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jeudi 27 janvier 2022

Les apories de Jésus

Je déroule moins une pensée que je ne pose des questions, je suis un croyant questionneur, un croyant de la lutte avec l'ange. Et si je devais passer des apories du pardon aux apories de Jésus, je demanderais: 


-Comment le Verbe ou le Fils de Dieu a-t-Il pu  S'incarner s'Il n'a jamais péché? Comment a-t-Il pu embrasser la nature humaine, alors que la nature humaine n'est pas déchue, mais elle est mixte; elle n'est pas que pécheresse, mais elle construit et "rate sa cible", selon la traduction du concept hébraïque de "péché"-"hamartia". Dire que Jésus S'est fait homme à l'exception du péché, c'est presque prononcer un oxymore. 


-Je sais bien qu'il en est pour douter que Jésus Se soit fait homme, et ce n'est pas ce qui me choque le plus. Beaucoup de rabbins doutent de l'existence de Dieu, je suis un peu rabbinique en cela. Car je me dis que si c'est l'homme qui a fait naître Jésus du besoin qu'il avait de le représenter comme son Sauveur, Dieu ne regarde qu'au bien qui en est résulté et que Jésus ait existé et aimé le premier ou que ce soit l'homme qui ait eu le premier besoin de l'existence de Jésus pour projeter en Lui l'image du salut, Jésus a fait beaucoup de bien.


-On doit pouvoir s'interroger sur le modèle anthropologique porté par Jésus. Jésus Se présente comme le Fils de l'homme, donc comme un modèle d'humanité. Or Jésus est dans un besoin d'affirmation  de soi qui le ferait passer aujourd'hui pour un paranoïaque. Si n'importe quel quidam humain parlait aujourd'hui comme Jésus, on le traiterait de fou. Mais "médecin, guéris-toi toi-même" n'est pas la boutade dérisoire par où je renverrais à leurs leçons les marchands de bonheur. Mon médecin peut être efficace et plus malade que moi et je ne dis pas que Jésus le soit, car je suis incomparablement plus malade que Jésus et j'ai besoin de Sa médecine. Seulement Jésus ne réalise pas une condition anthropologique essentielle de l'homme moderne ou de la modernité humaine: Jésus ne tue pas le père; bien loin de là, il se fait tuer pour le père et devient la cible du père, selon la signification du mot "Fils" ("bar" en Hébreu), traduite par Annik de Souzenelle. Etre fils est l'entière direction de Jésus. Jésus se veut l'"instrument du Père", la chose du Père, la voix ou même le perroquet du Père, qui ne fait que la Volonté du Père, là où nous ambitionnons d'être des individus autonomes et responsables. 


-Reste à vérifier que Jésus n'a point péché ou si Jésus a péché. Jésus est âpre, Jésus a mauvais caractère, Jésus rabroue volontiers même ceux qui se donnent pour des "petits chiens" dans l'espoir de ramasser les "miettes" qu'il ne leur donne pas de bon coeur; Jésus refuse de reconnaître les "vierges folles", ces fiancées inconséquentes à leur entrée au paradis; Jésus promet la condamnation à qui "refuse de croire", mais ferme aussi sa porte à qui croit en s'y prenant mal ou en ne donnant pas tout; il déclare indigne du Royaume qui ne Le préfère pas à tout ou proclame "la béatitude des persécutés", telle qu'il faut toujours "des pauvres", "la guerre" et "des persécutions" à l'accomplissement du Royaume de Dieu. Est-ce vraiment ne pas pécher que de parler et de se comporter ainsi? Est-ce parler contre la foi que de poser ces questions assez terribles? Ces questions, je les porte en moi, je les pose en conscience, elles risquent de "scandaliser" les plus petits d'entre mes frères, mais je m'inscris dans le sillage de Jésus en les posant, si toutefois j'admets, du fond de ma nuit de la foi, que Jésus n'est pas tant venu pour imposer un dogme que "pour une remise en question", et c'est Lui-même qui le dit (en Jn IX-39). 

mercredi 26 janvier 2022

Les apories du pardon

J'en ai longtemps voulu à Paul Ricoeur d'avoir décidé que la Shoah était le seul impardonnable, dans "Mémoire et histoire", co-écrit avec Emmanuel Macron en qualité de secrétaire...


Un ami très mystique m'a dit que nous avions le privilège d'être les disciples d'un Dieu qui est pardon et que, sans pardonner, il n'est pas possible de vivre. Cette dernière proposition me paraît assez péremptoire.


J'ai tendance à partager l'avis ce ceux le pardon est nécessaire à la santé mentale."On ne doit pas se juger soi-même", affirme-t-on, on ne peut parfois pas se pardonner à soi-même, mais on fait comme si, pour ne pas vivre le supplice du détenu dans le miroir de la raison pour laquelle il purge sa peine. ON se survit en paraissant se pardonner ou pire, en étant dans le déni de sa culpabilité réelle pour ne professer, ne confesser et ne reconnaître qu'une culpabilité toujours imaginaire, sous prétexte que l'inquiétude et la culpabilité sont des énergies malsaines. 


A quoi sert-il de faire amende honorable si on est incapable de s'amender?


Une amie me disait que le repentir consiste à remonter la pente. Et Benoît XVI qu'il faut avoir "un coeur toujours repentant". Ca me paraît invivable. 


Il y a dans la présentation que l'Eglise fait de Jésus une exception qui ne me paraît pas être des moindres: "Dieu s'est fait homme en toute chose excepté le péché." Il se serait donc fait homme excepté la nature humaine. Alors que reste-t-il de son Incarnation?


Et la rémission des péchés, qui est un article de foi, ne fait-elle pas que l'abus ne devient pas seulement un fait culturel issu de je ne sais quelle déviation cléricale, mais est intrinsèque à la culture chrétienne qui croit en la rémission des péchés et postule un salut qui, à le prendre de façon quiétiste et inactive, est un transfert de responsabilité qui nous rend irresponsables puisque c'est le Christ qui répond littéralement de nous? 

dimanche 16 janvier 2022

Sur les élèves handicapés, Eric Zemmour a dit la vérité

    J'observe que le handicap est agité comme un hochet compassionnel à chaque élection présidentielle. Je me souviens d'Emmanuel Macron y consacrant sa "carte blanche", me semble-t-il au cours du débat de second tour avec Marine Le Pen, et c'est le refus de la déconjugalisation de l'AAH qui a vérifié les bonnes intentions de sa ministre Sophie Cluzel, qui envisagea un temps un avenir de présidente de région contrarié par la querelle entre Renaud Muselier et Thierry Mariani. Auparavant, Ségolène Royal avait surjoué l'indignation dans son débat de 2007 en disant que Nicolas Sarkozy, pour souligner les difficultés de "l'école inclusive", qui n'ont fait que s'aggraver depuis, atteignait au "summum de l'immoralité politique".


Giscard fut notre dernier président social. Sa loi de 1975 fut la dernière à améliorer vraiment le sort des personnes handicapées. Pour en fêter les trente ans, on discuta, vota et promulgua la loi de 2005 dont la philosophie générale était que le handicap n'existait pas en tant que déficience ou qu'infirmité, mais seulement en tant que "situation", et qu'il appartenait à la société de compenser ces handicaps de situation en admettant toutes les "personnes en situation de handicap" dans toutes celles que traversait normalement sans dommage ni encombre quiconque n'était touché par aucune infirmité. Ceux qui, comme moi, dénonçaient une utopie d'où résulterait une moindre intégration et une précarisation des personnes concernées se voyaient taxer d'obscurantisme. L'avenir nous a donné raison, mais les personnes handicapées continuent de ne pas le reconnaître. Leur désir d'être acceptées à part entière, un désir idéaliste ou idéologique, l'emporte sur la considération empirique des effets de la loi de 2005, qui se retrouvent dans les conséquences des confinements de 2020, lesquels étaient présentés comme destinés à protéger les personnes vulnérables et fragiles, alors qu'ils ont contribué dans la pratique à les fragiliser en les isolant et en fermant la plupart des services qui leur étaient dédiés et leur venaient en aide sous prétexte de les protéger d'être infectés par la Covid. 


Les premières à refuser ces constats objectifs sont les personnes handicapées elles-mêmes et peut-être plus encore leur entourage. Je me souviens de la bronka qui accueillit Marie-Christine Arnautu qui prononça un discours remarquable aux Etats généraux de la déficience visuelle auxquels je participai, elle était à peu près la seule à maîriser son sujet, avec Hamou Bouakkaz, alors conseiller de Marisol Touraine avant d'être écarté de son cabinet quand elle devint ministre, et qui résuma la situation de l'"inclusion scolaire" en préconisant le cas par cas avant d'ajouter non sans humour: "Je suis aveugle et d'origine algérienne. Chaque jour, je dois donc m'intégrer à un double titre. Le matin, j'essaie de m'intégrer; l'après-midi, je me demande si je suis intégré et le soir, je me désintègre." Marie-Christine Arnautu gâcha son discours en conchiant l'aide médicale d'Etat, laquelle ne coûte qu'un modeste milliard, qui compte bien peu au regard des milliards gaspillés dans la valse de l'argent magique emmenée par celui qui, en Guyane ou à Saint-Martin, refusa d'ajouter le "Père Noël" à la galerie  de ses mauvais rôles, l'inénarrable président Macron. 


Ma mère milita à l'ANPPEA, l'association nationale des parents d'enfants aveugles. Cette association éditait la revue "Comme les autres" et militait pour que le terme de "handicapé" soit remplacé par le terme "différents". L'association ne s'apercevait pas qu'elle n'était pas à un oxymore près. Mais elle était progressiste et son progressisme la préservait de voir certains pans du réel. Elle militait pour la fermeture des internats et l'intégration de plus en plus précoce des enfants dans des établissements scolaires ordinaires. On l'a prise au mot. Dans le monde du handicap visuel, la plupart des écoles spécialisées ont fermé ou n'accueillent plus d'élèves, mais font du suivi scolaire d'enfants handicapés qui font une quadruple journée : 


-les apprentissages scolaires dans lesquels ils peuvent être "largués" à défaut de maîtriser les techniques de compensation de leur infirmité; 


-le suivi scolaire et l'apprentissage de ces outils compensatoires

par les "professionnels" des établissements d'enseignement spécialisé reconvertis en établissements de suivi scolaire d'élèves "à besoins spécifiques;


-le ramassage scolaire où le premier cherché est souvent le dernier ramené, car la carte scolaire n'est pas si inclusive que les lycées accueillant des élèves "en situation de handicap" ne soient pas regroupés en pôles de manière à être plus efficaces dans cet accueil, moyennant autant d'éloignement des élèves des lycées qui les accueillent; 


-et la compensation du handicap lui-même.


Ajoutons à cela que les accompagnants des élèves handicapés ont énormément perdu en qualification. Autrefois, il fallait deux ans, en dehors du cursus universitaire classique, pour devenir un enseignant spécialisé; aujourd'hui, il faut à peine deux semaines pour devenir AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap). ET l'"école inclusive" est un des maquis normatifs les plus kafkaïens qui soient au pays des 300000 normes et des mille fois moins de fromages qu'est celui des "Gaulois réfractaires" qui n'y résistent guère. Alors peu m'importe qu'Eric Zemmour ait eu un mauvais mouvement et ait su d'instinct ou non de quoi il retournait en matière d'"école inclusive", mais il a dit la vérité, et c'est pourquoi ses adversaires l'exécutent en persuadant les ignorants qu'il a tenu des propos immoraux.