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lundi 12 avril 2010

marchepied vers la méditation (II): le souffle de mon père

En lien avec l'article : Extrait de dialogue de sourd (http://rimbe.canalblog.com/archives/2009/06/17/14117473.html) de rimbe.canalblog.com

Mon cher filleul (j'emploie le mot rarement, mais à dessein en l'occurrencei),

J'ai lu (avec le plus grand intérêt, bien que dans un état d'extrême fatigue dû à l'invincibilité de l'insomnie) ton article accessible par le lien ci-dessus. L'un des meilleurs à mon idée lus jusqu'ici sur ton blog (même si évaluer est sans valeur , et puis ce que tu dis me touche de si près, comme tu vas le voir dans mon troisième point): article inspiré, j'imagine (j'en suis encore à imaginer) du "banquet" de Dante ou de ce que tu as lu des dialogues de Platon :

1. "Mémoire du monde" contre "pyramide du souvenir", pour la justesse des termes, si j'ai bien compris... On a envie de rechercher avec toi le sommet de la pyramide.

2.en effet, "toutes les idées avancent géométriquement". La philosophie, de nos jours, a un peu oublié "l'esprit de géométrie". Or nulle grande découverte ne s'est faite sans recourir à cet esprit. Pascal a eu beau l'opposer à "l'esprit de finesse" en faisant mine de le dénoncer, il n'en a pas moins découvert la géométrie euclidienne par ses propres moyens à l'âge de 9 ans ou peu s'en faut…Il est même possible, comme le soutient ma chère lectrice Maryse Bonnard, qu'au niveau le plus élevé de la spiritualité, les mathématiques rejoignent les lois de la mystique. L'esprit est localisé dans le corps et il n'y a pas d'obligation à ce que Dieu et la science ne se réconcilient un jour, après que se seront résolus les conflits dûs à l'énigme, l'énigme entretenant la flamme du Mystère, le Mystère étant le halo du miracle, le miracle étant enfin à son tour l'exception qui confirme la règle scientifique. La science doit-elle s'intéresser à l'exception, comme le soutiennent abusivement, à mon avis, tous ceux qui n'ont de religion que le paranormal et qui n'aspirent qu'à ce que la science normalise comme une donnée statistique vérifiable toujours le fait, par exemple, que tous les comateux verraient et entendraient tout ce qui se passe autour d'eux. Les scientifiques qui sont censés servir de cautions à toutes ces études irrécusables de l'exception portent des noms idoines : l'anesthésiste réanimateur Jean-Jacques charbonnier (comme la foi de son corporatif) ou le physicien costa de beauregard, l'Université Interdisciplinaire de Paris étant dirigée par Jean Stone… Laissez-moi écrire comme je veux ! Chez les catholiques intégristes à tendance lefébvriste canal historicorévisionniste, on trouve à l'identique un certain abbé Putois… avec cela que les mots ne s'attirent pas !

3. Il est plus facile de se reconnaître dans la mémoire de ses grands-parents : l'expérience de nos parents nous est trop proche, et celle des générations suivantes nous est trop éloignée, voire carrément inconnue, inconsciente, ne relevant par conséquent que de l'imaginaire : or la "mémoire" a besoin d'être vérifiée pour ne pas nous entraîner, par la magie de sa mécanique de survenue surgissante, à croire qu'elle est à soi seule le miracle de la révélation totale de Dieu, dont le Verbe ne nous donne que de prononcer une phrase, et notre appartenance à l'humanité de ne parler qu'un langage : le langage d'avant le Babel universel. A croire l'abbé de tanoüarn avec lequel ce blog se confronte souvent, la réalité spirituelle ne serait pas une réalité mémorielle. La mémoire n'est que la roue qui alimente la conscience. J'ai toujours imaginé la mémoire comme un ascenseur qui couvait la conscience. Mais peu importe pour mon propos du jour les vérifications matérielles du procès de la mémoire : ce sont les deux générations d'écart dont tu parlais précédemment qui m'intéressent.

4. car très émouvant pour moi : J'ai fait exactement la même expérience que toi en faisant la sieste avec ton grand-père (qui était mon père, mais qui m'a instruit dans la mémoire des générations qui l'avaient précédé, et j'ai été attentif à cette instruction : elle m'a intéressé et vertébré, fait appartenir à mon corps défendant à ma famille, moi qui me suis construit, non en rupture avec cette famille-là, mais en rupture avec le modèle familial en lui-même).

Le souffle était un principe très puissant chez notre ancêtre commun, mon père et ton grand-père, sans peut-être qu'il s'en rendît compte : on observait cette puissance de son souffle (mais aussi avec quelle confiance il s'abandonnait à son mouvement respiratoire qui soulevait tout son corps) lorsqu'on s'endormait auprès de lui, ou simplement quand on l'écoutait respirer. Naturellement, comme tu l'écris, on entrait dans l'"imitation de ce souffle" : je ne sais pas si son souffle était transmetteur de mémoire ou de sérénité. Quand, en réanimation, son souffle a commencé de se trouver blessé, c'était tout son être qui était mutilé. Je me souviens, sous anesthésie, de la manière dont il dédramatisait l'issue qu'il savait certaine de toute cette mutilation. Il ne pouvait plus respirer, ce qu'il commenta en disant :
"c'est juste un petit masque que je porte."
Quand on sort de l'élan du souffle, peut-être est imprimé sur notre visage le masque mortuaire ; mais au-delà (c'est le cas de le dire), on entre dans la réalité masquée du souffle coupé, mais des ongles qui poussent et de l'incorruptibilité diamantaire… La vie commence dans la neige carbonique, mais se termine dans la solidité, qui peut confiner à la dureté, du glaçon humain devenu sage et solide, d'une tendre dureté ou "d'une puissante tendreté" comme eût dit Saint-françois de sales.

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