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samedi 17 avril 2010

LETTRE D'UN PELERIN A SON ORDINAIRE (Monsieur le cardinal andré Vingt-trois)

(à propos de l'adoption,
de la Procréation Médicalement Assistée,
des handicapés dans l'Eglise,
du familialisme de cette maternelle institution
et d'autres sujets dans l'air du temps)

(courrier écrit à l'occasion de l'inauguration par l'archevêque de Paris du sanctuaire de Sainte-colette,
dédié à la prière pour les couples en attente d'enfants :
la sainte étant réputée avoir obtenu des miracles pour cette cause...)


Paris, le 8 mars 2008
Monsieur le cardinal,

Je me félicite de l'heureuse occasion qui vous fait venir présider le pèlerinage diocésain à Sainte-Colette qui est ma paroisse depuis des années, dans le cadre de sa nouvelle affectation comme sanctuaire à destination des couples qui ne peuvent pas avoir d'enfant, pour prendre à mon tour occasion de votre venue afin de vous entretenir de trois points d'attention bien différents les uns des autres, mais qui me paraissent tous trois relever d'une meilleure communication de l'Eglise, d'une meilleure évangélisation de ses clercs et d'une meilleure implication de ses fidèles. Ne cherchez pas le point commun qui relie ces trois points, il n'y en a pas ; mais je serais peiné si vous ne preniez pas la peine (vous ou quelqu'un de vos collaborateurs) ( de lire, même longues, la prose et les réflexions qu'inspire votre visite pastorale à l'un de vos fidèles que son état d'aveugle vous recommande peut-être en particulier, cette cécité le mettant en besoin de verbalisation excessive, mais à qui ce même état d'aveugle donne à la fois le temps de la réflexion et une certaine intériorisation des problèmes qu'il voudrait soulever devant vous.

Je n'oserais commencer par là et vous dire que ce n'est pas le tout que l'Eglise mette physiquement les handicapés à la première place en les installant ostensiblement au premier rang et puis qu'ils se taisent : elle devrait leur demander leurs lumières. Le "peuple de lumières" issu du baptême n'est pas seulement un "peuple de témoins" : la lumière réfléchit et il faudrait favoriser ce passage de témoin dans l'expression de la pensée par la lumière : les baptisés ne doivent pas seulement défiler, cierge en main, après avoir reçu la Lumière. Dernière remarque dans ce registre avant d'y revenir en dernier lieu dans cet inventaire, mais sous un autre angle : l'Eglise, grâce au militantisme actif d'un Jean Vannier ou d'une Marie-Hélène Mathieu, a bien réussi l'intégration des "déficients mentaux" ; celle des "aveugles" et des "paralytiques" reste à faire.

Mais je ne voudrais pas que mon propos s'égarât dès le commencement dans quelqu'excès d'aigreur frustrée et j'en viens au premier point qui m'amène.


I SAINTE-COLETTE ET LES COUPLES STERILES

Sous l'impulsion et selon l'intuition du Père Berni, s'ouvre aujourd'hui à Paris un nouveau lieu dédié aux couples inféconds que vous venez inaugurer, c'est heureux ! Mais dans quel paysage mental naît ce lieu, sur quel fond ? Sur le fond anthropologiquement irréductible qu'il est humain que des couples souhaitent pouvoir"procréer" ou mieux donner naissance à leur propre enfant parce que "le miracle de la fécondité recouvrée par la femme stérile" (pourquoi la femme seulement, demanderions-nous aujourd'hui) est apparu depuis Rachel, depuis Anne, femme d'Elkanah et mère de samuel et en de multiples occurrences de la Bible comme une bénédiction divine. Or ce souhait des couples porté à la fécondité de leur union, souhait qui a pour pendant même s'il est légitime cette manière toute moderne de forcer la main de Dieu qu'est la Procréation Médicalement Assistée, cet activisme du couple devant le désir d'enfant pourrait presque sembler égoïste ou déplacé - ou devoir être déplacé - en un temps où tant d'enfants "abandonnés" ne trouvent pas de parents adoptifs et où, à l'autre extrémité du spectre sociologique, le refus de l'enfant par "l'avortement de confort" est la monnaie la plus courante, étant mis à part "l'avortement de détresse" sur lequel il serait déplacé, là encore, d'émettre aucun jugement, sinon de reconnaître qu'il a servi de levier à la dépénalisation de l'avortement, après quoi l'avortement est devenu un droit non opposable et auquel il est devenu tabou et délictueux de s'opposer.

a) L'avortement banalisé est bien sûr le scandale le plus criant de cette triple réalité de notre époque et génère le discours sous-jacent, qui "crie en sourdine" même si on n'ose le tenir dans les hautes sphères de la hiérarchie éclésiastique (bien que, dans son dernier ouvrage, Jean-Paul II se soit fait l'écho de ce discours, mais dans de justes proportions) que ça commençait à bien faire de parler de la shoah si "les évêques" n'ont "pas un mot" pour condamner l'avortement qui, en nombre de victimes innocentes étant donné le nombre d'années depuis lequel on le pratique de manière banalisée et légalisée dans le monde, la France étant en première ligne, excède celui de cette catastrophe de la seconde guerre mondiale que certains, parmi ceux qui font cette comparaison entre avortement et shoah, minimisent quand ils ne déclarent pas tout et que la "shoah" n'a pas existé. Les révisionnistes n'ont légalement pas voix au chapitre, mais ils sont nos frères : ils parlent au sein quoiqu'à la marge de l'Eglise, ils sont identifiés au discours qu'émet l'Eglise et il faut absolument leur répondre si nous ne voulons pas être déclassés par la force de leur comparaison, par la part de vérité qu'elle contient, mais aussi par la "hiérarchie des différences" qu'ils ne font pas, comparaison n'étant pas raison.

Que leur répondre ? d'abord cette grande banalité, à laquelle on ne peut pas se résigner (banalité n'est pas banalisation) que l'avortement s'est toujours pratiqué, ce qui fait que "nos sociétés" sont certes "infanticides" comme ils disent, mais non pas "génocidaires". "génocidaires", ne le semblent-elles pas pourtant dans la mesure où elles "banalisent" l'avortement. Elles le "banalisent", elles ne le "découragent" pas, voire même elles l'"encouragent", mais ce n'est pas par une volonté de tuer : c'est par le relâchement des moeurs et de la pensée qui consiste à entériner l'inévitable et ce qui a toujours eu lieu. Il est donc vain de faire une comparaison comptable parce que le génocide des juifs et l'avortement ne sont pas du même ressort : le génocide des juifs est la Pation de Jésus-Israël (pour reprendre une manière de penser que n'aurait pas désavouée votre prédécesseur, le cardinal Lustiger) continuée au vingtième siècle, c'est le Peuple Dont est Issu Jésus configuré à son Messie tandis que "l'avortement", c'est "l'aspiration des âmes", ce mot d'"âme" est bien proscrit de notre vocabulaire religieux et j'aurai lieu de le réemployer sous peu. Mais d'avoir découvert, au terme de ce bref établissement d'une "hiérarchie des différences" dans une comparaison qui ne rend pas raison des phénomènes, que "l'avortement, c'est l'aspiration des âmes", n'est-ce pas en pis dire que de le comparer à un génocide ou paraître le déconnecter de la Passion du Christ ? D'abord, le problème n'est pas d'en parler plus ou moins gravement, mais justement ; ensuite, bien qu'il convienne, oh combien ! de réhabiliter l'idée que nous avons une âme qui fait de nous un papillon au pavillon auriculaire réceptif à la Parole et au Souffle divins, encore cette âme n'est-elle rien si elle n'est rapportée à la Pation du Christ Qui nous sauve sous ces deux faces qu'il rend son immortalité à notre âme qu'il sor du cycle du péché qui entraîne la mort, et qu'il prend notre défense grâce au don de l'Esprit-Saint envoyé "pour la rémission des péchés", "la consolation", "la justification" (psychologique) et "la défense" des âmes.

