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mercredi 26 avril 2023

Au nom du validisme

J'ai été très heureux d'apprendre que la plupart des associations se disant représentatives des personnes en situation de handicap (périphrase insupportable) ont boycotté la conférence organisée par Emanuel Macron pour se féliciter de la politique qu'il mène en la matière, souhaitant notamment que "tous les élèves en situation de handicap aient un enseignant référent", c'est déjà le cas, mais le président n'y connaît rien et la nomination, puis l'éviction de Sophie Cluzel n'y a pas changé grand-chose... Avant ces élèves avaient des éducateurs ou des enseignants spécialisés à qui cette spécialisation avait demandé deux ans d'études, maintenant ils manquent d'AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap), qui ne bénéficient que de soixante heures de formation et occupent un emploi précaire à temps partiel. 


La loi de 2005 qui visait à tout rendre accessible n'est qu'une vaste utopie et, ainsi que je le prévoyais et en avais avisé mes mandataires à l'époque dans de longues missives pour qu'ils s'opposent à son esprit, elle a dégradé la condition des personnes handicapées, contrairement à la loi giscardienne de 1975, qui l'a considérablement améliorée. 


Alors qu'on a confiné soi-disant pour  préserver les "personnes fragiles" et que les services qui leur venaient en aide ont baissé pavillon pendant la période, les personnes handicapées bénéficient globalement d'un moindre accès au soin (à hauteur de 20 % de manque-à-gagner). Tous les acteurs médico-sociaux en conviennent et le déplorent, , je participais il y a quelques mois à un colloque où une dizaine de médecins tombait d'accord pour tirer cette conclusion alarmiste, mais un mantra interdit de critiquer cette loi et oblige à dire que ce qui ne va pas ne va pas malgré cette loi, or c'est à cause d'elle que ça ne va pas, car qui tout demande n'obtient rien, même plus le nécessaire.


La raison de cette utopie est dans ce qu'à gauche on appelle le "validisme" (mot auquel je ne me suis intéressé que tout récemment, alors qu'il reflète une réalité que je tente de formuler depuis très longtemps. Le validisme est l'illusion selon laquelle le handicapé doit imiter le valide et prouver qu'il est capable de faire tout ce que fait le valide. Il porte sur la capacité et son défi repose sur le célèbre "t'es cap, t'es pas cap"Le prétendu enrichissement par les différences se borne donc à l'imitation, cet instinct que la personne humaine doit dépasser pour devenir elle-même. L'invalide n'est, comme son nom l'indique,, pas  en mesure de remplir de façon rentable toutes les  fonctions qu'occupe un valide. Il est moins productif, mais on veut obliger les entreprises, pourtant dévolues à la production et à la productivité,  à l'employer massivement envers et contre sa moindre rentabilité. C'est la quadrature du cercle.


Plus le candidat à l'élection majeure se montre inclusif et plus l'électeur croit qu'il a du coeur. Les ambitions pour les personnes handicapées tambourinées la main sur le coeur sont la variable d'ajustement de ce qu'on ne fera jamais pour elles. Emmanuel Macron consacra au handicap sa "carte blanche" dans son débat contre Marine Le Pen, or au Rassemblement national, Marie-Christine Arnautu avait une véritable expertise dans le domaine. Des cris d'orfraie devaient accompagner la sortie de Zemmour sur l'école inclusive, laquelle dressait un état des lieux presque absolument objectif. Et Ségolène Royal disait à Nicolas sarkozy que se targuer de ce qu'il avait fait dans le domaine du handicap "était le sommet de l'immoralité politique". Ce qui est immoral, c'est de faire du handicap une variable d'ajustement et une trappe à précarité.

