Pages

vendredi 4 mars 2011

Après tant de rendez-vous manqué de l'universel

(La pensée juive et la philosophie grecque étaient peut-être davantage faites pour se rencontrer que l'hellénisme et le christianisme. La mystique juive et la philosophie grecque nourrissaient en commun le culte de la loi et du concept. Leur rencontre achoppa sur ce que l'Hébreu était une langue à trois mille concepts qui rebondissent à mesure qu'on les soulève et aussi sur ce que la loi grecque ne montrait guère de propension à être écrite. Un homme qu'on pourrait qualifier de "scribe juif des temps modernes" puisqu'il ne veut pas du titre de rabbin, M. Benjamin Duvshani, m'a dit un jour qu'étant donné le poids démographique du peuple juif dans l'empire romain, mieux eût valu que ce fussent les Hébreux au lieu des chrétiens qui eussent fait accéder celui-ciaux grands universaux. Cette remarque me déconcerta d'abord, et je me demandai comment cet accès de la romanité aux universaux ou à l'universalisme aurait pu se faire, étant donné que le judaïsme, tout juridique qu'il est, à l'instar de l'esprit romain, est un territorialisme religieux. Mais, à la réflexion, cela n'était pas de nature à faire problème, et pas seulement parce qu'un peu de nationalisme éloigne de l'universel et que beaucoup de nationalisme en rapproche : les Grecs eux non plus n'étaient pas tellement entichés des "barbares", qui étaient étrangers à ce qu'ils avaient tout de même conscience d'être "la nation grecque", bien que le monde grec se gouvernâ comme un amas de cités dont chacune avait son régime politique et ses loi et qui guerroyait à l'occasion les unes contre les autres. Que les Grecs n'aimassent point les barbares, étrangers à leur culture, n'a pas empêché le Grec de devenir la langue du commerce parlée par tout l'empire romain à l'exclusion du latin qui resta cantonné à la sphère juridique. Est-ce à dire qu'une des limites imparties au désir de s'universaliser d'une nation subjuguée et extrêmement territorialisée, ce territorialisme fût-il religieux dans le cas du judaïsme et le peuple juif voulût-il s'excepter du reste des "nations", soit de n'avoir d'influence que marchande ? Expliquer que la langue grecque d'une part, soit devenue celle du commerce, et que les Juifs d'autre part, aient été réduits à l'usure et assimilé à des financiers, est sans doute commettre un anachronisme historique pour rendre compte du phénomène ultérieur de l'antisémitisme dont il faut bien reconnaître que l'origine en est chrétienne. Le juridisme romain d'une part, qui a abouti à l'extraordinaire codification du droit que l'on sait, et le fait, d'autre part, qu'à la différence de la religion de la Loi que professaient les Grecs, les Juifs avaient inscrit leur Loi dans une lettre et dans une langue, laquelle était sacrée, auraient pu constituer la pierre de touche de la rencontre entre l'universalisme juif dont la religion, quoique d'un monothéisme intransigeant, souffrait bien des accommodements païens dans sa réalité vécue hors la loi, et des rrebonds conceptuels à n'en plus finir d'un côté ; et, de l'autre, la domination romaine qui, quoique s'étendant sur la moitié du monde connu, ne sentait pas avoir touché son but, comme il arrive que tout universalisme politique souffre du complexe de n'être que politique : ainsi, les Etats-Unis d'aujourd'hui veulent-ils importer leur conception de la Démocratie Universelle - la démocratie étant un régime dévolu à de petites cités par les penseurs politiques des Lumières - au monde entier, faute de pouvoir lui proposer une idéologie autre que celle de la réussite et de la gagne ! La domination politique des Etats-Unis d'amérique est sans contenu comme l'était à sa façon l'hégémonie que, progressivement, sut imposer la petite cité romaine à ses conquêtes, d'abord vicinales, puis de plus en plus lointaines. Ainsi Rome était-elle si peu sûre de ses propres coutumes qu'elle tint à respecter celles des provinces qu'elle s'adjoignit, et même elle était si peu sûre de sa langue qu'elle ne sut l'imposer aux contrées qui formaient son empire et qui commerçaient en Grec. L'une des raisons qui auraient pu augmenter la fascination des Romains pour l'Hébreu résidait encore en ceci que la langue même de la Loi avait su se rendre sacrée. Il manquait au latin d'être une langue sacrée, ce qui advint, aut terme du détournement politique qui devait dénaturer l'universalisme chrétien (et qui entretient de nos jours tant de controverses à propos de la messe en latin, langue sacrée de l'Eglise, alors que ce n'était jamais que la langue de l'occupant rendue sacrée pour le flatter, mais il faut dire que les plus grands défenseurs de la messe en latin sont souvent aussi des nostalgiques de l'occupation, ceci expliquant peut-être cela !).