Je crois, pour me résumer à ce stade, qu'il faut dire trois choses à notre société : elle est "infanticide", elle n'est pas "génocidaire", mais elle pratique "l'aspiration des âmes", en référence à "la technique de l'avortement par aspiration" qu'elle utilise pour se débarrasser des embryons surnuméraires.

Et la vie dans tout ça ? Les militants "pro vie" se gargarisent d'être ses ultimes défenseurs. Il faudrait les ramener à un peu de cohérence en leur disant qu'il est vrai qu'ils combattent "le bon combat" quand ils s'opposent à l'avortement banalisé et encouragé ; mais que, si cette opposition n'est pas assortie d'une même condamnation de la "peine de mort", elle est irrecevable parce que l'acceptation de "la peine capitale" nous replace dans l'ancienne conception romaine ou "le droit de vie et de mort" était détenu par "Pater Familias". dieu est peut-être notre "Pater Familias", mais Il Est notre Sauveur, c'est-à-dire que, comme me le disait le Père Berni pas plus tard qu'hier, Il ne nous rend pas "coupables", pas "tuables", pas "décapitables". c'est pourquoi il faut dénoncer "l'aspiration des âmes" par une société qui a littéralement perdu la tête en même temps qu'il faut mortifier l'errance sur Dieu de personnes qui voudraient à la fois que l'on cessât de pratiquer l'avortement et qu'on recommençât à punir de mort, comme si les deux choses entraient communément dans "la défense de la vie" qui est leur combat principal. Enfin, peut-être faudrait-il leur rappeler que, s'ils ne s'opposent pas sans quelque raison au "silence des évêques" à propos de l'avortement, ce ne doit pas leur être une raison de se taire sur la responsabilité de la gent masculine dans l'avortement qui, si les mâles abandonnent leur concubine, est un dernier recours contre une situation impossible (même si l'on sait aussi que l'homme est enclin à garder la femme qui est elle-même enclin à garder l'enfant. Qu'est-il arrivé à cette mère pour que l'enfant soit devenu un corps étranger à son corps qui s'appartient ?). Et je ne voudrais pas connaître le nombre des "défenseurs de la vie" qui ont pris maîtresse à qui ils ont fait quand et quand "un petit bâtard" dont il n'est même pas certain qu'ils assistent à l'éducation par la rémunération d'une pension, lâche expédient, mais moindre mal... du mâle à la débine !

b) Je viens d'employer un mot terrible et sa résonnance me fait mal aux oreilles, mais je n'ai suscité cet écho que pour qu'il me fournisse une transition avec ce que je veux dire des enfants nés sous Procréation Médicalement Assistée qu'il est important que l'Eglise ne diabolise pas comme elle a fait des "enfants naturels" réputés "illégitimes", des siècles durant. Car, à entendre le discours actuel de l'Eglise sur l'illégitimité des pratiques médicales, le glissement serait facile à faire que des enfants qui sont le fruit de telles "implantations" sont des monstres. ceci n'est pas une affabulation de ma fantaisie : lorsqu'il m'est arrivé de rencontrer un tel enfant, influencé par la condamnation de l'Eglise, j'ai dû surmonter mon étonnement qu'il soit en pleine santé et, a priori aussi Aimé de Dieu qu'un autre, aussi Viable, pas du tout né sous le signe du diable, pas du tout diabolique et destiné à le demeurer puisque né d'une manière illicite comme un "fruit du péché". Il peut même recevoir le baptême, le sait-on, le publie-t-on assez ? La vérité est que l'Eglise, face à la Procréation Médicalement Assistée, est confrontée à une question, si du moins il m'est permis de rapporter la vérité à la question que m'a posée personnellement la réussite de cette technique, le fait qu'elle donne effectivement naissance à des enfants viables au mépris de ce qui était pour moi souverainement la preuve que Dieu Etait Amour, à savoir que les enfants devaient être le fruit d'un acte d'amour, même se présentant comme purement sexuel, mais la sexualité n'est jamais tout à fait séparée du sentiment. Mais "Dieu Qui Est Amour" a laissé réussir une opération qui engage rien de moins que la Création et la subordonne désormais, à égalité avec l'acte d'amour, à un acte technique. Pour un athée, ce serait de nature à prouver que nos postulations de Foi sont une pure construction de raisonnement. Il n'y a donc pas lieu d'être arrogant quand une telle question nous interpelle, d'autant qu'on risque de l'être au mépris des enfants qui sont le fruit de ces techniques (j'ai dit volontairement le fruit et non le produit, et non le résultat). L'Eglise perpétuerait donc sa pratique du mépris et ce ne serait pas le moment, vraiment pas, de pratiquer une "discrimination"-inquisition à l'encontre des "enfants naturels".

D'autant que la question du clonage est à notre horizon, et il est vain d'y répondre par la nécessité qu'aurait la science de correspondre à sa finalité, si une telle réussite a été possible que celle de l'insémination artificielle, réussite qui a été permise par le Créateur et qui a désarticulé le lien entre l'existence de l'homme et sa finalité d'Amour à l'Image de dieu. il est vain de s'opposer au clonage par le voeu pieux que la science doive être finalisée parce que tout ce que la science pourra faire, elle le fera. et il est d'autant plus vain de marquer la même opposition au clonage que nous n'avons soulevée à la Procréation Médicalement Assistée que le clonage engage une question éthiquement beaucoup plus simple que la Procréation Médicalement Assistée, même si elle aboutit à un résultat beaucoup plus sensationnel : croire avoir répliqué son double, croire être enfin parvenu à cet espoir du père de s'être reproduit. Au fait, ne nous a-t-on pas enseigné jusqu'il n'y a guère "la reproduction humaine" ? Quelle différence y a-t-il entre le clonage et la reproduction ? L'interpellation spirituelle du clonage n'est pas si vive que la réussite de l'insémination artificielle, parce que l'illusion que le clonage nous met en présence de notre double peut être très facilement dissipée par cette simple considération que ce n'est pas parce qu'on a les mêmes gènes qu'on a la même histoire. De plus, les jumeaux homozygotes et même les siamois sont là pour témoigner qu'avoir les mêmes chromosomes n'est pas "faire âme commune". Comme l'a justement fait remarquer Jean-Marie Leméné, le clonage n'est vraiment un scandale éthique que si, la réussite de la création artificielle d'un être humain une fois posée, la fabrication de son double par un sujet aboutissait au résultat de ne pas rendre ce sujet viable pour lui-même, mais de n'avoir été fabriqué que pour être le guérisseur de son géniteur, duquel sont clone doit faire le bonneur cellulaire.

c) Me reste à évoquer le problème de l'adoption dans l'analyse d'une alternative priante à la demande de fécondité des couples stériles qui nous réunit en ce jour. en préalable à ce que je voudrais dire à ce sujet, je vous remercie, lors de votre entretien radiophonique hebdomadaire, d'avoir "complexifié" le problème de cette demande sans être allé jusqu'à dire qu'elle peut être ambiguë, mais presque ; et je vous remercie en particulier d'avoir dit qu'un couple stérile, si toutefois il ne se sentait pas la vocation d'adopter un enfant, devait trouver de nouveaux "moyens de fécondité". que n'étendez-vous cette juste intuition à la discussion du caractère conditionnel de l'ouverture à la fécondité réelle et personnelle comme critère de licéité du mariage religieux ! La posant comme une des règles dont l'abstention peut annuler le mariage, l'Eglise condamne des couples dont l'amour est asexuel, ce qui est un handicap méconnu et dont je pourrais vous parler en connaissance de cause ; mais surtout, l'Eglise choque parce qu'elle ne relie pas le mariage à l'amour comme on pourrait l'espérer d'un Dieu Amour à Qui ce n'est pas assez de dissiper l'amour qui devrait être au principe de toute Création en technique. L'Eglise entre dans la logique qui fait du mariage un instrument de civilisation, un outil de transmission, un moyen d'assurer "la survie de l'espèce".

