Pages

dimanche 11 avril 2010

L'INCOHERENCE MAJEURE DU BAPTEME

"Pourquoi y a-t-il quelque chose (dans l'homme) plutôt que rien" ? Pourquoi les réactions ou les croyances de l'homme, ses mécanismes de reliance au monde et à la Transcendance, se répètent-ils avec tellement de régularité qu'on les croit innés et qu'on trouve raisonnable de penser qu'il y a bel et bien une "nature humaine" ? Pourquoi l'homme est-il la créature qui manifeste le plus au monde qu'être ne suffit pas… ? Pourquoi l'homme ne peut-il pas dire :
"Je suis" tout court, rendant à jamais caduque la méthode cartésienne de déduire le monde de la pensée de l'homme qui se croit être ? Pourquoi ceux qui récusent l'idée de "nature humaine" ne peuvent-ils se défendre de constituer une anthropologie avec ses invariances ? Pourquoi véhiculons-nous un message (que nous sommes génétiquement : un message plein d'information…) avant de porter un visage ? Si l'homme a tant de mal à "faire le vide", comme le lui conseillent les Hindoues, n'est-ce pas qu'il n'est pas une simple capacité pouvant contenir un volume, mais qu'il est un volume déjà rempli ? Ce remplissage originel n'est pas le seul point qui fait problème : il s'agit de savoir si l'homme est bien ou mal rempli. Si l'homme n'est pas vide, sa plénitude est-elle satisfaisante ? si elle l'était, l'homme ne vivrait pas sous la dynamique incessante du désir qui renouvelle insatiablement le manque et l'insatisfaction, sans donner au sujet désirant la , moindre chance de réaliser son idéal, pour le cas où, par hasard, il rencontrerait l'exact objet de son désir et où la réalité prendrait nos désirs pour elle-même en inversant la charge de l'épreuve… ?

L'homme n'est pas seulement. Il n'est pas vide. Il naît déjà plein : plein d'instincts reptiliens, de peurs infantiles, angoisses apparemment sans objet, de culpabilité qu'on appelle sa conscience, d'intelligence, d'élan vers la transcendance, de désir d'élévation, de sens de dieu (ou plutôt d'une instance qui lui soit supérieure). Le fait qu'il n'ait pas été donné à l'homme de naître en ne faisant qu'être a fait imaginer à toutes les époques des "rites d'initiation" obligés qui devraient aller jusqu'à une "seconde naissance". La radicale pauvreté de l'homme en proie, de naissance, à une plénitude qu'il n'a pas choisie, réside dans le fait, non seulement que ce n'est pas assez qu'il ne lui suffise pas d'être ; ce n'est pas assez non plus qu'il n'ait pas demandé à naître, comme c'est, paraît-il, impiété à lui de le répéter à tous bouts de champs : il ne lui suffit pas même d'être né, il faut qu'il s'organise une "seconde naissance" : de là, entre autres, l'idée du baptême. Dans la comédie musicale "notre-dame de paris", la chanteuse imaginait que l'homme pourrait sans dommage "avoir pour seul baptême celui de l'eau de plui". Sur le principe, elle avait raison. Ce qui s'oppose à sa raison sur le principe, c'est que l'homme ne naît pas vide.

Ce "scandale" de notre condition étant dénoncé, il est ce qu'il est : nous ne pourrons pas changer notre condition avec toutes nos dénégations. Vient alors l'examen du symbolisme de ce rite de passages parmi d'autres qu'est celui du baptême, puisque c'est sur lui que nous nous arrêtons. Est-ce par hasard ? Mon "paysage mental" confesse une imprégnation culturelle trop uniformément religieuse. Mais, une fois qu'on s'est aperçu de cette uniformité, on peut essayer de se diversifier : cela n'empêche pas de l'examiner pour se dépaysager, la dépayser un peu, naturellement...

1. Ce qui frappe à l'examen du baptême, c'est que le chemin proposé pour opérer notre "seconde naissance" passe par l'impératif qui nous est fait, si nous choisissons cette voie pour renaître, de "plonger dans la mort du Christ" pour avoir part à Sa Résurrection. Toujours la bonne vieille problématique katartique : je vais nager au fond de ma mortalité pour accéder à l'immortalité. Je vais donner un coup de pied dans la mort. La Grâce, c'est que ce sera dieu qui me fera donner le coup de pied. Je vais regarder au fond de la vase pour voir si, des fois, je n'y apercevvrais pas ma transparence. L'ennui, c'est que cela donne une vision très dépréciative de la naissance et de la maternité, d'où Heidegger peut raisonnablement faire découler son idée que la maternité prend la responsabilité de donner naissance à "un être pour la mort". La maternité se trouve dès lors dépréciée de la façon la plus inattendue et la plus contre expériencielle qui soit : celle qui a vraiment vécu ce que c'est que de donner la vie se trouve accusée de donner la mort en fait et de ne donner la vie que pour, au fond donner la mort, que parce que c'est cela qu'elle désire au fond, elle qui sait vraiment ce que c'est que "de faire un" avec un autre, ne faire qu'un avec son enfant... Car la mère se trouve "en paradis de son enfant" lorsque celui-ci est placé sur son ventre. Cette morbidation du sens de la nidification insulte au paradis entrevu dès ici-bas. Mais ce n'est pas étonnant, si nous tenons absolument à avoir perdu le paradis.

