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jeudi 3 mars 2011

Une inversion des flux migratoires?

(Extrait du dialogue entre le Torrentiel et un Croissant de lune, partie IV, herméneutique 16)

Envoyé par le torrentiel, le 4 mars 2011 à 8h20

Mon cher croissant de lune,

Ce que tu me décris de la situation lybienne, de cette insurrection en quête de régime sauvagement réprimée, mais dont la victoire est avancée, se reçoit comme une chronique, laquelle ne relève pas du commentaire, ne tombons pas dans cette confusion journalistique. Je m'en tiendrai donc, bien que m'essayant à voir le monde dans ta peau, à commenter la situation française, en te priant de n'y pas voir du francocentrisme, la fin de mon "article" va d'ailleurs te démontrer que je n'ai pas les yeux si peu dessillés.

Le premier remaniement sarkozien, celui de novembre, a laissé à chacun le goût amer d'un Président qui, sous prétexte de professionnaliser ses ministres, en replace certains au niveau de compétence qu'on leur avait attribué et qu'on sentait le leur à l'origine, à l'exemple de Nathalie Kosciusko-Morizet à l'écologie, qui aurait dû être ministre de plein exercice à la place de Jean-Louis Borloo qui a ridiculisé la fonction, dans laquelle, du coup, elle n'arrive plus à se couler. Quant au second objet de ce premier remaniement, il était d'introduire au sein du gouvernement, des cadors de la politique, afin de les faire jouer franc jeu en prévision de la future élection présidentielle. Cadors remis en selle, mais pas toujours à la bonne place : on voyait qu'Alain Juppé n'avait rien à faire à la défence, hormis que cela accentuait son parler militaire, si on avait voulu le rendre plus cassant, outre qu'étant ancien premier ministre, on devait lui conférer le statut de n° 2 du gouvernement (depuis la jurisprudence fabius sous Jospin), comme si la défense, toutà coup, devenait, dans un monde qui se serait fait plus menaçant, la deuxième priorité de l'Etat, pourvu qu'on transposât les jeux de chaises musicales politiques dans la vraie politique. Ce gouvernement est en partie tombé sous la pression de la goutte d'eau d'alliot-Marie qui, en pleine révolution tunisienne, propose l'aide de la police française, puis s'y envole en villégiatures et y passe un coup de fil à ben ali. Un mois plus tard, Sarkozy ne peut rien faire d'autre que rectifier le tir, replacer Alain Juppé dans l'affectation qui lui sied le mieux, quitte à faire encore d'autres accomodements, parce que le poids politique qu'a retrouvé le nouveau locataire du quai d'Orsay, oblige le Président à ne plus faire de son secrétaire général de l'Elysée, Claude guéant, son véritable plénipotentiaire aux affaires étrangères, donc il le place à l'intérieur, logique, tandis que son ami Brice Hortefeux, de mille façons devenu embarrassant, est rangé dans le placard de l'Elysée où il jouira du statut de conseiller privé ou privilégié, attention Carla, ne fais pas d'écart, ne cède pas aux irrésistibles charmes de Brice ! Tout ça n'intéresse que ceux qui aiment la pantomime et regardent la politique à travers le jeu des personnes.

Supposons que la diplomatie française soit rétablie d'écaire, ce que le temps confirmera ; Sarkozy, inoccupé, n'a qu'à revenir à ses vieux démons : quel os donnera-t-il à ronger aux Français, voire se donnera-t-il à ronger à lui-même ? Le débat sur "l'identité nationale" a lamentablement et foireusement échoué, Sarkozy l'a retiré, alors que ç'aurait pu être un débat digne de renan, s'il avait été bien mené et que le forum n'en eût pas été les préfectures. Mais les sondeurs assurent que Marine le Pen est "la petite bébête qui monte". Sarkozy imagine donc de rejouer le débat sur l'"identité nationale" en le transformant en "débat sur l'islam", au cas où l'on n'aurait pas compris que le débat précédent avait pour but de stigmatiser l'immigration à travers l'islam, synonymie dérivative qui semble mieux seyante à je ne sais quel communiquant imbu de villiérisme et qui n'a pas vu l'échec de villiers, puisque le conseil de procéder à cette dérivation a été dispensé simultanément dans la "maison le Pen" et dans la "maison Sarkozy", de quoi te donner raison sur un plan métapolitique, quand tu craignais une alliance entre Nicolas Sarkozy et Marine le Pen, alliance dont je te disais qu'elle ne saurait être envisagée, en quoi le CRIF m'a confirmé, qui se moque que Marine ait remplacé Jean-Marie : c'est la même maison, ce sont les mêmes idées, Marine est mal payée d'avoir adhéré à l'association "France-Israël" présidée par l'avocat Gilles-William Goldnadel, qui n'a jamais caché ses sympathies personnelles pour le Front, bien qu'il ne le juge pas assez libéral à son goût.

Bon. Nous écopons d'un débat sur l'Islam. Au plus mauvais moment ? Métapolitiquement toujours, on pourrait dire que le moment pourrait n'être jamais meilleur, si l'on s'avisait de faire de l'Islam, non pas un objet d'injonctions, non pas un repoussoir servi au "racisme ordinaire" du Français qui ne réfléchit guère, mais de sujet de connaissance. Car enfin, quel est le Français qui connaît vraiment l'Islam. Quel est celui qui a lu le coran ? Moi qui te parle, je ne l'ai pas fait, ce que je me reproche, mais je n'ai pas non plus lu intégralement la bible, et je suis tellement plongé dans l'actualité que je n'ai le temps, pour ainsi dire, que de lire le Coran de l'intérieur, comme mon théologisme mystique me fait lire la Bible de l'intérieur, quand je n'ai pas le temps de me plonger plus avant dans les textes. Or il n'est pas avancé, par les organisateurs du débat sur l'Islam, qu'on fera aucunement ce travail didactique. Au contraire, dans le cadre de la distinction oiseuse incessamment servie par la classe politique entre "l'Islam de France" (accepté) et "l'Islam en france" (boycotté), Jean-françois Copé avertit que l'UMP préconisera (ah bon ? Un débat, ce n'est pas une connaissance ou une réflexion, ce sont des opinions et des préconisations ?) que les prêches dans les mosquées ne seront plus autorisés à être prononcés en Arabe. Sans blague ! Ils ne seront plus prononcés dans la langue du coran qui leur donne une saveur pour ceux qui la parlent. Ils seront parlés en français, sans doute parce que le BSRI (qui a remplacé les Renseignements Généraux, si je n'ai pas écorné le cigle, manque d'interprètes et qu'on ne va tout de même pas former des gens à parler l'Arabe, leur payer des études aux "langues O", vous vous rendez compte de ce que cela coûterait au contribuable ? Les prêches dans les mosquées ne seront plus parlés en arabe, histoire, colatéralement, allez savoir, Monsieur Copé, que les Français, à qui ils deviendraient accessibles, ces Français dont vous avez désagrégé l'identité, se convertissent un peu plus vite, non pas que l'Islam s'associe à la recollecte du sens, mais en l'absence de sens, pourquoi pas la conversion à l'Islam pour ceux que vous avez déracinés de l'intérieur, vous faisant les auxiliaires de l'accélération de l'histoire et du consumérisme économique ?

Un débat sur l'Islam posé dans ces termes sarkoziens, "abuseurs" de peuple, qui aurait pu être le bienvenu, posé dans les termes métapolitiques que j'annonçais, va ici révéler ses effets calamiteux. Car on a changé le chef de la diplomatie, on dit avoir pris la mesure de la libération en marche du monde arabe qui épouse nos valeurs. Or on commence par vexer le même monde arabe en annonçant qu'on va surveiller ses flux migratoires, qu'il ne va pas s'agir qu'il afflue massivement dans la "vieille Europe". Mais, en plus de le vexer, de redouter son affluence, on en remet une couche contre sa religion, cette religion qui est d'une influence, d'un poids non négligeable dans son soulèvement actuel.

Quant aux flux migratoires considérés en eux-mêmes, tu dis la France à l'heure des choix. Tu entrevois les effets court-termistes d'une fuite des arabes loin de violences qu'ils redoutent, comme a été, ni plus, ni moins, l'exode français, à mesure que les Allemands gagnaient du terrain et que les Français cherchaient à se réfugier. Où je ne peux pas complètement donner tort à nos politiques, c'est de redouter que ce court-termisme de l'immigration qui est sans exemple, ne fasse pas davantage un précédent présentement, où il faudra un certain temps pour que les régimes nouveaux révèlent leur vraie nature. Si celle-ci se montre bonne à leurs peuples, certains immigrés reviendront, mais beaucoup se seront installés, or on n'arrive déjà pas à accueillir ceux qui sont là, qui ne font que participer à la crise à l'oeuvre dans nos "sociétés". Pierre Morville, dont j'ai lu un article ce matin, expliquait que l'un des facteurs qui a pu précipiter le soulèvement partout en même temps dans le monde arabe, pouvait tenir à ce que la redistribution de certains avoirs financiers par les immigrés au bas de l'échelle sociale arabe autochtone, s'était atténuée, du fait que les immigrés ont été parmi les victimes les plus exposées du chômage consécutif à la crise financière. D'autre part, on ne peut pas dire que les flux migratoires, s'ils arrivent à destination dans le faux Eldorado européen, ne soient une chance pour le relèvement de vos pays, pour lequel il faudra l'effort de tous. On ne peut jamais encourager une population à fuir à long terme. Si l'on reprend l'analogie avec l'exode en France, une fois que le sort en fut malheureusement jeté, les Français, malgré l'occupation, regagnèrent leurs foyers. Mais si les ressortissants de ta nation se précipitent chez ceux que tu ne serais pas loin d'appeler les anciens occupants des pays qui la composent, je ne gage pas qu'ils en reviennent de si tôt, non pas que ces nations vers lesquelles ils émigrent les retiennent prisonniers, mais que ce n'est pas la pente naturelle des phénomènes migratoires, dont les migrants n'ont pas fait un si long voyage pour en revenir, sitôt qu'ils auront senti la probabilité que le vent du boulet ait retombé, ce qui, si ce n'est que de l'ordre du simple probable, or il faudra longtemps à ces révolutions pour indiquer leur sens, ne les encouragera pas à revenir construire leur pays, qu'ils ne soient d'abord assurés d'y retrouver un niveau de vie minimum et décent, et que leur vie ne soit pas menacée par le fait de pouvoir être assimilés à des déserteurs par tels de leurs compatriotes. La durée est d'ailleurs l'alliée du sens. Inévitablement, pour l'instant, succède à la destitution des anciens tyrans une période d'instabilité. Cette période d'instabilité est celle dont les aspirants à l'immigration actuels se font les observateurs. Et, quand ils aspireraient à revenir, souhaiteras-tu toi-même leur retour ? N'auras-tu pas tendance à dire qu'ils se seront comportés comme des rats qui auront quitté le navire au moment où il remontait des flots ?

J'ai bien aimé que tu m'écrives, à l'occasion d'une brève réponse que je n'ai pas mise en ligne, que ce que tu souhaitais à la limite, c'était l'inversion des flux migratoires ; c'était, non seulement que les arabes, une fois confirmée leur libération, ne voyagent dans le monde que pour y prendre du plaisir, mais que ce à quoi aspirait ta nation, c'était que s'y trouvent attirés les talents, dans ce qui pourrait passer pour une "inversion des flux migratoires", qui aurait l'avantage de rendre le phénomène plus homogène, plus équilibré, moins unilatéral. Mais, dans un monde où les peuples sont bien gouvernés, les citoyens se trouvent attirés moins à partir qu'à rester, et à ne voyager que pour, par leurs voyages, former leur jeunesse, se constituer une expérience de la réalité cosmopolite du monde multiethnique. Souhaitons toi et moi que l'un des effets du "printemps arabes" soit de permettre à tous nos pays d'arriver à cet état d'équilibre. Mais chaque chose en son temps. Nous n'en sommes pas là. Nous en sommes encore à supposer que les phénomènes migratoires sont le résultat inévitable de la révolution des transports. Nous en sommes encore à attribuer un caractère matériel et correctif de la précarité, aux déplacements de population, qui parfois peuvent provoquer d'un pays à l'autre, de véritables transferts de population, capables de les dénaturer comme ils ont dénaturé ta Palestine.

Dieu nous fasse revenir à l'harmonie des peuples

Ton Torrentiel en quête du sens des révolutions arabes, moyennant une connaissance minimum de l'Islam, au lieu des faux débats stigmatisants, à l'heure où, s'il faut se repentir de quelque chose, c'est de la xénophobie, de la peur de l'étranger du fait de sa méconnaissance

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