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mercredi 28 avril 2021

Défense de BHL

<p> Bernard-Henri Lévy : "J'ai passé ma vie à éviter de me confiner" - L'Express (lexpress.fr) <p>


En France, un des sports nationaux est de taper sur BHL pour défouler au passage un antisémitisme qu'on croit de bon aloi parce que BHL, si internationaliste qu'il se présente, est confiné dans sa judaïté, c'est sa limite, son point Godwin. On ne peut pourtant prétendre que c'est un philosophe sans profondeur et sans talent que sous réserve de ne l'avoir pas lu, si peu que ce soit. Je trouve indigne de moi de le condamner parce qu'il est un fils à papa dont les facilités furent... facilitées par la naissance et la fortune d'un ancien marchand d'ébène esclavagiste qui était aussi un ancien des Brigades internationales, mais Jean-Baptiste Doumeng aussi était un communiste milliardaire. <p>


Je ne pardonne pas à BHL d'avoir entraîné mon pays dans une guerre du "dernier recours" en Libye; je n'aime pas sa géopolitique occidentale et simpliste, reconnaissant au monde trois ennemis principaux qui n'auraient pas droit de cité dans leur manière de gouverner différente des peuples différents: la Turquie, l'Iran et la Russie; mon penchant est populiste et le populisme est tout ce qu'il exècre, jusqu'au complotisme, ce "progressisme des imbéciles" qui me chatouille souvent come "lecture systémique du monde" en manque de repères. <p>


Il me déplaît  que BHL, partisan du droit d'ingérence comme son homonyme Bernard Kouchner, se pose en Dom Quichotte fortuné   ou en flic de l'ordre international et en guerrier mercenaire qui paie de ses écus pour s'assurer qu'il y ait un peu moins de dictature dans le monde. Il me déplut, du temps, je crois, où il s'indignait de la mort de Daniel Pearl, que notre nouveau philosophe fît une tournée américaine triomphale, Josiane Savigneau lui faisant cortège, en prêchant au nom de la France la bonne parole des démocrates américains contre ce stupide George Bush. <p>


Il me déplaît qu'il murmure à l'oreille des puissants, arbitre chaque élection présidentielle et se dise d'une gauche qui ne serait plus qu'"un grand cadavre à la renverse". Il me déplaît qu'il me dénie le droit de voter comme il me plaît, pratique la réduction ad Hitlerum y compris d'Erdogan  et m'intime d'avoir à descendre m'enfiévrer contre un antisémitisme dont il ne me saute pas aux yeux qu'il opprime un grand nombre de juifs qui occuperaient une position inférieure en France, malgré les crimes perpétrés contre Mireille Knoll et Lucie Attal alias Sarah Halimy. Il me déplaît qu'il donne des pièces de théâtre jouées par Jacques Weber où je passe pour un con avec ma tendance au souverainisme parce que l'Europe me paraît une belle idée qui ne marche pas, étouffée sous la bureaucratie. <p>


Je dois néanmoins reconnaître qu'il est le dernier défenseur des valeurs dans le goût desquelles j'ai été élevé, valeurs d'une bourgeoisie provinciale mais éclairée, qui n'était pas opportuniste et était plus deux tiers-mondiste qu'un tiers (ou un demi)-mondaine. "Je plains le temps de ma jeunesse" comme le chantait François Villon, où l'on croyait que l'on allait refaire le monde. BHL qui a écrit sur Sartre se contente plus modestement de vouloir le réparer comme Camus. Il se pose en journaliste et agent d'influence dont l'observation va modifier ce qu'il observe. Il se réfère à la guerre juste comme saint Augustin, dont le critère est que l'on provoque un mal inférieur à celui qu'on va éviter. <p>


Il n'a pas eu la lucidité d'un Michel Onfray que je n'ai jamais entendu appeler à ce que l'on pactise avec Daech comme il l'allègue dans son article de "l'Expresse", mais que ne bouleverse pas Dom Quichotte qui serait dans "le déni du réel". Comme moi, Michel Onfray qui écrit mal alors que BHL écrit bien, sentit le danger de la première guerre du golfe. Monsieur Dombasle ne se réveilla qu'à la seconde, plaidant qu'il ne fallait pas la faire, car on n'avait pas épuisé tous les recours. Ne cédant pas aujourd'hui à la Bidenmania, il s'inquiète du retour des talibans déboulonneurs de statues quand les Américains se seront retirés d'Afghanistan. Il ne croit pas qu'il soit trop tard pour présenter le fils du commandant Massoud au jeune Emmanuel Macron. <p>


