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jeudi 17 mars 2011

L'hétéronomie

En réactions aux articles:
Septième billet de carême : mercredi de la Première semaine et
Comment peut-on être hétéro...nomes ? (qui est une réponse à mon commentaire de l'article précédent).

Cher abbé,

Comment vous répondre, je ne dis pas bien, mais d’une manière qui soit digne de vous ?

1. IL y a peut-être d'abord ceci: le christianisme, c'est la victoire du "mono" sur le "multi", comme nous l'a excellemment expliqué A.S il y a quelques jours, du "mono" sur le "poly", même si ça ne plairait guère à alain de benoist qui dit "préférer généralement le "poli" au "mono", et pourtant de l'"hétéro" sur l'"homo". Disons qu'avant d'être hétéronome, on ne doit pas être l'homologue de soi, tout comme on ne doit pas se complaire dans son monologue intérieur, suivez mon regard et pointez du doigt votre serviteur!

2. Certes, cela libère: sortir de l'homologie qui est une forme d'esclavage, pour entrer dans l'hétérophilie. Se faire des amis, se chercher des frères, avec lesquels il fasse bon vivre. Des frères dont on soit le gardien. Même dieu se cherche des frères, même dieu se cherche des amis:
"Je ne vous appelle plus mes serviteurs, Je vous appelle mes amis."
Mais c'est ici que ça se corse: être ami, c'est se mettre au service, répondre à une demande, ceindre un tablier et laver les pieds de ses amis.
"Vous êtes mes amis si vous faites ce que Je vous commande", "parce que vous êtes en mesure de comprendre où je vais, n'étant pas de simples suiveurs puisque vous connaissez Mon Dessein et vous savez où va Mon Père: Nous vous avons indiqué la destination. Si vous doutez de la route, vous connaissez la destination, c'est donc librement que vous pouvez choisir si vous voulez vous y rendre avec Nous à Ma suite. Et, si vous y consentez, c'est dans l'autonomie que vous choisissez l'hétéronomie. Donc vous pouvez me suivre, me servir, en amis.

3. Jusque là, on est d'accord. Je suis sorti de l'homologie à moi-même pour entrer dans l'hétérophilie, et c'est en plein autonomie que j'ai choisi de devenir hétéronome, par Amitié pour dieu et désir de me trouver des frères. Ca, je le veux bien, mais à une condition...
"ah, si tu commences à y mettre des conditions, tu es mal parti, mon bonhomme..."
Ecoutez ma condition: c'est que l'amitié s'éprouve dans l'épreuve, mais que l'épreuve ne soit pas le seul creuset de l'amitié. Je désire que l'amitié ne soit pas que l'importunité d'une longue épreuve. Car, dans le cas contraire, Dieu va m'en vouloir et je vais me mettre à en vouloir à dieu. Dieu va Se sentir inconsolable de ce que je ne sois jamais à la hauteur, et je ne pourrai plus croire qu'Il ne m'a point harponné avec cet hammeçon du bonheur, attrape-couillon, du:
"Venez à moi, vous tous qui ployez sous le fardeau, et Je vous procurerai le repos, car mon joug est léger", tu parles!
Ce n'est pas tant le fait d'être haï ou perdu de réputation parce qu'on dirait la vérité qui est redoutable: c'est de perdre la légèreté, c'est de devenir lourd, pondéralement autant que lourd de coeur. Ce n'est même pas tant d'être traité de ringard, c'est d'être traité de lourdingue..." Pardonnez ce que je vais vous dire: mais les seuls gens littéralement légers (pas les femmes légères, ni les esprits légers), mais les esprits sensés et légers) que j'ai connus, esprits ailés, si vous voulez, étaient des êtres areligieux, êtres rares, qui se nantissent bien de quelque superstition lorsqu'ils viennent à perdre un proche, en eux l'animal religieux se réveille comme tout autre fauve,mais qui, pour le reste, sans être désabusés, essaient de comprendre: "vivre, comment ça marche"? qui essaient d'être fonctionnels... La vérité de ce qui fonctionne, c'est peut-être un peu organique et pragmatique, ça n'a pas l'air de grand-chose, mais c'est le début de l'hétéronomie, parce que c'est se conformer pragmatiquement à ce qui fonctionne naturellement. Et cette hétéronomie-là, qui ne repose pas sur une demande incessante, a le mérite d'être légère.

4. Or la religion ne prend rien à la légère. Vous avez bien raison de dire qu’elle n’a pas aboli l’esclavage. A la condition du disciple que vous décrivez, en vous appuyant sur la mise au point de Giorgio Agamben, on pourrait ajouter un autre exemple : c’est celui du « sermon sur la montagne » où Jésus, quand IL propose à Son disciple de faire deux mille pas avec celui qui lui demande d’en faire seulement mille avec lui, semble faire l’apologie de l’esclavage et de l’exploitation, à moins qu’on n’interprète cette demande comme celle d’accompagner son prochain. Toujours est-il, un commentateur le note bien, que nous avons beau jeu de nous moquer de l’étymologie supposée de l’ »islam » qui serait à chercher dans la soumission (alors que le « salim » représente à la fois ce qui est sain et ce qui ne fait pas obstacle à la parole entendue). Il y a décidément un point où toutes les religions se rejoignent à défaut de se valoir. Mais ne nous perdons pas dans ce débat où nous ne sommes que trop passés maîtres à nous déchirer. Si le christianisme, loin d’abolir l’esclavage, semble en faire l’apologie et emprunte à la figure de l’esclave pour désigner la condition du disciple, nous finissons par nous demander si nous avons seulement droit au plaisir. Je ne dis pas droit au bonheur, le bonheur n’est pas un état permanent, je vise plus petit, ce plaisir naturel et nécessaire dont parlait Epicure. Si nous sommes des héros fatigué, à force de n’entendre jamais une motion de l’esprit qui nous accorderait ce droit au minimum de plaisir nécessaire à entretenir un élan vital alangui de ne plus sembler nous appartenir, notre tendance naturelle est de nous réfugier au « « magasin des accessoires ». Il est possible que la solution à ce problème du droit au plaisir soit que nous n’avons pas le droit de nous le donner, mais que nous avons celui de le recevoir. Seulement, c’est si difficile de ne pouvoir jamais se le donner que nous finissons par le prendre où il nous paraît monayable, et c’est au « magasin des accessoires ».

5. Or nous ne fréquentons pas seulement le « magasin des accessoires » parce que nous voulons prendre du plaisir pour nous. Il se peut aussi que nous allions nous y fournir pour en offrir à ceux que le sort n’a pas épargnés et qui, si personne ne tirait son épingle du jeu dans le cas où tout se vaudrait, eux certainement ne la tireront pas, que tout se vaille ou non. Nous allons peut-être au « magasin des accessoires » pour leur offrir un cadeau qui leur soit plus immédiatement accessible que la promesse d’une vie future qui ne va pas pouvoir les contenter. Sartre n’a peut-être pas toutà fait tort de reléguer le salut au « magasin des accessoire » parce que nous le croyons « impossible », étant donné, non seulement le caractère presque surhumain de l’oblation, mais le caractère fondamental de l’inégalité devant le malheur, la seule qui soit vraiment intolérable et qui fait qu’il y a des gens tellement accablés qu’ils ne pourront jamais tirer leur épingle du jeu et qu’ils sont incapables de parier, j’en ai connus, et je ne parle pas de moi ! C’est pourquoi nous préférons nous rejeter sur du consommable et compenser par là. Compenser au lieu de prier pour autant que, si prier, c’est penser avec, alors prier, c’est compenser. Mais quand bien même ne le fréquenterions-nous pas pour des motifs si nobles, nous allons au « magasin des accessoires » parce qu’il nous faut du divertissement et des diversions, de la culture, de la musique, de la farce pour l’esprit, et nous en sommes tous là. Qui peut dire qu’il ne fréquente jamais « le magasin des accessoires » ? A-t-il reçu une permission divine pour y aller faire ses amplettes, ou y va-t-il à bout d’esclavage et d’hétéronomie qui ne s’articule pas suffisamment avec des exercices de retour à soi ou de retour sur soi, qui permettent à celui qui a donné sa vie d’avoir parfois l’impression de respirer ? A moins que l’on craigne de perdre le souffle parce qu’en donnant sa vie, on a parié qu’on n’allait rien recevoir, et c’est alors notre pari qui a manqué de foi !

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