Peut-être le rendez-vous fut-il manqué entre l'hellénisme et le judaïsme parce que leur culte commun de la loi était tout ce qui les rapprochait. Les concepts devaient être aussi fixes dans la pensée grecque que la loi y éprouvait à peine le besoin d'être écrite. Chez les Hébreux au contraire, les concepts étaient mouvants et la loi était fixe. d'autre part, qui n'était pas grec pour les Grecs était barbare et qui n'était pas juif pour les Juifs était grec. La pensée juive avait beau s'être infléchie au contact de la suprématie grecque au point que la traduction des Septantes était devenue le témoignage le plus assuré de l'existence de la Bible hébraïque et que, sous l'influence de l'école d'Alexandrie, une dimension sapientielle avait été introduite dans la chronique prophétique juive, Juifs et Grecs n'en cherchaient pas moins chacun à devenir le pôle d'influence dominant du monde romain, en telle panne de légitimité que la crise devait s'en résoudre dans le culte de la personnalité impériale, seule divinité finalement imposée sous peine de persécution aux nations conquises par une République en déliquescence, qui avait fait de son général en chef celui sur qui reposerait désormais la légitimité du pouvoir, et qui se voyait investi d'une onction sacrale. Ce césarisme ou déposition d'une République entre les mains du chef de son armée devint le mètre étalon de tous les bonapartismes à venir et survécut à travers les âges dans la tendance des constitutions les plus démocratiques à faire, non pas du chef de leur état-major le chef de l'Etat, mais du chef de l'Etat le chef des armées.

Les Grecs se trouvèrent-ils dépités du poids démographique qu'en vinrent à représenter les Juifs, qu'on prétend avoir formés à eux seuls 10 % de la population de l'Empire romain au début de l'ère chrétienne ? Voulurent-ils que leur influence se mît en quête d'un nouvel hameçon pour ne pas diminuer, et se firent-ils "pêcheurs de chrétiens" par calcul, ou ne purent-ils échapper à l'aimantation que ressentait le christianisme pour leur philosophie qu'il prit d'assaut ? Toujours est-il qu'alors que les Juifs et les Grecs auraient pu se rencontrer sur leur culte commun de la loi et des concepts, ce qui rapprocha le christianisme de l'helénisme, au-delà de la nécessité pour le dernier-né d'asseoir sa légitimité sur une philosophie de poids dont l'autorité était consolidée par le poids des ans, tin à leur consensus relatif au désir de fixisme jusqu'à l'éternité des concepts, et à leur commun alittéralisme d'autre part. Le christianisme avait développer une pensée de l'immortalité, d'une vie posthume rétribuant cette vie-ci et donnant de l'ascendant à la sagesse évangélique : les Grecs, qui parlaient de l'immortalité de l'âme, avaient inventé l'éternité. Car ce qui valait pour l'âme ne valait pas pour le cercle des émanations qu'était le monde à la fois pour les présocratiques et pour les néoplatoniciens, étant refermée la parenthèse aristotélicienne d'une conception presque explicitement créationniste, pour laquelle Dieu était "le premier moteur du premier mouvement". Cette dimension de l'éternité manquait-elle au judéochristianisme ? Pas vraiment, puisquune fois qu'il était admis que "Dieu avait créé les ciels et la terre", le récit de la Création ne se prononçait pas s'il se bornait à rapporter la Création de ce monde-ci où il était lu, ou si le géocentrisme, avec l'homme pour intendant, s'étendait à l'échelle de l'univers. Une même incertitude régnant, latente, quant au statut de la Création chez les chrétiens comme chez les Grecs, l'angoisse aporétique s'augmentait d'un double malaise :

- L'aspiration à l'éternité était certes contenue dans la philosophie grecque, mais la religion pleine de dieux de ce peuple bigarré avait beau raconter la naissance du temps et comment, celui-ci mangeant ses enfants, Zeus avait dû l'absorber et prendre le pas, le transformisme exacerbé des dieux grecs effaçait le sérieux requis par une religion qui se mêlait de parler d'éternité et entendait se respecter. Ainsi le jugeait au civil la philosophie, qui avait toutes les peines du monde à ne pas se fâcher de sa religion. Elle dut recourir, pour parer le polythéisme et parler de l'éternité, au concept de l'Un d'où serait émané le monde.

- Du côté chrétien, le discours sur l'immortalité préparait bien les âmes à la Transcendance d'un Dieu sans commencement, mais l'éternité était lésée bien que se trouvant attestée, assurait le kérigme, par la Résurrection du Christ, c'est-à-dire la manière qu'aurait eue le Messie de Dieu et Fils de l'Homme de transcender la mort en perpétuant le Matin qui sortait ainsi inexplicablement du temps cyclique, comme les sept jours de la Création s'ouvraient sur un huitième qui les couronnait sans qu'on sût quoi en faire d'un point de vue calendaire, sinon, sans changer la semaine, de la faire commencer par ce huitième et premier jour en substitution du sabbat par où la spiritualité juive culminait dans le Repos, et de vivre les temps qui séparaient les deux avènements du Christ, le premier où Il était venu s'incarner et le second où Il Reviendrait Juger le monde, comme le Huitième Jour de la Création et "le début des derniers temps". En passant du judaïsme au christianisme, le monothéisme avait quitté la base 10, avec les 9 dieux des Enéades plus le seul Dieu capable de Se les assimiler tous en transcendant la nature, pour la base huit, où la perfection du chiffre 7 retournait à l'unité. On n'était plus dans le :
9+1 comme dans la vision monothéiste antérieure, mais dans le :
7=1, c'est-à-dire dans la perfection revenant à l'unité, dans un parfait retour sur elle-même où 8 serait le chiffre qu'on n'atteindrait jamais, semblable au zéro des ARabes, la rétractation de la perfection culminant cependant, non dans le repos spirituel comme chez les Juifs dont le Dieu exprimait pourtant "LE DEVENIR", mais dans le mouvement perpétuel, atteint paradoxalement par tel excès de fixité que l'homme figurait dans ce système à peu près comme une appoggiature inutile. Le besoin d'éternité se trouvait contrarié, dans l'hellénisme par la préférence donnée à l'immortalité de l'âme à l'imitation de dieux qu'on ne pouvait guère prendre au sérieux, et dans le christianisme parce qu'elle surgissait de manière inopinée et posthume, après la prise de temps qu'avait été la Création, quel que fût l'universalité de son statut : découlant de la Résurrection, l'éternité ramenait à une unité qui, soit était trop factice d'apparaître surcomposée et comme en surplomb, surajoutée, soit se rétractait de telle façon que ce n'était qu'une variante du cyclisme où tout retourne au néant et, ne disons pas au point mort, mais au point Alpha d'où le monde vient sans fin, variante dans laquelle, au surplus, l'omme ne peut jouer aucun rôle réel. Toutefois le christianisme, parce qu'il était ouvertement monothéiste et l'était par hypothèse et non par construction comme la philosophie grecque, qui superposait des monisme à sa mythologie, était-il davantage en mesure de fonder sans médiation l'éternité sur la Transcendance, selon qu'il est de sa nature et même si la Résurrection ne correspondait pas tout à fait à la Vision d'un dieu sans Commencement qui eût de toute manière échappé à la vision parce que trop Eblouissant : la Résurrection y répondait tout de même comme Son Epiphanie, à défaut d'être Son Essence.