Il ne déboulonne pas la statue de Napoléon dont la fascination ne fut bonne qu'à Stendhal et fit du Musset des "Confessions d'un enfant du siècle" un anti-héros romantique, blesseur d'amour.  BHL préfère Hugo à Napoléon et m'en voudrez-vous si je lui trouve un souffle hugolien dans ces confidences prépromotionnelles d'un énième reportage sur des guerres que BHL se croit à couvert de "couvrir" parce qu'il n'"aime" pas la guerre? <p>


BHL est plus hugolien que gidien. Il ne fait pas de la très bonne littérature avec des bons sentiments. Mais il était du bon côté en Bosnie et il défend le monde d'avant en ne jouant pas les agents confineurs et en rêvant de "la grande vie" et d'"une vie qui soit plus qu'une vie", à la différence de tous nos défenseurs de la vie, qu'ils soient antiviraux ou anti-IVG. De tout cela, je remercie l'auteur blanchi sous le harnois des chemises d'être le dernier garant un peu postiche de mes illusions perdues. <p>

vendredi 23 avril 2021

République ou monarchie

<p> Commentaire au billet de Philippe Bilger:"Monarchie républicaine. Si peu de monarchie, si peu de République." <p>   


Justice au Singulier: Monarchie républicaine ? Si peu de monarchie, si peu de République... (philippebilger.com)

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Un grand billet sur un grand thème qui mêle sobrement l'actualité et l'inactuel. <p>


Sur la première, l'injonction constante à résister puisque la France d'aujourd'hui serait l'héritière de la Résistance, n'en a pas fait un réflexe tel que nous dénoncerions une dictature sanitaire qui grignote chaque jour nos libertés, avec des autorisations de circuler et des couvre-feu qui souvent varient, dans une indifférence relative sinon générale, puisque ces mesures sont prises pour notre bien, ben voyons. Je me suis souvent résigné en regrettant que je n'aurais pas le bonheur de voir se réaliser mon utopie, la démocratie directe. Ce n'était pas pour imaginer que je verrais des masques cachant tous les visages, ces masques que je considérais, collégien, come le cauchemar des démocraties où non seulement l'hypocrisie ne marque pas le pas et continue d'être un vice régnant, mais je ne sais pourquoi, les masques ont toujours représenté à mes yeux la métaphore d'une démocratie où la raison de celui qui gueule le plus fort est toujours la meilleure. Et en effet, émettez la oindre réserve vaccinale ou sur le confinement par lequel on prétend lutter contre la Covid et vous serez taxé de complotisme et mis hors jeu du débat public. <p>


Votre incipitme laisse songeur: aujourd'hui, on ne couperait plus la tête du roi? Du roi Louis XVI, non, mais la haine qu'a concentrée sur sa personne Emmanuel Macron pendant la crise des Gilets jaunes ne fait pas bon signe. On a vu sa tête traînée en effigie au bout d'une pique. Je m'étais moi-même fendu d'un article de blog intitulé "Emmanuel Macron ne sera pas décapité" en ayant honte du mouvement qui me le faisait écrire. 


Aucun roman ne donne come "Lucien Leuwen" le ton de la presse monarchiste des années 1830. Ces parodies du "Moniteur" sont assez cocasses. J'ai vaguement connu Daniel Hamiche, directeur du "Légitimiste" avant de devenir le collaborateur de "l'Homme nouveau", qui s'était entièrement dévoué à la cause royale, mettant sa personne et sa vie presque entre parenthèses, après avoir été un militant maoïste, comme si cet esprit pourtant libre ne savait vivre sans chef. Sartre a décrit "l'Enfance d'un chef", on ne parle pas assez de la quête du chef ou de la nostalgie du chef. Les prétendants n'y croient plus eux-mêmes. Ils prétendent pour l'honneur. Les militants royalistes de toute obédience écrivent le programme du futur roi. La monarchie est une idée qui a vécu. <p>


