier septembre 69. Ce fut comme un miracle inattendu! Nasser se trouva fort embarassé, ne sachant que faire de ces aventuriers. On pensait qu'une riposte Anglo-Saxonne foudroyante, ne se ferait pas longtemps attendre. Nasser eut assez d'à-propos, pour intervenir auprès du roi Hidris qui se trouvait en visite à Istamboul, lui offrit l'asile, et une résidence à Alexandrie. Le roi, patriote, malgré tout, fit ce qu'il put, pour épargner à son peuple le péril de l'invasion. Il se démit et abdiqua, reconnut le nouveau gouvernement, déclara ne vouloir aucune ingérance, et ôta par là même tout prétexte légal aux Anglo-Saxons. Ceux-ci auraient pu passer outre, mais par suite d'impréparation en Méditerrannée, d'autres soins les occupant ailleurs, le temps passa, ils renoncèrent. Les historiens s'accordent sur cette incroyable chance, qui ne tint vraiment qu'à peu de choses! Ce fut comme un miracle, et l'Arabe prétendrait y avoir droit, tant nous en eûmes. Le gouvernement des Officiers Libres Lybiens, obtint, je ne sais comment, le départ et la désaffection de la puissante base Anglo-Américaine, ils eurent toute la vaste Lybie, libre, sans nulle présence étrangère, libre avec ses ressources faussiles considérables! Le croyant, comment n'y verrait-il pas une quelconque faveur?
Que se passa-t-il ensuite? Probablement, l'ivresse du succès! Penses donc, le fils d'une tente Bédouine, déposer un monarque, chasser des occupants, distribuer au peuple pauvre, une part sensible des revenus pétroliers. Il dut se croire béni, et il tourna mal! Notre prophète Mohamed, une année d'abondance, dit aux gens de Médine, "Endurcissez-vous, endurcissez-vous, peut-être le bien ne dure pas!" C'est que Dieu nous éprouve tant par le succès que par l'échec, la victoire ou la défaite. Or, Kaddafi ne sut pas, comme beaucoup d'autres, rester humble dans le succès! Il voulut beaucoup de choses, il en réussit peu. Il tint à régner sur l'esprit de son peuple, s'ennivra des aclamations, s'écouta parler. Le Livre Vert fut une obligation, il fallut s'en gaver! Trop souvent, il paraissait sur l'écran, on n'osa pas lui en remontrer de son omni-présence. Il se perdit en paroles, des discours fleuves, très mal cousus, de longues causeries, avec parfois quelques bons mots repris par les flatteurs. Propagande, culte de la personalité, qu'on imposa à des gens supposés libres! Une brouillonnerie inouïe, très naturelle, l'incurie de ceux qui croient toujours avoir raison! Ses actions sur la Révolution mondiale, furent plus perturbatrices qu'autre chose. Y eut-il de la malveillance de sa part? Certains le supposent. Si on compare son action avec celle de l'égypte Nassérienne, ou encore l'expérience de la république Islamique, on a l'impression désagréable d'un ouvrier brouillon, qui ne finit jamais aucun chantier! En fin de compte, les pays qui n'ont pas voulu fusionner avec lui, ont dû avoir leurs raisons! Dommage.
Qu'il y ait du complot, dans toutes ces affaires, il y en a toujours, mais je reste sceptique. Fondamentalement, il est vrai, que l'humanité entière et non pas l'Amérique, trouve son profit au relèvement de ma Nation, si Dieu permet qu'il s'accomplisse. Quand il y eut le krach financier en 2008, Max Gallo fit en substance ce commentaire, "Il n'y a pas de variable d'ajustement, pas de continent à conquérir." Je me suis dit alors, que le poumon économique, la variable d'ajustement, c'est le relèvement de nos peuples, le bon usage de nos biens et ressources, du moins pour l'Europe voisine! Cela me semble fondamentalement vrai, notament pour la France, le meilleur des scripturaires, la Nation que depuis toujours, nous voulions pour partenaire privilégié. Le colonel Lybien avait bien nourri cette ambition, mais il fallut qu'il gâche tout, par sa demande incongrue de convertion massive. Que d'erreur n'a-t-il pas faites! En ce temps-là, l'amitié Française était presque gagnée! A présent, que se font de si grandes choses, si Dieu veut, l'heure des choix va sonner pour la France et l'Europe. Je ne suis content qu'à demi, de ton président, il nous place un ministre que je n'aime guère. Je préférais Vilpaint, bon, l'autre n'est pas très amical! Il a pourtant confirmé le miracle formidable, qui est, non pas seulement le réveil de nos peuples, mais l'éloignement de l'ingérance.
Je crois pas à l'article transmis par ton ami. Vois qu'à présent, ce sont trois pays voisins et complémentaires, qui sont en voie de libération. Surprenant, que ce soit conforme aux intérêts Américains! Comment déclencher des opérations de ce genre, alors qu'on est sûr de ne pas pouvoir les endiguer et les contrôler? Je crois plutôt à mon hypothèse, qui joint une plus grande vulnérabilité militaire de l'ennemi, et une moins grande capacité d'ingérance Occidentale, à une soif de force et de souveraineté arabe, soutenue par le renouveau de l'esprit premier, l'esprit du combat sacré, l'héroïsme populaire, pacifique ou armé! Il y a que la Jézira a unifié nos esprits, il y a que nous sommes tombés si bas, qu'on nous a foulé comme de la vile poussière, il y a les pillages et incuries considérables, qui se sont accrus ces dernières années, il y a les guerres injustes, les caricatures, les minarets et autres gifles et humiliations. Oui, nous avons accumulé trop de torts et dommages, au point que c'en était devenu inavouable! Tel était l'intérêt de l'ennemi. Or, les exemples de résistance, de proche en proche, nous ont rendu courage. Il fallut la flamme de Sidi-Bouzid, pour qu'on redécouvre émerveillés, l'esprit du combat, l'héroïsme que nous avons cru perdre. Toutes nos valeurs et principes étaient stigmatisées et dépréciées, nous-mêmes avions commencé à croire les calomnies toxiques de nos ennemis. Quand la pouf du front, fit ses déclarations Lyonaises, ce fut pour moi, comme si vraiment, elle piétinait un jeune homme en prière, sur son passage. Comprends-tu cela? Nul ne nous a porté secours, sans doute craignait-on de nous témoigner trop d'amitié! L'amitié, nous en voulons, la plus douce des nations nous le doit bien. Je veux que la France m'aime, et qu'elle le dise et le chante. Si Dieu veut, la France saura, par ses aides et conseils, nous guider sur les chemins nouveaux. Bien et prospérité lui advienne, et que son amitié lui soit multipliée et rendue.
Croissant de lune.
3. Du Torrentiel au croissant de lune, envoyé le 28 février à 1h08
Juste quelques mots en réponse à ton message, le premier pour te remercier des éclairages historiques que tu m'apportes sur la geste de Kadhafi, que je ne connaissais pas en détails ; le deuxième pour te dire que, moi non plus, réflexion faite, je ne suis pas d'accord avec l'article qui me fut posté par mon ami d'algérie, sur "les révolutions colorées". C'est qu'il a de la suite dans les idées, car il y tient, à son complot américain. Peut-être y a-t-il cette part de vrai que les Américains ont armé la tactique des révolutionnaires par le livre sur les révolutions non violentes qui y est évoqué dans cet article qu'il m'a transmis et que j'ai reproduit sur mon blog.
Mon troisième mot est pour te dire que, moi aussi, j'aurais préféré que Villepin soit ministre, comme il se murmurait que Sarkozy l'avait appréhendé pour occuper ce poste, fausse rumeur ou déclin de l'offre par l'intéressé pour convenance personnelle et souci de sa propre carrière. Toutefois, ce qu'a fait de mieux l'inamical et cassant alain Juppé est d'avoir été ministre des affaires étrangères. Pour une fois, je le crois placé où il doit, puisque la france a l'air de considérer qu'il ne saurait aller sans qu'alain Jupppé soit casé quelque part.
Je voudrais aussi m'applaudir de la démission de Ganouchi : les révolutionnaires tunisiens ont de la suite dans les idées, ce qui était surtout à craindre était qu'ils ne continuent pas le combat, une fois Ben Ali renversé. Je comprends ton sentiment de piétinement d'un homme en prière par celle que tu appelles "la pouf du front", dont je te répète qu'à mes yeux, contrairement à son père, elle sue la véritable haine, qu'elle joint à la tactique, ce qui en fait une espèce de fauve politique très redoutable, mais très caressée en ces temps chafouins.
Je comprends ta revendication de te faire aimer de la france, maîtresse des lettres des arts et des lois, comme il fut dit parfois. Cela se fait déjà et en même temps se heurte à des résistances, car l'homme arabe contient en lui un mystère dont je compte te parler dans ma missive. Ce mystère tient à ce que son amour s'accompagne d'imprécations, mais aussi à ce que ses sursauts sont imprévisibles, après des périodes de trop longue résignation. Il présente à nos yeux un curieux mélange de piété et de force, toutes qualités que nous avons endormies dans la douceur de vivre dont on a fait un épithète à la France. Sans compter que nous ne sommes même plus capables de discerner que la force puisse être concentrée dans la piété, qui n'est pas un simple acquiescement, car la foi est une force : elle soulève les montagnes autant que la charité console et soutient le monde.
Je te souhaite une bonne nuit sur l'évocation de ces deux plus grandes de nos trois vertus théologales, celle du milieu étant "la petite fille Espérance", comme l'appelait Péguy, dont j'imagine que tu as lu le "porche du Mystère de la charité de Jeanne d'arc" !
Ton Torrentiel incorrigiblement noctambule
lundi 28 février 2011
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