 

Les Molières ou le parisianisme décomplexé

Pour moi, les Molière sont le summum de l'entre-soi et du parisianisme. C'est une cérémonie organisée par les professionnels de la profession pour se congratuler et se récompenser devant un public hermétique à ce qui se raconte, puisqu'il a rarement eu l'occasion d'aller voir les pièces dont on lui vante l'interprétation ou la mise en scène s'il n'habite pas la capitale. Le service public s'en fait l'écho, mais dans la mesure où il ne prend pas le parti de diffuser le théâtre à la télévision, il devrait s'en dispenser et la ministre de la Culture, qui représente l'Etat actionnaire, devrait l'obliger à reprogrammer du théâtre,, plutôt que de tancer des militantes cégétistes qui la prennent à parti ou de se livrer à l'éternel bras-de-fer entre pouvoirs publics et intermittents du spectacle. Ce conflit est vieux comme le ministère de Maurice Druon qui se plaignait déjà que les acteurs culturels viennent le solliciter, la sébile dans une main et le cocktail Molotov dans l'autre.

Quand j'étais petit, j'étais tellement frustré que les actualités me parlent constamment d'événements auxquels je ne pouvais participer puisque je ne venais à Paris que pour me rendre à l'hôpital que j'en fis une chanson rabique où je disais que j'allais faire exploser Paris et faire sauter le coeur nucléaire de ce noyau de la culture qui rejetait une majorité de Français à la périphérie tout en les contraignant à subir le récit et la critique de ce que vivaient et voyaient les "happy few",jusqu'aux stars que je traitais d'égoïstes parce que, lorsque Michel Drucker les interrogeait devant les Français réunis autour de "Champs élysés" après avoir lu "Paris match" chez le coiffeur ou chez le médecin, elles ne parlaient que d'elles et non seulement de films que nous serions peu nombreux à aller voir (encore, ça ne tenait qu'à nous), . mais de leurs états d'âme pendant le tournage de ces films et de l'ambiance de ce tournage, toujours merveilleuse. C'était ça, le service que rendait Drucker au public, déplier un tapis rouge devant les stars qu'il pouvait regarder en ayant l'impression de faire partie de la famille et d'être de la fête, pris en réalité en otage comme le lecteur d'un roman de Balzac qui n'aurait pas choisi de prendre connaissance des échos imaginaires du tout Paris qui fait rêver.

Quand j'entendis parler de décentralisation, je me pris à rêver qu'on allait enfin cesser de faire de la province un désert et je fus fort dépourvu d'apprendre qu'on n'envisageait pas d'y attirer les cigales, mais d'y déployer un nouvel étage de la fusée des doublons pour aggraver le mille-feuilles administratif. 

mardi 25 avril 2023

"Ludovine ou le devoir joyeux" ou les contradictions de "la Manif pour tous"

« La manif pour tous » fête son anniversaire à grand bruit de casseroles. En France où on a la mémoire courte, on a la manie commémorative et on aime bien fêter ses défaites, car on les confond souvent avec des victoires comme l’avaient fait Ségolène Royal en 2007 ou Marine Le Pen en 2022. Les médias célébraient régulièrement l’anniversaire des émeutes de 2005 comme s’ils portaient le désir inconscient d’une nouvelle déflagration sociale en forme de guerre civile par révolte des éléments les plus énergiques de la société, face auxquels les gesticulations symboliques et syndicales autour de la réforme des retraites mal mais bel et bien passée font pâle figure. Je parie qu’on fêtera bientôt les cinq ans du Covid et de l’expérimentation sociale à laquelle il a donné lieu en étudiant la faible résistance civique aux injonctions paradoxales et aux ordres versatiles que ses gouvernants lui ont intimé comme « confine-toi et lève le pied », « au pied», « assis », « couché ».

 

Cet anniversaire (puisqu’anniversaire il y a) nous donne néanmoins l’occasion de tirer les leçons de la sortie de route de « la France bien élevée » qui s’est exhibée dans la rue en confondant pèlerinage et manifestation. Et cette leçon tient en trois mots : nous nous sommes comptés, nous nous sommes ridiculisés et nous nous sommes discrédités.

