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lundi 4 février 2019

Les lumières d'un aveugle. Passeurs de lumière

Notes pour une intervention en ateliers faite auprès de jeunes se préparant à la profession de foi et à la Confirmation dans le bassin minier sur le thème : « Passeurs de lumière ». Comment certains peuvent-ils être lumière pour moi et comment puis-je être lumière pour les autres ? On m’a demandé de réfléchir à ces deux questions redoutables pour un aveugle de naissance, qui n’a pas l’évidence de la lumière. I QU’EST-CE QUE LA LUMIÈRE ? Mon expérience au ducher d’Uzès. Nous étions dans une pièce où s’ouvraient des meurtrières. Mon frère, mon père et moi eûmes un soudain espoir que je voyais la lumière. Nous avons fait un essai, car peu de lumièreétait filtrée par ces meurtrières, il fallait allumer l’interrupteur électrique pour que de la lumière passe. Ils allumaient et éteignaient tour à tour en me demandant si c’était allumé ou éteint. Les dix premières fois, je tombais juste et la onzième, je tombai faux. C’est un cas typique dans l’étude des probabilités. Pour avoir une chance de tomber juste, j’ouvrais les yeux et ce qui me donnait l’impression de voir de la lumière était de sentir de l’airqui entrait dans mes yeux. La lumière pour moi, c’était de l’air. Ma mère était artiste peintre, visagiste, portraitiste. Les couleurs pour moi, c’était comme ces liquides de palettes de couleur que ma mère déversait sur ses toiles. La lumière, c’était de l’air. Porphyre disait que l’air est l’élément du ciel. Élisabeth de la Trinité : « Je crois bien que j’ai trouvé le ciel sur la terre, car le ciel c’est Dieu et Dieu est dans mon âme. » Mon ami Franck me disait que l’air était la seule chose qui donnait à l’être humain l’idée de l’inépuisable. Hormis dans l’asphyxie, on inspire en puisant des réserves dans l’air inépuisable. On peut aussi être saturé de lumière, être ébloui. Mon frère a écrit un poème intitulé « L’Autre lumière » qui traitait de l’éblouissement, mais je ne l’ai pas retrouvé. La Bible donne deux définitions de Dieu. Elle dit : « Dieu est amour » et « Dieu est Lumière ». Existe-t-il une lumière de l’amour ? Qu’est-ce que la lumière pour vous ? Avez-vous parfois été saturés de lumière ? En avez-vous manqué ? II COMMENT LES AUTRES PEUVENT-ILS ETRE LUMIERE POUR MOI ? A. Les autres peuvent être lumière pour moi s’ils me décrivent le monde qu’ils voient, si, en regardant la télé par exemple, comme le faisaient mes parents, ils ne me décrivent pas toutes les images, mais seulement les images essentielles à la compréhension du film. Cas très frustrant du film dont le dénouement se joue sur la dernière image quand on est seul à le regarder. Aujourd’hui, l’audiodescription supplée les parents ou l’entourage, car on vit de plus en plus seul. Il n’est pas toujours facile de parler le même langage que les autres. Les autres doivent me traduire le monde qu’ils voient et je dois les traduire dans la langue de mon monde, dans ma langue d’aveugle, pour qui la lumière est de l’air et les couleurs sont de la chaleur ou du liquide après « conversion lumineuse ». C’est à moi de faire l’effort de comprendre la langue majoritaire comme vous êtes en train d’essayer de comprendre la mienne. Chacun a sa représentation du monde et le décrit avec son expérience. Mais l’expérience a quelque chose d’intransmissible. Comme un avion passe quelquefois le mur du son, la lumière doit percer le mur de l’incommunicabilité. Nous avons la chance que l’Esprit-Saint nousaccorde le don des langues et nous traduise la langue des autres. Le récit de la Pentecôte se termine par cette phrase : « Chacun les entendait raconter dans sa langue les merveilles de dieu. » Vous devez certainement traduire le monde de vos parents et ils doivent traduire le vôtre, mais vous vivez dans le même monde qu’eux, malgré les apparences. B. Les autres sont lumière pour moi quand ils acceptent que je vive ddans le même monde qu’eux. Souvent les gens me disent : « Tu as de la chance, tu ne vois pas les horreurs du monde. » Je vis dans le même monde que vous, mais je me le représente différemment. Raconter comment j’ai appris que j’étais aveugle. Jusqu’à l’âge de trois ans, on medemandait : « Tu vois ? » et je répondais « oui », puisque je comprenais de quoion me parlait. Et puis un jour, on m’a répondu que je ne voyais pas et cela m’a vexé. J’ai alors essayé de m’imaginer ce qu’était le regard de ceux qui me disaient que je ne voyais pas. Dans mon imagination, regarder un arbre, c’était ressentir le choc de l’arbre qui cognait dans les yeux decelui qui le regardait. Je me suis dit que si c’était ça, voir, ça devait faire mal et je n’aimais mieux pas. Qu’est-ce que le regard pour vous ? Quelle idée vous faites-vous de ce que perçoit un aveugle ? Tout le monde ne voit pas le monde, mais tous le perçoivent. III Deux façons de ne pas être lumière A. La manipulation. Un aveugle de naissance a une très grande facilité à se faire une idée de quelqu’un rien qu’en entendant sa voix ou la musique de son prénom, qui est comme un message que va développer sa conscience. On est souvent conforme à la musique de son prénom. Jésus s’appelle « Dieu sauve » et va sauver le monde. Un aveugle de naissance a une très grande facilité à entrer directement dans la psychologie de soninterlocuteur, comme quelqu’un qui voit regarde par le corpset juge d’après le physique. Or il faut veiller à ce que cela ne devienne pas une occcasion demanipuler l’autre, tant on le connaît immédiatement, intuitivement. C’est un don très dangereux come le don de voyance. « Un voyant est un extralucide, un non-voyant est un ultralucide », me disait Nathalie. Beaucoup de voyants (médiums) disent qu’ils ont des flashs, qu’ils ne peuvent pas s’en empêcher, mais qu’il préféreraient ne pas avoir ce don. B. Le danger de la transparence. Un aveugle de naissance est très souvent un transparent sur lequel, Comme la cécité fait peur, les gens projettent beaucoup de fantasmes : « Tu es dans le noir , tu n’as jamais vu le monde , tu as le troisième œil , tu as le mauvais œil ». Raconter l’expérience de la maladie de mon père, lorsque mon frère voulait nous interdire à Nathalie et à moi d’aller le voir, de crainte que nous lui fassions attraper la mort. (En fait, je crois que l’un de nous deux avait un eczéma.) Un conseil : ne jamais vous laisser devenir le transparent des autres. Si vous tombez amoureux, essayez de ne pas aimer l’image que vous vous faaitesde l’autre, mais de rencontrer la personne qui est derrière l’image. Essayez de ne pas tomber amoureux de l’amour. IV COMMENT JE METS LE MONDE EN LUMIERE ? Il y a plusieurs manières pour un aveugle de naissance de mettre en lumière le monde dans lequel il évolue et de développer des sens pour compenser celui qui lui manque. On dit souvent qu’il y a des auditifs et des visuels. Certains aveugles de naissance seraient nés visuels, ils deviennent des manuels. D’autres comme moi auraiet de toute manière été des auditifs, ils deviennent musiciens ou sont à l’aise dans le monde de la pensée. Les aveugles tardifs, surtout les aveugles tardifs à dominante visuels, conservent ce que Nathalie appelait « la lumière du cerveau ». Voici comment, en fonction de ce don, je reçois de la lumière : intérieurement, j’entends toujours de la musique. Je sais décrire d’oreille une partition quand elle n’est pas trop difficile, trop abondante ou dissonante. Ma musique intérieure est ma lumière intérieure. C’est un son et lumière. J’ai fait énormément de rencontres. Ma vie est pleine de visages et pleine de personnages. Petit, j’avais du mal à me diriger entre deux bâtiments qui étaient pourtant en ligne droite, or à dix-sept ans, je suis allé faire des études à Paris où je vivais seul, comme si une force me guidait pour prendre le métro, le train de banlieue, trouver mes salles de cours. V COMMENT JE SUIS LUMIERE POUR LES AUTRES ? C’est une question à laquelle il est très difficile de répondre. On ne sait jamais si on est rayonnant, si on a une tête sympa et un visage avenant, qui porte à la communication et donne envie d’échanger avec nous. Moi non plus je ne sais pas. Avoir du charisme ou de la présence, mettre des étoiles dans les yeux des autres, crever l’écran, être acteur, savoir faire passer ses idées, toutes ces qualités sont inégalement réparties. La différence de talent est une simple inégalité. Mais la différence de charisme pourrait me faire douter de la démocratie, moi qui suis un démocrate dans l’âme. Bref, comment est-ce que je fais passer de la lumière dans les autres ? C’est à eux de me le dire. A. La joie parfaite. Toutefois, il y a une règle que je me suis donnée : c’est de ne jamais faire la tête. On dit que les sourds sont tristes et les aveugles sont gais. C’est un cliché. J’ai souvent des tas de raisons d’être mélancolique, mais j’ai une joie intérieure qui facilite pour moi le fait de ne jamais faire latronche. Du coup, cette parole du Christ raisonne en moi : « Je suis venu pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » Le même Esprit-Saint, qui nous traduit le monde des autres dans notre propre langue, nous a fait le don de la joie. La joie est un fruit de l’Esprit, avec la paix, la bonté, l’humilité, la patience, la bienveillance, la confiance dans les autres et la maîtrise de soi. L’Esprit est feu et lumière. Si la joie est un fruit de l’Esprit, il nous accorde aussi le don des larmes. C’est un très grand malheur quand les larmes ne viennent plus. Je l’ai expérimenté à la mort de mon père. Il m’était impossible de pleurer. J’étais devenu pareil à un rocher dont on ne pouvait pas tirer de l’eau. La joie intérieure jaillit en lumière lorsque notre cœur ne connaît pas l’amertume et peut s’ouvrir au don des larmes. La joie jaillit à travers la peine. L’amertume est le contraire de la joie. C’est comme si nous avions un glaçon de larmes qui obstruerait l’entrée de notre coeur. Quand on a dégagé la porte de son cœur de cette pierre de glace, alors la joie peut rejaillir. La joie creuse en nous une trouée de lumière, mais l’amertume est ténèbres et obscurité. B. S’aimer dans sa plus grande qualité. Un ami m’a appris deux règles qui me permettent d’essayer d’être lumière pour les autres. Comme je trouvais qu’il se connaissait bien, je lui ai demandé comment il faisait. Il m’a répondu : « J’ai essayé d’identifier ma plus grande qualité et je m’apprécie en elle. » Il menait une vie très difficile. Sa grande consoolation était de jouer de la musique et parfois de tenir l’orgue d’un sanctuaire dans lequel il habitait, comme si on l’avait exilé loin du monde extérieur. Il me dit un jour : « Tu sais, quand je joue de la musique, j’essaie d’apporter aux autres la joie que je n’ai pas en moi, et je le fais en pensant à la Vierge. » Quand je suis devenu organiste à mon tour, j’ai très souvent repensé à cette parole de mon ami. Surtout quand j’ai moi-même traversé des épreuves. L’orgue qui élève l’âme et qui m’a redonné la foi m’a permis d’exprimer mon âme. Le mot exprimer veut dire que l’on presse tout ce qu’on a en soi, un peu comme une orange qui donnerait son jus. L’orgue m’a donc permis d’exprimer ma peine, moi qui voulais exprimer toutes les peines du monde. Mais j’ai toujours cherché à l’exprimer de façon que ne transparaisse pas mon chagrin quand je vivais dans le chagrin. Ma compagne me disait et me dit encore : « La lumière sort de l’orgue quand tu joues, toi et certains autres organistes, mais pas tous. Je te souhaite de faire sortir toute la lumière des orgues en tirant quelque chose de toi-même. » Alors je joue de toute mon âme en espérant que, de ma musique, il ressorte de la lumière. J’espère que quelqu’un qui m’entendra sortira de là avec un peu plus d’espérance, grâce à la lumière de l’orgue qui viendra de ma joie, et de ce que j’aurai essayé de garder une âme chaleureuse. Questions : Connaissez-vous votre plus grande qualité ? Voulez-vous la partager ou préférez-vous la garder pour vous ? De la discussion jaillit la lumière. Avez-vous vu de la lumière ? Avez-vous des questions ?

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