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lundi 11 février 2019

EUX ET NOUS

Analyse de l’incendie de l’immeuble parisien par une malade psychique, analyse motivée par un billet de Philippe Bilger sur le sujet. ô fou, mon semblable, ô pariat, mon frère! "Dans notre existence sociale, [...] des SDF parfois agressifs, des solitaires parlant très fort tout seuls, criant des propos incohérents pour nous..." Et pourtant c'est pour nous qu'ils parlent, dans l'espoir d'une écoute, où quelqu'un dise: "Ton délire n'est qu'une autre logique, rejetée parce que moins sociale, moins partagée, mais la société qui rejette ton déléire ne se montre pas sociable envers toi." D'ailleurs, faut-il établir un fossé entre Eux et Nous? Je me connais trop bien pour savoir que je suis aussi un des leurs et qu'entre la case liberté et la case prison, il n'y a que le passage à l'acte, mais qu'"on tue toujours ce que l'on aime" (Oscar Wilde), au quotidien, dans le combat dégénéré entre ero et Thanatos où nos amours sont inscrits contre notre gré, l'homme sublimant la femme puis la baffouant, la conquérant par galanterie, aimant qu'elle domine dans son lit, avant de trouver tout naturel que le couple soit plus centré sur lui que sur elle, que la femme soit sa compagne plus qu'il n'est son compagnon et de perpétuer le modèle patriarcal. Eux et nous. René Girard disait de la schizophrénie qu'elle était un jeu de rôles où l'accompagnant soi-disant saint d'un soi-disant patient peut rendre l'autre malade, par le jeu de leur rivalité mimétique, l'un et l'autre étant enfermés dans leurs rôles respectifs. Georges Canghilem se demandait quel était le seuil du normal et du pathologique. J'ai essayé delire ce livre sans être convaincu que le médecin ait répondu à sa propre question. On a souvent retenu la définition de la santé qu'il citait pour la critiquer, et quqi est de René Leriche: "La santé, c'est le silence des organes" dans une sorrte de paix du corps. Eux et nous. Notre "rationalité" trop "hératique"trace cette frontière qui ne résiste pas à l'analyse, même si le relativisme qui consiste à dire que nous sommes "tous malades" se trompe d'une autre manière. La psychiatrie est-elle en déshérence? On l'entend dire. Mes observations ne le vérifient pas quant au manque de moyens. J'ai vu des hôpitaux servir de sas de vacances pour des malades qui avaient besoin de reprendre haleine. La psychiatrie souffre d'être sectorielle et de mélanger tes pathologies parfois incompatibles dans une "nef des fous" ou une "cour des miracles". Le cas le plus incroyable que j'aie vu, dans un hôpital parisien, faisait des handicapés mentaux travaillant dans un ESAT servir le café aux malades psychiques internés là et qui pouvaient être violents. Faute de place comme vous le dites, les autistes trouvent souvent refuge dans les hôpitaux psychiatriques. Autre malaise de la psychiatrie: les psychiatres donnent des solutions chimiques immédiates aux symptômes actuels de malades dont ils ne cherchent pas les origines du mal-être.Souvent parce que, la psychanalyse s'étant plantée, on la récuse en bloc et les psychiatres veulent être des comportementalistes. Les psychiatres apposent une étiquette sur un malade et le condamnent à vie à être soulagés pour telle maladie réputée incurable. Il est pourtant vrai qu'"on ne guérit pas les malades mentaux", comme l'affirmait une aide soignante prénommée Virginie aux "Grandes gueulles" scandalisées de RMC. Quelle est la responsabilité d'Essia b? Avoir mélangé l'alcool et les médicaments en se sachant dangereuse et pyromane. Mais sans doute appartenait-elle au grand nombre des malades qui nient leur maladie pour ne pas basculer du côté du "eux" et rester dans un "nous" acceptable, avec ses disputes et ses querelles de voisinage qui dans son cas dégénéraient et cette fois tragiquement. Essia B est responsable de sa désinvolture. La psychiatrie est une médecine balbutiante. Le temps n'est pas loin où l'alcoologie disait aux alcooliques:"Arrête de boire et ton problème d'alcool sera réglé." Il y avait quelque chose d'inhumain dans cette prescription abrupte, même si le pari de l'ascèse et de la privation pouvait se révéler métaphysiquement intéressant, car il faisait entrer les abstèmes dans une communauté d'amputés ou de privés de quelque chose, qui devaient marcher sans pansement avec leur gouffre intérieur à vif; et il y a une très grande solidarité entre ceux qui souffrent d'une fragilité psychique, beaucoup plus qu'entre les handicapés souffrant d'une déficience physique. Il y a une très grande solidarité entre les schizophrènes tandis que les aveugles se tirent dans les pattes. En outre, on s'aperçoit souvent qu'on n'avait pas besoin de ce à quoi on a fait des mains et des pieds pour ne pas renoncer, comme Swann s'aperçut qu'il s'était amouraché en Odette de quelqu'un qui n'était pas son genre. L'abandon est de tous les temps. "Au nom de ceux qu'on abandonne, il est temps de vivre d'amour", ai-je écrit il y a vingt ans dans un cantique que je n'arrive pas à rendre populaire. Le récit typique de l'abandon me semble être celui de l'infirme de Bethesda que Jésus plonge dans une piscine où il se rend journellement depuis trente-huit ans sans que personne l'aide à y entrer. Nous avons compassion des malheureux, mais nous leur tendons rarement la main. Nous nous justifions de notre inaction par notre compassion qui n'est pas morte en nous. Nous croyons aimer parce que nous aimons aimer.

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