Pages

lundi 18 février 2013

Le concile vu par benoît XVI

DEPPLACEMENT COMPLET DE LA PROBLEMATIQUE SUR "le concile réel" et "le concile virtuel des médias". On trouvera l'allocution en recopiant le lien suivant : http://www.zenit.org/fr/articles/benoit-xvi-raconte-et-explique-le-concile-a-ses-pretres Et voici la retranscription de ma communication de ce jour sur le forum catholique à propos du déplacement de la problématique entre "vrai concile" et "concile des médias", communication en dialogue, notamment, mais pas exclusivement avec des traditionalistes, qui voient dans ce discours-testament de benoît XVI l'expression d'une nostalgie qui ne va pas au fond de la "crise de l'Eglise. Cette analyse vise à montrer que( ?" . Cher scrutator, Hier soir, avant de me coucher, j'ai fait ce que j'aurais dû faire depuis le début de notre discussion autour de cette allocution de Benoît XVI à son clergé de Rome : je l'ai lue. Je l'ai lue et j'ai compris que nous avions tous cédé à nos passions respectives pour ne pas la recevoir pour ce qu'elle se donnait, un extraordinaire abrégé de l'histoire du concile, dont la distinction entre "le concile réel" et "le concile virtuel des médias" n'occupait que la troisième partie du discours, la plus courte, la plus frappante pour nos esprits, mais la moins profonde et approfondie, et qui ne peut certainement pas être interprétée comme nous l'avons fait les uns et les autres, et en particulier, ni en termes d'horizontalité ou de verticalité comme vous l'avez fait, en tirant cette conclusion journalistique et caricaturale que benoît XVI invite les catholiques à penser comme mgr Lefebre, tout en adhérant au Concile, mais en sachant ce qu'ils reçoivent. 1. Au préalable, essayons de résumer l'allocution de benoît XVI : a)Au départ, Benoît XVI montre quels étaient les cinq sujets de préoccupation de "l'alliance du Rhin", composée des épiscopats français, allemands, belges et néirlandais : l'attention devait se porter d'abord sur la liturgie, l'éclésiologie, la relation à l'Ecriture et à la révélation, enfin sur l'œcuménisme. b) Par la suite, sous l'influence des épiscopats extra-européens, mais le travail ayant largement été préparé par les français, le Concile devait s'occuper des relations de l'eglise avec le monde, à la fois pour donner une ligne éthique générale, ce qui fut l'objet de "Gaudium et spes", et puis pour adapter l'Eglise aux cadres politique extraeuropéens, soit aux Etats qui avaient la liberté religieuse dans leur patrimoine génétique, comme les Etats-Unis (qui se sont vraiment impliqués dans le Concile lorsqu'on a discuté de "la liberté religieuse"), soit aux Etats où l'Eglise était en relation avec des religions non chrétiennes et devait définir de manière normative les modalités de leur dialogue avec eux : ainsi, l'Eglise devait prendre en compte le conflit judéo-arabe, en faisant repentance pour la shoah commise, non majoritairement par des croyants, mais par des ressortissants de l'Europe chrétienne ; mais elle devait éviter l'écueil qu'une relation transformée avec le judaïsme ne la fasse sous-estimer le ressentiment des pays arabes après la création de l'Etat d'Israël. Benoît XVI situe ici l'origine des déclarations "NOSTRA AETATE", et "DIGNITATIS HUMANAE", CELLE-CI D'INSPIRATION AMERICAINE ET LATINO-AMERICAINE, COMME ON L'A DEJA DIT. C)DANS CE CONTEXTE, EN QUOI CONSISTE LE "CONCILE DES MEDIAS" ? IL NE CONSISTE PAS A ETRE PLUS REVOLUTIONNAIRE QUE NE POUVAIENT L'ETRE LES PERES EUX-MEMES, ET LES EXPERTS INVITES AU CONCILE. IL CONSISTE A INTERPRETER LE CONCILE "A L'EXTERIEUR DE LA FOI", EN TERMES DE "LUTTE DE POUVOIRS" ET DE "COURANTS". DE CE POINT DE VUE, BENOIT XVI NOUS DONNE UNE BONNE CLEF POUR COMPRENDRE CE QUE L'EGLISE ENTEND PAR "LE MONDE", AU SENS MONDAIN DE LA CREATION COUPEE DE SON CREATEUR ET QUI NE S'INTERESSE, DE CE FAIT, QU'AU POUVOIR ET AU PLAISIR. CE "CONCILE MEDIATIQUE" A CRU POUVOIR TIRER DE L'INTRODUCTION DES NOTIONS DE "COLLEGIALITE" ET DE "PEUPLE DE DIEU" L'IDEE QUE S'INTRODUISAIT LA DEMOCRATIE DANS L'EGLISE ET QU'ENFIN, L'EGLISE BANALISAIT SON GOUVERNEMENT POURLE METTRE AU DIAPASON DE CELUI DU "MONDE LIBRE". "LA LITURGIE" N'INTERESSAIT PAS A PROPREMENT PARLER LES MEDIAS, MAIS CEUX-CI FURENT SEDUITS PAR UNE THEORIE QUI AVAIT COURS DANS L'ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE (ET QUE BENOIT XVI A L'AIR DE PLACER CURIEUSEMENT HORS DU DEBAT DE LA FOI), SELON LAQUELLE JESUS ETANT MORT HORS DE L'ESPACE SACRE, LE CHRISTIANISME ETAIT "LA RELIGION DE LA SORTIE DU SACRE", PREMIER PAS VERS LA POPULARISATION DE SA REPRESENTATION COMME AUSSI " RELIGION DE LA SORTIE DU SACRIFICE", POPULARISATION DONT RENE GIRARD VA SANS DOUTE SE FAIRE, ANTHROPOLOGIE A L'APPUI, L'UN DES CHANTRES LES PLUS PENETRANTS. CE QUI INTERESSAIT LES MEDIAS DANS CETTE CONCEPTION DESACRALISEE DE LA LITURGIE CHRETIENNE ETAIT QUE CELA LA RAMENAIT A "UN SPECTACLE COMME LES AUTRES". LA LITURGIE POUVAIT ETRE "BANALISEE" ET DEVENIR "PROFANNE", COMME "LA GRAND MESSE DU VINGT HEURES", OU LA LITURGIE DES JEUX DU STADE OU DE LA RELIGION DU FOOTBALL. ICI, JE SORS DE LA PARAPHRASE DE L'ALLLOCUTION DE BENOIT XVI POUR LA TRADUIRE DANS MES MOTS, ET L'INTERPRETATION QUI SUIT EST AUSSI PERSONNELLE : CE QUI GENE BENOIT XVI DANS LES INNOVATIONS LITURGIQUES DE L'APRES-CONCILE, C'EST MOINS QUE CERTAINS CLERCS EN AIENT PRIS A LEUR AISE AVEC LES RUBRIQUES DE L'ANCIENNE MESSE, QU'ILS AIENT POUSSE CETTE LIBERTE JUSQU'A LA PROFANATION DU CULTE DIVIN. A LA LIMITE, J'AI L'IMPRESSION QUE, SI LA MANIERE DE CELEBRER ETAIT SUFFISAMMENT DIGNE, MEME AU PRIX DE CERTAINS"ABUS LITURGIQUES", POURVU QUE LA FOI RESTE SAUVE, BENOIT XVI N'AURAIT PAS PARLE DE "DERIVES GRAVES". - DIEU EST RESTE LE PREMIER SERVI" PAR "LE CONCILE REEL" : "ON A REPROCHE AU CONCILE DE NE PAS PARLER DE DIEU. MAIS LE CONCILE A D'ABORD PARLE DE DIEU, ET SUR LE MODE DE L'ADORATION QUI DEVAIT LUI ETRE RENDUE, EN S'OCCUPANT PREMIEREMENT DE LA LITURGIE", DIT EN SUBSTANCE BENOIT XVI -. LA GRAVITE DES DERIVES COMMENCE DES DIEU EST PROFANE ET LES LITURGIES "BANALISEES". SUR LA BASE DE CE RESUME SOMMAIRE, QUI ME CONTRAINT A LAISSER, AU MOINS PROVISOIREMENT, DE SUPERBES REFLEXIONS SUR L'EGLISE, JE VOUDRAIS POSER UN CERTAIN NOMBRE DE QUESTIONS QUI, A MON AVIS, REPROBLEMATISENT LE DEBAT, ET QUI PROUVENT QUE, DECIDEMENT, NOTRE RECEPTION D'UNE ALLOCUTION AUSSI RICHE ET PRESQUE TESTAMENTAIRE EST TROP IMMEDIATE POUR QUE NOUS NE L'ENVISAGIONS PAS DE MANIERE REDUCTRICE. ICI PAR EXEMPLE, JE NE VOIS PAS DE NOSTALGIE QUI POINTE. JE VOIS PLUTOT UN RECENTRAGE DU CONCILE SUR LA FOI, PROPOSE EN L'ANNEE DE LA FOI PAR LE SOUVERAIN PONTIFE QUI RENONCE A SA CHARGE EN RAISON DE SON AGE AVANCE ET DE SES FORCES DECLINANTES QUI L'EMPECHENT DE PORTER A LA CONDUITE DE "LA BARQUE DE PIERRE" TOUTE L'ATTENTION NECESSAIRE, BIEN QUE L'ON PUISSE TROUVER QUE CE SIGNE TOMBE A UN MAUVAIS MOMENT ET QUE C'EST UNE EPREUVE POUR L'EGLISE. 2. EXAMINONS D'ABORD LA QUESTION QUI VOUS PREOCCUPE, CHER SCRUTATOR. LE PAPE DIT-IL QUE "LE CONCILE DES MEDIAS" A ETE "HORIZONTALISTE ET HUMANITARISTE" ? MARGINALEMENT OUI, MAIS ESSENTIELLEMENT NON. OUI, PUISQUE LES MEDIAS VOULAIENT PROFITER DU CONCILE POUR ETABLIR "la démocratie religieuse" ET QU'ON PEUT CONSIDERER LA DEMOCRATIE COMME UN SYSTEME HORIZONTAL, MEME SI L'INJONCTION PARADOXALE DE LA DEMOCRATIE OCCIDENTALE EN FAIT DAVANTAGE UNE OLIGARCHIE QUI NE DIT PAS SON NOM. MAIS NON, PARCE QUE L'INTERET POUR LES RAPPORTS DE FORCE ET LES LUTTES DE POUVOIR EST UN TRANSCENDENTAL DE PACOTILLE, DONT "LA VOLONTE DE PUISSANCE" SINGE, AVEC UNE "insoutenable LEGERETE", LA TOUTE-PUISSANCE DE DIEU. ET NON ENCORE, SI L'ON AJOUTE A LA QUESTION PRECEDENTE CELLE DE SAVOIR SI "LE CONCILE DES MEDIAS" EST "HUMANITARISTE". NON, DANS LA MESURE OU, SI LE SECOND INTERET DES MEDIAS POUR LE CONCILE VISE A LA DESACRALISATION ET A LA PROFANATION DU "CULTE DIVIN", CELLE-CI EST FAITE POUR QUE L'HOMME PRENNE DU PLAISIR, ET LE PLAISIR NE SE PARTAGE PAS, ALORS QUE LE PROPRE DE L'HUMANITARISME, C'EST DE VOULOIR PARTAGER, BIEIN QUE SON INJONCTION PARADOXALE, SI VOUS VOULEZ, NE LE PORTE QU'A SAVOIR PARTAGER DU PLAISIR QUI, PAR DEFINITION, NE SE PARTAGE PAS, S'IL DEVIENT L'OBJET PRINCIPAL DE LA RECHERCHE. MAIS ON PEUT ALLER PLUS LOIN ET ABORDER LA QUESTION COMME VOUS LE FAITES, EN SE DEMANDANT SI LES GERMES DE L'HORIZONTALITE N'ETAIENT PAS DEJA PRESENTS DANS LE CONCILE. VOUS ACCUSEZ LE CARDINAL CONGAR ET KARL RAHNER, VOUS POURRIEZ AJOUTER DE LUBAC, DONT CERTAINS PERÇOIVENT LA THESE SUR "le surnaturel" . COMME UNE DENEGATION DU SURNATUREL. ETANT PROFANE EN CES MATIERES, ET PAS DU TOUT EXPERT, N'AYANT PAS LU "le journal du concile" DE CONGAR, NI LA THESE SUR "le surnaturel" DE RAHNER, BIEN QUE J'EN AIE PARLE D'ABONDANCE ET PRIVATIM, DEUX JOURS DURANT, AVEC UN PRETRE QUI AVAIT SOUTENU UNE THESE SUR CELLE-CI, ET N'AYANT PAS LU LE MOINDRE TEXTE DE KARL RAHNER, TOUT CE QUE JE PUIS DIRE EST QUE JE CROIS QU'ON A ACCUSE CONGAR D'AVOIR ETE FOUGUEUX DANS SA JEUNESSE ET D'AVOIR AUTREFOIS SOUHAITE QUE LE CONCILE SOIT UNE "REVOLUTION DANS L'EGLISE". (AU PASSAGE, BENOIT XVI NE SE CACHE PAS D'AVOIR CARESSE LES MEMES REVES ENTHOUSIASTES, CE QUI BAT EN BRECHE LES ARGUMENTS DES LISEURS QUI AVAIENT VOULU L'ACCUSER D'UN MODERNISME DISSIMULE ET DONNE RAISON A CELUI QUI A DIT QU'ON POUVAIT AVOIR UNE JEUNESSE FOUGUEUSE, ET EN REVENIR, AINSI QU'A LA RAISON AVEC L'AGE). JE NE SAIS PAS SI LE JEUNE YVES CONGAR FUT REVOLUTIONNAIRE. CE QUE JE SAIS, C'EST QUE SON ECLESIOLOGIE EST ESSENTIELLEMENTPNEUMATIQUE. IL VA INSISTER DANS SON ŒUVRE ECLESIOLOGIQUE, SUR LE TROISIEME POLE DE L'ECLESIOLOGIE TRINITAIRE PRESENTE DANS LE CONCILE : L'EGLISE COME "TEMPLE DE L'ESPRIT" (ET CHEZ CONGAR COMME GOUVERNEE PAR L'ESPRIT), LES DEUX AUTRES POLES ETANT L'EGLISE, "CORPS DU CHRIST" ET "L'EGLISE, PEUPLE DE DIEU" (POUR ASSURER UNE CERTAINE CONTINUITE ENTRE LES DEUX TESTAMENTS, A LA DEMANDE DES JUIFS, MAIS AUSSI A LA SUITE DE RECHERCHES THEOLOGIQUES QUI CONDUISAIENT LES PERES DU CONCILE A NE PAS RENDRE L'EGLISE UNE REALITE PUREMENT MYSTIQUE, A QUOI L'ON ABOUTISSAIT A NE LA CONSIDERER QUE COMME "CORPS DU CHRIST". TOUT CE DEVELOPPEMENT TRINITAIRE DEVAIT PROLONGER, NOUS DIT BENOIT XVI, L'ECLESIOLOGIE DE VATICAN I, A LAQUELLE L'INTERRUPTION PAR LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE DE 1870 AVAIT PU CONFERER L'"UNILATERALITE"DU "PRIMAT" DU POUVOIR CLERICAL DE CELUI QUI SE TROUVAIT AU SOMMET DE LA PYRAMIDE ECLESIALE. COMME A CHAQUE FOIS DANS CETTE COURTE ALLOCUTION ET A L'EXCEPTION DES RAPPORTS ENTRE L'EGLISE ET LE MONDE QUI A EMERGE DE QUESTIONS INTERNES AU CONCILE,, HORS DES SCHEMAS PREPARATOIRES, BENOIT XVI MONTRE QUE CETTE ECLESIOLOGIE DE VATICAN II EST LE PROLONGEMENT DE RECTIFICATIONS ANTECONCILIAIRES DONT LA PLUS REMARQUABLE AVAIT ETE L'ENCYCLIQUE DE PIE XII, "MYSTICI CORPORIS CHRISTI". POUR REVENIR A VOTRE QUESTION SUR L'HORIZONTALITE QUI NE SERAIT PAS ESSENTIELLEMENT LE FAIT (NI LE CONTRE-APPORT ESSENTIEL) DU "CONCILE VIRTUEL DES MEDIAS", MAIS SERAIT PRESENT DANS LE CONCILE LUI-MEME, BENOIT XVI NE S'EN DEFEND PAS, PUISQUE L'ECLESIOLOGIE DE VATICAN II DEVAIT COMPLETER CELLE DU CONCILE PRECEDENT, QUI N'ENVISAGEAIT L'ORGANISATION DE L'EGLISE QU'EN TERMES DE PRIMAT ET DE POUVOIR, LEQUEL POUVOIR CONCENTRAIT PRECISEMENT TOUT L'INTERETDU "CONCILE MEDIATIQUE". MAIS IL Y A UN MOMENT OU BENOIT XVI EMPLOIE EXPLICITEMENT LE TERME D'"HORIZONTALITE" : CELA N'A CERTES PAS VALEUR DEFINITOIRE AU SEIN DU CONCILE, MAIS C'EST LORSQU'IL SOULIGNE L'IMPORTANCE QU'ONT ATTACHEE LES PERES A "SE CONNAITRE, HORIZONTALEMENT", D'UNE MANIERE QUI, AJOUTE-T-IL, "NE TIENT NULLLEMENT AU HASARD". 3. AYANT REPONDU, ME SEMBLE-T-IL, A VOS OBJECTIONS SUR L'HORIZONTALITE CONCILIAIRE, ANTERIEURE AU "CONCILE VIRTUEL DES MEDIAS", JE ME PERMETS UN PETIT INTERMEDE EN SALUANT LA PERTINENCE DES ANALYSES DE NOTRE CHER ABBE PATERCULUS, QUI DISTINGUE, DANS LES TEXTES DU CONCILERENDANT COMPTE DES RAPPORTS ENTRE L'EGLISE ET LE MONDE, CEUX QUI SONT A INTERPRETER EN REFERENCE AU CONTEXTE DANS LEQUEL ILS ONT ETE ECRITS ET CEUX QUI NE SOUFFRENT PAS D'ETRE INTERPRETES D'UNE FAÇONDIFFERENTE, PARCE QUE LA STRUCTURE QU'IL VISAIT DES ETATS INTERCONFESSIONNELS DANS LES LARMES OU DANS L'HARMONIE NE S'EST PAS MODIFIEE DEPUIS LA REDACTION DE CES TEXTES. COMME JE VAIS A PRESENT ME TOURNER VERS LES FIDELES DE LA FSSPX, JE COMMENCERAI PAR LEUR DEMANDER, A LA FAVEUR DE CET INTERMEDE ET EN GUISE DE TRANSITION, S'ILS NE SONT PAS SENSIBLES A CE QUE LE REFUS DE CONSIDERER LE BIEN-FONDE DU "DIALOGUE INTERRELIGIEUX" PAR MGR LEFEBVRE PEUT TENIR, NON PAS A SA MECONNAISSANCE DU TERRAIN AFRICAIN – UN MISSIONNAIRE CONNAIT BIEN SES PAYS DE MISSION -, MAIS AU FAIT QUE MGR LEFEBVRE A QUITTE LE SENEGAL QUAND CELUI-CI N'ETAIT PAS ENCORE EN SITUATION POST-COLONIALE, DE SORTE QUE LE REFUS D'ACCEPTER UNE MULTICONFESSIONALITE OU DES RELIGIONS AYANT NATURELLEMENT VOCATION A SOUHAITER ETRE DOMINANTES, PEUT ETRE INTERPRETE COMME ALLANT DE PAIRE AVEC LE REFUS DE LA DECOLONISATION, CE QUI EXPLIQUERAIT QUE, DANS LES RANGS DE CEUX QUI ONT REJOINT MGR LEFEBVRE, SE TROUVENT BEAUCOUP DE CEUX QUI N'ONT PAS ACCEPTE LA PERTE PAR LA FRANCE DE SON EMPIRE. MAIS JE NE VOUDRAIS PAS QUE CETTE CONSIDERATION POLEMIQUE DE SOCIOLOGIE LEFEBVRISTE ME FERME LE DIALOGUE PLUS PROFOND QUE JE VOUDRAIS AVOIR, DANS MON POINT SUIVANT ET ULTIME, AVEC LES FIDELES DE LA FSSPX. 4. JE VOUDRAIS POSER DEUX QUESTION A CES FIDELES ET AUX PRETRES DE LA FSSPX : A) DANS SON ALLOCUTION, BENOIT XVI POINTE QUE, DANS L'ANCIENNEMESSE (L'EXPRESSION EST ICI DE MOI), IL SE VIVAIT SOUVENT DEUX "LITURGIES PARALLELES", L'UNE ENTRE LE PRETRE ET L'ENFANT DE CHŒUR LUI REPONDANT, EN QUALITE DE REPRESENTANT DU PEUPLE ET DES FIDELES ; L'AUTRE ETANT "LA PARTICIPATION INACTIVE" QU'APPORTAIENT A CES MYSTERES LES FIDELES LISANT LEUR PROPRE MISSEL ET QUI SAVAIENT A PEU PRES CE QUI SE PASSAIT DANS LA MESSE CELEBREE A L'AUTEL, MAIS QUI S'ESTIMAIENT INDIGNES D'Y PARTICIPER EN QUOI QUE CE SOIT. CES DEUX "LITURGIES PARALLELES" AVAIENT PU FAIRE COMMETTRE BBIEN DES INDELICATESSES, DEPUIS LES PAYSANS DU MOYEN AGE QUI VENAIENT A L'EGLISE COMME ON VIENT AU MARCHE SANS PRETER ATTENTION A CE QUI S'Y VIVAIT, JUSQU'A CE QUE RACONTE MADAME, PRINCESSE PALATINE ET EPOUSE DE MONSIEUR, QUI CONTINUAIT DE LIRE SA BIBLE DE PROTESTANTE CONVERTIE DE FORCE ET PAR CONVENANCE DE MARIAGE AU CATHOLICISME, TANDIS QU'UN PAGE ETAIT CHARGE DE REPONDRE POUR ELLE AUX PRIERES DE LA MESSE (ELLE CITE DANS L'UNE DE SES LETTRES L'EXEMPLE DU "NON SUM DIGNUS"). PLUS SERIEUSEMENT, EXPLIQUE BENOIT XVI, DES LA FIN DE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE, LE COURANT NEO-LITURGIQUE S'ETAIT EMPARE DE CETTE QUESTION DES "DEUX LITURGIES PARALLELES" ET L'AVAIT INFLECHIE DANS LE SENS D'UNE "PARTICIPATION PLUS ACTIVE DES FIDELES". OR JE N'ENTENDS JAMAIS LA FRATERNITE SAINT PIE X SE POSITIONNER CLAIREMENT PAR RAPPORT A CE COURANT NEO-LITURGIQUE. VEUT-ELLE REVENIR AUX "MESSES BASSES" D'ANTAN, OU CONSIDERE-T-ELLE QUE L'INTRODUCTION DE PLUS DE BEAUTE, QUI REND LES CROYANTS PLUS RECEPTIFS AUX MYSTERES AUXQUELS ILS ASSISTE, CONSTITUE UNE AMELIORATION SUBSTANTIELLE DU RITE ? SI OUI, POURQUOI NE LE DIT-ELLE PAS A PLUS HAUTE ET PLUS INTELLIGIBLE VOIX, D'AUTANT QUE L'ATTRAIT QU'EXERCE LA FSSPX TIENT BEAUCOUP A LA BEAUTE DES LITURGIES QU'ELLE CELEBRE ? ALORS, POURQUOI NE PAS ASSUMER QUE LE COURANT NEO-LITURGIQUE DE L'APRES-GRANDE GUERRE AVAIT RAISON ? B) LA FSSPX REPROCHE SOUVENT A BENOIT XVI DE LUI DEMANDER DE REVENIR A "LA COMMUNION PARFAITE" AVEC LE SIEGE DE PIERRE. CETTE COMMUNION LUI PARAIT SOUVENT D'ORDRE MOINS SUBSTANTIEL QUE STRUCTUREL OU ORGANISATIONNEL. OR, POUR LA CLARIFICATION DES DISCUSSIONS ENTRE ROME ET LA FSSPX, CELLE-CI NE DOIT-ELLE PAS PRENDRE ACTE DE CE QUE DIT BENOIT XVI, DANS LA CONCLUSION DE LA PARTIE ECLESIOLOGIQUE DE SA MEDITATION DE L'HISTOIRE DU CONCILE, A SAVOIR QUE "C'EST LE FRUIT DU CONCILE QUE LE CONCEPT DE COMMUNION SOIT DEVENU DE PLUS EN PLUS L'EXPRESSION DE L'ESSENCE DE L'EGLISE, COMMUNION DANS LES DIVERSES DIMENSIONS, COMMUNION AVEC LE DIEU TRINITAIRE, QUI EST LUI-MEME COMMUNION ENTRE LE PERE, LE FILS ET L'ESPRIT-SAINT, COMMUNION SACRAMENTELLE, COMMUNION CONCRETE DANS L'EPISCOPAT ET DANS LA VIE DE L'EGLISE" (BENOIT XVI). JE SAIS BIEN QUE LA FSSPX OPPOSE A TOUT CELA QU'IL DOIT D'ABORD Y AVOIR COMMUNION DANS LA FOI. OR CETTE COMMUNION N'EST-ELLE PAS PRESUPPOSEE PAR LA PREMIERE APPOSITION-DECLINAISON DE CETTE COMMUNION DANS L'ENUMERATION QUE FAIT BENOIT XVI DES DIFFERENTS MODES DE COMMUNION DANS L'EGLISE : "COMMUNION AVEC LE DIEU TRINITAIRE". CETTE DIMENSION DE LA COMMUNION, SANS PREJUDICE DE LA COMMUNION DANS LA FOI, COMME ESSENTIELLE A LA VIE DE L'EGLISE, "ORGANISME" ET NON PAS "ORGANISATION" NE SERAIT-ELLE PAS A RECONSIDERER PLUS SERIEUSEMENT PAR CEUX DANS LA FSSPX DONT C'EST LA MISSION DE POURSUIVRE DES DISCUSSIONS DOCTRINALES AVEC ROME ? JE SUIS TRES HEUREUX D'AVOIR PU PARTAGER AVEC VOUS CETTE MEDITATION SUR CE DISCOURS QUI ME PARAIT TRES IMPORTANT, EN PLUS D'ETRE TRES BEAU, DE BENOIT XVI SUR L'HISTOIRE ET L'HERITAGE DU CONCILE. BIEN QU'ELLE M'AIT CONDUIT A TENIR POUR BEAUCOUP PLUS SECONDAIRE QUE JE NE L'AVAIS FAIT, SUR LA FOI DE LA PRESSE, LA DISTINCTION QUE FAIT BENOIT XVI ENTRE "CONCILE REEL" ET "CONCILE MEDIATIQUE", JE CONTINUE DE PARIER QU'ELLE RESTERA, ET QU'ELLE EST BEAUCOUP PLUS PERTINENTE, QUOIQUE NON EXCLUSIVE, QUE LA DISTINCTION ENTRE "HERMENEUTIQUE DE RUPTURE ET L'HERMENEUTIQUE DE LA REFORME DANS LA CONTINUITE", PARCE QUE LE CONTENU IDEEL DE CETTE DISTINCTION NOUVELLE DONNE AUX PROFANES QUE NOUS SOMMES LE REPERE DE LA FOI, ET NON PAS NOTRE TRADITIONNELLE ET INDIALECTISABLE OPPOSITION ENTRE HORIZONTALITE ET VERTICALITE, ENTRE TRANSCENDANCE ET IMMANENCE VITALE. EN ESPERANT QUE CERTAINS POURRONT TIRER PROFIT DE CES PROPOS BIEN CORDIALEMENT LE TORRENTIEL

lundi 11 février 2013

La renonciation de benoît XVI

C'est sous le choc d'un coeur orphelin et et comme endeuillé que j'ai appris cette décision du pape il y a deux heures. Décision d'un homme "libre", décision prise dans "la certitude" de "la conscience", qui est certes "éminemment respectable", comme l'a dit le Président de la république française avant moi, qui ne doit pas en être vraiment fâché. Le pape a annoncé cette décision en la fête de Notre-dame de Lourdes, lui qui a toujours tenu à marquer le rôle de Sainte bernadette dans sa vie, comme il l'a fait observer dans l'avion qui l'amenait en france en 2008. En deux pontificats successifs, nous aurons eu deux attitudes radicalement différentes face au déclin des forces et à l'avancement de l'âge: celle de Jean-Paul II, qui s'est accroché jusqu'au bout, même si on dit que la question de la démission l'a également effleuré, et celle de benoît XVI, qui en a parlé ouvertement comme d'une probabilité, avant de se décider à l'annoncer deux ans après la parution du livre où il l'évoquait comme possible. Jean-Paul II aura montré le visage du christ en agonie, Benoît XVI n'aura pas voulu donner son corps en spectacle, parce qu'il ne voyait pas que le renouvellement de ce témoignage pût en sa personne reproduire un effet bénéfique pour l'eglise. Nous avons, dans un cas, un pape qui a iconographié le christ et, dans l'autre, un catéchète, un prédicateur, pour qui l'essentiel de la mission était de L'annoncer. Pour autant, je ne puis me défendre de trouver ce signe étrange en un moment où l'édifice chrétien branle sur ses fondations, où les institutions ne sont plus stables, où certains parlent de "mourir dans la dignité", où les unions conjugales sont consommables et jetables. On s'est souvent plaint d'une dérive crémelinophile des cardinaux recrus d'années, qui ne savaient pas partir au bon moment. Benoît XVI rompt avec la coutume séculaire de laisser les catholiques voir en Pierre un roc qui tient jusqu'à la mort. Ce "père dans la foi" leur enlève ce repère. Le moment est-il bien choisi? Cette décision ne conforte-t-elle pas la société dans sa tendance à l'instabilité chronique? Je m'interroge en priant l'Esprit-saint d'inspirer le prochain conclave de donner à l'eglise le pape que la Providence a suscité pour elle !

lundi 4 février 2013

Non à l'élitisme pour tous!

Ma réponse à M. le professeur alain Labit: Que le temps soit le matériau premier de la musique, cela est contesté. Ca l'a été notamment lors d'un colloque qui fut diffusé sur "France culture" à l'occasion, si ma mémoire est bonne, des "rencontres de Pétrarque", qui avaient pour thème le temps. Il y a eu une intervention déniant cela, d'un certain Nicolas... « Ce peu profond ruisseau calomnié, la mort". C'est bien du Mallarmée, concentration d'une pensée très profonde en un minimum de mots entrechoqués.Ce que j'en comprends ou reçois, c'est que la mort n'est pas grand-chose, ou, pour le dire autrement, qu'il existe peu de distance entre la mort et la vie, entre le temps des vivants et le temps des morts, qui est peut-être le nôtre moins, non un vide, mais un inconnu. Ce temps nous est commun, rattaché, du côté des vivants, par la mémoire. Le matériau de la mémoire est le temps déboussolé, c'est peut-être là que mémoire et musique se rejoignent, et les religions ont pour fonction de nous aier à passer, donc elles ont une fonction dans "l'apprendre à mourir" humain, et comme la musique est un langage qui relie les vivants et les morts parce qu'il transcende le temps, il transcende l'espace, il est avec l'esprit, celui Dont on ne sait ni d'où Il vient, ni où Il va. "plus importante est la répétition, plus faible l'information, et plus indigent le résultat: la théorie de l'information nous apprend que la répétition tue l'information". Je réagis en béotien, mais pourquoi l'adage : "la pédagogie est faite de répétition" dit-il exactement le contraire ? Si je tire Alain Labit vers la conclusion où on le sent aller, il faut qu'une mélodie soit donc imprévisible. Voici ma réaction prévisible d'improvisateur : cette position pose deux problèmes : 1. Une mélodie imprévisible devient vite inchantable. Or Vatican II a prôné "la participation active des fidèles". Faut-il faire du chant d'assemblée ou du chant de chorale ? C'est une alternative, un choix. Si l'on opte pour la seconde solution, on en viendrait à vouloir créer l'équivalent d'un grégorien pour aujourd'hui. Pourquoi pas ? Mais l'autre problème est plus vaste : 2. Si l'on assume que l'information doit être maximale dans la mélodie que l'on se propose de composer, alors cela signifie que l'on convient que la musique doit êtrre le véhicule de l'information. Elle devient, soit un substitut, soit un canal de Dieu. Elle peut le devenir légitimement, si l'on pense que la prière tient à la fois de la surprise et du silence. Silence de l'assemblée prise par surprise par le message de l'Inconnu divin, du "tout autre". Mais, dans ce cas, on est dans un cantique à fonction didactique, on n'est pas dans un chant de louange. Là encore, c'est un choix. On peut aussi considérer que certains temps liturgiques sont dévolus à la louange et d'autres non. L'offertoire n'est clairement pas un temps de louange, mais qui des autres temps liturgiques ? si même le "kyrié" est un hommage à la Miséricorde de dieu beaucoup plus qu'un chant de pénitence, n'est-ce pas une louange? Et quid du chant d'entrée, dont le dynamisme du processionnal qu'il accompagne semble commander une action de Louange ? N'y aurait-il pas une certaine cohérence à considérer que le temps qui précède la "liturgie de la Parole" est un temps de louange, préparant le cour du fidèle à la dimension de l'eucharistie, "Sacrifice de louange", la dimension propitatoire pouvant intervenir ultérieurement au cours de la messe ? Le dézingage de "trouver dans ma vie ta Présence" est un classique et peut être musicalement rigoureux, mais c'est un dézingage de tous les cantiques populaires. Je préfère la réflexion suivante que je me suis souvent faite : pourquoi ne pas importer en l'état, quitte à transformer les traductions de Théodor de bèze, le répertoire huguenot français du XVIème siècle ? ce serait en outre un excellent moyen pour découvrir le choral protestant. Je crois qu'on peut dire sans trop de risque que "la liturgie chorale du Peuple de dieu" est un échec, parce qu'elle est trop demi-savante, de l'aveu même du frère André gouzes, qui disait - j'en ai été le témoin - que son niveau musical et celui de ses collaborateurs ne lui permettaient pas d'appréhender une ouvre de "grande écriture" telle que la messe que l'abbaye de sylvanès avait commandée à Karol beffa et à la création de laquelle j'ai participé, sous la houlette de Jean gouzes, le frère d'andré. Jean vilar ou pas, "l'élitisme pour tous" demeure un oxymore. "Les sept dons du saint-esprit", n'y a-t-il pas quelqu'amalgame entre le récit biblique de la première Pentecôte et son interprétation magistérielle ? Mais l'auteur du présent article pourrait me taxer de fondamentalisme biblique. "L'entertainment" ne constitue-t-il pas un certain mode de réveil ? bon, admettons qu'il y a entre l'entertainment et l'art la différence qu'il y a entre ce qui empêche de s'assoupir (qui peut être un excitant) et ce qui, non pas réveille, mais éveille. Là encore, la critique d'alain Labit contre les cantiques d'"entertainment" spirituel est en partie recevable, dans la mesure où l'"entertainment" procède de la peur de s'assoupir, qui elle-même procède de la peur du silence, contre laquelle la prière doit lutter plus que tout. Seulement, l'"entertainment" est aussi une façon de ne pas perdre la mémoire, comme la louange procède de l'anamnèse, que l'esprit-saint fait de dieu dans les "orphelins de dieu" que nous serions sans Lui. L'anamnèse est la conviction dont l'esprit nous remplit que nous ne sommes pas abandonnés, elle précède l'abandon à dieu. L'anamnèse est un retournement de la tendance de la mémoire à se complaire dans le malheur en louange. En cela, l'"entertainment" a tout de même du bon, et il faudrait faire attention à ne pas faire de la foi une vertu si grave qu'elle se prenne au sérieux. Vertu théologale émanant du Dieu créateur, la foi doit aussi se ressaisir de ceci, que "Dieu Crée par (et avec) fantaisie". La Création est fantaisie, et travail sur la fantaisie, mais travail inspiré, qui ne doit pas trop transpirer, mais surtout sentir la transpiration, pour contredire l'adage sur la répartition de l'inspiration et de la transpiratiion dans l'acte de création.

"quel chant pour nos liturgies"?

Quelle mélodie pour notre chant ? par Alain Mabit (Source : http://snpamc.over-blog.com/article-quelle-melodie-pour-notre-chant-114945528.html ) L'hymnologie catholique témoigne en France, depuis Vatican II, d'une diversification stylistique sans précédent, au prix, parfois, de certaines dérives. Or, pour avoir à maintes reprises échangé, ces quarante dernières années, avec des animateurs, des responsables de chorales liturgiques, des choristes, des prêtres, tous gens de foi, honnêtes avec eux-mêmes et des mieux intentionnés, je me suis aperçu que le support musical du chant, sur quoi seul portera cette contribution, ma formation ne me donnant pas compétence pour me prononcer sur les paroles, n'était souvent pas, ou était mal, évalué. Or, il doit l'être. Un cantique comporte, aussi, de la musique. Les paroles seules ne sauraient garantir sa légitimité, et l'on sait, le structuralisme et la théorie de l'information l'ont bien établi, que la forme enseigne autant que le fond. J.S.Bach, homme de foi s'il en était, a même pu, à plusieurs reprises, dérouter vers une cantate religieuse une aria d'origine profane. C'est dire que la musique, dans certaines conditions, porte en soi, en amont de tout verbal, une spiritualité. Certes pas dans n'importe quelles conditions. Cela vaut qu'on s'y arrête un moment. A minima, la musique a pour caractéristique de permettre à l'homme de construire un rapport singulier au temps par l'élaboration d'une combinaison réfléchie de son et de silence. Que le temps soit le matériau premier de la musique n'est pas anodin: la conscience du temps, et donc, implicite, celle de sa propre finitude, est le propre de l'homme; travailler le temps lui permet d'envisager et de dépasser l'inéluctabilité de cette finitude, ce que Mallarmé, parlant de la création, résumait en un très beau vers: « Ce peu profond ruisseau calomnié, la mort! ». On comprend ipso facto pourquoi les religions, qui ont vocation particulière à prendre en charge cette problématique, impliquent la musique dans leurs célébrations. Mais, pour susciter cette spiritualité, et l'exemple que j'ai évoqué le souligne à l'envi, il faut convoquer une dimension artistique, et mettre en jeu des savoirs, un artisanat, dont les ressorts sont parfaitement identifiés, et ne doivent rien à la subjectivité du goût, certes assez vite impliqué, mais dans un second temps. Cette contribution étant destinée à un lectorat généraliste, je ne peux m'étendre sur les nécessités les plus techniques de l'écriture d'une ligne vocale et de son harmonisation, mais peux m'arrêter sur un paramètre accessible à tous, et dont la maîtrise constitue un préalable sine quo non de toute tentative de création mélodique. Il s'agit de l'équilibre à observer entre répétitivité, prévisibilité, et renouvellement. Tout simplement, plus importante est la répétition, plus faible l'information, et plus indigent le résultat: la théorie de l'information nous apprend que la répétition tue l'information. C'est la traduction en termes d'esthétique d'une vérité bien connue de la neurologie: la première capacité du cerveau, c'est d'apprendre; non stimulées, ses fonctions sont vite menacées d'atrophie. J'illustrerai mon propos en examinant sous cet angle deux cantiques bien connus : · la ligne mélodique de Nous chanterons pour Toi, Seigneur s'énonce en quatre phrases; le rythme des trois premières est complètement identique; la part de prévisibilité est donc maximale, mais l'invention mélodique redonne vitalité à la ligne: chaque phrase a son galbe propre, le renouvellement est constant, et dynamise la mélodie. La phrase de conclusion apporte une sensation de plénitude, puisque rythme et courbe sont également neufs. La part de renouvellement étant élevée, la mélodie est de haute qualité. · à l'inverse, Trouver dans ma vie Ta présence propose un contre-exemple consternant : la mélodie n'utilise qu'un seul galbe, simplement raccourci dans les vers pairs, et se reproduit quatre fois identiquement en descendant marche par marche un segment de gamme, sans jamais le moindre élément de renouvellement. Cette monotonie et cette prévisibilité confèrent à ce cantique, quels que soient les mérites éventuels du poème mis en musique, un caractère de platitude et de niaiserie qui devrait, en saine justice hymnologique, lui valoir une obsolescence immédiate. D'autant que les références existent: la situation n'est pas nouvelle; la question d'une hymnologie en langue vernaculaire s'est posée depuis longtemps, dès le XVIème siècle dans le monde protestant, donnant le jour à un répertoire d'une qualité artistique et d'un pragmatisme ergonomique inattaquables. Hors l'absence, pour d'évidentes raisons théologiques, d'hymnologie mariale, on pourrait importer en l'état les Psautiers huguenots des années 1560 dans notre répertoire, avec le plus grand profit. Quelques psaumes (Nous chanterons pour Toi, Seigneur en est un bon exemple) se sont d'ailleurs déjà infiltrés. Et puis, quand même, une part non négligeable de la production d'après Vatican II, est parfaitement utilisable. Mais c'est qu'on a eu l'élémentaire prudence -et l'élémentaire correction!- d'y faire appel à des professionnels, poètes ou musiciens... Certains, là, me taxeront d'élitisme. Ce reproche sera parfaitement fondé. Élitiste je suis, et bien décidé à le rester ! Mais à la manière de Jean Vilar postulant en 1947, à la création du Théâtre National Populaire « L'élitisme pour tous! ». Seul le meilleur est digne des liturgies ! Il n'y aucune raison, autre que démagogique, de laisser l'hymnologie instiller dans les célébrations, et ressenties d'autant plus douloureusement qu'elles jouxtent des zones textuelles de haute qualité, des plages de régression et de vulgarité. Témoignant qui plus est, et c'est peut-être le corollaire le plus révoltant, d'un mépris d'autant plus pernicieux qu'inconscient envers les assemblées contraintes de régurgiter ces peu ragoûtantes bouillies! Qu'on m'entende bien: je ne souhaite pas camper le chant dans le seul territoire des musiques « savantes », qui y ont toutefois, de par leur qualité, plein droit de cité. Quand Âme du Christ s'approprie la Hatikvah, je suis, comme tout un chacun, sensible à la beauté plastique de la mélodie, et à la mélancolie poignante qui s'en dégage. Mais il ne faut faire aucune concession sur le niveau d'exigence des référents stylistiques qui articulent cette diversification, et donc posséder la formation nécessaire à leur évaluation. Pas de faux-fuyants possibles! Mais qui ont la vie dure! En quarante ans d'échanges parfois un peu crispés avec divers graphomanes, j'en ai regroupé de deux sortes : « Ah, tu comprends, c'est vrai: je n'ai pas fait d'études, je ne suis pas allé au conservatoire! Mais j'écris du fond de mon cœur ! ». « Le cœur, ce viscère qui tient lieu de tout! » s'irritait déjà Baudelaire. Ravel renchérissait, de son côté, en constatant que « Si les bons sentiments suffisaient à faire de la bonne musique, ça se saurait! ». Si écrire avec son cœur aboutit à Chercher avec toi dans nos vies, je suis prêt à trouver des charmes à la sécheresse d'un adjudant de carrière prussien ! Variante du précédent : on m'a même prétendu, il y a une vingtaine d'années, écrire sous l'inspiration du Saint Esprit. Je ne peux certes me prévaloir à demeure de relations aussi haut placées que mon interlocuteur d'alors, mais m'étonne, à la manière d'Umberto Eco s'amusant que les transes d'une célèbre visionnaire lui fassent évoquer la décoration d'une chapelle proche de sa résidence, que l'Esprit, lors, se révélât à ce point complaisant qu'il pût se mouler d'aussi bonne grâce dans le maigre bagage du plumitif en question. D'après mes souvenirs, il est rapporté qu'à la première Pentecôte, l'Esprit avait fait aux assistants sept dons qui avaient eu pour effet d'augmenter leurs compétences plutôt que de les réduire à l'illettrisme! C'est fou ce que les temps changent... L'hymnologie révèle, dans les dérives ci-avant dénoncées, une porosité entre l'art et l'entertainment qui procède d'une évolution sociétale et politique excédant largement les frontières du monde catholique. Pour autant, l'Église, si elle veut rester un lieu de réveil, ne devrait pas faire l'impasse sur la dimension artistique des chants liturgiques. Quand le sculpteur César a travaillé avec des poubelles, il a posé un geste de création en les compressant et en réarrangeant le résultat. Une poubelle, en son simple état, à moins d'avoir été signée par Andy Warhol, n'a aucune valeur artistique, et on ne devrait pas chanter sa foi ou la gloire de Dieu avec des poubelles. Alain Mabit Organiste co-titulaire du grand-orgue de l'Abbatiale Saint-Étienne de Caen. Professeur d'Écriture du XXème siècle au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris

dimanche 3 février 2013

Pourquoi n'y aurait-il pas de "localisation cérébrale" de l'esprit?

Et quel danger en redoutent ceux qui semblent s'y opposer comme par un réflexe conditionné? "Étudier le cerveau est-il un bon moyen de comprendre l’esprit ?", elle me rappelle cette querelle sur "la non localisation cérébrale" de l'esprit qu'on fait depuis Bergson et jusqu'au P. Gustave Martelet, qui croit sauver l'homme de la spirale évolutionniste en déclarant "l'esprit" immortel, l'esprit au lieu de l'âme, immortel parce que non localisé dans le cerveau, disséminé partout à travers l'étendue d'un corps non spatialisé. "La psychologie est-elle à l’anatomie du cerveau ce que la physiologie est à l’anatomie du corps ?" voilà peut-être une question plus précise et donc plus pertinente. Mais les aptitudes du corps sont aisément descriptibles :"La marche, la respiration, la digestion, la reproduction", qui " sont étroitement liées à des organes distincts". Il en va peut-être différemment des "instances de l'âme" qui, pour les anciens, étaient "la volonté, la mémoire et l'intelligence", mais peuvent aussi comprendre l'instinct, la faculté de percevoir plaisir et douleur à l'origine des "sensations" (condillac) qui  composent nos "affects" (françoise Héritier par exemple, et son étude "corps et affect"), les trois "fonctions" de l'âme étant, selon Platon (les trois fonctions après les trois "instances") la fonction appétive, la fonction sensitive et la fonction intellectuelle. Bref, tout cela pour dire que la controverse sur "la localisation cérébrale" de l'esprit vient d'une relative imprécision, voire d'une certaine indéfinition des "instances" ou des "fonctions" de l'âme en psychologie, qui ne peut pas resserrer son objet aussi précisément que l'anatomie peut expliquer la physiologie, car l'anatomie a des organes à sa disposition, tandis que la psychologie n'a que des "opérations" de l'esprit ou de l'âme. Quant au "procès d'intention" fait à la méthode de Ramachandran de juger des fonctions normales du cerveau d'après les lésions cérébrales, ne pourrait-on pas faire le même reproche à "l'anatomopathologie" de bichat ? Pourquoi ce qui est devenu la base de la méthode scientifique dansun cas serait-il discrédité a priori dans l'autre ? On peut reprocher au critique du PROFESSEUR ramachandran de ne pas faire ce parallèle. Sa réserve se justifierait par ma remarque antérieure. Elle pourrait même être complétée par le fait que, si l'entreprise du professeur ramachandran devait réussir, les "classification" des maladies mentales se réduiraient à des classifications cérébrales. Or le corps est un tout. C'est ce que nous ont montré toutes les approches anciennes, depuis la médecine chinoise jusqu'à l'approche hollistique musulmane ou chrétienne, l'Evangile de Saint-Jean allant jusqu'à dire que, si on prend un bain de pied, cela suffit à laver tout le corps. Cette remarque prouve surtout que, quand "le corps somatise", il transforme des "affects" en "affections", en maladies mentales ou en lésions cérébrales. Il ne manque, ni de psychanalystes, ni de médecins à l'approche holistique, pour expliquer que tel symptôme corporel, même grave, peut être un message du corps à la personne qui a ce corps pour enveloppe charnelle. Mais voici le "membre fantôme". un neuropsychiâtre dont je tairai le nom me disait qu'un de ses amis américains poursuivait des recherches où il lui apparaissait possible de faire repousser un membre amputé à l'aide de stimulations électro-magnétiques. A prendre avec toutes les réserves qui s'imposent, car la fascination du magnétisme existe depuis le baquet de Messmer, et ses liens avec l'électricité ont permis à nombre de magnétiseurs ou à de prétendus "oftalmologues miracle" de faire croire qu'on pouvait faire recouvrer la vue en restimulant électriquement l'oeil (cf à cet égard le récit que fait Jean Meyer d'une visite à l'un d'entre eux dans ses "Mémoires de l'ombre"). "la vision aveugle" existe. Ma compagne, ayant perdu la vue tardivement, me parle souvent de "la lumière du cerveau". et Jacques Lusseyran parlant d'amour et de l'effet que produisaient sur lui les femmes après qu'il eut perdu la vue disait que son imagination visuelle était tellement intacte que, s'il avait pu toucher chacune des femmes qu'il rencontraient, l'image qu'il s'en serait faite en aurait été décuplée, car il avait un oeil au bout de chaque doigt. "La métaphore est sans doute le fondement de la créativité" comme l'analogie est le meilleur appui des philosophes. Beaucoup d'écrivains souffrent de "troubles dissociatifs", qui, si on les traitait, rendrait infirme ou réduirait leur aptitude au fantastique. C'est la rançon de la psychiâtrisation et de la clinicisation des psychoses, insupportables à vivre comme les affres de la création, qui réduit l'essentiel de notre création littéraire à de l'autofiction, sorte d'exposition lyrique du trauma, avec une condamnation exclamative de celui qui l'afait naître, condamnation "sans jugement de valeur", "toutes choses étant égales par ailleurs… L'analyse que fait Ramachandran des "neurones miroir" réhabilite la sympathie qui est à l'origine de l'imitation, et le désir de comprendre ce que l'autre pense, dont "la mimésis d'appropriation", qui débouche sur "la rivalité mimétique", n'est qu'un effet dérivé, dont le dépassement est à l'origine de la culture et de la civilisation selon rené girard, le monde ne pouvant se résorber que par la consommation du "Malaise dans la civilisation" et par l'impossible renoncement à "la violence". Je préfère l'explication plus simple de ramachandran, d'une civilisation rassemblée par la capacité à emmagasiner l'expérience transmise par imitation de plusieurs générations. Pour autant, il demeure vrai que l'"effet miroir" devient fasciné par ce qu'il imite. Et je n'ai jamais pu m'empêcher de déduire de la parenté des mots "fascisme" et "fascination" que le fascisme, avant d'être une coalition d'identités vengeresses voulant se poser en "race des seigneurs", naissait de "la fascination" qu'on a pour le leader ou pour le chef. Je ne m'aventurerai pas à analyser les causes de l'autisme ni la naissance du langage. Mais je constate en revanche que la conscience naît du langage. La preuve, c'est que presque personne n'a de souvenir de sa prime enfance, ce temps où il ne parlait pas. Plus encore, personne ne se souvientd'être né ni de sa naissance, d'où on pourrait être amené à en tirer cette conclusion philosophique "merveilleuse" que l'homme n'a d'innée que la notion de l'éternité, il n'a pas la notion du temps. Cela entre en contradiction directe avec tous ces signes de satisfaction que guettent les parents chez leur nourrisson, dont le couronnement est le premier sourire. Le consensus neurologique ne conclut pas aussi affirmativement que moi que l'enfant est inconscient puisqu'il ne parle pas. Les neurologues pensent en générale que l'enfant n'a qu'une "conscience simultanée" du moment qu'il est en train de vivre, le langage ne lui permettant que de corréler ce moment avec les précédents et avec les suivants. Ce qui naît avec le langage (à défaut de pouvoir me prononcer sur la naissance du langage), c'est la mémoire et, avec la mémoire, la peur de l'avenir, qui permet de choisir les expériences qu'on veut faire en fonction de celles qu'on a faites et qui n'ont pas été concluantes, puisqu'elles ont provoqué en nous des "sensations" de "douleur". Or, dans le flou des "instances psychologiques" qui rend si difficiles "les localisations cérébrales", il est tout à fait possible que la conscience se confonde avec la mémoire et l'inconscient avec l'oubli. L'inconscient est peut-être le nom trop savant dont freud a affublé l'oubli. Quant à "la notion de l'éternité" que rudolf steiner appelait "principe d'innatalité" en affirmant qu'il précédait la croyance en l'immortalité de l'âme, dont Platon ne niait pas qu'elle naissait de la réminiscence, la nostalgie comme "douleur du retour" nimbant l'affectivité humaine d'un sentiment de "venir de loin", elle (cette notion de l'éternité), ou il, (ce " principe d'innatalité") pourrait très bien s'expliquer, dans une optique matérialiste, par le fait que l'enfant, en prenant conscience, a le sentiment d'avoir acquis une mémoire sans fond, du fait que, tout à la fois, sa conscience se saisit des moments que, seulement simultanée, elle ne pouvait connecter ; mais cette connexion étant faite demeure floue, parce que les événements ressaisis n'ont pas été bornés par un langage qui leur ont été assigné. Et ce flou, ce manque d'assignation, donne à l'enfant cette impression ou cette illusion d'un océan sans fond, serait à l'origine du "sentiment océanique". "L'effet boubakiki" n'est pas une réponse plus "osée" sur l'évolution du langage que les supputations de Rousseau sur "l'origine des langues". Quant au sentiment esthétique, n'est-il un équivalent émotionnel que dans les phases primitives de l'évolution de l'espèce ? En quoi Eros, qui transcende sa muse, a-t-il dépassé le stade de l'émotion ? "La critique est aisée, mais l'art est difficile", et je suis en admiration devant la libéralité profuse en hypothèses intelligentes et devant l'"exubérance théorique" du professeur Ramachandran, qui met la neurologie en sympathie humaine avec la finalité, et réconcilie opportunément l'optique matérialiste et l'idéalisme spiritualiste, qui ne sont incompatibles que par l'étroitesse d'esprit de ceux qui voudraient s'élargir du corps pour en disserter à loisir, quitte à en dire n'importe quoi.

Ramachambran et "le mystère du cerveau humain"

Article très intéressant, pour la thèse qu'il expose, la critique l'est moins, tout comme ma réponse à suivre, mais "l'exubérance théorique" de ce chercheur est stupéfiante. Le mystère du cerveau humain Membres fantômes, vision aveugle, autisme… Les lésions du cerveau en révèlent le fonctionnement. Pour Vilayamur Ramachandran, l’anatomie permet ou permettra d’expliquer ce qui nous fait hommes : le langage, la conscience de soi, la créativité, la culture, et jusqu’au sens esthétique. Mais à trop vouloir démontrer… Le Livre Le cerveau révélateur par Vilayamur Ramachandran Étudier le cerveau est-il un bon moyen de comprendre l’esprit ? La psychologie est-elle à l’anatomie du cerveau ce que la physiologie est à l’anatomie du corps ? La marche, la respiration, la digestion, la reproduction sont en effet étroitement liées à des organes distincts ; il serait mal avisé d’étudier ces fonctions indépendamment de l’anatomie. Pour comprendre la marche, il faut regarder ce que font les jambes. Pour comprendre la pensée, faut-il, de même, regarder les parties du cerveau impliquées ? V. S. Ramachandran, directeur du Centre du cerveau et de la cognition de l’université de Californie, à San Diego, répond oui sans hésiter. Son travail consiste à scruter la morphologie du cerveau pour tenter de saisir les processus de l’esprit. Il reprend ainsi à son compte la formule de Freud « l’anatomie, c’est le destin », à ceci près qu’il a en tête la morphologie du cerveau, pas celle du reste du corps. On perçoit d’emblée la difficulté de cette approche : la relation est loin d’être en l’espèce aussi claire que pour le corps. On ne peut se contenter d’observer ce qui fait quoi. Bien que dépourvu d’os et formé de tissus relativement homogènes, le cerveau a bien une anatomie. Mais comment se projette-t-elle dans les fonctions psychiques ? Existe-t-il des aires dédiées à des facultés mentales spécifiques ou bien le lien est-il plus diffus, de nature « holistique » ? Le consensus actuel décrit une forte spécialisation de l’anatomie cérébrale – jusqu’à la perception fine de la couleur, de la forme, du mouvement –, mais aussi une marge de plasticité. La façon dont un neurologue comme Ramachandran explore le lien entre le morphologique et le psychologique consiste surtout à examiner des cas pathologiques : des patients ayant des lésions dues à une attaque, un traumatisme, une anomalie génétique, etc. Si la lésion d’une aire A entraîne la perte de la fonction F, alors A est (ou est probablement) la base anatomique de F. La méthode consiste à chercher à saisir le fonctionnement normal de l’esprit en examinant le cerveau anormal (1). Comme si nous nous efforcions de comprendre un système politique en analysant la corruption et l’incompétence – une façon de faire un peu oblique, peut-être, mais pas inconcevable. La méthode se juge au résultat. Ramachandran aborde un nombre considérable de syndromes et de problématiques dans son livre. L’écriture est généralement limpide, pleine de charme ; le texte est dense, mais avec ce qu’il faut d’humour pour alléger les exposés théoriques. Chercheur inventif et infatigable, Ramachandran est une figure de premier plan dans sa discipline. Dans le genre, c’est le meilleur livre que j’ai lu, pour sa rigueur scientifique, son intérêt et sa clarté – même si certains passages seront jugés ardus par un non initié. Il commence par le membre fantôme, la sensation qu’un membre amputé ou manquant reste attaché au corps. Sans égard pour la victime, il peut choisir de se mettre dans une position douloureuse. Le médecin touche le patient en différents endroits, déclenchant des réactions normales ; puis il touche son visage, éveille des sensations dans sa main fantôme, et peut retrouver la carte complète de ce membre absent sur le visage. Pourquoi ? Parce que, dans la strate du cortex appelée gyrus postcentral, les aires qui gèrent les influx nerveux en provenance de la main et du visage sont mitoyennes. Si celle-ci est amputée, une sorte d’activation croisée se produit et les signaux venus du visage envahissent l’aire destinée à cartographier la main. L’illusion de Capgras Où l’on voit un accident de l’anatomie se refléter dans une association de nature psychologique ; si l’aire de la main dans le cerveau avait été proche de celle du pied, chatouiller le pied aurait pu provoquer une démangeaison de la main fantôme. Chez un autre patient, l’amputation d’un pied lui fait ressentir dans son pied fantôme des sensations propres à son pénis – jusqu’à l’orgasme. Ramachandran a mis au point une méthode permettant aux patients de bouger leur bras fantôme paralysé. Un miroir donne la sensation de voir le membre absent en reflétant l’autre bras. Le cerveau croit que le bras est toujours là et permet au patient d’en reprendre le contrôle. Le miroir permet même parfois au patient d’amputer son membre fantôme, et de ne plus souffrir de l’illusion de le posséder. Le chapitre sur la vue aborde des sujets comme la vision aveugle (2) ou l’illusion de Capgras, dans laquelle un ami ou un proche est perçu comme un imposteur. Dans la première pathologie, un patient apparemment aveugle peut avoir une perception visuelle exacte, preuve que l’information continue de parvenir quelque part dans le cerveau abîmé. Pour Ramachandran, cela montre que la vision dépend de deux trajets nerveux, qui fonctionnent indépendamment. Le « nouveau » (du point de vue de l’histoire de l’évolution) trajet, qui passe par les yeux, est détruit, et avec lui la conscience de voir, mais le « vieil » itinéraire est intact et transmet inconsciemment l’information. Le patient se considère aveugle, mais continue d’enregistrer des données optiques. L’anatomie de la vision comporte une surprenante dualité dont la plupart d’entre nous ne sommes jamais conscients. Dans le rare syndrome de Capgras, la personne se convainc qu’un proche est un imposteur ; que sa propre mère, par exemple, est en réalité une jumelle qui a pris sa place. Le patient n’a pas de problème de vue, il perçoit parfaitement sa mère mais est persuadé que ce n’est pas elle. Ramachandran explique cette curiosité par l’absence de connexion nerveuse entre la partie du cerveau qui reconnaît les visages et les noyaux amygdaliens, qui traitent la réponse émotionnelle (3). Comme la personne perçue ne déclenche pas de réaction affective, elle ne peut être la vraie mère, et le cerveau fabrique l’idée que c’est un imposteur. L’explication du syndrome est donc anatomique et non psychologique. Nous passons ensuite au phénomène de la synesthésie, dont Ramachandran apporte d’abord la preuve qu’il est bien réel. Dans cette pathologie, stimuler un type de perception en stimule un autre : un son, par exemple, ou même un nombre, fait apparaître une couleur. Il montre que les chiffres se regroupent en fonction de la couleur que chacun d’eux évoque. Comment expliquer le phénomène ? C’est à nouveau affaire de proximité anatomique. Un important centre de traitement des couleurs, V4, situé dans les lobes temporaux, jouxte une aire dédiée au traitement des nombres. La synesthésie naît donc d’un croisement inhabituel entre les neurones des deux aires. On peut même s’étonner que ce type de phénomène ne se produise pas plus souvent ici ou là dans le cerveau, car un potentiel électrique pourrait aisément passer d’une aire à une autre s’il n’existait quelque frein. De manière plus spéculative, Ramachandran réfléchit au lien entre la synesthésie et créativité. Il conjecture que la métaphore est peut-être le fondement de la créativité. De fait, la synesthésie est fréquente chez les artistes. Nabokov se souvient qu’enfant il associait le chiffre 5 à la couleur rouge. Dans une phrase bien représentative de son style, Ramachandran écrit : « La meilleure façon de penser la synesthésie est d’y voir un exemple d’interactions transmodales subpathologiques pouvant être une signature ou un marqueur de la créativité. » Cela le conduit à faire l’hypothèse que le mécanisme fondamental de la synesthésie pourrait exister chez les non-synesthètes, en raison de ce qu’il appelle l’« abstraction transmodale ». Si on présente à un groupe de personnes deux formes, l’une arrondie et l’autre avec des arêtes, et si on leur demande laquelle s’appelle « bouba » et laquelle « kiki », la majorité donne le nom « bouba » à la forme arrondie et le nom « kiki » à la figure comportant des arêtes. Comme si une relation abstraite unissait ce qu’on voit à ce qu’on entend. Ramachandran suggère que c’est dû au mouvement de la langue, qui s’arrondit pour faire « bouba ». Cet « effet bouba-kiki » contribue, pense-t-il, à expliquer l’évolution du langage, des métaphores et de la pensée abstraite. Dans un chapitre hardiment intitulé « Les neurones qui ont modelé la civilisation », il attribue une remarquable puissance créatrice aux fameux « neurones miroirs » : découverts dans les années 1990, ils génèrent le mécanisme de l’imitation, en raison de leur faculté d’être excités par l’effet de la sympathie et donc d’affecter la conscience, quand on voit quelqu’un faire quelque chose. Certains sont stimulés aussi bien quand on observe une action chez autrui et quand on effectue soi-même cette action. Ce phénomène est censé montrer que le cerveau produit automatiquement une représentation du « point de vue » de l’autre : par le biais des neurones miroirs, il engendre une simulation interne de l’action projetée par l’autre (4). Constatant que notre espèce est particulièrement douée pour l’imitation, Ramachandran suggère que les neurones miroirs nous permettent d’absorber la culture des générations précédentes : « La culture est faite de gigantesques assemblages de savoir-faire et de connaissances complexes qui sont transmis d’un individu à l’autre par deux principaux moyens, le langage et l’imitation. Nous ne serions rien sans notre savante faculté d’imiter autrui. » Les neurones miroirs agissent comme les mouvements de sympathie qui se produisent quand on voit quelqu’un effectuer une tâche difficile – ainsi le bras se balance légèrement quand on voit un joueur frapper la balle avec une batte. Pour Ramachandran, cette activité neuronale spécifique est la clé pour comprendre le progrès de la culture. En rendant possible la prononciation de sons par imitation, les neurones miroirs ont permis l’évolution du langage. Selon lui, nous avons besoin de mécanismes inhibiteurs pour garder le contrôle de nos neurones miroirs, faute de quoi nous serions en danger de faire tout ce que nous voyons faire et de perdre tout sens de notre identité. De fait, l’hyperactivité de nos neurones miroirs fait que nous sommes sans cesse, à un niveau inconscient, en train de nous approprier l’identité d’autrui. Ramachandran voit un lien entre l’effet bouba-kiki et les neurones miroirs, car les deux impliquent l’exploitation d’une cartographie abstraite – en croisant les modalités sensorielles dans le premier cas, en passant de la perception à l’activité motrice dans le second. Les origines du langage Ramachandran voit dans l’autisme une défaillance du système des neurones miroirs : la difficulté à jouer, à converser et l’absence d’empathie caractéristiques de cette maladie viennent, soutient-il, d’une déficience cérébrale dans la réaction à autrui. L’enfant autiste ne peut pas adopter le point de vue de l’autre, il ne parvient pas à bien faire la distinction entre soi et l’autre, précisément ce que les neurones miroirs rendent possible. Ramachandran voit une confirmation de sa théorie dans l’absence d’« inhibition des ondes mu (5) ». Chez les personnes normales, les ondes cérébrales dites « mu » sont inhibées chaque fois que la personne fait un mouvement volontaire ou observe une autre personne faire le même mouvement. Chez les autistes, l’inhibition se produit seulement lors du geste volontaire, pas quand le malade observe quelqu’un d’autre. La signature cérébrale de l’empathie est donc absente chez l’autiste. La pathologie résulte donc d’un dysfonctionnement anatomiquement identifiable – des neurones miroirs inactifs. Ramachandran fait aussi l’hypothèse que les particularités affectives des autistes pourraient être causées par une perturbation du lien entre les cortex sensoriels, d’une part, et les noyaux amygdaliens et le système limbique, impliqués dans les émotions, d’autre part. Les voies neuronales entre les deux seraient bloquées ou modifiées, déréglant le schéma habituel de réactivité émotionnelle aux stimuli. Des stimuli que l’œil humain juge d’ordinaire sans intérêt se chargeraient d’affectivité. Là encore, l’anatomie est reine, pas la psychologie (et l’autisme n’a rien à voir avec le comportement des parents ou un conflit freudien). Que nous dit la structure du cerveau à propos du langage ? Ramachandran évoque l’aire de Broca, responsable de la syntaxe, celle de Wernicke, responsable de la sémantique, différents types d’aphasie, la question de savoir si nous sommes la seule espèce dotée d’un langage, l’opposition entre nature et culture et la relation entre langage et pensée. Après quoi il se penche sur l’épineux problème des origines : comment le langage a-t-il évolué ? Il a la réponse, pour le moins osée : c’est bouba-kiki ! Pour comprendre comment un lexique a pu surgir du néant, l’abstraction transmodale est la clé. L’expérience bouba-kiki « montre clairement qu’il existe une correspondance intrinsèque, non arbitraire, entre la forme visuelle d’un objet et le son (ou du moins le type de son) qui peut lui servir de “partenaire”. Ce biais préexistant peut être tout à fait réel. Il a pu être très modeste au début, mais cela a suffi pour permettre au processus de s’enclencher ». Selon ce point de vue, les premiers mots se sont fondés sur une similitude abstraite entre un objet visuellement perçu et un son produit intentionnellement – nous nommons les choses à l’aide de sons qui ressemblent à ce qu’ils désignent, abstraitement parlant. Ramachandran introduit le terme « synkinésie » pour désigner des ressemblances théoriques entre différents types de mouvement : couper avec des ciseaux et fermer les mâchoires, par exemple. L’idée est que la parole exploite des similitudes non seulement entre sons et objets mais aussi entre des mouvements de la bouche et d’autres mouvements du corps. Le geste de la main signifiant « viens ici », la paume vers le ciel et les doigts incurvés vers soi, serait lié aux mouvements de la langue au moment où le mot « ici » est prononcé. Telle serait l’origine du vocabulaire. Ramachandran suggère de rechercher l’origine de la syntaxe dans l’usage des outils, en particulier dans « la technique du sous-assemblage qui sert à leur fabrication », par exemple fixer une tête de hache à un manche en bois. Cette structure physique composite est comparée à la composition syntaxique d’une phrase. Ainsi, l’usage des outils, bouba-kiki, la synkinésie et la pensée, tout cela se combine pour rendre le langage possible – sans oublier les neurones miroirs, omniprésents. Tout comme l’audition fine est née du masticage dans la structure de la mâchoire reptilienne, des os sélectionnés par l’évolution pour mordre ayant été récupérés par l’oreille (les évolutionnistes parlent d’« exaption »), le langage humain est né de structures et de facultés prélinguistiques, il s’est construit sur des traits sélectionnés par l’évolution pour d’autres raisons. Le saut vers le langage n’a donc pas été abrupt, il est le résultat d’une longue médiation. Non content d’expliquer l’origine du langage, Ramachandran s’attaque à l’évolution du sens esthétique (6). Il aspire à une science de l’art. Énonçant neuf « universaux artistiques », il avance ce qu’il admet être une conception « réductionniste » du phénomène, cherchant à établir les lois cérébrales de la réaction esthétique. Le paon, l’abeille ou l’oiseau jardinier est doté d’une réaction esthétique rudimentaire, et nous ne sommes pas si différents, suggère-t-il. Nous aimons reconnaître une forme dans le désordre, des associations de couleurs, par exemple, et sommes sensibles aux représentations exagérées de la réalité, comme les caricatures ou les images non réalistes des artistes, comme la Vénus paléolithique de Willendorf (7). Ces penchants résultent de notre lointain passé dans les arbres : il nous fallait distinguer les lions à travers les feuilles. Notre goût pour l’art abstrait se compare à l’attirance des mouettes pour tout ce qui présente un gros point rouge, due au fait que toute maman mouette en a un sur le bec. « Je suggère que c’est exactement ce que font les amateurs d’art quand ils regardent ou achètent une œuvre abstraite : ils se comportent comme les bébés mouettes. » À travers cette réflexion allègrement réductrice, Ramachandran ne distingue pas entre le caractère excitant d’un stimulus et sa valeur proprement esthétique ; il considère comme équivalents le pouvoir émotionnel et la qualité esthétique, du moins à un niveau primitif. « Il pourrait s’avérer que ces distinctions ne soient pas aussi étanches qu’elles le paraissent ; qui nierait qu’éros est vital dans l’art ? Ou que l’esprit créateur d’un artiste tire souvent son inspiration d’une muse ? » En d’autres termes, il ne voit pas de différence notoire entre la qualité esthétique d’une œuvre et sa capacité à capter l’attention – tout est affaire de gros points rouges et de fesses généreuses (il évoque les sculptures de la déesse indienne Parvati). Les distinctions entre un Titien et un Picasso sont hors champ. « Syndrome du téléphone » Il termine sur un chapitre encore plus spéculatif sur le cerveau et la conscience de soi. Il nous informe de maux étranges, comme le « syndrome du téléphone », dans lequel un homme ne peut reconnaître son père qu’en lui parlant au téléphone. Dans le « syndrome de Cotard », la personne croit qu’elle est morte. Ramachandran nous parle d’individus obsessionnels qui veulent se faire amputer un membre valide (c’est l’« apotemnophilie »). Dans le « syndrome de Fregoli », les autres paraissent n’être qu’une seule et même personne. Dans le « syndrome de la main étrangère », votre propre membre agit contre votre volonté. Ces curiosités sont censées mettre en lumière l’unité du moi, la conscience de soi et même la conscience elle-même. Ramachandran affirme que le syndrome de la main étrangère « met en évidence le rôle important du cortex cingulaire antérieur dans le libre exercice de la volonté ; un problème philosophique se voit transformé en un problème neurologique ». Le cortex cingulaire antérieur, observe-t-il, est un anneau de tissu cortical en forme de C qui « s’allume » dans de nombreuses – presque trop nombreuses – études sur le fonctionnement du cerveau. Que tirer de tout cela ? Ces cas bizarres sont fascinants et nous apprenons beaucoup sur la complexité de la machinerie neuronale qui sous-tend notre quotidien. Il me paraît aussi parfaitement légitime de formuler des hypothèses hardies, même si elles paraissent tirées par les cheveux. Comme le remarque souvent Ramachandran, la science se nourrit de conjectures risquées. Mais, par moments, l’impression d’exubérance théorique domine et le réductionnisme neuronal à tous crins devient fracassant. C’est le cas à mesure que croît l’ambition du livre. Ramachandran tempère souvent ses affirmations les plus extrêmes en assurant ne nous raconter qu’une partie de l’histoire, mais il se laisse clairement emporter, ici ou là, par son enthousiasme neuronal. Par exemple, les neurones miroirs sont une découverte intéressante, mais suffisent-ils à expliquer l’empathie et l’imitation (8) ? C’est bien improbable. Un imitateur professionnel a-t-il plus de neurones miroirs – ou de plus actifs – que vous et moi ? Que faire de la faculté d’analyser l’action d’un autre, et pas seulement de la copier ? D’où vient la souplesse dans la profondeur de l’imitation ? Par ailleurs, le phénomène peut prendre des formes bien différentes, avec divers degrés de sophistication. On ne saurait comparer un mime expérimenté et le bébé qui tire la langue pour singer sa mère. La discussion sur l’art semble relever d’un tout autre sujet : qu’est-ce qui éveille l’attention humaine ? Quelle est la place de l’abstraction dans l’histoire de la peinture ? C’est tout de même plus qu’une affaire de mouettes et de points rouges. Dans le cas du langage, on voit mal comment l’effet bouba-kiki pourrait expliquer des mots qui n’ont rien en commun avec ce qu’ils désignent – ce qui est vrai de la grande majorité d’entre eux. Et comment l’activité des neurones peut-elle rendre compte de l’expérience consciente ? [Lire encadré] Ramachandran ne voit aucune limite au réductionnisme neuronal, mais il glisse sur un immense sujet : la relation entre le corps et l’esprit. Il suggère qu’en identifiant la partie du cerveau impliquée dans la décision volontaire, nous transformons un problème philosophique en un problème neurologique. Mais cette thèse ne peut être formulée que par quelqu’un qui ignore le problème philosophique dont il s’agit : pour aller vite, celui de savoir si le déterminisme exclut conceptuellement la liberté de la volonté. II est impossible de répondre à une telle question en étudiant telle ou telle lésion du cerveau. Apprendre des choses sur les zones impliquées dans la volonté ne nous dit pas comment analyser le concept de liberté ni s’il est possible d’être libre dans un monde déterministe. Ce sont là des problèmes conceptuels, pas des questions sur la forme de la machinerie neuronale qui sous-tend le choix. Une autre thématique présente dans le livre me paraît trop légèrement traitée. Le sous-titre est « Un neuroscientifique à la recherche de ce qui nous rend humains ». Ramachandran se demande avec insistance ce qui fait de l’homme un être « unique », « spécial ». Mais la question est confuse. Si le mot « humain » désigne seulement l’espèce biologique à laquelle nous appartenons, la réponse est dans notre ADN – de la même façon que l’ADN du tigre fait le tigre. L’identité de l’espèce est affaire de génétique. Si nous nous demandons ce qui fait le caractère unique de l’homme, le problème aussi est mal posé. Chaque espèce est unique. Le tigre est aussi uniquement tigre que l’humain est humain. Ramachandran se rapproche de la question qu’il a en tête quand il parle de notre caractère « merveilleusement unique ». Là, il demande ce qui nous rend supérieurs aux autres espèces. Cela suscite chez moi trois commentaires. D’abord, il se risque à un anthropocentrisme pernicieux : d’autres espèces ne nous sont-elles pas supérieures à certains égards (la vitesse, l’agilité, le soin aux petits, la fidélité, le pacifisme, la beauté) ? Que nos talents de mathématiciens nous soient propres ne confère pas à ce trait une valeur transcendante. Il nous faudrait lire un plaidoyer justifiant le fait que ce qui nous est propre a de ce fait même une valeur unique. À la fin, la notion de supériorité d’une espèce a-t-elle un sens ? Ensuite, Ramachandran nous sert une vision embellie de l’espèce humaine. Notre face sombre n’entre pas dans ses calculs. Que dire de notre capacité à être violents, dominateurs, conformistes (encore ces neurones miroirs !), trompeurs, maladroits, dépressifs, cruels, etc. ? Quel est le fondement neuronal de ces caractéristiques ? À moins qu’ils n’échappent de quelque manière à notre câblage cérébral ? Le cerveau humain n’est-il pas aussi un cerveau inférieur ? Enfin, tout ce discours sur le merveilleux et le supérieur n’a rien de scientifique. C’est un discours normatif, qui ne se prête pas à une vérification scientifique. Quand il demande ce qui fait de nous un être spécial, Ramachandran ne procède pas là en scientifique. Il formule des jugements de valeur sur lesquels son expertise est sans incidence. Pourquoi pas ? Mais, alors, il lui faudrait le reconnaître et défendre sa position. Pourquoi la neurologie fascine-t-elle à ce point, plus que la physiologie du corps ? Parce que, je crois, nous sentons que le cerveau est en un sens fondamentalement étranger aux opérations de l’esprit – tandis que nous ne sentons rien d’étranger dans les relations entre les organes et le corps. C’est précisément parce que nous ne nous sommes pas réductibles à notre cerveau qu’il est saisissant de découvrir à quel point notre esprit dépend intimement de lui. Voir que notre âme est liée à la matière, c’est comme découvrir que les chiens font des chats. Cette dépendance de fait nous donne un frisson de vertige : comment l’esprit humain, la conscience, le soi, la liberté, l’émotion et le reste peuvent-ils dépendre d’un vilain assemblage bulbeux de matière spongieuse ? Qu’est-ce que l’excitation d’un neurone peut avoir à faire avec moi ? La neurologie nous passionne à proportion de son étrangeté. Elle offre le même pouvoir de fascination qu’une histoire d’épouvante : le Jekyll-esprit enchaîné à vie au Hyde-cerveau. Tous ces noms au latin exotique qui désignent les aires cérébrales font écho à l’étrangeté et à l’inconfort de notre condition d’êtres conscients dépendants de cet organe : le langage du cerveau n’est pas celui de l’esprit et nous n’avons qu’un fragile manuel de traduction pour établir le lien entre les deux. Il y a quelque chose d’étrange et de dérangeant dans la manière dont le cerveau se mêle de l’esprit, comme si celui-ci avait été infiltré par une forme de vie étrangère. Cette fusion ne cesse de nous stupéfier. Aussi la neurologie n’est-elle jamais ennuyeuse. Cela reste vrai, en dépit du fait que cette science n’a guère dépassé le stade de la description la plus élémentaire. Cet article est paru dans la New York Review of Books le 24 mars 2011. Il a été traduit par Thomas Fourquet.