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mercredi 30 mars 2011

Jean-Marc Rouvière, "Adam ou l'innocence en personne

(Méditation sur l'homme sans péché).

A la suite de notre article sur "La vie, l'existence et l'être", M. Jean-Marc rouvière nous a écrit:

Cher monsieur

Je ne suis pas techniquement à l'aise avec les blogs. Aussi je ne vous écris peut être pas de la bonne manière formelle. Je suis l'auteur de Adam ou l'innocent en personne chez L'Harmattan. On me dit que vous l'avez évoqué dans un de vos échanges sur la toile ; l'avez-vous apprécié ou non ?
Bien à vous et d'avance merci de votre réponse

Voici donc la récension de ce livre que j'ai eu le plaisir de faire à la demande de son auteur:

Cher Monsieur Rouvière,

Tout d'abord, quel plaisir de recevoir votre commentaire, justement quand, il y a deux jours à peine, je viens d'achever la lecture de votre livre.

Il est exact que je l'ai évoqué dans un commentaire que j'ai posté sur le blog du sémillant et extraordinaire abbé de Tanoüarn où vous-même étiez intervenu à la suite d'échanges qui s'y étaient donnés sur le péché originel et la manière de le comprendre.

Ai-je apprécié votre livre ? La question ne me paraît pas exactement bien posée. Est-ce un livre que l'on apprécie ou dont on retire quelques leçons ? Je vais donc essayer de vous dire ce que j'en ai retiré, aussi bien en positif qu'en négatif, pour rester dans le registre de l'appréciatif ou du dépréciatif.

Commençons par le négatif. Je trouve que votre livre manque d'implications existentielles visant à nous faire retrouver, si c'est possible, la mémoire de notre innocence, la conscience de cet état en l'adam qui sommeille en nous, s'il se peut qu'il y ait eu un moment où nous ayons pu percevoir cette innocence. Je regrette aussi que le chrétien que vous êtes très manifestement se laisse aller à parler du péché originel comme d'un mythe, ce qui le réduit à une dimension archétypale : je ne suis pas à l'aise avec l'idée qu'il faille vivre notre foi dans une dimension mythologique, même si, derrière tout mythe, on peut discerner la part de l'immémorial, or l'Eucharistie ne se comprend qu'en tant que Mémorial, c'est-à-dire condensation d'un acte salvateur dans tout le temps humain, comme la prise de distance de l'homme d'eden vis-à-vis de Dieu est un acte qui condense cette distance immémorialement prise par toute existence qui, par le refus de l'home d'eden, accède à la dimension de l'expérience, même si le péché originel ne se réduit pas à n'être qu'une "expérience", comme le pensent les Hindous. Mythe contre mythe, j'ai bien aimé que vous refusiez de traiter la solitude d'adam en eden comme la première des robinsonnades, préférant le rapprocher de la figure d'Ulysse.

Quand je dis que votre livre manque d'implications existentielles, je veux dire qu'on n'arrive pas bien, non pas tant à en discerner la thèse qu'à comprendre comment elle peut se traduire dans notre vied'un point de vue éthique. Si j'essaie pourtant de la dégager, je perçois qu'il y a une sorte d'antithèse entre la personne et l'innocence, antithèse qu'adam aurait vécue seul, au risque de la passivité, mais à l'avantage de ne pas avoir à entrer dans la moralité, cette moralité qui est un tue-liberté comme on dit couramment que le quotidien est un tue-l'amour. Ce qui se dégage de votre livre est qu'à l'innocence adamique, seule, répond l'Innocence du christ, celle par laquelle claudel a été subjugué, percevant, devant son pilier de Notre-dame, "l'éternelle Enfance et Innocence de dieu", à quoi renvoie ces deux verts que j'ai écrits dans le texte d'un cantique intitulé "Sacrement de Lumière", pardonnez-moi de me citer moi-même :

"enfance de dieu, beau soleil de Santé
Que nous aussi voudrions innocenter."

Car le drame intime de l'homme, c'est de percevoir que le Christ Se soit Fait homme pour l'innocenter, ce qui n'a fait que décupler en lui le sentiment de culpabilité.


Vous êtes à l'évidence très marqué par Vladimir Jankélévitch (j'ai d'ailleurs, étant en train de lire votre livre sur ma machine à lire, car je suis aveugle, entendu l'émission où vous étiez l'invité de François Nudelmann, ce qui m'a réjoui une fois de plus, comme si la Providence voulait me confirmer par maints clins d'oeil que j'avais rendez-vous avec votre livre ou avec vous). Je ne connais Jankélévitch que d'en avoir entendu des sonaux de ses conférences à la sorbonne restitués par "France culture", en particulier de ses conférences sur "la tentation" et sur "le mal", livre que vous citez abondamment. J'ai l'impression que Vladimir Jankélévitch nous est un maître à prier les dernières demandes du "notre Père", un peu comme on voudrait entrer dans la méditation quotidienne qu'en faisait Simmonne weil, dès qu'elle en connut la version grecque. Pourquoi Jankélévitch nous est-il un maître à ne pas succomber à la tentation et à être délivrés du mal qui l'a tant marqué dans sa chair de juif, vivant les affres de la shoah et ne pouvant les pardonner ? On ne peut pas remonter avec Jankélévitch jusqu'à la demande antérieure du "notre Père : "Pardonnez-nous nos offenses comme nous-mêmes pardonnons, etc.) ? Si Jankélévitch nous est un Maître, non pas à découvrir la sainteté du Nom de Dieu, la beauté de son règne, la bénignité de Sa volonté, mais à vivre la morale que nous propose le "notre Père en négatif, à la suite de la morale en négatif que nous a proposée le décalogue, comme si Dieu, depuis toujours, avait été Amoral et n'avait pas voulu entrer Lui-même dans la connaissance du bien et du mal, dimension qui manque peut-être à votre livre ; si donc Jankélévitch nous est un maître à vivre la morale apophatique du "notre Père", c'est en tant qu'il se présente comme un athée (se méfier de la tendance qu'ont les chrétiens de faire des athées des croyants malgré eux). Or, ce que montre un athée, c'est que, sans pouvoir nouer une Relation avec un dieuqu'Il ne reconnaît pas, pour autant qu'il soit un homme de bonne volonté, il ne veut pas appartenir au mal. Le chemin vers l'innocentement, c'est peut-être cela : remonter du "je ne veux pas appartenir au mal" à : "je ressens que je suis aimé de dieu".

Par touches discrètes, vous insistez sur le travail de la Grâce (libératrice) que ne peut nous accorder que l'Innocent en Personne, dieu Lui-même, par le Mystère de l'Incarnation, Se faisant Homme et "fils de l'Homme", c'est-à-dire accomplissant la plénitude de l'humanité. La Grâce est le sceau de notre libération, de notre réconciliation avec notre condition humaine que nous pouvons aimer à nouveau, de notre condition d'être nu et amoral, qui n'est plus soumis à la loi et qui n'a plus à se cacher de Dieu, quelle que puisse être son incapacité à ne pas continuer de pécher. Même, le comble, comme s'en émerveillait sainte-thérèse d'avila parvenue dans la septième demeure de son "château intérieur", c'est que, maintenant que sa Majesté est venue, vous vous rendez compte ? "Nous péchons en dieu". Cela devrait nous faire reculer d'horreur et d'effroi, or en prendre conscience est au contraire l'un des sommums de l'Union à dieu.

En espérant que mon commentaire, fait avant relecture de mes notes, aura pu vous apporter quelque chose, je remercie la Providence de nous avoir mis en contact

J. Weinzaepflen


Réponse de l'auteur:

Cher ami

Je ne suis pas très prolixe ni très causeur, mais voici ce que je peux répondre à quelques points de vos remarques très fouillées et très justes.

Implications existentielles :

Le livre est conçu comme une illustration et défense du pauvre Adam. Mon propos est tourné vers lui et son destin beaucoup plus que vers nous.


Mythe :

Vous avez raison, l’emploi de ce mot un peu fourre-tout est une facilité. Mais je ne voulais pas, dans ce livre, m’attarder sur une question de vocabulaire.


La thèse de l’ouvrage :

Mes livres sont brefs (« Le silence de Lazare » et les « Brèves méditations sur la création du monde » ont une centaine de pages) parce que je privilégie la concision au détriment du développement.

Ils sont bâtis sous la forme de méditations successives qui s’enchaînent, mais gardent assez largement leur autonomie.

Donc pas une seule thèse qui s‘épanouirait au long des chapitres. Un fil rouge mais pas plus. J’essaye d’ouvrir des voies, par la philosophie ou la théologie.

D’ailleurs vos commentaires sont, je le comprends, orientés « théologie » alors que, par exemple, la recension par Olivier Sarre sur le site Implications Philosophiques est elle bien davantage tournée vers la philosophie; je ne suis pas mécontent de ces deux types d’approches.


V Jankélévitch :

Oui, je suis très attaché à son œuvre (je co-anime l’association qui porte son nom). Son approche de la tentation, dans ses cours à la Sorbonne notamment, est très marquée par ses lectures bibliques et chrétiennes, mais il reste bien sûr en deçà de la Révélation, et une bonne part de mon livre ne l’aurait pas concerné.



Bien à vous



Jean-Marc Rouvière

1 commentaire:

  1. Si nous voulons poursuivre la discussion sur l'esprit (modeste) qui m'anime dans la rédaction de mes livres, c'est celui de tenter d'apporter un point de vue nouveau.

    Je suis déçu de voir que les librairies sont de plus en plus envahies par des ouvrages de synthèse ou de commentaires des auteurs du passé (récent ou lointain). Ces livres sont sûrement utiles mais leurs auteurs souvent très brillants devraient, aussi et surtout, nous proposer des livres originaux, offrant des idées et des interprétations nouvelles. Il y en a certes mais trop peu nombreux à mon goût. A cet égard, Jankélévitch disait (en substance) : être philosophe ce n'est pas passer sa vie à commenter E.Kant. (voir mon papier "Lisez-vous V.Jankélévicth ?" sur le site Nouvelles Philosophiques).

    Je crains que nombre de philosophes soient des éternels thésards ; si j'étais méchant je dirais : ces auteurs réfléchissent mais ne pensent pas.

    Amitiés

    JM Rouvière

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