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lundi 12 avril 2010

"paroles...": le regret de mon père et "la bonne mort" de Prévert

"Mon père disait", par Jacques Brel (sur des paroles de Jacques Prévert).

Mon père disait :
"C'est l'vent du nord
Qui fait craquer les digues
A Scheveningen
A Scheveningen, petit
Tellement fort
Qu'on ne sait plus qui navigue
La mer du Nord
Ou bien les digues
C'est le vent du nord
Qui transperce les yeux
Des hommes du nord
Jeunes ou vieux
Pour faire chanter
Des carillons de bleus
Venus du nord
Au fond de leurs yeux"

Mon père disait :
"C'est le vent du nord
Qui fait tourner la Terre
Autour de Bruges
Autour de Bruges, petit
C'est le vent du nord
Qu'a raboté la terre
Autour des tours
Des tours de Bruges
Et qui fait qu'nos filles
Ont l'regard tranquille
Des vieilles villes
Des vieilles villes
Qui fait qu'nos belles
Ont le cheveu fragile
De nos dentelles
De nos dentelles"

Mon père disait :
"C'est le vent du nord
Qu'a fait craquer la terre
Entre Zeebruges
Entre Zeebruges, petit
C'est le vent du Nord
Qu'a fait craquer la terre
Entre Zeebruges et l'Angleterre
Et Londres n'est plus
Comme avant le déluge
Le point de Bruges
Narguant la mer
Londres n'est plus
Que le faubourg de Bruges
Perdu en mer
Perdu en mer"

Mais mon père disait :
"C'est le vent du nord
Qui portera en terre
Mon corps sans âme
Et sans colère
C'est le vent du nord
Qui portera en terre
Mon corps sans âme
Face à la mer
C'est le vent du nord
Qui me fera capitaine
D'un brise-lames
Ou d'une baleine
C'est le vent du nord
Qui me fera capitaine
D'un brise-larmes
Pour ceux que j'aime"



Commentaire :

"C'est le vent du nord
Qui me fera capitaine
D'un brise-larmes
Pour ceux que j'aime"

On n'en a jamais fini, comme Jacques Prévert, que ce soit pour en faire un poème ou pour en déduire une sagesse, de rechercher en soi les souvenirs de ce que nous disait notre père. Et quand on a la chance qu'il nous en ait beaucoup dit, on pourrait échafauder tout un spicilège, et ce serait le plus beau recueil de sagesse, car rédigé à partir d'une bibliothèque de la mémoire, le plus beau livre de piété, car un livre de piété filiale, le plus beau chant des veillées funèbres, car un chant respectant les mannes dans la conserve affectueuse de leurs pensées qui nous servent de guides. De pensées tutrices ?

"Etre un brise-larmes pour ceux qu'(on) aime" : ça prend du temps, mais c'est aussi, je crois, ce qu'on voudrait tous avant de mourir. On fait pleurer des fois, des fois c'est c'qu'il nous faut, mais quand sont passées les années où l'on ne savait pas que le désespoir, ça ravage comme le passé, on échangerait bien les tempêtes d'émotion qu'on a pu déchaîner pour le brise-larmes qu'on voudrait devenir "pour ceux qu'on aime", pour qu'ils gardent bon souvenir de nous...

Un fioretti sur la mort de Prévert : on raconte qu'avant de mourir, il s'appela :
"Jacques !"

décontenancée, sa femme Jeannine alla voir ce qui se passait :
"J'essaie de me retenir, lui répondit son mari de poète. J'ai encore tant de choses à dire". (a me dire ?)

On raconte aussi qu'un jour, Jacques Prévert mangeait au restaurant à côté d'une fenêtre, dont le volet électrique s'ouvrit automatiquement. Prévert tomba de la fenêtre en mangeant. Il se fêla quelques côtes, mais en réchappa. Il en fut quitte pour l'une de ces coïncidences qui sont les champs magnétiques, non seulement de la poésie, mais aussi de nos vies écrites en langues des signes et qui ne signifient rien. Nos vies, parce qu'impossibles à traduire en sont les champs de signes, de signes qui leur sont faites tout au long, et jusqu'avant leur chant du cygne, seraient-elles insignifiantes, pour être écrites en langue des signes ?

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