Ceux qui essaient pourtant de nous intéresser à la monarchie le font sur la base qu'un bon gouvernement est d'abord arbitral ou a besoin d'un arbitre. Ils nous allèchent à l'idée d'un roi qui règne et ne gouverne pas, comme au Royaume-Uni dont le faste et les frasques de la famille royale relèvent d'un folklore amusant les lecteurs de tableauïdes. Le besoin d'un arbitre est probablement réel, mais cela va à l'encontre de toutes les pratiques politiques en vigueur. Lorsque Montesquieu, entre autres, théorisait le pouvoir exécutif, se doutait-il qu'il deviendrait l'inspirateur des lois, en sorte que la capacité d'enregistrement de notre parlement n'a pas grand-chose à envier à la chambre d'enregistrement qu'étaient les parlements  depuis la Fronde jusqu'à l'enfance prérévolutionnaire du vicomte de Chateaubriand? Le pouvoir exécutif devrait être un exécutant, donc un arbitre sans idée propre, il est le comandant suprême et l'inspirateur des lois. Ainsi a dérivé la démocratie représentative, qui refuse de croire qu'un système où le peuple pourrait proposer des lois à référendum serait viable. J'ai moi-même été victime de cette incroyance et ne m'en suis pas tout à fait départi.<p>


Le président une fois élu, ses courtisans font de ses moindres propos une parole d'Evangile. Un homme providentiel émerge tous les cinq ans par le miracle et par l'onction du suffrage universel. Non seulement le pouvoir exécutif n'exécute pas en bon arbitre de la volonté générale ou populaire, mais il signe et promulgue les lois votées par le parlement, come celui-ci enregistrait jadis les édits et décrets royaux. Ironie de l'histoire.


"Il n'y a pas assez de République", d'abord parce que la République a changé. Autrefois la "chose du peuple" dont l'autorité s'imposait par une sorte d'application directe ou indirecte du contrat social, elle est devenue ce qui devrait faire le liant de concitoyens qu'un même projet national ne constitue plus en nation. "Une société multiculturelle est multiconflictuelle", écrivait le Club de l'horloge. L'avertissement est rude, mais assez peu contestable. Régime neutre et sans idéologie, la République est devenue une idéologie de régime dont Frédéric Rouvillois a bien montré qu'on chercherait en vain les termes du pacte républicain, ce qui était déjà dans l'esprit de Rousseau, qui assumait si bien le caractère fictif de son contrat social qu'il avertissait que nul n'avait besoin de le signer et que d'ailleurs il n'était pas écrit. <p>


Mais le plus insupportable dans un pays comme le nôtre qui a la passion de l'égalité est que la République est inégalitaire. Maurras parlait d'une "République des fils à papa". Le passage le plus intéressant du livre de Juan Branco, "Crépuscule", est celui où l'auteur décrit la géographie des grands lycées parisiens où l'élite s'excuse de se reproduire parce que, dans certains d'entre eux come l'Ecole alsacienne dont est issu l'avocat activiste, on a gardé un vernis d'humanisme, l'humanisme de l'entre-soi. Son ennemi personnel Gabriel Attal a mis en musique un temps  le service civique universel (sur la base du volontariat...), qui devait être un moment de mixité sociale qui aurait disparu avec le service militaire. Lui-même n'était pas issu de la diversité ni de la mixité sociale ou de la méritocratie républicaine. Autant de maux auxquels il faudrait remédier en République, que l'on soit bourdieusien ou non. <p>

mardi 13 avril 2021

La société du commentaire

<p> Double commentaire à cet article du "Monde et à ce billet de blog de Philippe Bilger: <p>


https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/09/l-avenement-de-la-societe-du-commentaire_6076109_3232.html <p>


Et <p>


https://www.philippebilger.com/blog/2021/04/faut-il-d%C3%A9noncer-la-soci%C3%A9t%C3%A9-du-commentaire-.html <p>


Substituons en effet "le commentaire de la société" à "la société du commentaire". J'aime la simplicité de votre aveu: "Le commentaire a toujours trouvé grâce à mes yeux. Parce que je n'ai jamais su faire que cela." Je le contresigne en avouant à mon tour avec Jean-Sébastien Ferjou: "On s'informe aussi [et on s'exprime encore davantage] pour passer le temps." La rédaction d'un commentaire est moins contrainte que la correction ou la mise en forme patiente d'un écrit qui vous prend toute votre énergie. Le commentaire est une espèce de divertissement et de désoeuvrement qui nuit à votre oeuvre si vous croyez qu'une oeuvre vous attend, mais "il faut faire avec ce qu'on est" et avec l'énergie qu'on a. Les artistes contemporains ont réduit l'"oeuvre" au "travail" et cette modestie est peut-être à leur honneur. Ils ne font qu'"installer" leurs efforts dans le cham d'un possible éphémère. <p>


J'ignorais que Guy Debord, qui fut relativement peu prolifique, avait écrit des "Commentaires" à sa "Société du spectacle". Nicolas Truong a bau jeu de retourner le propos: "Aujourd'hui, c'est précisément le commentaire qui est devenu un spectacle." eh bien non. Car l'intérêt de "la Société du spectacle" est de faire toucher du doigt que "le vrai est un moment du faux". Et pour faire la part du faux, rien de tel que le commentaire. L'oisif Guy Debord a au moins été utile à cela. Je me range derrière son panache blanc.


Dans un monde littéraire idéal, on dirait du commentaire ce que Montaigne en disait: "Nous nous entreglosons." Mais Montaigne ne craignait pas de se mesurer aux plus grands esprits des siècles passés. Sur l'agora du "commentaire de la société" où nous sommes de pâles figurants, nous ne faisons que commenter cette actualité où un clou chasse l'autre. C'est nous faire un mauvais procès que de nous opposer aux acteurs en démocratie représentative où nous ne faisons pas partie de la distribution. Et c'est nous faire un autre mauvais procès que de nous reprocher de réagir en 280 signes: tout d'abord, les réseaux sociaux ne donnent pas plus cher de notre message; ensuite, nous pouvons détourner la contrainte en transformant nos réactions laconiques en liens sur des billets de blog ou sur des vidéos; et enfin, nous ne faisons que répercuter l'ancien procédé des "petites phrases", à quoi se résumait tout un long discours politique, par le choix sans discernement autre qu'immédiat d'un journaliste, aujourd'hui jaloux de se voir confisquer le monopole du ministère de la parole par ce gloseur prétendument inculte que le citoyen de l'ombre, participant de l'opinion publique que le journaliste n'est plus seul à forger en service commandé et en détenant le quatrième ou le premier pouvoir, devient de concert avec lui. <p>


On croyait que l'éditorialiste avait la légitimité du terrain. Mais "le terrain pollue l'esprit de l'éditorialiste", comme osait le soutenir Christophe Barbier, qui n'est pas à une outrance près. Je m'amuse à entendre citer des interviewers politique connivents comme de "grands reporters". Et je cherche en vain ces "intellectuels spécifiques" dont parlait Michel Foucault et que, jeune étudiant à la Sorbonne, je m'étonnais de ne jamais voir comparaître sur le forum médiatique, où mes professeurs auraient eu plus de légitimité que les toutologues tous terrains. 


Je m'amuse d'un Pierre Musso qui ose écrire une "Critique des réseaux" en s'imaginant qu'il existe, sur Facebook, une "alternative entre like et no like". Et le gars est professeur! Et son éditeur universitaire ne lui a pas signalé qu'il devrait faire un tour sur Facebook avant d'écrire une critique de ce réseau social que manifestement il ne connaît pas! Je m'amuse encore de voir Gérard Noiriel, qui n'a pas cru excessif de comparer Eric zemmour à Edouard Drumont, distinguer les "intellectuels de gouvernement" des "intellectuels critiques". J'ai toujours estimé Luc Boltanski depuis son livre sur l'engendrement, qui a fait prendre de la hauteur au débat sur "la vie" et sur l'interruption volontaire de grossesse. Je ne m'étonne pas qu'avec Jacques Rancière et quelques déconstructeurs auxquels les réactionnaires qui ne les ont pas compris reprochent d'avoir essayé de nous libérer de quelques chaînes, il mène une enquête pour analyser de quoi les réseaux sociaux sont le signe, plutôt que d'asséner leurs convictions défavorables à la démocratisation des supports (qui ne sont que des supports), comme le font Cécile Alduy et tant d'autres sémiologues, qui regrettent que le débat démocratique se soit élargi à d'autres sujets que ceux qui les intéressaient traditionnellement. <p>


Il y a certes, entre commenter et créer, une opposition du même genre que celle qui existe entre agir et contempler dans la vie monastique. Mais puisque tout le monde n'a pas le rang d'acteur dans la société du spectacle, oublions que la critique est aisée et l'art est difficile, croyons que nous sommes des influenceurs et jetons-nous sous les feux de la rampe du commentaire. <p>