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jeudi 9 avril 2020

Réponse à un ami confiné entre volonté d'espérer et tentation du désespoir

Cher ami,

Tes réflexions suscitent en moi ce mélange d'assentiment et de désaccord qui a toujours marqué notre compagnonage.

- Désaccord quand tu ne sembles pas faire droit à la polémique. Elle n'est pas mauvaise conseillère. On nous a tellement abreuvés de culpabilité à l'encontre de ceux qui disaient : "On ne savait pas" ce qui se passait dans les camps de concentration qu'il me semble qu'on n'a plus le droit de réserver ses critiques pour après la crise, car c'est maintenant que se prépare "le monde d'après". Les situations historiques ne se comparent pas terme à terme, mais la Seconde guerre mondiale est devenue le paradigme de nos analyses, on est bien obligé de s'y référer.

- La peste (sic) soit aussi de la résignation chrétienne ! Et de l'injonction de chercher par principe et par priorité des messages d'espérance et des raisons d'espérer. Ça ne vaut pas mieux que de s'abandonner à la pente de son tempérament pessimiste. Il vaut mieux avoir les yeux collés sur le réel. Le réel est moins vrai que le vrai, mais enfin c'est le réel.

Je te donne un exemple tiré de notre foi : nous n'avons pas nécessairement le sentiment d'être sauvés de façon manifeste. Le réel, c'est que la venue du Christ n'a rien changé dans le rapport de l'homme à la vie. L'homme nourrit envers elle ce que Michel deneken appelait dans une conférence du centre porte haute une "confiance inaugurale" qui se refait dès qu'il est tirée d'affaire et une peur qui, historiquement, étant doné la précarité de la condition humaine, est beaucoup plus fondée que la confiance. Seule la civilisation est parvenue à limiter la peur. La peur est une conséquence du péché originel, me rétorque une amie commune. Je le crois, mais c'est trop facile. La rédemption consiste à restaurer et à retrouver cette "confiance inaugurale", résumait Michel deneken. C'est vrai, mais c'est insuffisant. Car certains pourraient nous répondre à raison que si nous, nous avons besoin de quelqu'un - ou d'une instance extérieure - pour nous faire garder confiance et ne pas avoir peur quand il y a du danger, c'est notre affaire, mais ça trahit surtout que nous ne sommes pas assez forts . Alors, ce qu'est venu sauver jésus en nous, ça se manifeste comment ? Il faut le trouver en nous. Mais il faudrait aussi que la théologie chrétienne réfléchisse à frais nouveaux au sens de la rédemption, car ce n'est pas évident, hormis pour ceux qui sentent Jésus comme une "puissance d'accompagnement intérieure et personnelle". Et dire que Jésus est venu "partager la souffrance de l'humanité" est une interprétation. Rien ne prouve que ce ne soit pas de l'autosuggestion. La vie suscite crainte et admiration, tel me semble être le rapport naturel que nous avons avec elle.

- Je ne pense pas que nous ne retrouverons plus de manière réflexe nos "signes de cordialité". Selon moi, la crise de la convivialité future dont nous aurons été sevrés est moins redoutable que la crise sociale actuelle ou que la crise économique à venir. À la louche et en faisant de la prospective sauvage, 40 à 50 % des PME-TPE ne se relèveront pas de cette fermeture forcée sans préparation au nom du confinement. Nous comptons 9 millions de pauvres officiellement recensés en france. Ce nombresera-t-il multiplié par deux ? Depuis 25 ans (j'en ai personnellement mesuré les signes avant-coureurs en 1995), la France est en voie de tiers-mondisation. L'hôpital paie le prix de cette logique comptable, aggravée par les préconisations de la Commission européenne qui, bien qu'incompétente en matière de santé publique, a recommandé à 62 reprises en 20 ans la fermeture de lits d'hôpitaux et l'a obtenue pour 100000 lits en France en 20 ans, et pour 20000 en 5 ans en Italie. Et voilà comment nos services de réanimation se retrouvent engorgés et saturés sans autre raison qu'une raison technocratique. Devrions-nous faire confiance à ces mêmes technocrates quand ils découvrent aujourd'hui que la santé n'a pas de prix et que peu importe son coût, ce que n'assénait personne d'un tant soit peu sensible au malheur des autres sans recevoir immédiatement une volée de bois vert au nom du réalisme économique. Ce sont ces gens-là qui sont aux commandes. On prend les mêmes et on continue ?Voilà pourquoi mon espérance touchant le "monde d'après" est raisonnable et mesurée.

- La crise sociale actuelle fait des dégâts sur le plan humain, mais est aussi une crise symbolique, et c'est sous cet angle que l'ami des mots que je suis aime à l'analyser. Tout ce qui faisait les "valeurs" de notre "vivre-ensemble" s'est effondré comme un château de cartes, sans aucunerésistance sociale ou institutionnelle. Pour des raisons virologiques ou épidémiologiques dont on n'a pas le droit de discuter l'excellence, on nous a demandé de ne plus visiter nos anciens. Le président du mépris de classe a instauré entre nous une "distance sociale". Il a confiné ensemble des "porteurs sains" non testés et des personnes que ceux-ci pourraient contaminer. Les "commerces nécessaires" sont restés ouverts, comme les kiosques à journaux ou les débits de boisson, mais le culte n'a pas été jugé un "commerce nécessaire". Les autorités religieuses ne se sont rebifées en Alsace que sous la férule d'un évêque qui croit faire de lhumour en disant de ne pas confondre "les grands-mères et les chiens", et qui donne des suggestions utiles à ses "chers" terroristes "alsaciens" en imaginant"un attentat contre un hôpital", ce qui serait "une tragédie épouvantabl". Ce qui ne l'empêche pas, l'instant d'après, defaire "le moraliste" en enfilant "un costume trop grand pour moi", avoue-t-il avec humilité, avant de distinguer "la distraction qui est une détente de soi" (que c'est mal dit !) du "divertissement" qui est une" diversion de soi" (c'est mieux trouvé). Et de mettre sur le même plan le fait de se tourner, le dimanche, "vers Dieu", "nos familles ou notre corps". Ou d'avertir à juste titre que "les catholiques auront beaucoup à perdre" dans cette crise, non pas parce que le rite s'effondre sans résistance des autorités religieuses (je rappelle que les moines, confinés dans leur monastère, ne sont pas interdits de se rassembler sept fois par jour, le gouvernement ne doit pas s'en être aperçu), mais parce qu'on ne pourra pas faire d'"amples cérémonies" où le prêtre se serait "prostré" dans un bel "assemblement" (sic) avant que tout se termine en une "fête de famille" traduisant la joie toute extérieure de Pâques. Que voilà un bon évêque pour temps de confinement !

Je lui sais pourtant gré d'en avoir souligné les limites pour les personnes fragiles ou les familles désunies sur lesquelles il se penche du fond de son "palais épiscopal" de "850 mètres carrés". IL est pourtant l'un des seuls à dire ce qu'il a dit, comme est louable son initiative d'avoir suggéré aux catholiques de téléphoner une fois par jour à deux personnes seules de leur connaissance pour mailler le filet de la solitude sociale. Je n'ia pour ma part assé que deux coups de fil en ce genre.

- Ce qui m'étonne en bien est que le virtuel crée plus de liens qu'on ne pouvait l'imaginer. François fillon disait dans son livre-programme, dont c'était une des seules analyses que j'ai trouvées vraiment profondes, que la révolution numérique était la nouvelle "étofe" du monde. Nous correspondons par mail ou sur les réseaux sociaux. Nous ne perdons pas le contact et pouvons aller plus en profondeur. Le virtuel n'est pas le contraire du réel. Même notre lien avec l'Invisible n'est pas moins fort de rester collectif avec des fidèles invisibles. D'un clic, les marchés donnent l'humeur du monde en modifiant le taux de change et désorganisant les entreprises dont ils sont les actionnaires plus ou moins éphémères, qu'ils évaluent ou dévaluent à leur gré. La messe est célébrée tous les jours et on peut s'y unir à n'importe quelle heure, comme ce "mémorial" de la Passion et de la résurrection du christ est hors du temps. La messe définit le "taux de change" spirituel entre le Créateur et ses créatures. Le pape veille sur l'Eglise et y assure une présence médiatique comme dans un "hôpital de campagne". C'était le programme de son pontificat et ce coronavirus lui permet de le réaliser.

Bonne semaine sainte dans ce contexte confiné, vivons notre Pâques au désert et sans amertume.

Bien à toi,

Julien

dimanche 5 avril 2020

De Philippe Séguin à Jean-Pierre Chevènement, le défaitisme souverainiste

Après la pièce de J.P. Delpont sur Clemenceau et Taleyran discutant entre grands morts de l’histoire de France, le second reprochant au premier d’avoir fait « ce qu’il fallait entre novembre 17 et novembre 18, puis d’avoir fait ce qu’il ne fallait pas pendant les douze mois suivants au congrès de Versailles en perdant la paix après avoir gagné laguerre », visionné sur la même chaîne parlementaire un documentaire sur Philippe Séguin.

Franck m’avait dit de lui, quand nous écoutions ensemble le débat qui l’opposait à Mitterrand au moment de Maastricht : « Tu ne crois pas qu’il pourrait faire un bon président de la République ? ». Je ne lui supposais pas une telle envergure, mais Quand j’ai vu la nullité de Juppé sous Chirac, premier ministre cassant qui mettait tout le monde dans la rue, et l’appel du peuple au président immobile pour qu’il remplace Juppé par Séguin, j’ai compris que Franck avait raison. Séguin aurait pu faire gagner à chirac son pari fou de la dissolution.

En 1992, Franck était contre Maastricht. En 2005, c’est moi qui étais partisan du « non » au traité constitutionnel écrit sous la direction de Giscard, même si j’hésitais à cause de l’article 60 (devenu l’article 50 du traité de Lisbonne, base juridique du Brexit), disposition qui permettait à un pays de sortir de l’Union européenne dont je n’aimais pas qu’on nous la vendît comme un processus irréversible. Il n’y a d’irréversibles que les forteresses qui s’effondrent.

Je voulais même faire le voyage de Paris à Mulhouse pour aller voter non. Franck et mon frère Gilles m’en ont dissuadé. Ils me représentaient que c’était ridicule de faire 500 km pour émettre un vote négatif. C’étaitaller bien vite en besogne.

Franck était contre Mastricht en 1992 et pour un oui indifférent en 2005, moi c’était le contraire : j’étais maastrichien en 92 et pour un non sous réserve en 2005, où le vent de l’histoire avait tourné.

Jean de Boishue, ancien collaborateur de Philippe Séguin et de François Fillon, a ditdu premier : « Il appartenait à la catégorie d’hommes politiques dont la marque est très forte, mais qui est très difficile à cerner. Séguin, ce sera pour très longtemps un symbole de la politique telle qu’elle aurait dû être. S’il avait exercé le pouvoir, on aurait su ce que c’était. Il aimait le pouvoir, mais comme il ne l’a pas exercé au sens fort du terme, nousen sommes orphelins. Philippe Séguin, c’était l’idée, le verbe et la dignité. C’était la belle politique à la française, nous ne saurons jamais ce que c’est. » »

Séguin était une sorte de Chevènement qui préférait être résigné par aplomb gaulliste que de livrer une bataille gagnante par amour des batailles perdues. « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule », se rendit célèbre Chevènement par cet adagedéserteur. On lui sut gré d’une posture qui le mena du refus de la première guerre du golfe aux honneurs de l’observatoire de l’islam donnés par Macron en récompense à ce barbon du socialisme, sous la bannière duquel il avait commencé sa carrière militante avant de se muer en européiste anachronique et caricatural. Séguin a dit après Maastricht : « Puisque je n’ai pas su convaincre de l’Europe que je voulais, autant m’accommoder de celle qu’ont votée les Français, même si c’était de justesse ». Il préféra diriger de manière avortée la campagne des européennes du RPR dont il était président plutôt que de rejoindre celle de Pasqua et de Villiers dont il était plus proche par les idées. Puis il démissionna de l’UMP devenu selon lui un parti de droite et pantoufla à la Cour des comptes, quitte à mourir d’une crise cardiaque qui dut lui survenir car il n’était pas à l’aise dans son placard et dans ses charentaises.

Fillon était séguiniste par son côté ténébreux. Il n'a été que résiduellement souverainiste, mais il avait un côté suicidaire. Il aimait l’avarice et l’idée de faillite. Son défaitisme le fit acquiescer au ratage séguiniste et c’es ce qui l’a perdu. Séguin devait avoir le ratage comme horizon mental, de même que Jospin devait se préserver par orgueuil en nourrissant l’idée d’un retrait toujours possible, analysait lucidement Claude askolovitch avant que « Lionel » ne se retirât dela vie politique, vexé que cinq ans d'honnêteté au pouvoir pût déboucher sur un séisme lepéniste faible sur l’échelle de richter, mais assurant la réélection de Chirac l'opportuniste et surnommé Supermenteur. Il ne fait décidément pas bon être honnête en politique.