En habillant, en faisant habiter l'éternité, le christianisme avait rempli un vide dont souffrait cruellement l'immortalité de l'âme grecque, il était juste qu'à son tour, il fît un emprunt à celle-ci. L'alittéralisme grec et chrétien n'étaient pas au même degré viscéraux : LE CHRISTIANISME ETAIT UN ILLEGALISME alors que l'hellénisme était un légalisme illettré. Sans compter que, si peu lettré que fût le légalisme hellène, il n'en était pas moins imbu de sa langue, et le lettrisme grec était plus parlier, plus disert, beaucoup moins ramassé que l'illettrisme évangélique, Religion du verbe et "enseignement de rue", comme a pu l'appeler Régice Debray (in "DIEU, UN ITINERAIRE, éd. Odile Jacob, 2001). Le lettrisme grec n'explique pas son aversion pour la légalité littéraire, sinon peut-être que celle-ci est tout de même moins absolue que nous le posons là : les cités avaient eu leurs législateurs qui ont écrit ; d'autre part, il se peut que la loi grecque ait eu ce trait commun avec la Foi chrétienne que ses us et coutumes aient été si profondément ancrées dans les coeurs que point ne fût besoin de s'en livrer à de fastidieuses transcriptions, ni sur elle à de longues et pénibles exégèses casuistiques, mieux valant s'intéresser à ce qui en était à l'origine, étude qui, celle-là, à cause de la prédominance de la figure socratique, mais plus encore de la manière d'enseigner à l'académie comme au lycée, en dialoguant ou en marchant, n'avait aucune prédilection pour la chose écrite, du moins en théorie. Si Jésus n'a jamais rien écrit que sur le sable, ce qui est peut-être la plus belle manière de s'enfoncer dans l'écriture, Socrate avoue s'être essayé à quelques vers de mauvaise facture. Dans la bouche de Socrate, on met une infinité de paroles, le corpus socratique ne se déclarant pas apocryphe en principe, contrairement à la tendance chrétienne à canoniser parcimonieusement les Evangiles : le recours aux lettres n'est jamais loin pour exprimer ce qu'est le Verbe.

"Le Verbe", le Logos, voilà le terme dont le christianisme manquait pour imprimer la divinité du Christ d'une manière plus marquante que dans l'affirmation que Jésus Etait le Fils de Dieu, ce qui introduit et transfère le processus de filiation jusque dans la divinité même et va se révéler bientôt problématique, tant par l'extension du chiffre de Dieu Qui en résultera que par la procession divine : que signifie une affirmation comme celle du symbole de Nicée que "le Fils de Dieu est Engendré, non pas créé" ? Et l'Esprit-Saint, procède-t-Il du Père ou du Père et du Fils (cf la querelle du "filioque", à la base principale, avec la déposition par le pape Nicolas Ier du patriarche de Constantinople rétabli dans ses fonctions par son successeurs, du chisme entre orthodoxes et catholiques) ? Le Verbe : l'illettrisme illégaliste chrétien va se saisir de ce mot pour désigner le Christ comme le Sens et la Raison des choses. Sa Vie ne va plus être un chemin, mais le Chemin. La condition humaine ne va plus tant être résumée dans la Sagesse du Christ que s'accomplir dans Son sacrifice. Saint-Jean avait essquissé ce rapprochement, de Jésus au Verbe "Qui était auprès de Dieu" et Etait "la Vie" quand "la Vie Etait la la Lumière des hommes", Saint-Augustin va le systématiser en revenant à l'expression du monothéisme ancienne manière, par un retour au 9+1 du passage par les Eneades : sous sa plume, le Christ va devenir "le Verbe coéternel au Père", c'est-à-dire émanant directement de l'Un.

saint-Augustin va chercher un point d'appui dans le système plotinien des "ENEADES" pour soutenir que LE CHRIST EST LE Sens et le Principe de la Création, sans se douter que le point d'appui qu'il a trouvé aurait tendance à faire imploser la doctrine créationniste qu'il veut imposer, d'un Dieu Unique transférant par amour ses pouvoirs à Son verbe-fils, avec Lequel Il vit en Union Etroite et Parfaite. A la "théologie des avatars" ou "doctrine de la Création par émanation" s'atomisant et dégénérant dans la matière, Saint-Augustin pourra certes emprunter les hypostases par lesquelles Dieu pourra S'expanser comme trinité, mais la connaissance de la réalité divine et la divinisation de l'homme par l'acquisition de pouvoirs suprahumains sont les buts humains de la doctrine à laquelle Saint-Augustin, également promoteur de la notion de péché originel, fait ses emprunts. Or le péché originel serait venu, d'après le récit de la genèse, de la volonté humaine de connaître et de devenir Dieu à la dérobée. Cette dérobade originelle fait vivre désormais l'homme dans la suspicion de toute théologie ou appropriation de pouvoirs innés ou acquis, reçus par dons ou par techniques, appropriation suspecte en laquelle consiste précisément la gnose où le christianisme vient puiser sa méditation sur le verbe. Le christianisme contraignant la religion à l'exotérisme, la gnose l'accusera de vouloir mettre Dieu au secret. Chemin faisant, le christianisme hypostatique aura retrouvé les voies d'un monothéisme élargi, voire il aura dérivé vers le recouvrement réel ou supposé d'un peu de polythéisme thellurique et spirituel. Il aura baptisé les solstices. Les qualités de la nature s'immiceront dans la Grâce qui n'y sera plus superposée comme une contre-nature, comme une antimatière. Il réussira la mue du paranormal en surnaturel. Cela lui fera prêter le flan à se faire accuser d'idolâtrie par les prédécesseurs juifs ou les successeurs musulmans, et en particulier de vouloir attenter à l'Unité Divine en plaçant Dieu sous condition d'engendrement pour finir par livrer Son fils au sacrifice dont Il avait retenu le bras d'Abraham. Les autres "enfants d'abraham" ne peuvent laisser passer le Sacrifice du Christ qu'ils ressentent comme une impiété ; et, s'ils prenaient pour Parole d'Evangile ce qui se trouve écrit dans le Nouveau Testament, ils croiraient s'écrier avec les pierres en vociférant :
"Malheur à celui par qui le scandale arrive !"

L'autre source de malentendu qui sortira de ce recours à la gnose et qui ne montrera sa nocivité qu'avec Darwin comme une bombe à retardement d'hérésie, tient au fait que les Pères de l'Eglise n'aient rien trouvé de mieux, pour établir la Création du monde par le Verbe au terme d'un dessein divin transcendant qui élève l'homme, que d'emprunter à des écoles de pensée pour qui la Création est une dégénérescence qui aboutit à une perte d'énergie et d'unité ; n'est le fruit que de l'"expire divin" s'agglomérant en une matière primitivement polluée d'être pesante ; enfin ne saurait émaner d'un Projet à finalité Bienfaisante et Bienveillante quand les éléments qui forment l'atmosphère de la biosphère ne sortent manifestement pas du chaos pour être ramenés vers le haut, mais ne font qu'émaner des gradations-dégradations des divers cycles de l'Immanence. Après le contresens sur la Connaissance de Dieu par dérobade, mauvaise ou bonne selon que l'on se place du point de vue de l'école empruntée d'être emprunteuse ou de celle à qui l'on emprunte, un nouveau contresens est commis, qui porte moins à conséquence sur le moment, mais qui est en réalité beaucoup plus grave, et qui porte sur la nature et la qualification de la Création, cette fois bonne pour le christianisme emprunteur, et mauvaise pour la gnose à qui on emprunte. Le christianisme accusera le judaïsme d'être usurier, mais rejettera son frère aîné dans les "ténèbres extérieures" tout comme, pour ne pas rendre à qui il doit, il condamnera la gnose avant d'être rattrapé par elle à travers la théorie du big bong ou l'émergence du "nouvel âge" qui est une réorientation-orientalisation de sa spiritualité. Quant à la théorie du "big bong", hypothèse scientifique qui n'échappera pas à vouloir s'imposer comme vérité dans la roue de l'optimisme évolutionniste qui avait commencé par se donner pour une hypothèse, cette pensée de la croissance a elle-même oublié d'où elle vient participera par conséquent au contresens, n'ayant garde d'être créationniste à sa façon puisqu'elle n'en aura que pour l'expansion à l'infini de l'univers sans faire la part de ses "expires", et qu'elle sera omnubilée par "la génération" (sous-entendue spontanée), au mépris le plus intact de la corruption - mais qu'est-ce qui pourrait bien s'user dans le miracle permanent de la vie -. Là où la génération spontanée, s'affranchissant de tout vocable créationniste, a peut-être trouvé une expression plus adéquate de ce que veut être toute création en entrant dans la chaîne de la vie et souhaitant être déliée de ses contraintes caténaires, c'est que toute Création aspire à être libre derrière la "spontanéité" de sa "génération (qui est le contraire de la dégénérescence), libre, c'est-à-dire étymologiquement franche (LA VERITE NE VEUT PAS RENDRE LIBRE, MAIS ETRE FRANCHE) et franche de toute dette ou créance : la dette freudienne, la Schuld, celle qui nourrit "le sentiment de culpabilité", la dette qui devient synonyme de créance, l'ancien mot pour dire la croyance ou la crédulité. La Création veut être libre de toute créance ou lecture crédule imposée du monde qui lui est donné. Elle aspire à être inspirée et à devenir inspiratrice, comme cela ne peut suffire au génie d'être déterminé s'il n'est aussi déterminant. En fin de compte, ce qu'il y a de merveilleux au sens propre dans toute religion, même déguisée en science, c'est qu'elle ne peut jamais renoncer à croire au miracle. Celui-ci a beau être l'exception à la règle scientifique, l'accident du miracle n'en est pas moins le fin mot de l'histoire DE L'EVOLUTION DES ESPECES, pour ne considérer seulement que cette dernière hypothèse.

Que conclure de tant de rendez-vous manqués à travers l'histoire et d'autant d'autres, examinés à la dérive de cette note infrapaginale interminable, qui auraient mieux fait de ne pas avoir lieu, mais que la Providence a organisés ou permis, si c'est bien la Providence, Nom emphatique de Dieu à Qui la féminisation fait ici comme un vilain pied de nez, fichue tabagie ! Qui est la Maîtresse de l'histoire et des tribulations humaines dont la marée des peuples semble aller et venir comme pour empêcher l'Homme d'advenir, quelque désir d'universel qui puisse hanter l'humanité ?

Le judaïsme n'a pas réussi à universaliser l'Empire romain, il en errera. Le monde romain s'est laissé prendre empire par l'hellénochristianisme, il en mourra, non sans que le latin y trouve son rang de langue sacrée. L'hellénisme et le christianisme se seront prêtés main forte : dans le christianisme, le monde grec aura trouvé sa revanche politique. L'emprise grecque ne renaîtra jamais de ses cendres géographiques, mais l'Empire qui l'avait subjugué ne s'en remettra pas. Seulement cette revanche aura la saveur d'une vengeance trop ardente pour n'être pas perdue : la langue grecque n'y survivra pas, la philosophie conaîtra une longue éclipse avant de renaître pour ce qu'elle était au Moyen Age, mais en ayant oublié le territoire qui lui avait donné naissance. Philosophes de seconde main, notre ingratitude est de barbarie géographique à l'égard du berceau grec de nos méditations tandis que, sur ce point territorial, le peuple juif, berceau de nos croyances et prières, ne sera jamais errant de mémoire au point de ne plus savoir d'où il vient :
"Si je t'oublie, Jérusalem... !"
Il retrouvera sa terre, la Grèce achèvera de se faire manger la sienne, non par le robuste appétit du vorace Alexandre, mais par l'estomac sans vigueur d'une Europe où elle compte si peu que la Turqui peut lui chiper Chypre sans que cela en fasse un cassus beli contre l'entrée de la Turquie dans cette Europe de la paix, dont une des nations membres peut se faire grignoter par une candidate, sans que l'Union pacifique ne cesse immédiatement les négociations avec la grignoteuse.

Pour réussir son retour en politique, l'hellénisme aura dû détourner l'universalisme chrétien, son catholicisme si l'on veut (le rapprochement vaut ce qu'il vaut) pour en faire une orthodoxie gouvernable à la baguette et au sceptre royal, féodal et patriarcal : ce sera une première dénaturation de cette religion. Le christianisme se proposait comme un contre-monde indifférent au pouvoir, le voici "aux affaires de ce monde" et dans les sphères du pouvoir, il aura beaucoup de mal à s'épurer des péchés qu'on commet toujours à régner, la main trop près de la caisse. Tout compte fait, l'universalisme juif s'est révélé mieux fait pour la politique que l'a jamais été le christianisme qui, en matière politique, n'a donné naissance qu'à une civilisation, la chrétienté, circonscrite sur une ère géographique déterminée, l'Europe, puis l'Occident après la découverte et la conquête du Nouveau Monde. Le christianisme a été détourné de l'Orient d'où il venait pour être promue simple civilisation, certes parmi les plus brillantes, mais mortellement politique comme aurait dit l'autre Valéry (qui n'était pas Giscard d'Estaing), là où la vocation universelle du messianisme juif a influencé, après le pseudodéfunt marxisme dont un quart de l'humanité répandue au pays du Tao flotte encore dans une des stagnations dialectiques, tandis qu'un autre quart au moins en a embrassé la version gramcienne ; après les Tables de la Loi qui, de plus inspirée mémoire, formèrent le premier décalogue, "la déclaration universelle des droits de l'homme" qui, quoiqu'écrite de mains d'homme, constitue pour les temps modernes le deutérodécalogue ou charte du genre humain.

N'était qu'il a les promesses de la vie éternelle, on serait tenté de dire que le christianisme est en train de périr de fixisme, de celui-là même qu'il a emprunté à l'immobilité grecque et qui n'était pas fait pour Son Dieu, rendu par là Insaisissable, Lui Qui S'est approché, Ineffable, Lui Qui S'est Fait Parole, Autosuffisant, Lui Qui a eu besoin des hommes, Statique, Lui Qui a créé le mouvement, de l'aveu même des non moindres des Grecs, Immobile et comme Inanimé, Lui, l'Animateur de Son Oeuvre et le "Dynamisme créateur" du monde (pasteur Gilles Castelno). Les emprunts du christianisme au fixisme éternisant des Grecs académiques aux pensées immortels ont rendu le Dieu des chrétiens presque trop Eternel pour Lui Qui a pris temps pour autant qu'Il A jamais Commencé de créer comme le suggère, un peu métaphoriquement, le premier mot de la Bible, "bereshit". Les emprunts du christianisme à l'hellénisme l'ont peut-être ancré historiquement, mais ne lui ont pas réussi spirituellement. Il faudrait à présent qu'il se ravitaille aux sources hébraïques qui feraient sauter bien des verrous de ses conceptions manquant d'huile et demandant comme à être graissées comme les gonds d'une porte trop vieille qui grince d'étroitesse, même si "JE SUIS LA PORTE ETROITE", dit le Seigneur.

Il y en a eu, des alliances contre nature, avant qu'on puisse seulement espérer et songer par exemple que le christianisme apprenne l'exégèse auprès de son "frère aîné", à quoi il semble encore moins résolu que celui-ci ne paraît empressé de la lui enseigner. Pourquoi la Providence a-t-elle permis tant de coalitions erronnées ? en partie sans doute parce que la vie est un jeu dont il faut sans cesse mélanger, brouiller et rabattre les cartes pour qu'on ne comprenne pas la règle du Jeu et le mot de l'Enigme, ce qui est beaucoup plus indispensable à la "maia-illusion" que de séparer seulement les langues et de supposer que chaque périmètre de civilisation connaîtra son heure de gloire. Mais si la Providence a permis tous ces Babels, tous ces "brouillages (Babel voulant dire brouillage), tous ces ratés, c'est surtout, je crois, parce que la politique est un truc destiné à ne jamais marcher, une machine grippée qui doit toujours tousser, ressortissant à l'impuissance du corps à jamais satisfaire un désir qu'il ne peut que soulager :
"MON ROYAUME EST DE L'AME DE CE MONDE, MAIS IL N'EST PAS DE CE MONDE", aurait pu dire le Christ en Se parodiant pour exprimer que, parce qu'elle est le monde nu, la Création est l'accomplissement du monde. Cela n'empêche pas les utopies politiques d'avoir leurs raisons d'être en tant que tentatives raisonnées et déraillantes de dénuder l'inhumanité du pouvoir, de faire tomber le masque et la carapace des tortues aristoploutotechnocratiques et de renverser les tours d'ivoire où se bunkerisent, braqués et traqués, les potentats détraqués. On dit les utopies des fruits de l'idéologie, électrolyse de l'idée fixe en bloc agglomérée et montant tout droit vers le mythe azuré sans porosité aucune à ce qui est. Et pourtant l'eau qui coule sous les idées comparée au feu qui couve sous les idéologies et plus encore à la dureté du monde fait que les frémissantes utopies ne sont que de frêles esquisses d'espérances auprès de la réalité du coeur, de cette affectivité qui connaît la Justice et dont, aux sentiments, est communiquée la justesse, d'une manière dont le monde n'a pas idée !)

Julien Weinzaepflen

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire