Pages

mardi 30 mai 2023

La décivilisation macronienne

Philippe Bilger écrit dans son billet intitulé "Emmanuel Macron, la valse des mots":

"En réalité ce "processus de décivilisation" est typique de cette manière - qu'il doit juger noble et qu'on a le droit de juger pompeuse - conduisant trop souvent le président de la République à essayer de recouvrir la saleté du réel par la beauté des mots ; à masquer l'absence d'une politique efficace sous la somptuosité, voire l'enflure du vocabulaire." (PB)


Si j'aime (quand même) quelque chose dans les discours d'Emmanuel Macron, c'est la manière dont il essaie d'y introduire en les surjouant des silences qui se voudraient pénétrés de la charge traumatique des événements qu'il "célèbre". Ce rôle du silence dans le discours macronien est inversement proportionnel au caractère prolixe de ce mandat qui nous promettait pourtant une "parole rare" et jupitérienne en relation avec la verticalité régalienne de l'exercice du pouvoir.


C'est peu dire qu'Emmanuel Macron aime les mots. Tout son premier quinquennat, de son premier discours au Congrès aux intarissables périodes du Grand débat, longues comme des allocutions de Fidel Castro, ont présenté des discours-programmes fleuves où tellement était promis que bien peu pouvait être appliqué. Il a récidivé au début de son second quinquennat en se moquant du Conseil national de la Résistance pour le singer avec son Conseil national de la refondation, condamné d'avance à l'impuissance puisque le secrétariat général en était confié à François Bayrou, notre inénarrable commissaire au plan, CNR dont "l'Opinion" dresse ce matin un bilan sans concession:


https://www.lopinion.fr/politique/le-grand-gachis-du-cnr


On pouvait croire qu'Emanuel Macron accordait à sa parole la vertu illocutoire du "dire, c'est faire". Mais non. La parole macronienne existe pour elle-même dans une sorte de "dire au lieu de faire".


"Il est aussi arrivé à Emmanuel Macron d'user de cet euphémisme indécent : incivilités." (PB)

Je crois que c'est encore et seulement pour regretter les incivilités qu'il parle pompeusement de "processus de décivilisation". Il faudrait que tout soit déconstruit pourvu qu'on reste civil. Mais vous-même, cher hôte, me semblez confondre civilité et civilisation quand vous écrivez:"si la civilisation est précisément dialogue, courtoisie, écoute, urbanité, démocratie paisible et refus absolu et sans nuance de toute malfaisance."La civilisation me semble avoir partie liée avec l'accumulation d'un capital à la fois matériel et culturel.


Sur "Mediapart", Edwy Plenel a perdu ses nerfs en entendant Emmanuel Macron parler de "décivilisation".


https://www.mediapart.fr/journal/politique/260523/decivilisation-la-diversion-extremement-droitiere-de-macron


J'y ai posté ce commentaire qu'on a estimé être au mieux un "fatras" et au pire un courrier des lecteurs de "Valeurs actuelles". Que l'on en juge! 


"Le PIJF (paysage intellectuel et journalistique français) a le secret d'hystériser les débats et cette énième sortie en-mêm-tempsiste présidentielle ne mérite pas la charge d'Edwy Plenel écrite comme un manifeste outrancier. Nous sommes depuis Nicolas Sarkozy dans le "fourre-tout fait-diversier". Faut-il voir dans cette sortie de Conseil des ministre le remugle d'agapes avec Jérôme Fourquet, l'homme très segmentant de "l'Archipel français" qui voit des tribus partout et des "tensions dans tous les segments"? À l'autre pôle, faut-il sortir comme le fait l'auteur de ce billet de très mauvaise humeur toute l'artillerie décoloniale, car le concept de "décivilisation" serait dirigé contre les boucs émissaires qui seraient seuls à concentrer toute la haine française et  [que] seraient les migrants? Les xénophobes les haïssent et les xénophiles leur déversent plutôt qu'à leurs prochains toute la philanthropie de leur altérophilie. Macron, l'homme de l'antithèse comme son prédécesseur était celui de la synthèse, ne fait qu'une diversion dont il a le secret. Il frappe un coup à droite pour que ceux qui ne discernent pas que le goût d'un homme est dans son fond de sauce croient qu'il est [de droite]. Macron emploie ce mot provocateur de "décivilisation" au sens restreint où elle serait la perte de la "civilité française" dont parlait Claude Guéant... La décivilisation macronienne n'est que le regret feint qu'il y ait des incivilités qui ne datent certes pas de ce président, même s'il radicalise tout ce qu'il touche et si sous son règne, la décivilisation qu'il brocarde comme un innocent aux mains pleines est, bien plus qu'une perte de la "common decency" chère à Jean-Claude Michéa, le prolongement dans un faisceau de violence physique de la violence psychologique, verbale et symbolique que porte sa politique. Mais qu'a à faire Macron de la vraie civilisation, celle qui donne un tant soit peu d'assise à un être humain, lui dont le sociétalisme a remplacé le socialisme pour que la société se tienne tranquille; lui pour qui il devrait y avoir équivalence des identités; lui qui dégénère les individus dégenrés comme personne, lui, le baptisé renégat, qui est plein d'idées chrétiennes devenues folles comme "il n'y a plus ni hommes ni femmes"; lui dont le personnalisme s'est évanoui sous les algorithmes; lui qui prétend détester l'assignation à résidence native et vouloir promouvoir l'égalité des chances comme un Michel Rocard, mais qui s'entoura d'un Jean-Michel Blanquer lequel rédigea la proposition de loi portée par Valérie Pécresse et Patrick Bloche d'un repérage des élèves dès l'école maternelle déterminés parce que défavorisés à devenir délinquants (la République n'a jamais imaginé déterminisme social plus écoeurant); lui qui fit défendre son service national universel par "le jeune Gabriel Attal", un ancien de l'Ecole alsacienne (j'ai pour ce ministre anti-gréviculteur la même [aversion] qu'il inspire à Juan Branco); lui qui n'est jamais tellement dans son jus que lorsqu'il fréquente l'auteur de "la Révolte des premiers de la classe"? Ces gens-là ne craignent pas de mépriser les classes moyennes qu'ils ont infériorisées tout en caressant les minorités. Mais jamais nul n'aura le droit de faire preuve de violence, non contre les fonctionnaires ou les forces de l'ordre, mais contre l'un des leurs, par exemple ce malheureux chocolatier trentenaire dont notre freluquet quadragénaire se pose en [grand]-oncle attentionné, j'ai nommé Jean-Baptiste Trogneu? "Pas touche à ma parentelle, j'ai de la branche.""

dimanche 21 mai 2023

François Cassingéna-Trevedy et mon malaise persistant

L'émergence, pendant le confinement, de la figure de #FrançoisCassingéna-Trévedy m'a interpellé, posé problème. Figure de proue et éclaireur de personnes avec lesquelles je travaille au quotidien, j'aimais son "chant", sa façon d'écrire, mais je m'en méfiais, il écrivait trop bien. Je le lui ai dit, écrit, il risquait d'être ivre de son chant. Et pourquoi émergeait-il pendant le confinement?


Aujourd'hui, j'entends pour la première fois le son de sa voix. Le côté monastique de cette voix m'étonne, je m'attendais davantage à une voix de normalien. Mais il y a quelque chose dans cette voix qui me met mal à l'aise, je ne m'y étendrai pas. Or une voix est très parlante.


Il "aime l'Auvergne autant qu'[il] aime Dieu". Il m'est arrivé de dire que quand Jésus demande de Le préférer à la personne que l'on aime, IL demande quelque chose de surhumain. Alors pourquoi pas une terre sombre, pierreuse, dont la dureté basaltique dit quelque chose du mystère de l'amour? Il aime l'Auvergne autant que Dieu, car c'est son paysage intérieur. Mais c'est son prochain qu'il faut aimer comme soi-même et non soi-même autant que Dieu.


L'Eglise n'a pas seulement à régler un problème de gouvernance, avertit-il, la question qui la traverse est une question de foi. Sur ce point je suis bien d'accord avec lui, mais sous un double aspect: 


-"Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre?" Ma foi est vacillante, mais je parie sur ma participation liturgique, ma participation rituelle pour la maintenir, car le rite et la liturgie sont des actions qui m'inscrivent dans une familiarité et une famille, ce que beaucoup appellent une communauté, ce que je crois être le corps du Christ et le Christ m'échappe, mais pas son Corps, pas cette famille, pas cette communauté, pas cette communion des saints. Lui-même tient compte des rythmes et des rites, qui chante son office en grégorien. 


-Nous avons à formuler du nouveau, mais ce nouveau n'a pas à plaire au monde.


"Beaucoup de choses énervent" le frère François. Nos énervements ne sont pas les mêmes. 


Il se dit inquiet de la nouvelle génération "jeunes cathos" "de la sociologie de l'Ouest parisien qui s'exporte partout en vacancess" et son "raidissement" ou le retour à des dévotions [d'un autre temps.]" De quelles peurs ces dévotions sont-elles le signe? Déjà que la peur ne se raisonne pas, à quoi bon la condamner? 


"Mais bon sang, soyons immenses", l'exhorte-t-il. La dernière fois qu'on m'a parlé de "grandeur de l'homme", c'était le Père Martelet, dans un train qui nous ramenait de Laferté-sous-Jouarre. Nous voyagions avec une peintre de ses amis. Nous lui disions elle et moi: "La grandeur de l'homme, mazette! Jusqu'à ce qu'elle déchante, car la nature humaine est bien toujours la même, et que peut l'homme sans Dieu?" Les dévotions réagissent à la peur du malin. Il est trop facile de dire qu'il y a plus de peur que de mal. De cela, frère François en convient : "Il y a toujours eu la même quantité de mal." Cela devrait nous inciter à être modestes. 


Ces jeunes chantent "le répertoire" indigent de l'Emmanuel, qui "[cache] Jésus dans un peti morceau de pain, c'est imbuvable." Mais non, c'est du pain!!! Le frère François préfère un Christ apophatique: "Jésus est grand et je ne sais même pas qui il est."  Moi aussi, quand les paroles du Christ me scandalisent, je crois avec l'Eglise au Christ apophatique dont je ne sais pas qui il est, je crois au Christ qui me brise ("car c'est le bon Dieu qui nous fait, et c'est le bon Dieu qui nous brise", chantait Raphaël), et je chante avec Jérémie et avec le psalmiste: "Le sacrifice qui plaît au Seigneur, c'est un pot brisé." Je crois en étant sur la brèche et le tour du potier. Mais pourquoi le Christ ne serait-Il pas entre les "deux infinis" de Pascal? Pourquoi notre moine se montre-t-il, contre cette jeunesse, péremptoire comme l'homme d'une génération? Pourquoi ne les aime-t-il pas comme un grand-père pourrait aimer la génération de ses petits-enfants?


Il dénonce "les démolitions, la violence dans les manifestations", "ces enfants qui tuent d'autres enfants, ces élèves qui tuent leurs professeurs" en prédisant "des violences" aussi pernicieuses qu'en Ukraine. Il fallait s'en inquiéter avant que cela ne devienne des phénomènes de masse. Je me permets de le dire, car je m'en suis inquiété, dans l'absence de notoriété de ma parole publique: je me suis inquiété entre autres de la dégénérescence de l'hôpital public dès 1995. Et que ne s'interroge-t-il sur la violence d'un monde politique qui génère ce sentiment de perdition sociale? Il n'y a pas que la violence physique ou la violence verbale, il y a la violence psychologique et la violence symbolique, on connaît bien cette dernière depuis Pierre Bourdieu.


"Jadis, le monde était plus grand que nous et nous étions bien à l'intérieur", reconnaît-il." Aujourd'hui, nous savons que la planète est entre nos mains et qu'elle dépend de nous." Mais ne s'agit-il pas d'une erreur de perspective? Une inversion écologiste ne nous suggère-t-elle pas une conversion écologique qui nous fait mettre la terre à la place du ciel que le monde nous a volé? Ne faut-il pas retrouver "le monde plus grand que nous" et avoir l'ambition modeste de sauvegarder la Création?


"Le seul Dieu, c'est la vie, il n'y en a pas d'autre, ce Dieu-là est souverain et nous pouvons même mourir pour Lui, la vie exige que nous mourions pour elle: "Si le grain de blé ne meurt, il reste seul. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits."" La formule est belle dans son paradoxe. La vie doit être restaurée comme inclusive ou non exclusive. N'est pas la vie cet énoncé constatif du malheur des vivants: "Celui qui a recevra encore, et celui qui n'a rien se fera ôter même ce qu'il a."


"Le décor du christianisme" est tombé, son folklore n'est plus compris, mais "son coeur commence-t-il à peine de battre?" Illusion d'une génération, utopie d'un "monde nouveau" qui n'en finit jamais de commencer. Le coeur battant du christianisme est question de foi, mais elle est aussi question rituelle. Quel autre folklore inventer, découvrir, trouver? Quelles "outres neuves" pour le "vin nouveau" des Evangiles en dialogue avec nos âmes?


"Ce qu'il nous faut, c'est des poètes." Ce qu'il nous faut, c'est moi?


"C'est vivre en altitude que vivre en interrogation." "En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses." (Karl Jaspers)


"Le Je suis" divin est très dépendant du "tu es". C'est déjà ce que disait Martin Buber dans "le Je et le tu". Et pourtant nous ne pouvons nous affranchir du "monde du cela" qui fait partie du jeu des trois personnes. Il y a aussi une "pensée magique" d'une conscience au centre de laquelle il y aurait un "je" qui ne ferait que me tutoyer. La relation à Dieu si c'est un "nom provisoire", ne peut faire l'impasse sur une certaine neutralité ontologique.


Le "chant nouveau" du frère François se veut ouvert sur l'ouvert, mais il y a en lui une fermeture qui ne me rassure pas.  Le monde a surtout besoin qu'on lui rende le ciel, le ciel ne veut pas être inhumé. La matrice est faite pour rester cachée à l'intérieur.



https://www.youtube.com/watch?v=ghTYIL99cLA 

Patrick Poivre d'Arvor est-il "un sale type"?


https://www.philippebilger.com/blog/2015/05/entretien-avec-patrick-poivre-darvor.html


Cher Philippe Bilger,


Quelle mouche m'a piqué d'écouter votre entretien de 2015 avec Patrick Poivre d'Arvor juste après avoir lu, lors d'une énième nuit d'insomnie, votre dernier billet en date (du 20 mai 2023 près du jour où j'écris): "Suis-je un sale type?", 


https://www.philippebilger.com/blog/2023/05/suis-je-un-sale-type-.html


Question qu'il m'arrive de me poser à moi-même et qui n'a d'intérêt que, non pas dans le jugement réflexif que la conscience porte sur elle-même, mais dans celui, où l'immanence est surplombée par la transcendance, et où cette conscience qui tantôt se flagelle et tantôt se justifie sera transpercée par le regard du juge objectif de cupidon-Dieu le Père qui crée en  fléchant sa créature par une espérance démesurée de ce qu'elle devra devenir, et qui en même temps la connaît de l'autre côté du miroir où chacun d'entre nous s'appréhende comme une énigme?


Est-il un sale type, celui qui a mauvaise réputation au hasard de ce coup du sort: un cadavre exhumé du placard, ses secrets qui sortent au grand jour, et dont, comme pour Patrick Poivre d'Arvor, on dit  que c'était un mufle, en oubliant qu'il a aussi subi des blessures, sans qu'on puisse démêler, non seulement ce qui l'a emporté de sa part blessée ou de sa part blessante, mais comment l'une a pu agir sur l'autre?


A l'écoute de la maïeutique par laquelle vous tentiez de révéler cette grande figure médiatique à elle-même (et il ne se laissa pas faire quand vous voulûtes aborder les intermittences de la raison maritale et du coeur libertin), il m'apparaît que ce qu'on a pu reprocher à ce boulimique d'activité dont la fille fut suicidaire par anorexie tient de l'immodestie assumée tout autant que du rapport ambigu  qu'entretient notre société judéo-chrétienne avec la vertu d'humilité, non pas que Patrick Poivre d'Arvor ne semble infusé par un substrat religieux qui le tienne au corps (il parle dans son enfance de rêves de "gloire" et ne semble pas avoir été travaillé par des questions mystiques), mais  l'appropriation des valeurs qui nous furent inoculées au berceau n'est pas optionnelle et le judéo-christianisme est au moins culturel dans la société post-moderne qui a rendu folles les idées qu'il lui a suggéré, où par exemple "il n'y a plus ni homme ni femme" devient: "nous serons tous "dégénérés"", oh pardon, "dégenrés"", mais où "la théorie du genre n'existe pas".


Victor Hugo rêvait d'être Chateaubriand ou rien comme Patrick Poivre d'Arvor rêva d'être Victor Hugo ou rien. Mais Victor Hugo devint Victor Hugo et PPDA devint PPDA. Victor Hugo eut parfaitement conscience d'être Victor Hugo et PPDA eut tout autant conscience de ne pas arriver à la cheville de Victor Hugo. 


D'abord parce que la société n'était pas la même: dans le siècle qui avait deux ans quand naquit "le plus grand poète français, hélas!", le romantisme accompagna l'avènement de l'individu sous la monarchie de juillet où Louis-Philippe fut surnommé "le roi des bourgeois", et un individu pouvait être élevé à la chambre des pairs après avoir fait un chef-d'oeuvre. Napoléon n'était pas loin, qui avait institué le compagnonage et les meilleurs ouvriers de France. Les "enfants du siècle" comme Musset confessaient souffrir de l'amollissement de la valeur militaire et trouvaient que  leur génération était inemployée. Victor Hugo fit son chef-d'oeuvre en érigeant une cathédrale littéraire, "Notre-Dame de Paris". 


Dans le siècle de PPDA qui n'était pas davantage celui de Louis XIV que de Victor Hugo, on pouvait publier soixante livres quand on était devenu une figure médiatique et loin de moi qui n'en ai pas lu un seul de présumer de la valeur de ces livres qui sont peut-être remarquables ou à tout le moins acceptables ou passables.


Les carnets de Victor Hugo révèlent qu'il voyait une ou deux femmes par jour. PPDA dit qu'il aime la vie de Victor Hugo. Lui qui ne supporta pas d'être évincé du journal de 20h,  lui enviait sans doute moins d'être le proscrit un peu surjoué de "Napoléon le petit" que ses "bonnes fortunes" et a peut-être un peu forcé les siennes sans se douter qu'à l'automne de sa vie, sous l'influence d'un puritanisme qui devait succéder à la libération sexuelle de ses vingt ans, une passade  un peu appuyée sur une relation de pouvoir serait quasiment imputée à viol, #MeTo devait passer par là. 


PPDA croyait que se perpétuerait le libertinage cher au fils du "héros au sourire si doux", dont notre icône médiatique admire qu'il ait été un brillant orateur politique, passé du légitimisme au socialisme, système lyrique dans lequel Victor Hugo trouva l'élan de son éloquence. Celle de PPDA s'appuyait sur un prompteur au bruit des téléscripteurs et ne se mesurait qu'à la capacité du présentateur impartial, érigé en magnat symbolique sans opinion, de lever les yeux du prompteur pour sortir de son texte.


Libertin, PPDA? Je me souviens d'un soir où il choqua ma famille, qui pourtant n'avait pas froid aux yeux: comme son journal se terminait par un sujet sur les métamorphoses de la drague, il conclut en nous souhaitant "bonne drague" en guise de bonsoir. 


Je me souviens de cet autre jour où "TF1" fraîchement privatisée présentait en l'interviewant le rôle prépondérant que son journaliste de tête d'affiche devait y jouer, "enchaîné à cette chaîne". PPDA conclut l'interview en disant: "Etre le premier journaliste de la première chaîne française, ça me plaît." Ma fausse modestie en fut heurtée. Comment pouvait-il ne pas déguiser une si haute opinion de lui-même? 


C'est que PPDA n'avait point de surmoi d'humilité, ce qui ne l'empêchait ni d'être timide, ni d'être pudique, s'"enfonçant dans la nuit" (dit-il un soir sur "France inter" interviewé par Pascale Clark), en personnage énigmatique qui ne voulait pas dire où il allait ni qui il allait éventuellement rejoindre, pas plus qu'il ne consentait, lui qui pourtant voulait bien parler de sa mère et de sa fille, à dresser sa "physiologie du mariage" au risque d'exposer les humiliations de son épouse légitime, à supposer qu'elle vécût ainsi ses infidélités notoires et non assumées. 


L'humilité n'étouffe pas PPDA, mais la timidité peut-être, voire la pudeur, et tout ceci n'est incompatible que pour qui n'a pas mesuré les intermittences du coeur et les inconséquences des animaux bien peu raisonnables que nous sommes. 

lundi 8 mai 2023

"Sud radio" ou la dénaturation de l'extre^me droite

Commentaire au billet de Philippe Bilger pour défendre cette radio à laquelle il appartient. 


Justice au Singulier: Libé s'égare sur Sud Radio... (philippebilger.com)


"Cher hôte, cher Philippe Bilger,

Pardonnez-moi ce commentaire désobligeant sur votre espace public et personnel qu'est ce blog, mais il faut croire que "Sud Radio" (qui ne me passionne pas) est un sujet passionnel.

Je ne sais pas si "Libération" a raison d'éreinter "Sud Radio" ou si elle en rajoute, mais vous ne pouvez pas parler vrai quand vous la défendez, vous êtes de parti pris, car vous avez un conflit d'intérêts, vous en êtes. Vous n'avez jamais pu parler vrai à propos de ce média du jour où vous en êtes devenu un invité permanent, et donc un collaborateur salarié (et à ma connaissance, vous n'en aviez jamais parlé auparavant. Vous aviez raison, il n'y avait rien à en dire.)

Vous n'en parlez pas vrai dès lors que vous ne prononcez plus le nom de Didier Maïsto depuis qu'il a été évincé de la direction de la station. Vous ne tarissiez pas d'éloges à son sujet et lui aviez entre autres consacré un entretien sur votre chaîne YouTube. Il quitte la station et il n'en est plus question, mais vous invitez le nouveau patron, Patrick Roger, et vous lui passez de la pommade en ne faisant pas preuve de vos talents de maïeuticien habituel.

Vous plaidez au pluralisme de "Sud Radio" sous prétexte qu'elle aurait sa bonne "socialiste professionnelle" en la personne de Françoise Degois, intervenant deux fois par semaine (elle n'est plus rien depuis qu'il fut avéré qu'elle couvrait à la fois la campagne de Ségolène Royal pour le service public et qu'elle conseillait l'éternelle candidate à tout - elle a certes un peu attendu pour officialiser ses conseils).

"Sud Radio" a même son "bon communiste" (Olivier Dartigolles) qui a échappé à la terrible sentence des Camelots du roi: "Un bon communiste est un communiste mort." Dans "Poulaillers' Song", Alain Souchon disait déjà en parodiant son bourgeois de jadis symbolisant l'opinion de l'ancienne droite: "Je ne suis pas raciste pour un sou. [...]Je compte parmi les gens que j'aime bien un jeune avocat africain..." (Quelle audace !)

Le pluralisme selon "CNews" ou selon "Sud Radio" a quelque chose à envier au pluralisme imposé à "France Inter" par le mouvement dextrogyre: c'est qu'il est né avec son antenne pour ne pas la marginaliser, quand l'autre est devenu inévitable à la radio de service public qui méconnaissait tout un pan de l'opinion publique en ne permettant pas aux éditorialistes "mal-pensants" de faire partie du débat public. Mais on n'a pas poussé le courage jusqu'à provoquer des débats deux contre deux chez ces parangons autoproclamés de la liberté d'expression que sont "CNews" ou "Sud Radio". Ce sont toujours des débats à trois (ou plus) contre un (et rarement plus).

André Bercoff n'a guère de puissance intellectuelle ou inquisitive et encore moins de culture. C'est surtout un agitateur et un agité du bocal qui, même bien avant "le Temps de se parler" sur "France 3" la "vétérante", a toujours su garder un pied dans la fange et un pied dans la soupière: ce trumpiste de nouvelle souche et vieux client de "Chez Denise", c'est lui qui s'est étalé là-dessus et n'aime pas qu'on le lui rappelle, j'en ai fait les frais sur Twitter, raconte encore aujourd'hui comment il a été et est resté (un peu comme Patrick Sébastien, donc comme Cyril Hanouna avec Emmanuel Macron) l'ami de François Mitterrand et de François Hollande. "Mon fils, garde-toi à ta droite et à ta gauche" pour être toujours sûr qu'on te serve un repas chaud."

"Sud Radio" et la bande à "Causeur" ont dénaturé l'extrême droite en beaufisme contre le wokisme. Dommage que vous tombiez dans ce panneau en étant rarement allé chez les "affreux" de "Radio Courtoisie" !

Quant à cette dernière station, l'esprit de la droite du XVIe n'est plus au boulevard Murat depuis que Pierre-Alexandre Bouclay, avant même d'en prendre la direction laissée vacante par la mort de Dominique Paoli, s'est cru obligé de créer une Matinale qui imite l'esprit de "Sud Radio".

L'extrême droite n'est plus ce qu'elle était. Dommage, elle m'aidait à penser.

Observant la vie municipale de Mulhouse, mon père me disait que tous les maires, d'Emile Muller à Jean-Marie Bockel, avaient évolué de la gauche à la droite. Pour ma part, je n'ai jamais jugé utile de rallier le panache blanc de l'extrême droite qui m'a toujours indiqué les bornes d'une pensée à éviter ou à développer pour la faire mienne. Je ne l'ai jamais rallié comme l'a fait Élisabeth Lévy qui est passée de la revendication de pouvoir parler à tout le monde y compris Le Pen (évoquée dans "les Maîtres censeurs"), ou "les Français qui ont pété à table" (son commentaire élégant - à défaut d'être rabelaisien - de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002) à la création, à travers "Causeur", d'un organe "nationo-sioniste" (selon l'heureuse expression d'Alain Soral) d'une vulgarité et d'une islamophobie sans pareilles. '"Causeur", c'est le magazine beauf anti-woke.

Je ne goûte pas davantage le parcours de Michel Onfray qui est passé d'un respect tout à son honneur d'Alain de Benoist et de la philosophie de droite à une espèce de ralliement pratique à ladite philosophie. Car entre le directeur de la rédaction de "Front populaire" et le directeur d'"Eléments" ou celui du "Nouveau conservateur" (Paul-Marie Coûteaux), il n'y a que l'encyclopédisme du premier auquel le second n'arrivera jamais à la cheville et, chez le même, le reliquat d'incises devenant toujours plus rares destinées à rappeler que notre contre-historien de la philosophie athéiste et athéologiste devenu le phare des chrétiens identitaires a toujours appartenu à la gauche communaliste, laquelle n'ayant plus de réalité politique, mieux vaut faire front avec les ennemis de l'inévitable "décadence", et Patrick Buisson peut lui emprunter le titre du deuxième tome de sa fresque de civilisation sans qu'entre gens de bonne compagnie, on ne crie au plagiat.

"Sud Radio" est un organe de dénaturation de l'extrême droite, je préfère les originaux à la copie et qu'on reste soi-même. Assumez d'appartenir à cette mouvance peu respectée, cher Philippe Bilger. Votre réputation en pâtira, mais vous n'en vaudrez que davantage."

jeudi 4 mai 2023

Apprentissage ou filière pro?

Lycées pro: retour à l'essence du macronisme - l'Opinion (lopinion.fr)

 

"l'Opinion" cherche l'essence du macronisme et croit la trouver dans la réforme à venir de la filière professionnelle, qui engendre aujourd’hui un décrochage record (1/3 des élèves, nous dit "la Croix"), alors qu'elle concerne 1/3 des élèves du second cycle.

 

La filière pro ressemble au "bac général" comme le Canada Dry à l’alcool, mais est une cote mal taillée entre l'apprentissage et l'entrée dans l'université dont le baccalauréat se veut l'examen éliminatoire, parce que l'Education nationale ne veut pas que les ados lui soient confisqués par les "maîtres d'apprentissage » et a tout fait pour détricoter cette entrée souvent heureuse dans le monde du travail : elle a encadré la relation d’un apprenti à son maître en la bordant d’ »alternance », puis elle a œuvré pour que la filière pro soit préférée à l’apprentissage avant de paraître se rétracter en « transformant » l’ »apprentissage » en filière magique de la « formation » continue, indispensable au « plein emploi » (puisqu’on le sait bien, les chômeurs n’entrent pas dans l’emploi faute de formation, même si celle-ci est encouragée depuis les TUC (travaux d’utilité collective) de Laurent Fabius. En la matière, la politique d’Emmanuel Macron n’a comme d’habitude rien de nouveau…).

 

Le décrochage scolaire dans la filière pro n’est pas de nature à ce que l’institution scolaire se remette en cause et reconnaisse que le modèle de l’école est traversé par une crise de l’orientation qui ne permet pas que le travail soit majoritairement perçu comme une source d’épanouissement ou d’émancipation : la réaction à l’allongement de l’âge légal du départ en retraite est un signal fort de ce malaise et Parcoursup est la honte de l’orientation scolaire qui non seulement n’est pas faite en amont, mais ne tient pas compte du désir des élèves quant à l’exercice d’un métier, celui-ci relevant d’une loterie, pourvu que le maximum d’une classe d’âge puisse intégrer l’enseignement supérieur.

 

L’orientation scolaire devrait tenir le milieu entre l’intérêt des élèves pour un métier et les besoins de la nation, mais elle préfère adapter les élèves au marché du travail tout en ne donnant pas à leurs parents le sentiment qu’ils seront déclassés s’ils quittent l’école trop tôt. (L’ »école inclusive » relève d’une flatterie similaire).

 

L’adaptation au marché du travail, voilà à quoi le macronisme a réduit l’ »égalité des chances » chère à Michel Rocard. C’était clair pour qui voulait bien se pencher sur la carrière de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation qui le demeura pendant tout le premier quinquennat et qui, après une scolarité dans un milieu ultraprivilégié (à Stan),  « alterna » (entre autres) la direction d’une prestigieuse école de commerce (l’ESSEC) avec des fonctions de recteur d’académie ou de directeur de l’Enseignement scolaire de Luc Chatel, lutant certes infructueusement contre le décrochage scolaire, mais inspirant aussi le repérage des élèves de maternelle susceptibles de devenir délinquants…

 

Jean-Michel Blanquer — Wikipédia (wikipedia.org)

 

Le macronisme, c’est l’assignation à résidence des élèves dès la maternelle, la montée dans le cursus honorum des anciens élèves des collèges et lycées du VIème arrondissement (comme Jean-Michel Blanquer et Gabriel Attal, chargé de mettre en œuvre le service civique semi-obligatoire), et l’adaptation des autres au marché du travail sous couvert d’émancipation. 

mercredi 26 avril 2023

Au nom du validisme

J'ai été très heureux d'apprendre que la plupart des associations se disant représentatives des personnes en situation de handicap (périphrase insupportable) ont boycotté la conférence organisée par Emanuel Macron pour se féliciter de la politique qu'il mène en la matière, souhaitant notamment que "tous les élèves en situation de handicap aient un enseignant référent", c'est déjà le cas, mais le président n'y connaît rien et la nomination, puis l'éviction de Sophie Cluzel n'y a pas changé grand-chose... Avant ces élèves avaient des éducateurs ou des enseignants spécialisés à qui cette spécialisation avait demandé deux ans d'études, maintenant ils manquent d'AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap), qui ne bénéficient que de soixante heures de formation et occupent un emploi précaire à temps partiel. 


La loi de 2005 qui visait à tout rendre accessible n'est qu'une vaste utopie et, ainsi que je le prévoyais et en avais avisé mes mandataires à l'époque dans de longues missives pour qu'ils s'opposent à son esprit, elle a dégradé la condition des personnes handicapées, contrairement à la loi giscardienne de 1975, qui l'a considérablement améliorée. 


Alors qu'on a confiné soi-disant pour  préserver les "personnes fragiles" et que les services qui leur venaient en aide ont baissé pavillon pendant la période, les personnes handicapées bénéficient globalement d'un moindre accès au soin (à hauteur de 20 % de manque-à-gagner). Tous les acteurs médico-sociaux en conviennent et le déplorent, , je participais il y a quelques mois à un colloque où une dizaine de médecins tombait d'accord pour tirer cette conclusion alarmiste, mais un mantra interdit de critiquer cette loi et oblige à dire que ce qui ne va pas ne va pas malgré cette loi, or c'est à cause d'elle que ça ne va pas, car qui tout demande n'obtient rien, même plus le nécessaire.


La raison de cette utopie est dans ce qu'à gauche on appelle le "validisme" (mot auquel je ne me suis intéressé que tout récemment, alors qu'il reflète une réalité que je tente de formuler depuis très longtemps. Le validisme est l'illusion selon laquelle le handicapé doit imiter le valide et prouver qu'il est capable de faire tout ce que fait le valide. Il porte sur la capacité et son défi repose sur le célèbre "t'es cap, t'es pas cap"Le prétendu enrichissement par les différences se borne donc à l'imitation, cet instinct que la personne humaine doit dépasser pour devenir elle-même. L'invalide n'est, comme son nom l'indique,, pas  en mesure de remplir de façon rentable toutes les  fonctions qu'occupe un valide. Il est moins productif, mais on veut obliger les entreprises, pourtant dévolues à la production et à la productivité,  à l'employer massivement envers et contre sa moindre rentabilité. C'est la quadrature du cercle.


Plus le candidat à l'élection majeure se montre inclusif et plus l'électeur croit qu'il a du coeur. Les ambitions pour les personnes handicapées tambourinées la main sur le coeur sont la variable d'ajustement de ce qu'on ne fera jamais pour elles. Emmanuel Macron consacra au handicap sa "carte blanche" dans son débat contre Marine Le Pen, or au Rassemblement national, Marie-Christine Arnautu avait une véritable expertise dans le domaine. Des cris d'orfraie devaient accompagner la sortie de Zemmour sur l'école inclusive, laquelle dressait un état des lieux presque absolument objectif. Et Ségolène Royal disait à Nicolas sarkozy que se targuer de ce qu'il avait fait dans le domaine du handicap "était le sommet de l'immoralité politique". Ce qui est immoral, c'est de faire du handicap une variable d'ajustement et une trappe à précarité.

 

Les Molières ou le parisianisme décomplexé

Pour moi, les Molière sont le summum de l'entre-soi et du parisianisme. C'est une cérémonie organisée par les professionnels de la profession pour se congratuler et se récompenser devant un public hermétique à ce qui se raconte, puisqu'il a rarement eu l'occasion d'aller voir les pièces dont on lui vante l'interprétation ou la mise en scène s'il n'habite pas la capitale. Le service public s'en fait l'écho, mais dans la mesure où il ne prend pas le parti de diffuser le théâtre à la télévision, il devrait s'en dispenser et la ministre de la Culture, qui représente l'Etat actionnaire, devrait l'obliger à reprogrammer du théâtre,, plutôt que de tancer des militantes cégétistes qui la prennent à parti ou de se livrer à l'éternel bras-de-fer entre pouvoirs publics et intermittents du spectacle. Ce conflit est vieux comme le ministère de Maurice Druon qui se plaignait déjà que les acteurs culturels viennent le solliciter, la sébile dans une main et le cocktail Molotov dans l'autre.

Quand j'étais petit, j'étais tellement frustré que les actualités me parlent constamment d'événements auxquels je ne pouvais participer puisque je ne venais à Paris que pour me rendre à l'hôpital que j'en fis une chanson rabique où je disais que j'allais faire exploser Paris et faire sauter le coeur nucléaire de ce noyau de la culture qui rejetait une majorité de Français à la périphérie tout en les contraignant à subir le récit et la critique de ce que vivaient et voyaient les "happy few",jusqu'aux stars que je traitais d'égoïstes parce que, lorsque Michel Drucker les interrogeait devant les Français réunis autour de "Champs élysés" après avoir lu "Paris match" chez le coiffeur ou chez le médecin, elles ne parlaient que d'elles et non seulement de films que nous serions peu nombreux à aller voir (encore, ça ne tenait qu'à nous), . mais de leurs états d'âme pendant le tournage de ces films et de l'ambiance de ce tournage, toujours merveilleuse. C'était ça, le service que rendait Drucker au public, déplier un tapis rouge devant les stars qu'il pouvait regarder en ayant l'impression de faire partie de la famille et d'être de la fête, pris en réalité en otage comme le lecteur d'un roman de Balzac qui n'aurait pas choisi de prendre connaissance des échos imaginaires du tout Paris qui fait rêver.

Quand j'entendis parler de décentralisation, je me pris à rêver qu'on allait enfin cesser de faire de la province un désert et je fus fort dépourvu d'apprendre qu'on n'envisageait pas d'y attirer les cigales, mais d'y déployer un nouvel étage de la fusée des doublons pour aggraver le mille-feuilles administratif. 

mardi 25 avril 2023

"Ludovine ou le devoir joyeux" ou les contradictions de "la Manif pour tous"

« La manif pour tous » fête son anniversaire à grand bruit de casseroles. En France où on a la mémoire courte, on a la manie commémorative et on aime bien fêter ses défaites, car on les confond souvent avec des victoires comme l’avaient fait Ségolène Royal en 2007 ou Marine Le Pen en 2022. Les médias célébraient régulièrement l’anniversaire des émeutes de 2005 comme s’ils portaient le désir inconscient d’une nouvelle déflagration sociale en forme de guerre civile par révolte des éléments les plus énergiques de la société, face auxquels les gesticulations symboliques et syndicales autour de la réforme des retraites mal mais bel et bien passée font pâle figure. Je parie qu’on fêtera bientôt les cinq ans du Covid et de l’expérimentation sociale à laquelle il a donné lieu en étudiant la faible résistance civique aux injonctions paradoxales et aux ordres versatiles que ses gouvernants lui ont intimé comme « confine-toi et lève le pied », « au pied», « assis », « couché ».

 

Cet anniversaire (puisqu’anniversaire il y a) nous donne néanmoins l’occasion de tirer les leçons de la sortie de route de « la France bien élevée » qui s’est exhibée dans la rue en confondant pèlerinage et manifestation. Et cette leçon tient en trois mots : nous nous sommes comptés, nous nous sommes ridiculisés et nous nous sommes discrédités.

 

Nous nous sommes comptés et ça faisait plutôt du bien. Tout à coup les catholiques redevenaient visibles tout en jouant la carte de l’aconfessionnalisme par refus du « front des religions » (cal André Vingt-trois dans une interview sur « RTL »). Nous nous sommes comptés et pendant un temps on a pu croire que l’Église catholique coïncidait avec cette protestation de la famille bourgeoise et patrimoniale que la police de Manuel Valls gazait et tabassait avec une rage qui montrait à Emmanuel Macron comment réprimer les Gilets jaunes, au besoin en tirant à balles réelles si ça devait dégénérer. Nous nous sommes comptés et même si je ne suis pas sorti, je me suis inclus dans ce nombre, car je trouvais marrant que la bourgeoisie passe pour la dissidence. Ne sont pas « les périphéries » qui veut. Je ne sais pas si je suis un vrai marginal, mais je me suis toujours senti plus proche des marges que du centre de la société qui maintient son activité productive alimentaire, mais ne crée pas, même avec les paradigmes apparemment mortifères, conservateurs ou régressifs de la « société close ». J’ai préféré cette sortie de route de la bourgeoisie se montrant dans les rues comme le « syndicat de la famille » qu’elle voulait devenir à la sortie du bois du « catholicisme des Lumières » expliquant au moment du confinement qui entravait la liberté de culte comme aux plus belles heures de l’Union soviétique que sa stratégie de l’enfouissement avait toujours été la bonne, que son dialogue avec la société laïque était fécond et que l’Eucharistie n’était ni le centre, ni la source ni le sommet de la vie chrétienne, contrairement à ce qu’un vain adage avait longtemps entretenu dans la conscience du peuple ignare des charbonniers prétendant être maîtres chez eux en dépit de la « destination universelle des biens ».

 

Nous nous sommes comptés et j’étais de ce nombre, mais nous nous sommes ridiculisés, car la sociologie de ses manifestants était dans son propre déni : non, ceux qui défilaient n’étaient pas les Versaillais de toujours ! J’ai toujours été plus proche des communards, mais dès lors que la bourgeoisie traditionnelle avait depuis longtemps perdu la bataille du verbe, je voulais manger son pain noir avec elle, dont je me promettais qu’il serait agrémenté de grands crus tels qu’on en buvait aux meilleures tables. Pourtant je trouvais inconvenant que dans un Etat dont elle assurait avoir accepté le caractère laïque, l’Eglise s’invitât à la table des négociations de ladite République en posant comme préalables des « points non négociables », tels qu’un mariage contracté au service de l’engendrement, comme si la révolution du mariage n’avait pas eu lieu, faisant passer celui-ci  de fondement contractuelle de la famille, cellule de base de la société, au mariage d’amour. Le mariage était devenu un acte civil et l’Église n’avait pas à s’en mêler au titre de la fiction du droit naturel dont elle se prétendait le garant anthropologique dans des termes qui l’ont discréditée : « Je ne suis pas homophobe pour un sou, déclara le cardinal Barbarin à la manière du bourgeois de Poulailler song. Je compte parmi les gens que j’aime bien des homosexuels très bien et même tout à fait continents, mais je crains que l’autorisation accordée aux pédés de s’enfiler ne débouche sur les partouses ou le mariage zoologique reconnus d’utilité publique. » Le cal Barbarin paya son outrance au moment de l’affaire Preynat qu’il fut moins coupable de ne pas avoir dénoncé (ses victimes pouvaient bien le faire elles-mêmes) que de l’avoir rétabli dans une charge de curé quitte à le remettre aux prises avec ses démons. Son ami le grand rabbin Bernheim chuta lui aussi pour avoir été plagiaire et on oublia les intéressantes passerelles qu’il tentait d’établir entre « Torah et société » (dans une émission éponyme sur une des radios de la communauté juive).

 

Mon intranquillité m’a fait sauter un peu vite du ridicule au discrédit, il faut que je repasse la seconde et que j’examine de plus près la nature de ce ridicule, qui n’était pas tellement d’ordre diagnostique, même si l’Église aurait dû considérer que le mariage était devenu un acte civil dont elle n’avait pas à se mêler.

 

Une de mes professeurs de rhétorique, Aurélie delattre, illustra la pente savonneuse, en se moquant de l’avertissement des meneurs de « la Manif pour tous » qu’on allait passer du « mariage pour tous » à l’admission de la PMA pour tous les couples et de la GPA. On en est à la deuxième étape et encore réserve-t-on pour l’heure la PMA aux couples de femmes. Ça ne tiendra pas longtemps, car la bioéthique ne saurait entrer en contradiction avec l’anti-discrimination, qui obligera bientôt à reconnaître les mêmes droits aux couples d’hommes qu’aux couples de femmes. Certains comme Marc-Olivier Fogiel font avancer la GPA, mais parmi les partisans du « mariage pour tous », il se trouve des adversaires de ce que ses contempteurs les plus acharnés assimilent à du trafic d’enfants.

 

On descend donc bien par degrés la pente savonneuse que dénonçait Aurélie Delattre dans la rhétorique de « la Manif pour tous » et Aude Mirkovic hystérisait le débat quand elle prétendait qu’après la reconnaissance de la PMA, on donnerait naissance à une majorité d’ »hommes [ou d’enfants] artificiels » (Jean-Pierre Dickès). Mais là où « la Manif pour tous » a néanmoins produit une analyse pertinente, c’est quand elle a dénoncé une société dégenrée (qu’elle identifiait sans doute à une société dégénérée). On lui opposait que la « théorie du genre » n’existait pas et qu’il n’y avait que des « gender studies ». La théorie du genre s’est imposée depuis, avec l’idée que les femmes sont des hommes comme les autres et que le sexe n’existe pas, qu’il est une construction sociale et non biologique.

 

Le monde et sa bourgeoisie décadente n’ont pas beaucoup aimé cette bourgeoisie dissidente. Patrick Rambaud en a fait la caricature la plus féroce, mais aussi la plus juste en se souvenant des « Brigitte » (nous avons aujourd’hui une première dame qui porte ce prénom et fait tout pour se distinguer du message indiqué par la bande dessinée des années 50 parlant entre autres de « Brigitte et le devoir joyeux »). Ceux qui voulaient choquer plus profondément les manifestants pour tous (et j’en étais !) ironisaient en leur rappelant qu’ils étaient mal placés pour brocarder la théorie du genre puisque Jeanne d’Arc s’habillait en homme et que Jésus était le fils d’une « mère porteuse » que l’Esprit saint avait couvert de son ombre en lui demandant de se faire la complice d’une théophanie, l’Incarnation du Verbe, qui ne violât point sa virginité comme l’avaient fait celles de Zeus se métamorphosant pour engrosser toutes les mortelles qu’il trouvait désirables.

 

Les « manifestants pour tous » n’étaient pas non plus ridicules de porter une vision de l’intérêt général où ils descendaient dans la rue pour défendre ce qu’ils croyaient être le bien commun où leurs intérêts catégoriels n’étaient pas directement concernés par la loi qu’iils contestaient, mais le progrès de l’individualisme empêchait que l’on comprenne pourquoi des gens s’opposaient à une adjonction de droits qui n’enlevaient rien aux leurs.  (Dans le même ordre d’idées, mon frère et mon meilleur ami ne comprenaient pas que j’envisage de faire le voyage de Paris à Mulhouse  pour voter contre le traité constitutionnel européen. Pourquoi déployer de l’énergie pour dire « non » ? Je n’ai renoncé à ce voyage qu’en dénichant dans le traité l’article 50 qui ménageait un Frexit possible contre l’irréversible qu’on nous promettait de la construction européenne dont la bureaucratie capitaliste finira comme la technocratie des Républiques socialistes, leur rationnement et leurs « appartements collectifs »).

 

« La Manif pour tous » s’est ridiculisée d’avoir adopté les codes d’un monde qui ne l’aimait pas, en faisant par exemple de Frigide Barjot l’icône défraîchie et night-clubeuse de ses aspirations casanières, laquelle se définissait pourtant elle-même comme une « fille à pédés ».  Les « manifestants pour tous », un de mes professeurs de sociologie de l’écriture les appelait des « affreux ». Je trouvais ça moche et ça me fait dire qu’il n’y a pas d’affreux en politique. Christiane Taubira vient de dire qu’elle ne leur pardonnerait pas. Je comprends qu’elle n’ait pas apprécié les caricatures qui la dépeignaient en macaque mangeant des bananes ou ceux qui accompagnaient chacun de ses déplacements de casseroles et de huées. Mais je trouve affreux que l’on croie qu’il y a de l’impardonnable, même si je comprends qu’on puisse difficilement se reconstruire (et parfois se remettre d’une ou) après une offense.

 

Nous nous sommes comptés. Malgré mes divergences, je reste de ce nombre. Nous ne nous sommes pas ridiculisés en tout et le ridicule ne tue pas. Nous n’avons pas rencontré l’amour du monde, mais nous ne sommes pas là pour dire au monde ce qu’il a envie d’entendre, ce serait de la « mondanité spirituelle ». Je continue à préférer cette bourgeoisie dissidente qui se prend désormais pour le « syndicat de la famille » à l’embourgeoisement de l’Eglise qui fait semblant d’adopter, non seulement les codes, mais les valeurs de son temps en croyant pouvoir être féministe ou écologiste, valeurs qui pour l’une se dissoudra dans la complémentarité réalisée des hommes et des femmes, et pour l’autre finira par se montrer sous son vrai jour : une inversion du regard réclamant conversion du ciel à la terre. À tout prendre, je préfère une Eglise qui défende les valeurs de la bourgeoisie dissidente qu’une Église qui adopte les valeurs de la bourgeoisie décadente, à savoir d’une bourgeoisie qui, cédant au démon de l’opportunisme qui fut toujours celui par lequel cette classe s’est reniée, a renoncé à ses valeurs. L’Église doit aller au monde sans avoir l’amour du monde. Ce n’est pas en lui faisant les yeux doux qu’elle se fera aimer de lui ou en se faisant anticléricale à son exemple qu’elle endiguera son anticléricalisme. 

 

»La manif pour tous » est un mouvement contradictoire, il n’y a pas matière à l’en blâmer, il appartient à chacun de mettre de l’ordre dans ses contradictions à défaut de les résoudre, car tel n’est pas le sens du « Que votre oui soit oui et que votre non soit non » qui déborde la résolution des contradictions dans « la coïncidence des opposés » qui n’est pas « l’union des contradictoires » dénoncée par Simone Weil.

mardi 18 avril 2023

"Quand je veux vous pouvez", Macron ou la grande diversion

"Il est venu, on l'a entendu, il n'a pas convaincu. Le pacte entre lui et les citoyens est rompu." (Philippe Bilger)) 


L'allocution d'Emmanuel Macron était attendue. Manquant d'incandescence (pour une fois le président n'a pas cédé au lyrisme), elle était formellement conforme à l'orateur et insignifiante pour ce qu'elle n'avait pas d'indécent.


C'est Arnaud Demanche qui, ce matin, sur "RMC", l'a résumée le mieux:

"Quand j'ai dit qu'on pourrait rebâtir Notre-Dame, vous l'avez fait. Quand je veux, vous pouvez."


"Je veux", locution votive d'un président mal élevé qui n'a jamais appris à dire "je souhaite" ou "je voudrais". Un président qui ne sait pas manier l'optatif. Une graine de tyran domestique.


Emmanuel Macron aime se référer à l'histoire. IL joue les grands personnages en imaginant que c'est ainsi que l'histoire prend date ou que l'on adopte une posture historique. Pendant le Covid, c'était "Clémenceau dans les tranchées" (aux dires des conseillers de l'Élysée). Hier, c'était les Cent jours (il a dû avoir Dominique de Villepin au téléphone). Sa seule invention fut "le Grand débat", transformé comme on sait en "grand blabla" ou en "grand monologue" après la crise des Gilets jaunes.


Discours insignifiant: sur les trois "chantier" sur lesquels il nous promet d'"avancer" pendant ces Cent jours, la réalisation de trois d'entre eux est remise à appréciation ultérieure: 


-Pourquoi la réforme de la justice devrait-elles s'arrêter après les Cent jours? 


-"A partir de la rentrée prochaine, l'école se transformera à vue d'oeil" (non dans ses contenus pédagogiques, mais sa logistique fonctionnera et l'absentéisme ou les congés maladie pour dépression des enseignants seront palliés.


-A la fin de l'année prochaine, on aura désengorgé les urgences. Et c'est ici que le discours est indécent. Le même président avait déjà promis qu'à la fin de je ne sais plus quelle "année prochaine de son précédent quinquennat (l'année prochaine on rasera gratis), il n'y aurait plus aucun SDF dans les rues. Lionel Jospin avait fait la même promesse inconsidérée en campagne pour transformer son poste de premier ministre en celui de président de la République, mais je l'accrédite (l'objectivité n'existant pas) de ne pas avoir su ce qu'il disait , car il était profondément HUMANISTE et IL avait la fibre sociale. 


Emmanuel Macron promet de se pencher sur le droit du travail (ce sera sa troisième loi dans le domaine pour expurger un Code du travail que Robert Badinter prétendait trop volumineux), sur la justice (Éric Dupond-Moretti devait rebâtir "la confiance" des citoyens dans la justice républicaine à la fin du précédent quinquennat) et sur le "progrès du quotidien", de la santé et de l'Education nationale. Que ne l'a-t-il fait pendant les six années précédentes? Il a dû s'assoupir comme la Belle au bois dormant qui rêvait de ne pas être un "roi fainéant".


Emmanuel Macron est habitué depuis longtemps à des discours fleuves et programmatiques où les actes ne suivent presque jamais les paroles. Il croit à la vertu illocutoire de la parole politique. Pour lui, "dire, c'est faire". Il en dit un maximum et fait tout le contraire de ce qu'il dit. Il voulait dissoudre? Il ne veut plus. "Personne" (et surtout pas lui) ne peut rester insensible à la demande de plus de démocratie dans la pratique du pouvoir, mais il tient tellement à faire passer sa réforme des retraites (car Bruno Le Maire l'avouait ce matin, on se doit à ses créanciers), qu'il ne convoque pas un référendum pour résoudre la crise. Pour lui, la démocratie, c'est le tirage au sort et ce sont les conventions citoyennes dont il promet qu'il reprendra l'ensemble des conclusions et dont il dit quand on le convainc du contraire que "ce n'est pas la Bible ou le Coran".


Mais que fait encore Bayrou, l'éphémère garde des sceaux qui voulait moraliser la vie politique tout en traînant des casseroles,  dans l'entourage de ce président qu'il traitait d'hologramme quand il n'avait pas encore fait alliance avec lui? Cet ancien ministre de l'Education qui cogérait son ministère avec le SNES et Monique Vuailla se déclare contre la réforme Blanquer du baccalauréat et contre "Parcours sup", il soutient Emmanuel Macron. Il a toujours alerté contre la dette, ce président l'a faite exploser, mais il soutient Emmanuel Macron. Il est contre l'euthanasie, le président "veut" qu'une loi sur la "fin de vie" soit votée avant l'été" et Bayrou soutient Emmanuel Macron. Tout est à l'avenant dans notre société discontinue.


Discours insignifiant et allocution "[disruptivement]" indécente, mais stratégie pouvant se révéler payante: le président a déjà sonné la fin de la récré séquentielle en organisant le Grand débat à la sortie des Gilets jaunes. C'est lui qui donne le tempo et siffle la sortie des séquences (je hais les séquences, bis). Pour l'instant, Laurent Berger a promis d'attendre la fin de la mobilisation du 1er mai pour revenir parler "travail" à la table des négociations présidentielles. 


Il y a vingt et un ans, la France sortait dans la rue pour s'opposer à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Depuis, pas de contestation majeure... Quand l'épouvantail n'est pas là, les souris dansent et "enfourchet le tigre". 

samedi 15 avril 2023

La défaite des syndicats ou la fatalité dans l'erreur?

Posté sur le blog de Philippe Bilger au pied de cet article:


Justice au Singulier: Un président trop pressé et des Sages bien trop sages... (philippebilger.com)


Non seulement les "sages" ou les "singes" (Sylvain) du Conseil constitutionnel se permettent de juger les "conditions du débat" (Marc Ghinsberg) (donc le Conseil constitutionnel est anti-Nupes), en quoi ils montrent le dévoiement et non "la carence politique" (PB) d'une institution   dénaturée par la question prioritaire de constitutionnalité si chère à Jean-Louis Debré et qui ne devrait pas recaser de vieux ministres à la retraite (qu'est-ce que 64 ans pour des gens qui refuseront toujours  de passer la main et de se retirer pour cultiver leur jardin ou écrire leurs mémoires?), mais cette décision prend "les travailleurs" à revers dans tout ce que le texte avait de favorable. Elle recale l'index des seniors et le CDD senior. À ce stade, la défaite des syndicats est donc cuisante et c'est se moquer que de dire qu'il n'y a ni "vainqueur ni vaincu" comme le fait Elisabeth Borne en mangeant son chapeau et promettant qu'on va "accélérer" après avoir souhaité que l'on respecte une période de "convalescence". Mais elle a subi un recadrage en règle et travailler sous Macron, c'est avaler des couleuvres.


Macron se paye encore plus la tête des syndicats vaincus en les invitant, fortune faite, après leur avoir opposé une fin de non recevoir, et en promulguant en toute hâte la loi  qu'ils n'en finissent pas de contester dans la comédie manifestationnaire des "Gaulois réfractaires" (ou dans ce que Félix Nisch appelle la "sinistra comedia de la revolta popularia"). S'il avait eu ne serait-ce qu'une seconde l'intention de les respecter, il aurait attendu de les recevoir avant de promulguer la loi. Un intervenant sur "BFMTV" faisait pièces hier soir à l'illusion qu'il pourrait la promulguer pour ne pas l'appliquer comme Jacques Chirac solda l'opposition des agités professionnels et des mouvements de jeunesse mon(ô)maniaques au contrat utile qu'aurait été le CPE. "Macron n'est pas Jacques Chirac", trancha-t-il.


Sans trouver le président "héroïque" (comme Florestan68) ni me rallier à son panache noir, (comme Patrice Charoulet), moi qui suis un anti-macroniste primaire, secondaire et tertiaire et entends bien le rester, je crois néanmoins que le report de deux ans de l'âge de la retraite n'est que le prétexte à ce feu d'artifices syndical aussi prévisible que celui du 14 juillet, mais qu'il n'en cache pas moins une grogne sociale dont la motivation principale est que les salaires ne seront jamais revalorisés à la hauteur de l'inflation prenant partiellement prétexte de la dangereuse escalade du monde dans la guerre mondiale à laquelle notre président participe en dépit de ses moulinets chinois, comme quoi il faudrait comprendre la position de la Chine face à Taïwan de même qu'il ne fallait pas humilier la Russie, mais à la fin, même si "l'Otan [était hier] en état de mort cérébrale", Macron suit toujours les Américains, il nous a faits le même coup avec la guerre en Ukraine.


Le péché originel de cette réforme des retraites était dans la réforme précédente, conduite par le mentor normal (et normalement renié) de notre "président exceptionnel", la réforme de François Hollande, qui augmenta le nombre de trimestres nécessaire à une retraite à taux plein de telle façon qu'étant donné les carrières hachées, les périodes de formation qui n'ouvrent pas droit à cotisation, ou encore l'âge tardif moyen d'entrée sur le marché du travail, peu nombreux seront ceux qui pourront cotiser un tel nombre de trimestres, sauf les personnes ayant commencé de travailler très jeunes, que le dispositif des "carrières longues" pénalise en les obligeant à travailler davantage que les 43 ans requis pour tous les autres actifs, même si ce désavantage a été corrigé à la marge à la fin de l'examen de la loi pour trouver un accord avec la "droite Pradier". Que l'on ait rendu quasiment impossible l'accès à la retraite à taux plein, voilà la vraie supercherie que cette réforme Macron (II) ne fait que prolonger, démontrant au passage que, face au plein emploi rendu inaccessible par les conditions de travail actuelle (aggravées par l'agriculture industrielle, la désindustrialisation, l'automation (ou le machinisme) et la dévalorisation du travail manuel), nos gouvernants ont fait le "choix du chômage" (pour citer une fois de plus la thèse de l'ouvrage éponyme de Damien cuvillier et Benoît Colomba).


Ce n'est pas l'économie de marché (et encore moins le capitalisme) qui fait problème, mais il y a un problème dans l'économie de marché et dans la gouvernance actuelle du capitalisme financier. En sorte que (Isabelle a raison), si le gauchisme enflammé de la Nupes était conséquent, il devrait être plus anti-libéral qu'(assez anachroniquement) antifasciste, or il a choisi d'être le contraire et plutôt que de risquer le front des populismes, il a voté Macron au second tour. De quoi se plaignent donc Aurélie Trouvé ou Sophie Binet (qui refuse d'être interviewée par "Cnews", c'est bien son droit)? Mais j'oubliais qu'elles se disent fières d'être des "cadres" issues de la lutte contre le CEPE. Qui a manqué de jugeote un jour devra-t-il en manquer toujours? Y a-t-il une fatalité dans l'erreur? 

mercredi 12 avril 2023

Lettre ouverte aux vieux cathos qui veulent quitter l'Église

Posté sur le blog de René Poujol au pied de son article


Quitter l’Eglise catholique ou y rester… | René Poujol (renepoujol.fr)


"Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester reste. Pars s'il le faut." (Baudelaire, le Voyage)

J'ai toujours aimé cette citation  et été interpellé par cette question baudelairienne tout en trouvant sa réponse un peu lâche. La question n'est pas si l'on peut rester dans une relation ou dans une situation difficile, mais si on le veut, si on y tient et si oui, pourquoi est-ce qu'on y tient: est-ce par dépendance affective, par besoin de se raccrocher à quelque chose   ou par amour de ce à qui ou à quoi l'on tient? 


Le conseil assez statique de Baudelaire m'a toujours paru dépassé par l'interpellation à la fois plus provocatrice et prête à en découdre de Jésus à ses apôtres, après que son Discours sur le pain de vie eut entraîné pas mal de défections parmi la foule: "Vous aussi, vous voulez partir?" Les apôtres sont bien embêtés, ils restent les bras croisés et Pierre se fait leur porte-parole quand il répond, en désespoir de cause: "A qui irions-nous, Seigneur?" Si j'avais été Jésus, je lui aurais rétorqué: "Et pourquoi veux-tu absolument trouver quelqu'un à qui aller pour t'indiquer le sens de la vie?" "Je donnerai ma voix à celui qui n'ira Pas chercher dans son livre d'idées La vérité." 


https://www.youtube.com/watch?v=52Ww9SVhLm0


Ah, je lui en aurais donné à Pierre,  après qu'il m'aurait répondu son célèbre: "Tu as les paroles de la vie éternelle" censé me prouver son attachement, si j'avais été Jésus. Mais si j'avais été Pierre, je n'aurais certes pas été choqué outre mesure par le discours sur le pain de vie auquel je n'aurais pas compris grand-chose,  mais j'aurais tourné les talons, trouvant la question de Jésus trop abrupte et agressive. Une de mes grandes fiertés est de m'être éclipsé lors d'un chemin de croix où des enfants (du XIXème arrondissement de Paris où j'habitais alors) étaient censés apporter des roses à Jésus pour Le consoler du mal que lui faisaient les pécheurs. Je suis parti tambour battant et me suis trouvé d'accord avec moi-même. 


Dans cet esprit, je pourrais contresigner cette phrase du pape François: "Je n'ai pas peur des schismes" et dans toute cette affaire, il faudrait que les uns et les autres n'aient pas peur de s'affirmer schismatiques en assumant leur envie de partir si elle est irrésistible. Mais les traditionalistes n'oseront jamais quitter cette Romme qui ne serait plus dans Rome et qui aurait perdu la foi parce que, s'ils le faisaient, ils ne sauraient plus à quel saint se vouer et, pire, croiraient avoir mis un doigt dans l'engrenage diabolique, c'est qu'ils sont superstitieux, nos tradis; et les "progressistes" n'ont pas le courage de partir, ce qu'ils auraient au fond voulu faire depuis longtemps sans se l'avouer, parce qu'ils se raccrochent à une institution, quitte à en faire le procès permanent, l'âge venu, procès qu'ils feraient bien de se faire à eux-mêmes, qui n'ont pas eu le courage, du temps de leur folle jeunesse, de faire comme les copains et de trouver autre chose que l'Eglise catholique. Car derrière le besoin de s'accrocher à une institution (et non à une religion qui détient les clefs du paradis), il n'y a pas la peur de déplaire à Dieu qui anime les superstitieux charbonniers transcendentalistes que sont les traditionalistes, il y a un besoin de nouer un lien social et politique et de se référer à la société qui est une alliance de seconde zone par rapport à la société sacrée qui se prétend le Corps du Fils de Dieu. Mais pour nouer un lien social ou politique, nos jeunes-vieux soixante-huitards réfugiés dans le catholicisme de grand-papa auraient pu trouver moins ringard come parti politique que l'Eglise  catholique, ses froufrous, ses orgues et ses pompes. Une Eglise parti unique et stalinien, où il faut toujours admirer le pape régnant et infaillible, ce n'était pas très baba cool pour aller élever des chèvres en se faisant traiter de brebis, et pourtant c'est l'option qu'ont choisie ces "jeunes vieux" qui, l'âge venu, jouent les révoltés du Bounty, sortent du bois en disant qu'ils n'ont jamais aimé ce parti de l'Eglise, osent enfin s'avouer que la question est celle du partir et   pourquoi ils ne la quittent pas. Mais come ils n'osent pas prendre le parti du partir, ils tirent à vue sur leur parti et disent que la corruption y est "systémique" (ils se gargarisent de ce nouveau mot des sociétés complexes) et que leur hiérarchie, qui est devenue un pouvoir faible, n'a jamais été aussi lamentable. 


Ils quittent le navire au moment où il coule et où ils croient n'avoir plus rien à en tirer (et pour eux-mêmes plus rien à perdre), car comment ce navire pourrait-il  les tirer de l'embarras de la mort avec ce trou dans la coque, de n'avoir plus d'idée précise sur le salut personnel, bien que l'affaire des rats qui veulent le quitter, mais qui attendent qu'il coule, soit plus proprement politique et politiquement, l'Eglise est foutue.


Ce qui m'agace dans la posture de cette génération est qu'elle ne se révolte pas contre quelque chose qui en vaut la peine. elle se révolte contre l'homme (pourquoi abuse-t-il, lui qui est abusif?),elle ne se révolte pas contre Dieu: pourquoi laisse-t-Il naître des enfants pour le malheur et qui n'ont d'emblée aucune chance? Pourquoi énonce-t-Il que "celui qui a recevra encore et celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a?" Le Dieu qui énonce cette horreur est-Il d'accord avec cela ou l'énonce-t-Il comme une loi de la nature? Et dans ce cas, pourquoi ne combat-Il pas cette loi et laisse-t-Il la nature à ses lois, et lui laisse-t-Il  la même liberté qu'à l'homme? 


La "génération CCBF" (pardon, Anne Soupa) se révolte contre l'homme qui abuse parce que c'est sa nature au lieu de se révolter contre Dieu Qui abuse, ce serait abuser... Quand j'étais pré-ado, j'ai eu, après un athéisme et une conversion précoces, une nouvelle crise de foi où, face à l'Inquisition, à la guerre et au malheur des enfants innocents, je formulai trois hypothèses: soit Dieu est impuissant (mais alors il n'est pas Dieu), soit Il est méchant (et ça me paraissait le plus probable), soit Il n'existe pas (mais je ne pouvais plus y croire). Je préfère encore aujourd'hui ma révolte à celle de cette génération, pas seulement parce que je lui trouve du chien, mais parce qu'elle va à l'essentiel, sans se focaliser sur la turpitude humaine du jour, cet abus de l'homme cruel et plein d'hommerie qui sera toujours le même puisque Dieu ne semble pas l'avoir sauvé en ce monde. 


La révolte de cette génération se focalise sur le dernier effet de mode, mais aussi elle ne se montre pas intéressée à mettre du ciel dans sa vie ou d'aller au ciel à l'aide des sacrements dont elle discute s'il faut tout à fait répudier l'Eucharistie et la remplacer par un repas fraternel avec des frères qui devront se signaler parce qu'elle n'ira pas frapper à leur porte dans cette société individualiste et ces "villes de grande solitude". Mais elle trouverait obscurantiste de conjurer l'enfer en ayant un peu peur de Dieu. Cette peur l'honorerait, car elle montrerait qu'elle a un peu le sens de l'incandescence du Dieu transcendant, tout-puissant et tout autre, qui n'est pas dans le Père un Dieu souffreteux. Mais le Dieu de cette génération est politique et sa dissidence théologique s'exprime dans une société laïque et post-démocratique  où cette dissidence  ne risque pas d'en faire des prisonniers politiques. 


Pardonnez-moi de trouver un peu médiocre cette manière de vouloir partir sans oser le faire, sur le mode: "Retenez-moi ou je fais un malheur". Et puis si vous vouliez partir, il fallait le dire plus tôt, il fallait le dire avant, on aurait gagné du temps. Mais le comble est que vous qui avez toujours occupé le devant de la scène ecclésiale prétendiez maintenant vous prendre pour des "périphéries". 

dimanche 9 avril 2023

Les prêtres ont-ils perdu la foi?

Les prêtres sont déboussolés  et ce déboussolage, c'est cela, la crise de l'Eglise, une crise dont on s'est gargarisé pendant des années sans comprendre qu'avant d'être un problème de moeurs cléricales comme on le croit depuis le rapport Sauvé, le noyau de cette crise est de ne plus s'entendre sur ce qu'on appelle avoir la foi ni sur le contenu de cette foi, à la fois commune et déposée et qui peut connaître un développement interne sur un mode immanentiste et créatif (le mot qui fait tant peur aux traditionalistes). A ces deux tendances opposées de la foi s'ajoute la question du tempérament personnel, qui fait que, selon qu'on est plus ou moins inquiet, on est plutôt tendu ou plutôt téméraire, et la foi est aussi une confiance en Dieu qui devrait pousser à la témérité, témérité de dire ses engagements ou de compter sur la liberté des enfants de Dieu qui nous fait avancer avec le Saint Esprit au large de notre conscience droite, et notre conscience n'a rien à craindre si elle est de bonne foi, même si elle se trompe de bonne foi.


Beaucoup de prêtres s'accusent mutuellement de ne plus avoir la foi. J'en ai entendu un (d'origine africaine, car il y a aussi cette différence culturelle, même en Europe occidentale, nouvelle terre de mission)accuser à demi-mots ses confrères européens de ne plus avoir la foi et d'être de faux témoins. Autrefois on se contentait de dire que les prêtres qui ne restituaient pas tout le dépôt de la foi constitué par couches sédimentaires dans des montagnes de documents dogmatiques où nous est expliqué ce que nous devons croire n'étaient pas catholiques... Entre progressistes et traditionalistes, on s'anathématise réciproquement et on s'excommunie allègrement, sans voir que le véritable oecuménisme est celui qui respecte en les décloisonnant toutes les sensibilités spirituelles. Car la ligne de partage est aujourd'hui beaucoup plus spirituelle que confessionnelle et si chacun reconnaît que l'autre est a priori de bonne foi, on devrait pouvoir s'entendre et trouver un but et une destination commune.


Dans ce contexte, le pape a-t-il été fédérateur? Un paradoxe de sa personnalité est qu'il est plein d'Evangile: il est manifestement pétri par la Parole de Dieu, la diffusion en direct de ses messes à sainte-Marthe pendant le confinement a été pour moi un révélateur à cet égard). Il est plein d'Evangile, mais il dit au monde ce que le monde a envie d'entendre. Et comme le monde aime bien que l'on tape sur l'Eglise, il tape sur l'Eglise en invoquant cette notion de cléricalisme à laquelle un prêtre répond très bien, dans l'article de Jean-Marie Guénois qui sert de prétexte à ce billet de blog

(, Comment les jeunes prêtres veulent sortir l’Église de la crise (lefigaro.fr))

qu'il n'a pas suivi le Christ pour prendre un pouvoir quelconque. Les jeunes prêtres disent se sentir mal aimés par ce pape qui les accuse sans cesse de cléricalisme et quand on se sent mal aimé, on n'aime pas bien. Certains prêtres commencent à avouer qu'ils n'aiment guère ce pape. "Autrefois les prêtres ne critiquaient jamais le pape."


Pourquoi François a-t-il déconstruit méthodiquement le pontificat de ses deux prédécesseurs? Cela contribue à empêcher les fidèles de savoir sur quel pied danser.  François agit un peu comme un liquidateur avant inventaire. Réalise-t-il son personnage de la prophétie de saint-Malachie? C'est troublant, dans un monde qui a perdu ses repères. Il ne confirme pas ses frères dans la foi, car il insiste moins sur le dépôt de la foi que sur la vie de foi ou sur la fraternité de vie et d'intercession, il croit plus en la "praxis" que dans la théorie, mais sans la théorie, on marche sur des sables mouvants. Les dogmes sont notre colonne vertébrale. On a besoin d'une colonne vertébrale pour pouvoir se contortionner. 


Je parle bien librement du pape. Dans le même temps, je me permets de signer une pétition appelant à la démission de Luc Ravel, mon archevêque référent de Strasbourg. J'ai des pudeurs de gazelle à me sentir plus téméraire que la Marguerite de Faust ou son interprète la Castafior ne sourient de se voir si belles dans leur miroir. Il y a un point commun entre mes deux "autorisations" de défier l'autorité: je me crois un homme libre. J'aime infiniment cette réplique du frère Luc dans "Des vivants et des dieux": "Laissez passer l'homme libre." Je l'ai citée en la lui appliquant à un de mes meilleurs amis prêtres en train de mourir, qui m'a dit: "C'est incroyable que vous me disiez cela maintenant, car à l'instant même où vous me le dites, Michael Lonsdale est en train de passer sous mes fenêtres pour aller déjeuner au Vauban. (Le P. J.P. Dugué dont je parleactuellement, ce grand gaulliste et ce grand proustien devant l'Eternel, a fini ses jours comme aumôniers des petites soeurs des pauvres avenue de Breteuil (autre paradoxe géographique)).


Je me sens libre de penser depuis longtemps que, selon la proposition faite à l'Eglise par la Constitution civile du clergé, on devrait revenir aux premiers temps de l'Eglise où un évêque était élu par son peuple. Sans doute faudrait-il que cette élection soit validée par le Vatican qui doit rester le référent hiérarchique de l'évêque. La hiérarchie n'est pas un gros mot, l'Eglise est et doit rester une société sacrée. Mais il n'y a pas d'élection sans démission (et pourtant je ne suis pas pour le référendum révocatoire en politique, sauf peut-être s'il était organisé une seule fois et à mi-mandat). Mais nulle part plus que dans l'ordre spirituel, ne doit être mesuré le degré d'adhésion de la volonté du peuple de Dieu à la volonté de Dieu ou à ce qui est censé en émaner des "supérieurs" de ce peuple à qui on ne doit pas l'obéissance aveugle prônée dans l'Imitation de Jésus-Christ. M'associé-je à la protestantisation de l'Eglise catholique en pensant de la sorte? Je ne crois pas et je m'en voudrais si le contraire se était vrai. Car je suis viscéralement catholique et ennemi de la culpabilisation luthérienne. Je ne crois pas que l'Eglise catholique doive être une congrégation de congrégations comme le croient tous les protestants et à tout prendre, je préfère élire ou démettre mon évêque que m'inscrire dans la démocratie participative (ou la démocratie du "cause toujours, ton babil m'intéresse") de nos démarches synodales.


Les changements de paradigme introduits par la modernité et parfois par ses découvertes scientifiques ont rendu difficile de garder la foi dans son expression charbonière si chère à mon coeur d'enfant. ON ne parle plus de Création, mais de big bang, d'évolution créatrice et de création continuée; on ne parle plus de péché originel, mais de "meurtre primitif", de "repas totémique", de "meurtre du père par la horde primitive" ou de complexe d'Oedipe; on ne parle plus de récit, mais de poème de la Création en assumant son côté mythologique dans le "christianisme des Lumières"; on assume la part mythologique de la foi, mais on n'est pas jungien pour autant; on ne parle plus de salut ou de rédemption, mais de guérison; on ne parle plus de paradis, de purgatoire et d'enfer comme de trois états éternellement exclusifs les uns des autres, mais comme de trois états éventuellement consécutifs ou plus volontiers simultanés, y compris dans la vie éternelle. L'épistémè de l'époque a changé, donc ni la foi ni l'expression de la foi ne peuvent rester les mêmes. 


La nuit de la foi n'est plus seulement existentielle. J'admire le héros de "Lourdes" d'Emile Zola (chef-d'oeuvre positiviste auquel Léon Bloy n'a rien compris) ou de "l'Imposture" de Bernanos qui choisissent de rester prêtres même s'ils ont perdu la foi.


Bien sûr que la question fondamentale reste celle de Jésus: "Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-Il encore la foi sur la terre ?" Ceux qui partent, comme la majorité de Ses auditeurs après le Discours sur le pain de vie, font preuve de courage et les disciples font peut-être preuve de lâcheté en ne relevant pas le défi que leur lance le Christ: "Vous aussi, vous voulez partir?" . Mais rester n'est pas toujours une lâcheté: "Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester, reste. Pars s'il le faut", conseille Baudelaire (dans le Voyage). 


Le Fils de l'homme trouvera-t-Il encore la foi sur la terre? Ceux qui restent lui répondent "oui" avec des jambes bringuebalantes.

Bilan de séquence (II) avec les "infréquentables"

Vive les émissions contestataires et protestataires qui sont de véritables baromètres de la pensée critique.  Je relève dans celle-ci ce qui me parle ou les formules qui claquent et glisse entre astérisques mes rares annotations personnelles.

« La pseudo-scientificité de la science économique la pousse à prétendre remplacer la morale. » (A. Soral)

« Une société se juge à la manière dont elle respecte ses vieux. » (Idem)

« Macron est un personnage de rupture et de continuité. De rupture : il fait exploser la classe politique. De continuité : il utilise à ses fins les institutions de la Ve République. (X. Poussard)

« Pour beaucoup de gens de gauche, a gauche est la concession aux bonnes œuvres que le capital fait au social. »(Soral)

« Les syndicats jouent depuis 40 ans la sinistra comedia de la revolta popularia. C’est un jeu de saute-moutons des populations covidées. Une autre comédie est celle du parlementarisme. Tout a été fait pour maintenir le faux suspens du 16-3. Le Parlement, plus personne n’y croit. » » (Félix Nisch)

« La manif, ce sont des pauvres qui défilent pour rien devant d’autres pauvres. » (Soral)

« La montée au créneau d’entreprises commerçantes comme Leclerc ou Super U s’explique par l’interdépendance de ces entreprises de supermarchés vis-à-vis des classes moyennes. » (Youssef Hindi)

« La métamorphose de la lutte des classes ne signifie pas sa suppression. » (A. Soral) « C’est pourquoi je propose de parler de lutte des classes transversales. » *Pour ma part, je relève un appauvrissement volontaire des classes moyennes infériorisées, et qu’on peut de ce fait appeler des « classes moyennes inférieures », qui souffrent de leur déclassement, d’où l’épisode des Gilets jaunes, par rapport auquel cette agitation consécutive à la réforme des retraites est, comme cette réforme elle-même, sans véritable conséquence.*

« On est passé de la liberté d’expression au délit d’opinion. » (A. Soral)

« En juin  2011, Nicolas sarkozy fait passer un décret qui autorise la police à tirer à balles réelles en cas de manifestation violente. En 2011, il n’y a pas de guerre, il n’y a pas encore eu Merah, il n’y a rien. À partir de 2015, onentre dans l’état d’urgence etdepuis 2015, on ne sort plus de l’état d’exception. Plus l’économie se détruit, plus l’Etat se rigidifie. » (Youssef Hindi)

« Nous entrons dans la tragédie, mais nous n’avons plus rien de tragique, car Clio n’a pas revêtu le manteau de pourpre d’Iphigénie. On entre dans la farce et la plus grande de toutes les farces, c’est quand même le parti de Mélenchon, qui maintient la fiction de l’antifascisme. Le monde a changé de nature au sommet.» (Félix Nisch) *La pantomime de la démocratie représentative est peut-être un spectacle cathartique pour maintenir un reste de paix civile ou empêcher la guerre civile de se déclarer dans une société très fracturée.*

*La séquence actuelle est la lutte entre « les exactions des black blocks » et les exaction de Black rock. Les médias* « mettent le focus sur Black rock plus qu’il ne l’ont mis sur les ronds-points qui furent le vrai lieu de la légitimité populaire, *mais ils parlent assez rarement de Black Rock.*

*Je ne sais plus quel intervenant, se donnant des accents de Pierre Laval,  croit judicieux de souhaiter la victoire de la Russie sur l’Otan. Je ne crois pas me comporter en pacifiste en refusant de prendre position dans une guerre mondiale immorale de part et d’autre, d’autant qu’aucune idéologie ne la justifie, mais seulement le nationalisme d’un côté et l’occidentalisme de l’autre.*


C’est parti mon qui-QUI ?! #13 – 49.3, et après ? - #Françaisréveillezvous. - YouTube


 

samedi 8 avril 2023

Du bilan de séquence comme exercice de style

(sur le blog de Philippe Bilger)


Je hais les séquences, elles sont artificielles, mais elles permettent de se poser pour analyser l'état des forces en présence, , comme le dit Achille, elles sont prétexte à une "exégèse tarabiscotée" des "petits grands de ce monde" au pas desquels nos yeux sont futilement attachés (merci Genau, de me faire découvrir Paul Reboux). 


Je hais les séquences, mais je n'aime pas qu'un ministre se soit dit "séquentiel" comme l'a fait Jean-Louis Borloo candidatant au poste de second premier ministre de Nicolas Sarkozy, et encore moins "pédago" comme Gérald Darmanin s'est sottement vanté de l'êtrepour briguer je ne sais quelle promotion similaire. Le pédagogisme de ce ministre qui paie beaucoup de sa personne le dispute à celui de son maître, ce banquier philosophe qui se vante, en fait de philosophie, d'être un rhéteur cultivant l'art de persuader et aimant avant tout "convaincre".


Je hais les séquences, mais elles existent, donc posons-nous avec et sur elles et prenons le temps de l'analyse, en bons "convalescents", reposons-nous, faisons le point, tirons un bilan d'étape...


Ce qui me frappe, c'est que tout le monde ressort de cette agitation à la fois rincé et cornerisé, ou plus exactement rencoigné dans sa zone de placard.


Je m'explique. D'Elisabeth Borne, la vapoteuse crapoteuse, se dégage à mes yeux, peut-être à cause de cette cigarette électronique, l'impression d'une compétence fatiguée qui s'use à trop boulonner pour celui qui voudrait la déboulonner comme un fusible. Peut-être y a-t-il un coin perdu en elle qui s'est rendu froid pour éviter de souffrir, mais cette absence de chaleur humaine l'empêche de donner l'apparence d'une vision et de trouver ce qu'en langage post-hollandais on appelle un "cap" ("boîte à outil, boîte à outil", répond le choeur sur l'air du "Parti d'en rire"). Elisabeth Borne n'est pas une "austère qui se marre", c'est une austère qui n'a pas envie de rigoler. J'ignore s'il lui arrive de faire la bamboche. Cette séquence parlementaire où ses ministres Attalicule (qui a plus de repartie que je n'imaginais) et Dussopt ont été plus exposés qu'elle, a néanmoins révélé chez elle (et chez elle seule) des talents d'oratrice que je ne lui soupçonnais pas. Or toute capacité discursive montre une colonne vertébrale. Cette colonne est-elle de gauche comme on l'assure à grands renforts de médias sous prétexte qu'elle fut la conseillère de Lionel Jospin l'humaniste et de Madame Royal (que François Hollande ne devait pas appeler souvent "Joy" comme feu le duc du Maine appelait sa femme, la fille de Louis XVI, car Madame Royal n'est pas une aude à la joie, mais une  froide écolo)? Je doute  qu'Elisabeth Borne soit de gauche, mais j'ai vu cette colonne vertébrale dans son dos et dans le mien. 


Les états d'âme présidentielle nourrissent trop la chronique de ses deux quinquennats pour qu'on s'y appesantisse. Le crime de "lèse-Macron" qu'Elisabeth Borne est censée avoir perpétré en contestant à demi-mots l'autorité présidentielle pourrait lui valoir son éviction. On notera donc la tendance macronienne à chercher des premiers ministres dans le métro pour les renvoyer dans le métro comme Zazie ou comme Zaza.


La Nupes est tellement fatigante qu'on se prend à rêver que Bernard Cazeneuve est de gauche, lui qui est devenu ce qu'il ambitionnait d'être (et était peut-être déjà): un avocat d'affaires, qui se verrait bien reprendre le flambeau du "Hollandais volant" dans "le Vaisseau fantôme" du PS ou de ce qu'il en reste, puisque Manuel Vals (pour lequel il formait les voeux les plus grands lors de la passation de pouvoir des deux premiers ministres) s'est grillé et que M. Cazeneuve ne peut plus lui griller aucune politesse.


Jean-Luc Mélenchon a fait un congrès d'Epinay à l'envers où ce que le communisme n'a jamais supporté à savoir le gauchisme que déserte même un Fabien Roussel, a pris le contrôle de toutes les gauches, y compris du bateau socialiste qu'on croyait ne jamais devoir voguer dans ces dérives, attiré par ces lunes. Un des nombreux paradoxes mélenchonistes est de proposer une société fondée sur "l'humain d'abord" émergeant de la conflictualité au prétexte que la démocratie, c'est le clivage. Or ce n'est pas un clivage conflictuel. C'est la régulation du conflit latent dans le clivage par la recherche du consensus institutionnel et social.


Que penser de Madame Binet? Qu'elle a un drôle de nom et supplée à son manque d'enracinement ouvrier par un accent parisien de second couteau, qui chatouille mon côté populo qui lui aussi est de composition.


Le grand gagnant du moment est l'incontournable Laurent Berger qui est étonné de se voir si souvent cité comme la pythie, si reluqué, tant flatté, tant courtisé, ce qui est vrai depuis que François Hollande en a fait son interlocuteur de prédilection un peu comme Lionel Jospin disait qu'on ne pouvait pas gouverner contre "le Monde". Laurent Berger a fait un grand numéro de "plus radical que moi tu meurs" et "va voir dans les manifs si je suis réformiste!" Mais il a déjà prévenu que, dans six mois ou même avant, il ravalerait son opposition aux 64 ans pour parler "travail" avec Elisabeth Borne. Il n'est pas essoré, mais il est cornérisé.


Cher maître Robert, est-ce parce que la République se veut "démocratique" et "sociale" qu'elle est condamnée à être une sociale démocratie, ou ce que François de Closets a quelque jour appelé une "syndicratie"? 

jeudi 23 mars 2023

Bordeaux brûle-t-il?

Hier soir, j'ai ma mère au bout du fil et elle me dit: "Tu regardes la télé? Tu as vu "Paris brûle-t-il"? Affairé à des occupations  plus nourrissantes, je lui réponds que non. Je quitte mon domicile pour participer à une répétition  de chorale et puis je rentre à la maison. Par réflexe, j'allume "Bfm télé" et là consternation. Ma mère, qui aime souvent exagérer, m'a dit ce qu'elle voyait. Non seulement des incendies ne cessent de s'embraser, mais on a brûlé la mairie de Bordeaux. C'est pour moi l'image la plus frappante. On a brûlée cette mairie comme un incendie a ravagé Notre-Dame. On l'a brûlée à quelques jours de la visite du roi des Angles qui ont valorisé le Bordelais et on se demande si la sous-révolution française ne va pas avoir raison de la monarchie britannique déjà mal en point. 


On ne sait jamais quand finit une émeute et quand commence une révolution, mais on sent que l'heure est grave. Elle est attisée par un Jean-Luc Mélenchon, excité comme une puce ou comme un révolutionnaire d'opérette après avoir inventé la Nupes et avoir battu en une retraite qu'il ne prend pas, ayant largement passé l'âge de le faire, et par une Marine Le Pen qui, sous une apparence froide, poste un tweet ainsi libellé: "La très forte mobilisation aujourd’hui dans les manifestations, notamment dans les villes moyennes, est un signal fort qui confirme l’opposition massive des Français à la réforme des retraites.


Emmanuel Macron ne peut plus gouverner seul, il doit désormais en revenir au peuple." Tweet insignifiant, mais irresponsable dans le contexte actuel, car l'héritière, qui se croit ataviquement appelée à d'autres fonction que celle de première (sic) ministre éventuelle d'une éventuelle cohabitation,  prend date mine de rien quand notre paix civile ne tient qu'à un fil.


La tranquillité d'Emmanuel Macron aurait été de mise si son quinquennat précédent n'avait pas allumé les mèches qui menacent de prendre feu. Les pouvoirs publics se félicitaient que les syndicats aient pris la contestation en main sur ce non sujet qu'est la réforme des retraites et chacun saluait les défilés pacifiques en se réjouissant trop vite qu'on ait évité de revenir aux débordements des Gilets jaunes, car les syndicats sont des corps intermédiaires responsables, mais une grogne incommensurable couvait sou la cendre

 syndicaliste, d'autant plus à même de menacer d'embrasement qu'Emmanuel Macron s'était une première fois moqué des Gilets jaunes, les traitant d'affreux (presque) ) Jojos, les matant, les mystifiant par un Grand débat qui tourna au Grand blabla ou au Grand monologue, disposant à leur intention des cahiers de doléances dont se félicitait le sociologue Bruno Latour récemment disparu, cahiers dont toutes les doléances furent instantanément oubliées dès que le confinement acheva de faire rentrer les Gilets jaunes à la niche pour que pût continuer sans perturbation le déclassement des classes moyennes inférieures auquel avaient applaudi Jacques Julliard et Luc Ferry et qu'avait annoncé Michel Geoffroy.


Emmanuel Macron avait ridiculisé les maires avant de se raviser et de s'en servir comme paillasson de sa reconquête du pouvoir et des esprits. Il renouvela la même erreur avec les syndicats, qui en sont  à devoir adresser une supplique pour être reçus par le président. Il avait ridiculisé les retraités au cours d'un journal de 13h mémorable où il leur avait demandé de faire des sacrifices, car ils avaient trop longtemps vécus pour n'y point consentir. Il prend appui sur ce public pour en faire les soutiens de sa réforme impopulaire. Le cynisme continue as usual. 


Il avait refusé le Ric sous prétexte que le Parlement était plus responsable. Ce Parlement dont on vilipende le casting alors qu'il représente pour la première fois depuis longtemps une photographie fidèle de  notre société, démontre néanmoins la vacuité législative au cours de l'examen d'un texte qui n'a jamais été amendé pour être amélioré, dont sa première lecture n'a pas pu venir à bout, tant le législateur insoumis donnait dans l'insulte et le n'importe quoi,  et qui ressort essoré du Sénat sans que Mélenchon ait des états d'âme ni ne se demande à quoi peut bien servir la France insoumise si son refus d'être une force d'appoint du macronisme la conduit à faire voter des lois qui s'écrivent sans elle et aggravent la condition des travailleurs, comme disait Arlette La Guiller. 


Le PS fait comme s'il avait oublié que le mandat de François Hollande avait été l'antichambre du macronisme et la droite Pradier transforme le devoir philanthropique de la bourgeoisie en ruffinisation sans la vulgarité ni l'insulte à la bouche. Macron clive la société pour régner sans partage. Dans ce mauvais drame, dangereux pour notre convivialité sociale, seule Elisabeth Borne, qu'on présente comme fragile parce qu'elle a craqué une fois, fait preuve de force tranquille et de logique implacable. Une logique dont on a presque besoin face au coup de pied que le président donne à son âne de peuple avec les nerfs duquel il joue alors que le moment rend ce jeu dangereux. Comme si on n'avait pas assez de la guerre en Ukraine et des risques de division que fait courir à notre société le fait de ne plus être qu'une juxtaposition de communautés qui s'ignorent avant de s'opposer et d'intérêts catégoriels qui relient les classes sociales entre elles. 

mercredi 15 mars 2023

La démocratie doit-elle être vigilante?

    La dernière émission "Réplique" voit se confronter Edwy Plenel et Alain Finkielkraut qui se connaissent bien.


La démocratie doit-elle être vigilante? Elle doit veiller sur les autres et sur elle-même, elle doit veiller sur la vie de chacun, le plus faible doit être pour elle un "scrupule", mais où doit s'arrêter le curseur liberticide?


Selon Edwy Plenel, l'extrême droite ferait "l'apologie de l'inégalité naturelle". La nature n'est pas égalitaire, la civilisation doit corriger l'inégalité naturelle, mais pas au point d'introduire un standard humain hypothétique ou de courir après un horizon d'égalité inatteignable. "Egalité" que de crimes on commet en ton nom"! J'ai récemment intégré une commission qui veille sur le droit des personnes handicapées. Que de maltraitances on commet au nom de légalité devant la loi!


L'"islamophobie" est admissible comme peur de l'islam ou désamour de cette religion. La dérive intervient quand cette contestation d'une religion se mue en "haine des musulmans". Le phénomène est plutôt rare.


Edwy Plenel développe une espèce de mélenchonisme de bon aloi qui ne pousse jamais jusqu'à la russophilie ou à l'anti-macronisme. Alain Finkielkraut fait croire qu'on peut se placer dans la double défense de l'autochtonie française et de ce qu'il n'est pas excessif d'appeler le sionisme: le conservatisme français comme protection de l'identité juive,  quand elle marque son allégeance inconditionnelle à Israël. Jean Daniel et Elisabeth Badinter pourraient bien être séparatistes.


L'extrême droite n'est évidemment pas aux portes du pouvoir à moins qu'Emanuel Macron ne continue à se moquer de la société française. Mais tous les corps intermédiaires et constitués sont contre l'extrême droite et en démocratie représentative, on ne peut pas gouverner contre les corps intermédiaires ou contre les corps constitués. L'extrême droite est un épouvantail qui favorise l'immobilisme de la démocratie.


Le "grand remplacement" n'est pas une idéologie, mais une constatation démographique. Il ne devient criminogène que s'il s'accompagne d'une volonté de déportation ou de remigration sans accord préalable et avéré des deux parties. Mais énoncer le grand remplacement sans l'accompagner d'une telle volonté est constatif. On peut lui doner le synonyme positif de "créolisation". Et le parallèle  que fait Edwy Plenel entre "la France juive" d'Edouard drumont ou sa revue la "Libre parole" et les idéologies totalitaires qui ont suivi trente ans après reste un sujet d'alerte.


J'aime l'adage d'Edwy Plenel: "l'origine ne protège de rien, seul le présent fait preuve."


La Déclaration universelle des droits de l'homme a une qualité: elle énonce qu'il y a un genre humain, mais elle a deux défauts: elle est déclarative et elle est un catalogue des droits de l'homme qui fait abstraction de ses devoirs.


Edwy Plenel dit que le point commun entre toutes les extrêmes droites (russes, iraniennes, sahoudiennes, israéliennes) est la haine anti-LGBT. C'est certes un point commun (et il ne s'agit pas de nier l'homophobie), mais l'ériger en point commun majeur est un peu ridicule.


Edwy Plenel a raison de demander à Alain Finkielkraut devant son appel au fait divers qui succède à sa mise en exergue de l'islamophobie: "Est-ce que la francophobie ou la blancophobie est le plus grand danger couru en France?" C'en est un, mais ce n'est pas le plus grand, et la mise en oeuvre de solidarités entre ceux qui vivent ensemble sur unterritoire donné est une alternative aux guerres civiles.


Même si le rappel de la condition juive passée, présente et à venir est obsessionnel chez Alain Finkielkraut comme le complexe de persécution est consubstantiel à l'être-chrétien du fait de la béatitude des persécutés, le fait que les juifs doivent quitter la Seine-Saint-Denis ou des écoles des quartiers populaires n'est pas plus anecdotique que le fait qu'il ne reste quasiment plus de chrétiens en Irak ou en syrie. Un exode massif ne saurait être banalisé comme un fait divers.


"Les opinions justes doivent-elles prendre le pouvoir sur les opinions injustes" au risque d'écarter du débat ceux qui ne les professent pas car "on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages"? (Jean-Pierre Vernan) "Un débat démocratique, ajoute Edwy Plenel, ce n'est pas mon nopinion contre la vôtre, mon préjugé contre le vôtre, mon identité contre la vôtre." Affirmer cela, c'est nier le rôle de la conviction en démocratie. "Cnews" n'est pas "Radio mille collines", mais son obsession propagandiste xénophobe n'est pas plus saine que la xénophobie autochtophobe des "racisés". On ne doit pas plus blasphémer sur le prophète des musulmans ni souffrir le droit au blasphème qui est un sacrilège aux croyances d'autrui que souffrir le prosélytisme islamiste. On doit manifester une tolérance au prosélytisme salafiste, mais la frontière est parfois difficile à trouver. J'en parle parce que je suis victime de l'un et de l'autre.


Répliques par Alain Finkielkraut sur France Culture (radiofrance.fr)