2. En second lieu, le baptême se voudrait l'acte qui, le plus hautement, réclame la conscience de celui qui le reçoit. On lui demande à quoi il s'engage à renoncer et à croire pour le restant de ses jours. Lorsqu'on lui donne ce Sacrement, il est généralement hors d'état de prononcer le moindre mot, de croire la moindre chose : il est dans cet état où il donne l'illusion du vide et de pouvoir être rempli au gré de qui le parrainera dans l'être, de qui procédera à son adoption spirituelle, que ce parrain (ou ce parent) adoptif se confonde ou non avec celui qui lui a donné la vie biologique. De plus, celui qui a reçu le baptême ne pourra jamais se faire débaptiser. Le plus que pourra sa liberté sera de demander aux autorités religieuses de faire retirer son nom des registres paroissiaux. On l'engage donc, en pleine inconscience, à ce que sa conscience ne pourra jamais récuser. Une secte n'agirait pas autrement, qui est disqualifiée de ce nom d'infamie parce qu'elle refuse à ses adeptes le droit d'en sortir. On baptise l'enfant au moment où il l'est au sens étymologique, où il n'a pas accès à la parole. La religion du verbe s'impose donc à qui ne peut se prononcer. Craindrait-elle la parole et la conscience qui naît de la parole comme la pensée naît du langage ? Précisément oui : elle les craint, et c'est pourquoi il serait injuste de lui faire seulement un procès parce que, sachant tout cela, que l'enfant n'a pas la parole, qu'il est inconscient, elle veut absolument continuer à baptiser les enfants alors qu'il y a un vice de fond plus encore que de forme, le vice de forme pouvant être invoqué lui aussi puisque l'enfant ne sait pas ce qu'il fait alors qu'un Sacrement suppose que l'officient comme le récipiendaire agissent en pleine connaissance de cause et conformément à ce que veut l'Eglise qui prodigue le Sacrement. Tenir à promouvoir le baptême des petits enfants (mais seulement dans les familles chrétiennes : car, pour les autres, on est devenu restrictif), provient d'une peur que ne soit pas sauvé qui n'a fait qu'entrer dans la communauté humaine. En le baptisant, pour ainsi dire, de force, on assure sa rédemption de fait. Est-ce montrer bien peu de Foi ? Non : c'est avant tout avoir peur et porter en soi, sans nécessairement savoir bien le formuler, qu'on ne comprend pas pourquoi la Création ne suffit pas, pourquoi il faudrait cette Création de surcroît qu'est la Rédemption dessus la Croix, que Jésus nous a assurée en Se livrant pour nous, mais en nous le faisant payer, car il faut sans cesse Le consoler, réparer… On n'en a jamais fini…

3. Mais l'incohérence majeure du baptême ne se situe pas là. Elle est théologique : censément, en effet, "le baptême affranchit celui qui l'a reçu du péché originel". Il n'est plus sous l'emprise de l'insupportable condamnation qui le fait "être pécheur dès le sein de sa mère" et il n'est plus tenu pour coupable avant d'avoir rien fait. Le problème est qu'il n'en devient que plus responsable. Ayant été baptisé en pleine inconscience, au premier caprice, à la moindre incartade, à sa première bagarre de gosse dans la cour de récré, à la première manifestation d'un désir égoïste de captation, à sa première mauvaise pensée un peu criminelle ou érotique, il recommettra le péché originel. Il le commettra avec la même responsabilité qu'adam. Ce faisant, il réintroduira l'espèce dans la même solidarité dans le mal qu'est, il est vrai, venue contrebattre Jésus "une fois pour toutes", mais son martyre apparemment n'a pas suffi puisqu'on n'a cessé de martyriser les confessants de son Nom, puisqu'il faut que chacun "souffre dans sa chair ce qu'il reste à porter des souffrances du christ" (dit Saint-Paul, puisqu'enfin "le sang des martyres est semence de chrétiens" (dit le Vatican). La voix du sang, le sang versé, le sang offert, toujours le sang… L'incohérence majeure du baptême, c'est qu'en affranchissant le baptisé du péché originel, celui qui l'a reçu le commet de nouveau au premier caprice de son enfantillage. Or le caprice est inné à son enfance. L'être "né de nouveau" ne devrait pas être soumis à l'inné. Mais l'expérience nous montre qu'il en va ainsi malgré tout, par l'économie de notre condition… humaine. Le nouveau baptisé est libéré : mais tout se passe comme si c'était pour n'être que plus culpabilisé parce que portant dans sa chair la responsabilité du premier homme, la même que celle de son père dans le monogénisme. Mais je veux faire crédit aux théologiens de ne pas s'être aperçus de cette conséquence inopinée qui faitdu néophyte un nouvel Adam, non par son appartenance au "genre humain" (cette forme monogénétique de descendance adamique ne lui a jamais été contestée que par la science), mais par la capacité qui lui est conférée de commettre personnellement et de nouveau le péché originel dont le baptême l'avait affranchi…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire