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lundi 25 février 2019

Alain Finkielkraut comme alibi

Absent de moi-même pendant près d'une semaine même si j'ai réussi à faire deux ou trois choses qui constituaient mon devoir d'état, je reviens à moi et je reviens chez moi parmi les miens. Devrais-je avouer mon absence à moi-même? Oui, car je crois qu'il faut vivre à nu à la face du monde pour retrouver le paradis perdu de l'innocence de l'âme qui se doit d'être narcissique. Or donc, reprenons la part qui nous incombe du déchiffrement de ce moment où la vie, notre vie semble individuellement et collectivement indissolublement vaciller sous nous et sous notre matière grise, sous notre intelligence qui ne doit pas se complaire de se détraquer, en ce moment où tout paraît se dérober à notre compréhension et où, après nous être méfiés des Gilets jaunes (je décris ici ma propre trajectoire), nous les avons trop adorés et menaçons à présent de les brûler pour crime d'antisémitisme, cette maladie infectieuse inflammatoire qui a mis le feu au monde il y a 70 ans. Qu'est-il arrivé à Alain Finkielkraut? Rien de plus, en définitive, que la seconde agression dont il a été victime après celle de "Nuit debout", avant-hier par des gauchistes un peu bobos qui n'aimaient pas le trait de cette plume qui ne les faisait pas reluire, hier par des vociférations de Gilets jaunes musulmans qui apportaient un peu violemment à la défensive très civilisée de son identité juive voulant mouler le destin d'Israël dans l'identité française, "identité malheureuse" écrivait-il d'une "France suicidée" disait Zemmour, que sont nos intellectuels devenus? La réponse, comment dire, du berger à la bergère. Alain Finkielkraut a réagi dignement, c'est-à-dire qu'il est resté stoïque sous les lazzi et n'a pas surjoué l'indignation. Il n'a pas crié comme certains jours mémorables à la télévision ou sur "France culture" sur le plateau de son émission envahi, il est resté silencieux comme un arbre qui a mieux pris racine dans sa matière humaine, peut-être parce que le cas était plus grave. Il n'a pas porté plainte. L'Etat s'est indigné pour lui. Le parquet a diligenté une enquête. Comme le souhaitait naguère BHL, toute une frange de France s'est levée pour lui, a marché pour lui, est descendue dans la rue pour protester contre l'antisémitisme. Indignation vertueuse contre un fléau qui a fait des ravages, mais indignation de nulle utilité, qui convaincra les convaincus que l'antisémitisme est un délit et les autres que c'est une opinion inhumaine quoiqu'humaine, car faisant partie de l'esprit humain qui produit des merveilles et des monstruosités. L'antisémitisme est une espèce de chancre venimeux et reptilien, souvenir de l'antique serpent. Je ne crois pas avec Baudelaire que la pire ruse du diable soit de nous faire croire qu'il n'existe pas. Je crois au contraire que, pour ruser avec lui et conjurer sa hantise, il ne faut pas l'invoquer, il ne faut pas incanter son nom, il faut faire comme s'il n'existait pas, non pour effacer le réel, mais pour échapper à l'emprise de notre ennemi, qui n'est celui-ci qu'à raison d'icelle. Contre l'antisémitisme, nous faisons tout le contraire et ce n'est pas d'aujourd'hui. Reste la question: pourquoi l'Etat s'est-il indigné à ce point pour Alain Finkielkraut? N'y voyons pas un hommage d'Emmanuel Macron à ce philosophe qu'il traitait il y a peu de commentateur, c'était pendant la campagne présidentielle. Alain Finkielkraut avait fini par démoder à son propre esprit le réflexe de penser contre soi-même. Donc la défense de Finkielkraut n'était pas en cause dans la marche qu'il ne fallait pas faire pour élever une protestation intérieure contre l'antisémitisme. Il s'agissait pour l'Etat de faire une vulgaire diversion: inspirer pour cause d'antisémitisme la haine des Gilets jaunes, c'était faire capoter leur révolution. C'était bien joué, on verra si le stratagème paiera. Pendant ce temps, les Gilets jaunes ne sombrent pas dans "la haine du désespoir" qui ne serait rien d'autre que l'espérance, mais sont renvoyés à leur désespoir, ce qui est le pire cul-de-sac où l'Etat pouvait cyniquement pousser cette jacquerie après l'avoir matée en l'énucléant. "Vous n'avez rien vu, vous n'avez rien senti, taisez-vous, recommencez à vous taire, reprenez vos bonnes habitudes, reprenons le cours de nos vies et de nos réformes et payons notre dette aux marchés. Gilets jaunes, retombez dans le désespoir d'où vous n'auriez jamais dû sortir. Vous avez eu tort de croire qu'on vous prenait au sérieux quand on s'amusait de votre langage de mal appris et de votre instruction civique biberonnant en une nuit tout Pierre-Yves Rougeyron, Etienne Chouard et François Asselineau. " Pas sûr que le corps social puisse supporter une Nième et si poignante piqûre de mépris! Notre vie individuelle et collective a tendance à vaciller sous nous. Mais nous avons une chance, c'est que le ressort qui menace de casser ne veut pas. Profitons-en, ça ne durera peut-être pas toujours.

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