Mais revenons-en à l'adoption dont je crois que le combat de l'Eglise en sa faveur est un enjeu majeur et un moyen tactique de tourner le discours purement négatif qu'elle doit tenir contre l'avortement, en même temps que la sollicitude de l'Eglise pour les enfants qui ne peuvent être adoptés n'est pas seulement une position tactique et rusée dans le débat intellectuel, mais intéresse la situation réellement intolérable qui est faite à des enfants, qui constituent les 90 % de ceux que recueille l'ASE, nouveau nom de la DDASS, et qui ne sont, ni orphelins, ni adoptables ; qui sont en "stand bye" et le seront toute leur enfance, perpétuellement en manque parental et jamais tout à fait assimilés à une famille d'accueil de laquelle ils peuvent à tout moment être séparés pour peu que ces mamans de substitution qui se font appeler "nounous" ou "tatas" prennent leur retraite ou que le comportement de l'enfant se révèle tellement incompatible avec la tranquillité minimum que ces familles d'accueil exigent qu'elles pourchassent le trublion intrus, leur attachement à lui n'étant pas obligatoire ni instinctuel comme l'attachement maternel quoi qu'en dise Mme Badinter. Je ne crois pas me tromper beaucoup, même si j'émets une donnée empirique, en affirmant que la maltraitance en famille d'accueil est statistiquement plus nombreuse que la maltraitance au sein d'une famille, fût-elle miséreuse, la misère, le mot est lâché, étant la cause principale de l'"abandon" des enfants par leur mère et les mères ont bon dos, les pères étant comme on l'a dit excusés, inconnus, absents.

La misère, je vais y revenir, mais dans le même entretien où vous incitiez les couples à trouver d'autres "moyens de fécondité" quand ils étaient stériles que la seule naturelle, vous indiquiez que le rapport dans l'adoption internationale entre les parents adoptants et les enfants en demande de parents adoptifs est tellement déficitaire en défaveur de ces derniers que, si un couple stérile veut donner de l'amour à un enfant, il n'en manque pas pour en recevoir. J'approuve cette analyse, à cette objection près que je voudrais que ce même déficit pût être enregistré entre les enfants français adoptables et les parents qui, en France, voudraient adopter, et je ne le voudrais pas pour des raisons raciistes. Pourquoi alors cette réserve à l'égard de l'adoption internationale ? Pour deux raisons que j'ai l'une et l'autre observées d'expérience : la première est qu'il arrive assez fréquemment que des familles bien nanties se mettent en quête, en s'appuyant sur des avocats internationaux de leur connaissance, d'"enfants parfaits" à l'étranger tout comme ils feraient dans une sélection eugéniste de la souche implantable dans le propre utérus de la femme du couple. J'ai vu cette perversion se pratiquer par une famille des plus honorables et des plus de mes amis dont le grand-père, qui me décrivait sans malice cette pratique de son fils, était lecteur bénévole auprès des handicapés visuels et initiait au Français les étudiants des Missions Etrangères de Paris : c'est par ses activités bénévoles que je l'ai connu. comme quoi il ne faut pas toujours chercher non plus la cohérence dans les actions de ceux qui en font de nobles, et je puis vous assurer que ce grand-père avait une pratique de la charité qui était des moins "dames patronnesses" qui soit, ce qui nous a valu d'être amis pendant treize ans et me fait déplorer sa perte intervenue tout récemment en grand deuil de coeur.

La seconde raison qui entraîne ma réserve à l'égard de l'adoption internationale est qu'elle démarque l'enfant qui détonne et déteint du reste de la famille quand il a une fratrie ou simplement sur ses parents adoptifs pour peu que la pigmentation de ceux-ci ne soit pas de la même couleur. Comprenez bien encore une fois que mon propos n'est pas raciste, j'y insiste, mais je le tiens dans le seul "intérêt de l'enfant" qui, s'il est apparent qu'il n'est pas apparenté à ses parents et que donc, il est adopté, sera toute sa vie regardé comme tel et marqué d'un signe de non progéniture en même temps que sa couleur soulignera la mansuétude et le dévouement de ses parents qui auront accepté de faire un acte si charitable que d'adopter un enfant des lointains... Quelle que soit la nature des relations dans la famille, l'enfant sera l'alibi de la bonté de ses parents et ne pourra jamais complètement entrer dans leur progéniture, d'où les difficultés qui se rencontrent de plus en plus au grand jour, passée l'enfance, où ces enfants adoptés dénoncent de n'avoir jamais trouvé place dans leur famille adoptive à cause du regard des autres et n'ont qu'une idée en tête, laquelle leur serait de toute façon venue : c'est de rechercher leurs parents biologiques. ce malaise, comme j'avais fait l'expérience de l'adoption eugéniste au sein d'une famille bourgeoise, je l'ai particulièrement ressenti au milieu d'une famille d'enseignants qui comportait déjà deux filles et qui avaient fait le choix d'adopter un enfant réunionnais, département pourtant français, mais au pigment des colonies... Toujours le regard des autres s'arrêtait sur cet enfant et il n'était pas rare que des questions indiscrètes fussent faites à la mère :
"comment ? Cet enfant n'est pas de vous ?"
A l'époque où j'entendais ces questions dans la fréquentation des parents, l'enfant était petit ; mais, pour être bien placé pour savoir combien le regard des autres peut amener de frustrations, je gageais qu'un jour, ce petit Yann en voudrait à ses parents de l'avoir choisi de façon à être distingué de ses soeurs et à ne pouvoir jamais entrer complètement dans la famille.

Je crois que le combat en faveur de l'assouplissement des conditions d'adoption des enfants nés sur le territoire national est de ceux où l'Eglise devrait être en avance sur son temps, d'autant que ce combat serait la face positive du discours négatif qu'elle est obligée de tenir en condamnation de l'avortement et que monopolisent subliminalement ceux qui font des assimilations tendancieuses de l'avortement à la shoah et qui ne parlent jamais d'adoption, à qui il importe que des enfants naissent pour que la France ne soit pas en gêne démographique, mais qui, ensuite, pourvu que ces petits Français soient nés, se foutent pas mal des conditions dans lesquelles ils vont grandir : tout au plus, aideront-ils leurs mamans dans les premiers temps pour ne pas les faire regretter de ne pas avoir avorté ; après quoi elles n'auront qu'à retourner dans la misère, dans la misère affective qui les a fait tomber enceintes à la "va comme j'te pousse", dans la misère morale de l'incapacité où elles se sentent de les élever correctement, dans la misère sociale du "quart monde" auquel elles se sentent appartenir et tant pis pour elles, mais le flot des avortements à éviter continue et ceux qui font de la lutte antiavortement ont d'autres chats à fouetter que de suivre les mères dans la couvée de leurs chatons qui ont accédé au droit de naître, leur maman-chatte n'ayant pas été stérilisée pour ne plus être en chaleur.

Ce qui conduit des mamans qui n'ont pas avorté à "abandonner" leurs enfants, c'est la misère ; et ce qui rend par suite ces enfants "inadoptables", c'est que ces mamans ne peuvent se résigner à déclarer qu'elles ont "abandonné" leurs enfants, se résoudre à résilier leur maternité par un "acte d'abandon" qu'on les oblige à signer sous peine que leurs enfant ne soient pas "adoptables". Ils ne pourront qu'être accueilli dans une "famille d'accueil", mais le bénéfice de cette hospitalité mettra toute leur enfance dans une grande instabilité. Le refus de signer cet "acte d'abandon" illustre le poids des mots. C'est parce qu'elles aiment leurs enfants que ces mères ne peuvent se résoudre à dire qu'elles les ont "abandonnés", quitte, par l'absurdité de la loi, à paraître moins les aimer en les rendant "inadoptables". Il y aurait bien sûr toute une "pédagogie" à faire sur ce que cet "abandon" est un retour à notre nudité originelle et qu'il est plus digne à une mère d'"abandonner son enfant" que de le laisser grandir dans des conditions de solitude et d'attente jamais comblée d'une parentalité peut-être définitivement déficiente. La maman qui "abandonne", c'est celle qui sait qu'elle doit faire plus pour celui qu'elle a mis au monde que de le garder pour elle, plus que de lui conserver cet attachement animal, plus que de le mettre en cage et de nourrir par cette absence de résignation son instinct maternel qui est incapable de nourrir animalement son enfant et de satisfaire à ses besoins d'"hominisation" par l'éducation, de sortie de la matrice qu'est la nature animalohumaine infrahumaine. "La maman qui abandonne" est une grande dame, elle a beaucoup d'abnégation, il faudrait dire l'admiration qu'on lui porte au lieu de la traiter en paria.

Il y aurait aussi à développer toute une "spiritualité de l'adoption", à souligner d'abord plus qu'on ne le fait que nous sommes "les enfants d'adoption" de Dieu, ce qui change le regard sur la filiation en général. Le processus de filiation n'est-il pas d'essence adoptive et la renonciation à exercer les fonctions charnelles de la parentalité objective n'entre-t-elle pas dans ce processus ? Comment interprétons-nous par exemple le treizième verset du prologue de Saint-Jean qui dit (d'après la traduction de la TOB qu'on est en droit de trouver maladroite, mais c'est la seule à ma disposition) :
"Ceux-là (les Enfants de Dieu) ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'une volonté d'homme, mais de Dieu." Et c'est immédiatement après, mais après seulement qu'ont été décliné toutes les conditions qui empêchent à notre naissance d'accéder immédiatement à sa pleine dignité spirituelle qu'est affirmée la merveille de l'Incarnation qui est au Coeur de notre Foi :
(14) "et le Verbe S'est fait chair, et Il a habité parmi nous",
la conjonction de coordination suit directement la définition de la filiation des enfants de Dieu. ce qui veut dire que, pour une mère, mettre au monde son enfant selon la chair ou satisfaire à ses besoins biologiques ne suffit pas : il y a comme une entrée dans la maternité à faire pour elle, qui peut passer par l'abandon de son enfant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, mais ce paradoxe pourrait être approfondi par les prêtres qui accompagnent les mères en détresse qui doivent accoucher sous X, ou "abandonner", leur enfant, ou ne plus le voir. Pour se faire entendre, on a quelquefois avantage à se citer soi-même. Voici donc cet extrait d'un de mes poèmes où le Regard est ainsis semoncé par le Vent :

"Par-dessus tout, tu n'enfantes pas, quand tu le voudrais. Tu entoures l'essence des images, tu fais des images des enfants de tes larmes. Le bonheur te foudroierait si tu le connaissais ! C'est pourquoi tu le différencies du coup de foudre et tu l'enfermes dans des béatitudes, avec parole qu'elles seront tenues, quand tout sera achevé et pupille de ta contenance universelle. Mais avant cela, toute joie est anathème : il faut pleurer dans la vallée de larmes. Par le genre de reproduction que tu cernes, tu sommes la vie de te donner en nourrice ce qu'elle allaite sans ton intervention de ses propres mamelles.
A bien y regarder, je te dirais, si j'osais, qu'ayant parcouru tant de pays en famine et soufflé sur tant de familles, ce sont les mamans de Calcutta qui ont raison : se sachant trop pauvres pour élever les enfants qu'elles ont engendré par pulsion d'en avoir, elles les laissent grandir sans autre tuteur que la débrouille et les soins bourgeois de ceux qui les adoptent et devant les portes de qui elles les plantent.
La parentalité véritable n'est qu'adoptive. Elle adopte la différence irréductible de l'enfant qui ne nous est rattaché, quand il est nôtre ou présumé tel, que par les fils génétiques de la télépathie générale.
Si tu n'aimes pas - et tu n'aimes pas si tu couches en toi ce que tu crois posséder pour fermer tes paupières dessus comme si tu l'avais fait -, à quoi te sert la biologie de ta photogenèse, qui classe les enfants dans ton album de toises pour attester qu'à tes yeux, ils ne sont pas à la hauteur, à la hauteur de la vie que tu voudrais bien leur avoir donnée, qui s'est solidifiée dans ton iris et qui ne peut couler librement qu'en dehors de toi, parce que tu voudrais en être le goulot qui décides, avec ton bec verseur, de quand tu la laisses s'exprimer et de quand tu mets le bouchon dessus sa fiole de libre envoûtement.
La vie, sache-le bien, est une maman de Calcutta."


mais trêve d'auto-citation et revenons à nos moutons pour dire que cette "pédagogie" de l'au-delà de la biologie est sans doute nécessaire comme aussi ce renouvellement de la pensée de l'essence de la filiation en fonction de la "donne adoptive" inscrite dans la Parole de Dieu, comme encore est à promouvoir cette "spiritualité de l'adoption", aussi bien du côté des mères biologiques, qui paradoxalement adoptent leur enfant au moment même où elles l'"abandonnent" entre d'autres mains qu'en direction des familles adoptantes : on aura beau faire tout ce qu'on voudra, il y a des mots qui ne passent pas et le mot "abandon" est de ceux-là. Pour défendre, en mère pleine de sollicitude, ces "orphelins pratiques" que sont "les enfants de l'Assistance" à 98 % "inadoptables" aussi bien que pour n'être pas dans l'anathème en n'étant pas toujours celle qui dit non, mais en ayant des propositions positives à faire, l'Eglise devrait, me semble-t-il, plutôt que de s'enliser dans "le refus non négociable de l'adoption par des couples homosexuels" alors même que l'adoption par un célibataire est déjà pratiquement possible et que l'adoption par les couples homosexuels s'ensuit nécessairement, entre de fait dans cette brèche ouverte de droit, devrait négocier un assouplissement de la loi sur les conditions dans lesquelles un enfant, sujet du droit français, est ou non "adoptable", et l'Eglise pourrait proposer non sans un certain bruit médiatique autour de cet engagement en faveur de l'adoption et non seulement contre l'avortement, que soit substituée à la nécessité pour la mère de signer un "acte d'abandon" la demande qui lui serait simplement faite de signer un acte, non de "déchéance de (ses) droits maternels", mais de "renonciation à l'exercice de l'autorité parentale", ce qui peut-être, m'objecterez-vous, entretiendrait la confusion en favorisant la poursuite des liens entre l'enfant adopté et sa mère biologique ; mais précisément, à "la poursuite de ces liens", est lancée toute l'enfance d'un petit adopté tandis que sa mère biologique s'évanouit souvent dans une dépression dont elle est incurable parce qu'elle se sent sans prise sur une reprise de contact déliée de toute autorité avec son enfant.
Pour la "sécurité du parent adoptif" bien plus que pour celle de l'enfant adopté, on dénie que ces liens puissent demeurer après la procédure d'adoption. Bien sûr il faudrait les encadrer, mais leur déni est un simple déni de réalité. Il en va de même de ce raisonnement tout à fait pharisien qu'il faudrait rendre irréversible l'anonymat des femmes accouchant sous X au faux motif que, si ces femmes se sentaient menacées d'être un jour découvertes par leur enfant, cela les inciterait à avorter plutôt. La réalité est beaucoup plus simple : il faudrait respecter cet anonymat dans la mesure et pour le temps que la mère souhaite le voir respecté et pouvoir le briser, pour peu que l'enfant soit demandeur de cette déchéance de la loi du silence, dès que la mère se sentirait prête à révéler son identité, ce qui lui permettrait de ne pas s'enfoncer inexorablement dans l'abîme de la honte dépressive. Il faudrait aussi que la mère précise si elle souhaite ou non être informée d'une éventuelle demande de son enfant de la retrouver. Il faudrait enfin que cette demande, si elle avait lieu pendant la minorité de l'enfant, soit concertée en bonne intelligence avec les parents adoptifs, l'arbitrage étant confié à un juge des affaires familiales.

Mais je dois dire qu'en matière de "politique familiale", bien des hypocrisies devraient être levées dont l'Eglise se rend malheureusement coupable : par exemple, que signifie cet entêtement à refuser que l'attribution des Allocations Familiales soit soumise à conditions de ressources, dans la mesure où cette absence de discrimination aboutit en pratique à rendre encore plus pauvres les familles qui le sont déjà, tandis qu'elle préserve les revenus des familles nombreuses et aisées et qui tiennent à ce que des coupes sombres ne soient pas faites dans leur budget. L'Eglise ne se poserait-elle qu'en défenderesse des droits des familles nombreuses aisées, du"bourgeoisisme familial", du pharisaïsme reproductif qui n'est rien d'autre qu'un certain clonage d'une hérédité dans l'accès aristocratique à l'élite auquel on sait bien que n'ouvre plus l'école de la République, incapable d'apprendre les bases à ses élèves, bases qu'elle est obligée d'appeler "socle commun" sans que le savoir-lire, écrire et compter suive ce changement d'appellation. N'est-il pas temps, contre les pressions du "christianisme sociologique" dont elle fait l'objet et au milieu duquel elle recrute encore, il est vrai, bon nombre de ses pratiquants, que l'Eglise mette son "option préférentielle pour les pauvres" en corrélation avec "la politique familiale", et ce pour être audible tout simplement, pour ne pas défendre les options familialistes de droite qui ne sont pas les seules possibles dans la défense de la famille, pour ne pas être politisée, pour ne pas s'ériger en accusatrice des "pauvres gens malheureux" à qui elle refuse son assistance pratique pour donner tout à "des pauvres gens heureux" comme chantait l'abbé Brel... La soumission de "la politique familiale" défendue par l'Eglise en "relation au bien commun" à son "option préférentielle pour les pauvres" ne devrait-elle pas simplement se donner pour objet de lui permettre d'être fidèle à l'Evangile ? Il n'y a rien d'autre que n'attendent d'entendre d'elle, et ses fidèles quand ils sont désintéressés, et le monde quand l'Eglise l'intéresse encore, il est bien patient...



II LES CURES

Passons, si vous le voulez bien, Monsieur le cardinal, sans transition ni abuser de votre temps à un autre sujet : celui des curés dans le rapport qu'ils ont à "la nouvelle évangélisation".

Répondant à la première interview que vous avez accordée à la Presse radiophonique Catholique dans son émission "face aux chrétiens" au lendemain de votre élection comme président de la Conférence des Evêques de France, vous avez dit qu'il était urgent que "les curés" redéfinissent leur mission ; mais, comme on vous pressait de donner votre avis sur celle qui leur était le plus expressément impartie désormais, vous avez laissé l'appréciation de ceci à leur discrétion. Je n'ai pas lu en détails le document qu'a produit la Conférence des Evêques de France sur l'état de son interrogation quant à la redéfinition du rôle des curés. Mais je suis surpris par votre réponse qui, sauf votre respect, Monsieur le cardinal, ne dit rien : les évêques se rendent bien compte qu'il y a un problème quant aux priorités que doivent se fixer les curés ; ils font découler leur prise de conscience de ce problème (et peut-être est-ce là leur tort) de la baisse démographique du clergé disponible ; et à partir de là, on s'attendrait que, le problème ayant été posé, une solution y soit proposée : que nenni ! On a l'impression d'avoir entendu "beaucoup de bruit pour rien" si les curés sont livrés à devoir se redéfinir eux-mêmes sans une orientation de l'autorité épiscopale ni une consultation des fidèles.

Puis donc que je ne suis pas consulté, laissez-moi vous donner mon avis tout de même et laissez-moi d'abord vous le donner d'une façon amusante en vous disant en premier lieu ce que je ne vous dirai pas : je ne vous dirai pas que nos curés sont de mauvais prêtres comme il est d'usage dans les interventions flamboyantes et mystiques, de Léon Blois à "L'Imitation de Jésus-Christ" pour ne rien dire des révélations privées où le Christ ne cesse de gémir sur le mauvais état des prêtres. Après ce que je ne vous dirai pas, laissez-moi passer à ce que je vous dirai à peine, ceci : pourquoi une telle uniformité des prêtres ? Quoique vous aimiez à faire mentir à ce propos les statistiques par les exceptions, il est bien rare qu'un cuisinier ou qu'un ouvrier soient admis dans un séminaire. Votre prédécesseur, le cardinal Lustiger, pensait qu'il était essentiel face aux défis du monde contemporain que les prêtres soient instruits, moyennant quoi le profil du curé parisien est celui d'un ancien ingénieur ou d'un ancien étudiant sorti des grandes écoles et qui est déconnecté des ascendances charbonnières et des croyances archaïques des petites gens du peuple qu'il a à conduire. J'irai même plus loin dans ce que je vous dirai à peine : que ne se trouve-t-il parmi les ministres ordonnés des "fols en Christ" !
"Ma mamilla", m'avait répondu un prêtre comme je lui soufflais ce gisement pour le recrutement des futures vocations.
Si vous deviez réagir comme lui, laissez-moi vous raconter cette histoire édifiante que vous connaissez peut-être : c'est celle de Patrick Bonafou, un "pauvre parmi les pauvres" qui a converti mon frère et qui officiait d'autant plus efficacement parmi les gens de la rue qu'il n'avait aucun mal à se donner pour être l'un d'entre eux : il en était. Il avait ressenti un appel à la vocation sacerdotal que Mgr Rouet avait pris au sérieux. Suite n'avait pas été donnée à cet appel par ordre de la hiérarchie épiscopale supérieure, autant que je le sache, qui ne jugea pas que Patrick avait "les aptitudes nécessaires". Savez-vous comment cela finit ? Patrick se suicida. Les bonnes âmes auront tôt fait de me rétorquer que rien ne dit qu'il ne se serait pas suicidé en qualité de prêtre et alors, quel scandale pour l'Eglise ! ce que je sais en tout cas, c'est qu'il s'est suicidé en tant que prêtre refusé, ministère dans lequel il aurait fait le plus grand bien, car il avait un contact très direct avec les pauvres, il en était un.

L'Eglise se plaint beaucoup de la désaffection de la classe ouvrière qu'elle n'a jamais su évangéliser, là où elle avait réussi avec le monde paysan que l'exode rurale a décimé. Mais que n'a-t-elle donné à la classe ouvrière plus de prêtres de son sein ! Et il y a un "gisement de personnes", "scandale aux yeux du monde", qui n'est pas "une classe sociale", qui est aussi en attente de prêtres qui les comprennent et puissent les évangéliser : ce sont les "malades psychiques". "L'équilibre" est aujourd'hui jugé comme une aptitude nécessaire à l'état de prêtre. Or je ne sache pas que ceux qui ont été les premiers transmetteurs de l'Evangile ne soient pas quelqu'illustre fois passés, un jour de chavouoth, pour des "illuminés" tout remplis de "vin doux" ! Sans compter que, "ce qui était méprisé aux yeux du monde, c'est cela que le Christ a appelés pour être Ses témoins" ; ou encore que ce qui est folie aux yeux du monde est le véhicule de la sagesse de dieu.

Mais passons maintenant de ce que je vous ai à peine dit de crainte d'être tout à fait incompris de vous à une analyse que je sais que vous prendrez plus au sérieux, elle consiste à noter la chose suivante : le concile Vatican II a déplacé la conception erronée de l'"individualisme" du salut à l'idée selon laquelle on ne peut pas se sauver tout seul, être chrétien tout seul : on est inséré dans "le peuple de Dieu" ainsi que s'est définie l'Eglise à partir des constitutions du concile, non plus seulement "Corps du Christ", mais "Peuple de Dieu". Ce changement de paradygme n'a pas été sans nourrir de profondes controverses, et beaucoup d'esprits chagrins, abusivement qualifiés d'"intégristes" - alors qu'ils n'étaient pas très "intègres" dans la lecture de l'Evangile, mais qu'ils étaient plutôt "intégralistes" en ce qu'ils tenaient à ce que le catholicisme conservât "une vision totalisante de lui-même" selon l'expression de René Rémond - ont vu là la main du communisme : il suffisait à l'Eglise de se dire "Peuple", de se penser comme "collectif" et on était entré dans la compromission avec "l'intrinsèquement pervers". Si ces esprits avaient été plus pénétrants, ils se seraient aperçus que c'était un tout autre danger qui menaçait l'Eglise après qu'elle se fut posé comme entité collective : qu'elle fût "Peuple", c'était une chose, mais elle était "Peuple de Dieu", "part réservée", "bastion", ce qui revenait à ne plus l'obliger, je ne dis pas à faire procession, mais à sortir de son enceinte, à annoncer sur la place publique, le parvis ou "le seuil", à appeler une humanité qu'elle prétendait désormais représenter selon le principe d'élection de la Première Alliance, principe d'élection du "peuple juif", d'une représentation qui, non seulement, pour le meilleur, a fait abandonner à l'Eglise "la théologie de la substitution", mais pour le pire, l'a conduite à se protéger contre la sécularisation en développant "une pastorale" en interne dont le jargon ne fut plus compréhensible que par ceux qui fréquentaient assidûment les églises en qualité de membres de ce "peuple de Dieu" nullement communiste au demeurant, car chacun rentre chez soi sans partager ses biens vu qu'on a "Dieu pour tous", mais communautariste assurément, à cela près que ce peuple ne se soutenait pas et qu'il était comme une aristocratie vivant sur un trésor et qui ne se souciait pas de le sortir du coffre-fort pour le partager aucunement aux hommes. La preuve en était le développement du jargon pastoral malicieusement appelé "langue de buis" et pour lequel c'était bien la peine qu'on passât du latin au vernaculaire.

"La pastorale" occupa tout l'emploi du temps des curés dont on pourfendit l'activisme, mais comment auraient-ils pu se sortir de réunions toutes indispensables et leur agenda reste aujourd'hui celui d'un "manager surbooké" dont on se demande bien comment il pourrait trouver le temps d'administrer l'extrême onction à un malade dont la famille l'appellerait à l'improviste et d'urgence parce que son malade se trouverait en phase terminale. Et quand bien même ce curé se serait-il promis à lui-même de toujours répondre à de tels appels de détresse par priorité à toutes les autres actions "pastorales"si indispensables soient-elles et qui n'ont le plus souvent pour résultat que d'enfermer l'Eglise un peu plus sur elle- même et de faire fermer le bâtiment d'église faute de "gardiens du temple, ceux qui voudraient que leur malade ne meure pas sans avoir reçu le viatique n'oseraient même pas déranger le prêtre, tant ils trouveraient inconvenant de harceler et d'épuiser un homme tellement occupé. Le prêtre administre "un collectif", il n'"administre" plus les sacrements, il n'en a plus le temps, il ne peut pas tout faire : il s'occupe d'un "peuple", il n'a plus "charge d'âmes", et ceci est d'autant plus regrettable que ce peuple en réalité ne lui demande rien sinon d'avoir sa messe et son confort spirituel tandis qu'à la périphérie de l'Eglise, "sur le seuil", il y aurait bien des "âmes en peine" qui seraient contentes de pouvoir parler à un prêtre pourvu qu'elles pussent l'identifier comme tel et que, le pouvant, son habit ne soit pas un marqueur social qui mette à distance, mais une invitation à parler, à se confier, à se confesser. Il est bien rare qu'on sache à quelle heure on ne dérangera pas le prêtre pour se réconcilier avec Dieu. Il est bien rare que l'on ose pousser la porte de l'Eglise, quasi certain de ne l'y point trouver ou tellement pris ; il est bien rare que l'on ose supposer qu'on ne le dérangera pas en lui demandant d'aller "visiter un malade". Est-ce une activité digne de sa charge, lui qui est absorbé dans des réunions autrement plus importantes ? Déjà que le prêtre ne célèbre plus les enterrement, qu'il y a un service des funérailles pour ça...

Laissez-moi à ce sujet interjeter une nouvelle anecdote édifiante. Mon père nous a quittés il y a deux ans et, tandis que nous organisions son enterrement, nous allâmes voir le prêtre de la ville où il résidait. Mon père n'était pas un pilier d'Eglise et ce prêtre était nouveau dans la paroisse où mon père, qui venait de se mourir, avait été baptisé. Le moins pratiquant de mes frères demanda au prêtre comme une chose de la première importance qu'après la messe d'enterrement, il nous accompagnât en personne au cimetière. Le prêtre refusa tout net (et la force de son refus m'étonna d'autant plus qu'il s'agissait d'un prêtre africain et que les Africains ont conscience de ces choses-là) sous prétexte que la décision avait été prise dans le secteur que les prêtres n'accompagneraient plus les familles au cimetière à l'occasion des funérailles qui n'étaient pas déjà célébrées par les laïques et que, si jamais il dérogeait à cette décision prise par le "conseil sectoriel", il créerait un précédent ce qu'il ne souhaitait à aucun prix.
"Mais enfin, lui répondit mon autre frère, dans toutes les cultures, même les mages ou les chamans savent que les instants les plus essentiels à l'accompagnement de la vie des hommes sont ceux de la naissance et de la mort. On n'abandonne pas les gens à de tels moments sous peine de ne pas avoir à s'étonner si les églises sont vides, car dévidées du contenu spirituel de ce qui fonde les questions métaphysiques les plus archaïques et primordiales :
"Qui suis-je ? D'où viens-je ? Où vais-je ? Enracinez-moi dans qui je suis dans le Dieu d'où je viens et accompagnez-moi où je vais. Vraiment, vous ne voulez pas ?"
Le prêtre se montra inflexible. et de me revenir la chanson des "trois cloches". "Les mages africains" et "les compagnons de la chanson" avaient plus le sens du sacré que ce prêtre africain assaisonné à l'administration pastorale du Peuple de dieu par un "conseil sectoriel" où les prêtres qui y étaient en minorité ne se tenaient plus pour "chargés d'âmes".

Or qui est le curé sinon celui qui est "chargé d'âmes" comme le père de famille est "soutien de famille", sinon celui qui veille au "soin des âmes" comme le médecin prodigue celui des corps, qui va "à la poursuite des âmes" pour les inviter à "suivre le Christ", qui veut "sauver des âmes" ? J'aime ce mot d'"âme" décidément et regrette qu'on ne l'emploie plus guère. j'aime ce mot d'"âme", ce petit pavillon qui fait de nous des papillons nous envolant du labyrinthe de notre psychologie jusqu'au ciel de notre coeur qui est la Maison-dieu. J'aime ce mot d'"âme" et voudrais le voir réhabiliter comme les mots de "pitié" ou d'autres mots doux de ce genre. J'aime ce mot d'"âme" et suis toujours positivement interloqué que les hymnes grégoriennes nous décrivent l'Angoisse de Jésus comme éprouvée devant des brigands qui veulent s'en prendre à son "âme", mot qu'on a pudiquement traduit par "la vie", et ce n'était pas un mince objet de contemplation déjà que la Vie de dieu fût rendue, mais voici que Jésus n'hésite pas à mettre à nu devant nous "l'âme de la divinité". Quelle est cette étrange pudeur qui nous fait ne plus oser lui présenter notre âme ? Car, si l'enjeu de "la Nature divine" du Christ, ce n'est rien de moins que "l'âme de la divinité", que ne soutenons-nous une course effrénée pour "attirer des âmes" à Celui Qui les "sauve" en les rendant à l'immortalité ? en prendre conscience, c'est certes saisir, mais d'une manière nouvelle, la limite qu'il y a à diriger l'Eglise comme "un Peuple", un "collectif" : c'est bien "le salut de tous" qui fait l'objet de la Prière de Dieu, mais ce salut est dans l'impasse s'il ne passe par "le salut des âmes", par "le salut de chaque âme". Or, si le curé ne se lance plus (sans prosélytisme aucun, nos Sociétés Anonymes ne le supporteraient plus) "à la poursuite de chaque âme", il faillit aux devoirs de sa charge, il manque à la finalité de sa mission et la hiérarchie catholique a beau jeu, derrière, à son plus haut niveau, de dénoncer je ne sais quelle "culture de mort" : si le curé ne porte plus le souci de "délivrer chaque âme de la mort", cette "culture de mort" est pour ainsi dire dans son droit.

"Or comment faire dans nos Sociétés Anonymes ? Tout le problème est là. c'est bien beau de le poser : il n'empêche qu'il n'est pas si facile de se tenir "sur le seuil". Nous avons bien essayé en rétablissant le diaconat, ce "ministère de la porte et du seuil", mais qui a à peine le droit à la parole dans l'enceinte du Temple. Ce n'est à peu près qu'un servant d'Autel amélioré. de plus, le diacre est censé s'adresser à ceux qui sont "sur le seuil", mais allez un peu faire un micro-trottoir pour leur demander ce que c'est qu'un diacre : le mot paraît d'un exotisme sacristiciel ! Non, ce n'est pas aux laïques de célébrer les funérailles, mais au prêtre ; c'est marcher sur la tête que d'avoir commencé par leur déléguer cette tâche-là et non pas quelqu'autre animation d'activité. Ce n'est pas au diacre de se "tenir sur le seuil" : c'est au prêtre à administrer en priorité les sacrements, à confesser tant et plus, à dire quand il confesse, mais surtout à se présenter chez les gens...

"vous êtes fous. Avez-vous oublié que nous officions dans des Sociétés Anonymes ? Faites un peu le prêtre frapper à toutes les portes : bientôt, on déclarera l'Eglise catholique une secte comme les autres."
"Mais n'est-ce pas vous qui médiatisez le concept de "nouvelle évangélisation" et qui voudriez que tous les chrétiens se transforment en "oiseaux des rue" qui, faisant teinter fifres et grelots, iraient glapir à des foules qui regardent le trottoir que Jésus les aime ? Les évangélistes ont leur raison d'agir ainsi, mais ce n'est pas trop dans la "culture catholique" d'être évangéliste. en dehors de cela, l'impression qui serait produite serait surtout une sorte de confusion étonnée par ces manifestations indiscrètes qui valent d'autres manières spectaculaires d'arborer sa "fierté", pensez à la "gay pride" ! Le raccourcis que je risque n'a rien d'insultant puisque, pou rimiter la "gay pride", l'Eglise fait sa "life parade" ! "Les brebis" que de telles indiscrétions peuvent ramener vers leur Sauveur ne sont certainement pas à négliger, mais l'Eglise catholique n'est, en dépit des mouvements charismatiques qui grandissent en son sein, pas la mieux formée pour leur parler. Par contre, l'Eglise catholique dispose d'infrastructures, les églises qui sont même dotées de clochers, qui sont dirigées par des curés qui ont le droit d'être timides : ils ont pourtant la primauté dans la prise de contact, cela fait partie de leur mission."
"Mais comment entrer en contact ?"
"c'est là que, peut-être, il faut être inventifs. Je ne dis pas que serait tout à fait à proscrire la témérité d'un curé qui, arrivant sur sa paroisse, irait visiter toutes ses ouailles muni de la clé des postiers pour forcer les digicodes, entrant chez qui lui ouvrirait et se faisant connaître de tous... Chez ceux qui lui fermeraient la porte au nez, il pourrait, s'il est un martyre, renouveler périodiquement l'expérience attendu qu'il referait ces visites une ou deux fois par an ; et, s'il ne se sent pas le courage des martyres, ce qui après tout est humain, il pourrait considérer qu'il se doit de respecter la liberté de celui qui ne lui ouvre pas et ne plus l'importuner. Je ne dis pas qu'une telle démarche serait à proscrire, mais je ne sais pas si, en effet, elle est la mieux adaptée à cette volonté qu'on a de notre temps d'entrer dans son cocon quand on a refermé la porte de chez soi et de ne plus y être dérangés.

Alors il y aurait une autre chose à faire, elle est toute simple, elle est la démarche que font tous les publicitaires et apparemment, elle est payante puisqu'ils la renouvellent bien que nous ayons l'impression de jeter tout le temps leurs prospectus sans les regarder : il s'agirait que le prêtre,à son arrivée dans la paroisse, rédige un petit mot de présentation, un petit tract de "bienvenue, j'arrive" :

"Bonjour, je m'appelle un tel, je suis votre nouveau curé. si vous avez envie de me parler, si vous voulez me joindre, me toucher, je suis à votre disposition de telle heure à telle heure à tel numéro."
Ce petit tract ferait l'objet d'un "boîtage", lequel se renouvellerait, par exemple à l'occasion, non pas de toutes les fêtes liturgiques, mais, telle année, de Noël et de Pâques, telle autre année de Noël et de la Pentecôte, de Pâques et de l'Assomption, que sais-je ? Ainsi, à force de recevoir assez régulièrement un petit mot de leur curé, les habitants d'un quartier se rendraient compte qu'il y a une paroisse près de chez eux ; quand ils n'iraient pas bien, il leur viendrait de téléphoner aux prêtres ; quand ils auraient une question à poser, ils sauraient qu'ils peuvent aller vers lui ; quand ils auraient un enfant, ils se poseraient la question de le baptiser. Bref, la paroisse redeviendrait une entité discrète dont l'existence se poserait, non plus à l'usage exclusif des messalisants convaincus à visage revêche et couvert de fichus qui ne donnent guère envie d'aller où ils se rendent, mais à destination de tous, s'ouvrant à tous, à la quête spirituelle de chacun, peut-être à la provocation de quelques-uns, de ceux-là qui disent comme un ami me l'a écrit :
"Laissez-moi bouffer du curé, ça me soulage..."
Le curé redeviendrait un interlocuteur dont le tract se trouverait à périodicité variable dans la boîte aux lettres du juif comme du musulman, du catholique indifférent comme de l'athée convaincu. Il retrouverait sa place dans la cité, il retrouverait l'accès aux âmes et l'Eglise serait investie d'une parole qui compte dans la société.



III LES AVEUGLES AUX QUINZE-VINGTS

C'est vous avoir parlé de l'essentiel que de vous avoir dit tout cela. Je m'appesantirai donc peu sur le dernier point que je me propose d'évoquer, d'autant qu'à vrai dire, il relève pour moi plus d'une interrogation que d'un savoir sur ce qu'il faudrait faire, à supposer que je puisse jamais me prévaloir d'aucun savoir-faire qui vaille. ce sur quoi je voudrais mettre le doigt part du constat, évoqué au début de cette trop longue lettre, que les "handicapés", pour peu qu'ils aient tout leur sens (sic), ne trouvent pas aisément leur place dans l'Eglise et en voici une application dans ce que j'ai observé aux quinze-vingts où je compte quelques amis, mais où j'ai surtout tenu l'orgue en dépannage d'un ami qui le fait d'habitude, poste d'où j'ai observé ce que je vais vous décrire et où il ne faut voir aucune dénonciation, mais simplement l'énoncé d'un état de faits qui me semble remédiable et demander à être remédié.

La messe qui est célébrée chaque samedi dans la chapelle Saint-Luis des quinze-vingts l'est à l'intention exclusive des résidents qui occupent l'un des trois cents appartement mis à la disposition des aveugles dans la continuité du voeu de Saint-Louis, pas des malades de l'hôpital, premier point qui frappe. Arrivant pour prendre mon poste, j'ai par exemple été accompagné par une malade et sa fille qui avait envie d'entendre de l'orgue et se disait catholique. Il était sensible qu'elle aurait bien aimé participer à une messe : l'animateur de l'équipe de l'époque ne l'a pas mise à la porte, mais l'a accueillie assez froidement pour qu'elle ressente qu'elle n'était pas la bienvenue. Il ne lui indiqua pas, par exemple, que la messe avait lieu dans une heure.

Seconde cause d'étonnement : les responsables de l'aumônerie vont chercher les résidents et les amènent à la chapelle. Arrivée bruyante et amicale, chaleur des retrouvailles. On installe le pupitre de Denise qui a l'habitude de faire une lecture. Angélique veut être placée à tel endroit, on n'y manque pas. La messe a l'air d'être dite aux intentions exclusives de ceux qu'on a amenés là, qui souhaitent être traités avec un minimum de confort et qui sont tout en demande, jamais en offre de services qu'ils pourraient rendre. Qu'ils soient en demande est peut-être dans leurs habitudes : le problème est que, par délicatesse, par respect humain, on n'ose pas leur dire qu'ils pourraient aussi s'offrir, que la relation d'aide n'épanouit que si la réciprocité en est la contrepartie. Enfin, on dit assez aux autres que l'Eglise n'est pas un supermarché pour qu'on ne s'abstienne pas de le dire à ces habitués de "la messe de cinq heures" qui est peut-être leur distraction de la semaine. Ils sont en demande, ils ne sont pas en offre, tout roule, on les cherche, on les ramène, des réunions préparatoires sont bien huilées, on sait deux mois à l'avance ce qu'on va chanter, tout fonctionne... Mais la première chose qui déraille, c'est qu'à l'exception de la parente de malade qui aurait bien voulu assister à une messe, les malades n'y sont pas les bienvenus : ils ne sont pas informés qu'il s'en célèbre une et qu'elle n'est pas retransmise sur écran plat dans leur chambre, premier bogue. Deuxième bogue : l'aumônerie est bien tenue, elle ne se concentre pas que sur les résidents, elle les sert certes avec les égards qu'on a vus, mais elle visite les malades, elle en fait beaucoup, mais ceux qui l'animent sont exclusivement des paroissiens de Saint-Antoine. A part mon ami qui tient l'orgue est aveugle et si l'on veut y intégré le chantre et denise qui fait sa lecture à son pupitre, aucun aveugle n'est intégré au sein de l'équipe et ceci est regrettable, non pas tant pour les réunions préparatoires où l'organiste et le chantre ont leur place et leur mot à dire, mais pour la visite des malades parce que les malades qui sont hospitalisés dans les services ophtalmologiques ont des problèmes visuels, vont sortir de là avec des démarches à faire que seuls, connaissent des déficients visuels ; auraient sans doute pas mal à gagner, même s'il faut le faire avec adresse, à rencontrer ceux qui seront leurs "futurs collègues"et qui pourront leur être d'utiles soutiens. Bien sûr, il faut jouer de prudence, car il ne s'agirait pas de choquer des gens qui n'auraient pas encore pris conscience que la cécité est un horizon auquel ils doivent s'attendre en entrant dans leur chambre et leur disant :
"Coucou, je vous présente un de vos futurs collègues."
Cela impliquerait que l'aumônerie sache s'acquitter de la lourde tâche de discerner qui est en demande d'une telle visite et des conseils d'un pair ou futur pair. L'autre problème est de trouver de ces pairs qui accepteraient de s'investir dans de telles visites, il faudrait les former pour ça. Pour mon cas personnel, je suis sur le départ de Paris, mais je sais qu'on pourrait tout à fait s'adresser à "Voir Ensemble", nouvelle désignation de l'ancienne "Croisade es Aveugles, voire à l'aumônerie de l'INJA (Institut National des Jeunes aveugles dont l'aumônerie dépend de celle du lycée Duruis) si elle est encore active : cette solution aurait l'avantage de faire rencontrer des jeunes à ces malades. On pourrait encore essayer de sensibiliser des aveugles dans des associations qu'ils fréquentent telles que l'Association Valentin Haüy, le Groupement des Intellectuels aveugles ou Amblyopes, l'Association des Auxiliaires des Aveugles, les bénéficiaires des Enreigstrements à la Carte pour Aveugles, les adhérents de l'Association des ARTISTES Aveugles pour citer celles que je connais et avec qui je travaille le plus. Le recrutement ne serait pas forcément facile, mais qu'est-ce qui l'est ? Il n'est pas non plus tout cuit de trouver chaque année des catéchistes pour assurer la catéchèse. L'aumônerie aurait la lourde tâche de lancer l'appel, d'organiser le recrutement et la formation, de discerner la demande des malades : mais, pour vous donner la mesure du besoin, entre l'annonce par un ophtalmologiste que vous allez perdre la vue et le traitement du problème psychologique que cela entraîne, il y a un monde qu'ont vécu douloureusement aussi bien des parents à qui l'on a asséné que leurs enfants seraient aveugles et puis "débrouillez-vous avec ça, j'ai un patient dans cinq minutes" ! Mais qu'ont vécu aussi des "aveugles tardifs" à qui l'on dit que tout espoir est perdu sans leur indiquer à qui s'adresser désormais, qui pourrait leur venir en aide. c'est ce type d'information que nous, aveugles expérimentés, pourrions, si nous étions impliqués dans l'accompagnement des personnes le devenant, leur dispenser de première main en les dispensant de perdre du temps en frappant à des murs, outre celui qu'ils doivent consacrer pour accepter ce qui vient de leur tomber dessus.

Comme les choses ne s'impriment bien dans l'esprit que par des anecdotes qui les mettent en perspective, en voici une qui m'est arrivée et par laquelle je terminerai. J'ai rendez-vous à la pitié salpêtrière dans un service de stomatologie pour me faire arracher cinq dents de sagesse, ce qui explique peut-être la lettre que vous venez de recevoir. Je me rends donc avec mon amie qui n'y voit pas plus que moi dans cette ville-hôpital et là, nous tombons sur un Monsieur plein de bonne volonté qui veut nous aider, qui nous demande où nous allons, à qui nous répondons que c'est en stomatologie et qui, séance tenante, nous expédie en ophtalmologie parce que c'est ce qu'il entend, les instincts ayant la vie dure même dans les actes manqués auditifs (je m'étonne que Freud n'ait pas inventé le lapsus auditi). Nous nous apercevons de la méprise comme nous sommes à l'accueil du service d'ophtalmologie que nous prenons pour celui de la stomatologie et qui nous détrompe. Ça ne nous étonne qu'à moitié, mais ce n'est pas le tout de savoir qu'on n'est pas dupe : il va falloir sortir de là et regagner le bon endroit. Et naïvement, nous supposons que, puisque nous sommes en ophtalmologie, le service est outillé pour raccompagner les égarés qui doivent rejoindre leurs pénates. Eh bien là, nous nous plantons complètement : je crois même que nous n'avons jamais autant attendu, ni surtout trouvé des gens aussi affolés que dans ce service pour nous sortir de la panade où nous étions. Il y a bien une hôtesse d'accueil, mais elle est assignée à résidence. Il n'y a pas un appariteur commis à déplacer les aveugles. A qui s'en prendre ?
"Asseyez-vous, ça va prendre du temps avant que nous trouvions."
Ça prend trois quarts d'heures en effet avant que l'hôtesse d'accueil avise deux de ses copains qui travaillent "au cerveau" et qui nous font faire le trajet qui sépare la stomatologie de l'ophtalmologie et qui le font en bons princes, "pour l'amour d'Isabelle", mais ils vont commencer leur pause, alors perdre cinq minutes de déjeuner, ça ne mange pas de pain .. Enfin, ils le prennent comme ça, c'est sympa !.



J'ai pris la liberté, Eminence, de m'exprimer tout mon saoul au risque de vous "saouler de paroles" en protestant pour m'en excuser de "la sainte liberté des enfants de Dieu". Je ne me suis permis un peu d'humour qu'à la fin de mon propos, vous en sachant friand et n'étant quant à moi pas tellement drôle. A la longueur de cette lettre, vous pourrez conclure que je suis atteint de logorrhée et que ma volubilité augure mal du réalisme de mes préconisations. si j'ai à vous supplier d'une chose, c'est de ne pas faire ce raisonnement qui consiste à rendre nul et non avenue, à rendre anonyme tout ce qu'un chrétien du rang, un anonyme peut vous dire, un quidam pas très patenté s'adressant à celui qui siège légitimement sur la cathèdre de Notre-dame... Car, si nos "évêques", si les ministres du culte font comme les faiseurs d'opinion et "les tenanciers du bordel médiatique" qui font de la démocratie une médiocratie et de la médiation une transmission de ce qui vient d'en haut en ignorant ce qui vient de la base, c'est à ce coup qu'à coup d'anonymat dans lequel vous faites rentrer l'iconoclasme de l'original dont une kyrielle doit vous écrire, vous risquez de faire le jeu des "aspirateurs d'âme" et des "zélotes de l'abandon" qui font que notre société avorte et n'adopte pas et que nos curés ne sont plus "chargés d'âme", mais des "hommes pressés" qui ont la réunionite, une maladie contagieuse et qui ne prescrit aucun remède. Laissez-moi vous faire ce plaidoyer "populiste" d'une "âme" qui se veut dévouée à sa mère, l'Eglise en ses représentants hiérarchiques et qui vous présente ès qualité, Monsieur le cardinal, l'expression de mes très filials respect et déférence







J. WEINZAEPFLEN

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