 

Nous nous sommes comptés et ça faisait plutôt du bien. Tout à coup les catholiques redevenaient visibles tout en jouant la carte de l’aconfessionnalisme par refus du « front des religions » (cal André Vingt-trois dans une interview sur « RTL »). Nous nous sommes comptés et pendant un temps on a pu croire que l’Église catholique coïncidait avec cette protestation de la famille bourgeoise et patrimoniale que la police de Manuel Valls gazait et tabassait avec une rage qui montrait à Emmanuel Macron comment réprimer les Gilets jaunes, au besoin en tirant à balles réelles si ça devait dégénérer. Nous nous sommes comptés et même si je ne suis pas sorti, je me suis inclus dans ce nombre, car je trouvais marrant que la bourgeoisie passe pour la dissidence. Ne sont pas « les périphéries » qui veut. Je ne sais pas si je suis un vrai marginal, mais je me suis toujours senti plus proche des marges que du centre de la société qui maintient son activité productive alimentaire, mais ne crée pas, même avec les paradigmes apparemment mortifères, conservateurs ou régressifs de la « société close ». J’ai préféré cette sortie de route de la bourgeoisie se montrant dans les rues comme le « syndicat de la famille » qu’elle voulait devenir à la sortie du bois du « catholicisme des Lumières » expliquant au moment du confinement qui entravait la liberté de culte comme aux plus belles heures de l’Union soviétique que sa stratégie de l’enfouissement avait toujours été la bonne, que son dialogue avec la société laïque était fécond et que l’Eucharistie n’était ni le centre, ni la source ni le sommet de la vie chrétienne, contrairement à ce qu’un vain adage avait longtemps entretenu dans la conscience du peuple ignare des charbonniers prétendant être maîtres chez eux en dépit de la « destination universelle des biens ».

 

Nous nous sommes comptés et j’étais de ce nombre, mais nous nous sommes ridiculisés, car la sociologie de ses manifestants était dans son propre déni : non, ceux qui défilaient n’étaient pas les Versaillais de toujours ! J’ai toujours été plus proche des communards, mais dès lors que la bourgeoisie traditionnelle avait depuis longtemps perdu la bataille du verbe, je voulais manger son pain noir avec elle, dont je me promettais qu’il serait agrémenté de grands crus tels qu’on en buvait aux meilleures tables. Pourtant je trouvais inconvenant que dans un Etat dont elle assurait avoir accepté le caractère laïque, l’Eglise s’invitât à la table des négociations de ladite République en posant comme préalables des « points non négociables », tels qu’un mariage contracté au service de l’engendrement, comme si la révolution du mariage n’avait pas eu lieu, faisant passer celui-ci  de fondement contractuelle de la famille, cellule de base de la société, au mariage d’amour. Le mariage était devenu un acte civil et l’Église n’avait pas à s’en mêler au titre de la fiction du droit naturel dont elle se prétendait le garant anthropologique dans des termes qui l’ont discréditée : « Je ne suis pas homophobe pour un sou, déclara le cardinal Barbarin à la manière du bourgeois de Poulailler song. Je compte parmi les gens que j’aime bien des homosexuels très bien et même tout à fait continents, mais je crains que l’autorisation accordée aux pédés de s’enfiler ne débouche sur les partouses ou le mariage zoologique reconnus d’utilité publique. » Le cal Barbarin paya son outrance au moment de l’affaire Preynat qu’il fut moins coupable de ne pas avoir dénoncé (ses victimes pouvaient bien le faire elles-mêmes) que de l’avoir rétabli dans une charge de curé quitte à le remettre aux prises avec ses démons. Son ami le grand rabbin Bernheim chuta lui aussi pour avoir été plagiaire et on oublia les intéressantes passerelles qu’il tentait d’établir entre « Torah et société » (dans une émission éponyme sur une des radios de la communauté juive).

 

Mon intranquillité m’a fait sauter un peu vite du ridicule au discrédit, il faut que je repasse la seconde et que j’examine de plus près la nature de ce ridicule, qui n’était pas tellement d’ordre diagnostique, même si l’Église aurait dû considérer que le mariage était devenu un acte civil dont elle n’avait pas à se mêler.

 

Une de mes professeurs de rhétorique, Aurélie delattre, illustra la pente savonneuse, en se moquant de l’avertissement des meneurs de « la Manif pour tous » qu’on allait passer du « mariage pour tous » à l’admission de la PMA pour tous les couples et de la GPA. On en est à la deuxième étape et encore réserve-t-on pour l’heure la PMA aux couples de femmes. Ça ne tiendra pas longtemps, car la bioéthique ne saurait entrer en contradiction avec l’anti-discrimination, qui obligera bientôt à reconnaître les mêmes droits aux couples d’hommes qu’aux couples de femmes. Certains comme Marc-Olivier Fogiel font avancer la GPA, mais parmi les partisans du « mariage pour tous », il se trouve des adversaires de ce que ses contempteurs les plus acharnés assimilent à du trafic d’enfants.

 

On descend donc bien par degrés la pente savonneuse que dénonçait Aurélie Delattre dans la rhétorique de « la Manif pour tous » et Aude Mirkovic hystérisait le débat quand elle prétendait qu’après la reconnaissance de la PMA, on donnerait naissance à une majorité d’ »hommes [ou d’enfants] artificiels » (Jean-Pierre Dickès). Mais là où « la Manif pour tous » a néanmoins produit une analyse pertinente, c’est quand elle a dénoncé une société dégenrée (qu’elle identifiait sans doute à une société dégénérée). On lui opposait que la « théorie du genre » n’existait pas et qu’il n’y avait que des « gender studies ». La théorie du genre s’est imposée depuis, avec l’idée que les femmes sont des hommes comme les autres et que le sexe n’existe pas, qu’il est une construction sociale et non biologique.

 

Le monde et sa bourgeoisie décadente n’ont pas beaucoup aimé cette bourgeoisie dissidente. Patrick Rambaud en a fait la caricature la plus féroce, mais aussi la plus juste en se souvenant des « Brigitte » (nous avons aujourd’hui une première dame qui porte ce prénom et fait tout pour se distinguer du message indiqué par la bande dessinée des années 50 parlant entre autres de « Brigitte et le devoir joyeux »). Ceux qui voulaient choquer plus profondément les manifestants pour tous (et j’en étais !) ironisaient en leur rappelant qu’ils étaient mal placés pour brocarder la théorie du genre puisque Jeanne d’Arc s’habillait en homme et que Jésus était le fils d’une « mère porteuse » que l’Esprit saint avait couvert de son ombre en lui demandant de se faire la complice d’une théophanie, l’Incarnation du Verbe, qui ne violât point sa virginité comme l’avaient fait celles de Zeus se métamorphosant pour engrosser toutes les mortelles qu’il trouvait désirables.

 

Les « manifestants pour tous » n’étaient pas non plus ridicules de porter une vision de l’intérêt général où ils descendaient dans la rue pour défendre ce qu’ils croyaient être le bien commun où leurs intérêts catégoriels n’étaient pas directement concernés par la loi qu’iils contestaient, mais le progrès de l’individualisme empêchait que l’on comprenne pourquoi des gens s’opposaient à une adjonction de droits qui n’enlevaient rien aux leurs.  (Dans le même ordre d’idées, mon frère et mon meilleur ami ne comprenaient pas que j’envisage de faire le voyage de Paris à Mulhouse  pour voter contre le traité constitutionnel européen. Pourquoi déployer de l’énergie pour dire « non » ? Je n’ai renoncé à ce voyage qu’en dénichant dans le traité l’article 50 qui ménageait un Frexit possible contre l’irréversible qu’on nous promettait de la construction européenne dont la bureaucratie capitaliste finira comme la technocratie des Républiques socialistes, leur rationnement et leurs « appartements collectifs »).

 

« La Manif pour tous » s’est ridiculisée d’avoir adopté les codes d’un monde qui ne l’aimait pas, en faisant par exemple de Frigide Barjot l’icône défraîchie et night-clubeuse de ses aspirations casanières, laquelle se définissait pourtant elle-même comme une « fille à pédés ».  Les « manifestants pour tous », un de mes professeurs de sociologie de l’écriture les appelait des « affreux ». Je trouvais ça moche et ça me fait dire qu’il n’y a pas d’affreux en politique. Christiane Taubira vient de dire qu’elle ne leur pardonnerait pas. Je comprends qu’elle n’ait pas apprécié les caricatures qui la dépeignaient en macaque mangeant des bananes ou ceux qui accompagnaient chacun de ses déplacements de casseroles et de huées. Mais je trouve affreux que l’on croie qu’il y a de l’impardonnable, même si je comprends qu’on puisse difficilement se reconstruire (et parfois se remettre d’une ou) après une offense.

 

Nous nous sommes comptés. Malgré mes divergences, je reste de ce nombre. Nous ne nous sommes pas ridiculisés en tout et le ridicule ne tue pas. Nous n’avons pas rencontré l’amour du monde, mais nous ne sommes pas là pour dire au monde ce qu’il a envie d’entendre, ce serait de la « mondanité spirituelle ». Je continue à préférer cette bourgeoisie dissidente qui se prend désormais pour le « syndicat de la famille » à l’embourgeoisement de l’Eglise qui fait semblant d’adopter, non seulement les codes, mais les valeurs de son temps en croyant pouvoir être féministe ou écologiste, valeurs qui pour l’une se dissoudra dans la complémentarité réalisée des hommes et des femmes, et pour l’autre finira par se montrer sous son vrai jour : une inversion du regard réclamant conversion du ciel à la terre. À tout prendre, je préfère une Eglise qui défende les valeurs de la bourgeoisie dissidente qu’une Église qui adopte les valeurs de la bourgeoisie décadente, à savoir d’une bourgeoisie qui, cédant au démon de l’opportunisme qui fut toujours celui par lequel cette classe s’est reniée, a renoncé à ses valeurs. L’Église doit aller au monde sans avoir l’amour du monde. Ce n’est pas en lui faisant les yeux doux qu’elle se fera aimer de lui ou en se faisant anticléricale à son exemple qu’elle endiguera son anticléricalisme. 

 

»La manif pour tous » est un mouvement contradictoire, il n’y a pas matière à l’en blâmer, il appartient à chacun de mettre de l’ordre dans ses contradictions à défaut de les résoudre, car tel n’est pas le sens du « Que votre oui soit oui et que votre non soit non » qui déborde la résolution des contradictions dans « la coïncidence des opposés » qui n’est pas « l’union des contradictoires » dénoncée par Simone Weil.

mardi 18 avril 2023

"Quand je veux vous pouvez", Macron ou la grande diversion

"Il est venu, on l'a entendu, il n'a pas convaincu. Le pacte entre lui et les citoyens est rompu." (Philippe Bilger)) 


L'allocution d'Emmanuel Macron était attendue. Manquant d'incandescence (pour une fois le président n'a pas cédé au lyrisme), elle était formellement conforme à l'orateur et insignifiante pour ce qu'elle n'avait pas d'indécent.


C'est Arnaud Demanche qui, ce matin, sur "RMC", l'a résumée le mieux:

"Quand j'ai dit qu'on pourrait rebâtir Notre-Dame, vous l'avez fait. Quand je veux, vous pouvez."


"Je veux", locution votive d'un président mal élevé qui n'a jamais appris à dire "je souhaite" ou "je voudrais". Un président qui ne sait pas manier l'optatif. Une graine de tyran domestique.


Emmanuel Macron aime se référer à l'histoire. IL joue les grands personnages en imaginant que c'est ainsi que l'histoire prend date ou que l'on adopte une posture historique. Pendant le Covid, c'était "Clémenceau dans les tranchées" (aux dires des conseillers de l'Élysée). Hier, c'était les Cent jours (il a dû avoir Dominique de Villepin au téléphone). Sa seule invention fut "le Grand débat", transformé comme on sait en "grand blabla" ou en "grand monologue" après la crise des Gilets jaunes.


Discours insignifiant: sur les trois "chantier" sur lesquels il nous promet d'"avancer" pendant ces Cent jours, la réalisation de trois d'entre eux est remise à appréciation ultérieure: 


-Pourquoi la réforme de la justice devrait-elles s'arrêter après les Cent jours? 


-"A partir de la rentrée prochaine, l'école se transformera à vue d'oeil" (non dans ses contenus pédagogiques, mais sa logistique fonctionnera et l'absentéisme ou les congés maladie pour dépression des enseignants seront palliés.


-A la fin de l'année prochaine, on aura désengorgé les urgences. Et c'est ici que le discours est indécent. Le même président avait déjà promis qu'à la fin de je ne sais plus quelle "année prochaine de son précédent quinquennat (l'année prochaine on rasera gratis), il n'y aurait plus aucun SDF dans les rues. Lionel Jospin avait fait la même promesse inconsidérée en campagne pour transformer son poste de premier ministre en celui de président de la République, mais je l'accrédite (l'objectivité n'existant pas) de ne pas avoir su ce qu'il disait , car il était profondément HUMANISTE et IL avait la fibre sociale. 


Emmanuel Macron promet de se pencher sur le droit du travail (ce sera sa troisième loi dans le domaine pour expurger un Code du travail que Robert Badinter prétendait trop volumineux), sur la justice (Éric Dupond-Moretti devait rebâtir "la confiance" des citoyens dans la justice républicaine à la fin du précédent quinquennat) et sur le "progrès du quotidien", de la santé et de l'Education nationale. Que ne l'a-t-il fait pendant les six années précédentes? Il a dû s'assoupir comme la Belle au bois dormant qui rêvait de ne pas être un "roi fainéant".


Emmanuel Macron est habitué depuis longtemps à des discours fleuves et programmatiques où les actes ne suivent presque jamais les paroles. Il croit à la vertu illocutoire de la parole politique. Pour lui, "dire, c'est faire". Il en dit un maximum et fait tout le contraire de ce qu'il dit. Il voulait dissoudre? Il ne veut plus. "Personne" (et surtout pas lui) ne peut rester insensible à la demande de plus de démocratie dans la pratique du pouvoir, mais il tient tellement à faire passer sa réforme des retraites (car Bruno Le Maire l'avouait ce matin, on se doit à ses créanciers), qu'il ne convoque pas un référendum pour résoudre la crise. Pour lui, la démocratie, c'est le tirage au sort et ce sont les conventions citoyennes dont il promet qu'il reprendra l'ensemble des conclusions et dont il dit quand on le convainc du contraire que "ce n'est pas la Bible ou le Coran".


Mais que fait encore Bayrou, l'éphémère garde des sceaux qui voulait moraliser la vie politique tout en traînant des casseroles,  dans l'entourage de ce président qu'il traitait d'hologramme quand il n'avait pas encore fait alliance avec lui? Cet ancien ministre de l'Education qui cogérait son ministère avec le SNES et Monique Vuailla se déclare contre la réforme Blanquer du baccalauréat et contre "Parcours sup", il soutient Emmanuel Macron. Il a toujours alerté contre la dette, ce président l'a faite exploser, mais il soutient Emmanuel Macron. Il est contre l'euthanasie, le président "veut" qu'une loi sur la "fin de vie" soit votée avant l'été" et Bayrou soutient Emmanuel Macron. Tout est à l'avenant dans notre société discontinue.


Discours insignifiant et allocution "[disruptivement]" indécente, mais stratégie pouvant se révéler payante: le président a déjà sonné la fin de la récré séquentielle en organisant le Grand débat à la sortie des Gilets jaunes. C'est lui qui donne le tempo et siffle la sortie des séquences (je hais les séquences, bis). Pour l'instant, Laurent Berger a promis d'attendre la fin de la mobilisation du 1er mai pour revenir parler "travail" à la table des négociations présidentielles. 


Il y a vingt et un ans, la France sortait dans la rue pour s'opposer à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Depuis, pas de contestation majeure... Quand l'épouvantail n'est pas là, les souris dansent et "enfourchet le tigre". 

samedi 15 avril 2023

La défaite des syndicats ou la fatalité dans l'erreur?

Posté sur le blog de Philippe Bilger au pied de cet article:


Justice au Singulier: Un président trop pressé et des Sages bien trop sages... (philippebilger.com)


Non seulement les "sages" ou les "singes" (Sylvain) du Conseil constitutionnel se permettent de juger les "conditions du débat" (Marc Ghinsberg) (donc le Conseil constitutionnel est anti-Nupes), en quoi ils montrent le dévoiement et non "la carence politique" (PB) d'une institution   dénaturée par la question prioritaire de constitutionnalité si chère à Jean-Louis Debré et qui ne devrait pas recaser de vieux ministres à la retraite (qu'est-ce que 64 ans pour des gens qui refuseront toujours  de passer la main et de se retirer pour cultiver leur jardin ou écrire leurs mémoires?), mais cette décision prend "les travailleurs" à revers dans tout ce que le texte avait de favorable. Elle recale l'index des seniors et le CDD senior. À ce stade, la défaite des syndicats est donc cuisante et c'est se moquer que de dire qu'il n'y a ni "vainqueur ni vaincu" comme le fait Elisabeth Borne en mangeant son chapeau et promettant qu'on va "accélérer" après avoir souhaité que l'on respecte une période de "convalescence". Mais elle a subi un recadrage en règle et travailler sous Macron, c'est avaler des couleuvres.


Macron se paye encore plus la tête des syndicats vaincus en les invitant, fortune faite, après leur avoir opposé une fin de non recevoir, et en promulguant en toute hâte la loi  qu'ils n'en finissent pas de contester dans la comédie manifestationnaire des "Gaulois réfractaires" (ou dans ce que Félix Nisch appelle la "sinistra comedia de la revolta popularia"). S'il avait eu ne serait-ce qu'une seconde l'intention de les respecter, il aurait attendu de les recevoir avant de promulguer la loi. Un intervenant sur "BFMTV" faisait pièces hier soir à l'illusion qu'il pourrait la promulguer pour ne pas l'appliquer comme Jacques Chirac solda l'opposition des agités professionnels et des mouvements de jeunesse mon(ô)maniaques au contrat utile qu'aurait été le CPE. "Macron n'est pas Jacques Chirac", trancha-t-il.


Sans trouver le président "héroïque" (comme Florestan68) ni me rallier à son panache noir, (comme Patrice Charoulet), moi qui suis un anti-macroniste primaire, secondaire et tertiaire et entends bien le rester, je crois néanmoins que le report de deux ans de l'âge de la retraite n'est que le prétexte à ce feu d'artifices syndical aussi prévisible que celui du 14 juillet, mais qu'il n'en cache pas moins une grogne sociale dont la motivation principale est que les salaires ne seront jamais revalorisés à la hauteur de l'inflation prenant partiellement prétexte de la dangereuse escalade du monde dans la guerre mondiale à laquelle notre président participe en dépit de ses moulinets chinois, comme quoi il faudrait comprendre la position de la Chine face à Taïwan de même qu'il ne fallait pas humilier la Russie, mais à la fin, même si "l'Otan [était hier] en état de mort cérébrale", Macron suit toujours les Américains, il nous a faits le même coup avec la guerre en Ukraine.


Le péché originel de cette réforme des retraites était dans la réforme précédente, conduite par le mentor normal (et normalement renié) de notre "président exceptionnel", la réforme de François Hollande, qui augmenta le nombre de trimestres nécessaire à une retraite à taux plein de telle façon qu'étant donné les carrières hachées, les périodes de formation qui n'ouvrent pas droit à cotisation, ou encore l'âge tardif moyen d'entrée sur le marché du travail, peu nombreux seront ceux qui pourront cotiser un tel nombre de trimestres, sauf les personnes ayant commencé de travailler très jeunes, que le dispositif des "carrières longues" pénalise en les obligeant à travailler davantage que les 43 ans requis pour tous les autres actifs, même si ce désavantage a été corrigé à la marge à la fin de l'examen de la loi pour trouver un accord avec la "droite Pradier". Que l'on ait rendu quasiment impossible l'accès à la retraite à taux plein, voilà la vraie supercherie que cette réforme Macron (II) ne fait que prolonger, démontrant au passage que, face au plein emploi rendu inaccessible par les conditions de travail actuelle (aggravées par l'agriculture industrielle, la désindustrialisation, l'automation (ou le machinisme) et la dévalorisation du travail manuel), nos gouvernants ont fait le "choix du chômage" (pour citer une fois de plus la thèse de l'ouvrage éponyme de Damien cuvillier et Benoît Colomba).


Ce n'est pas l'économie de marché (et encore moins le capitalisme) qui fait problème, mais il y a un problème dans l'économie de marché et dans la gouvernance actuelle du capitalisme financier. En sorte que (Isabelle a raison), si le gauchisme enflammé de la Nupes était conséquent, il devrait être plus anti-libéral qu'(assez anachroniquement) antifasciste, or il a choisi d'être le contraire et plutôt que de risquer le front des populismes, il a voté Macron au second tour. De quoi se plaignent donc Aurélie Trouvé ou Sophie Binet (qui refuse d'être interviewée par "Cnews", c'est bien son droit)? Mais j'oubliais qu'elles se disent fières d'être des "cadres" issues de la lutte contre le CEPE. Qui a manqué de jugeote un jour devra-t-il en manquer toujours? Y a-t-il une fatalité dans l'erreur? 

mercredi 12 avril 2023

Lettre ouverte aux vieux cathos qui veulent quitter l'Église

Posté sur le blog de René Poujol au pied de son article


Quitter l’Eglise catholique ou y rester… | René Poujol (renepoujol.fr)


"Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester reste. Pars s'il le faut." (Baudelaire, le Voyage)

J'ai toujours aimé cette citation  et été interpellé par cette question baudelairienne tout en trouvant sa réponse un peu lâche. La question n'est pas si l'on peut rester dans une relation ou dans une situation difficile, mais si on le veut, si on y tient et si oui, pourquoi est-ce qu'on y tient: est-ce par dépendance affective, par besoin de se raccrocher à quelque chose   ou par amour de ce à qui ou à quoi l'on tient? 


Le conseil assez statique de Baudelaire m'a toujours paru dépassé par l'interpellation à la fois plus provocatrice et prête à en découdre de Jésus à ses apôtres, après que son Discours sur le pain de vie eut entraîné pas mal de défections parmi la foule: "Vous aussi, vous voulez partir?" Les apôtres sont bien embêtés, ils restent les bras croisés et Pierre se fait leur porte-parole quand il répond, en désespoir de cause: "A qui irions-nous, Seigneur?" Si j'avais été Jésus, je lui aurais rétorqué: "Et pourquoi veux-tu absolument trouver quelqu'un à qui aller pour t'indiquer le sens de la vie?" "Je donnerai ma voix à celui qui n'ira Pas chercher dans son livre d'idées La vérité." 


https://www.youtube.com/watch?v=52Ww9SVhLm0


Ah, je lui en aurais donné à Pierre,  après qu'il m'aurait répondu son célèbre: "Tu as les paroles de la vie éternelle" censé me prouver son attachement, si j'avais été Jésus. Mais si j'avais été Pierre, je n'aurais certes pas été choqué outre mesure par le discours sur le pain de vie auquel je n'aurais pas compris grand-chose,  mais j'aurais tourné les talons, trouvant la question de Jésus trop abrupte et agressive. Une de mes grandes fiertés est de m'être éclipsé lors d'un chemin de croix où des enfants (du XIXème arrondissement de Paris où j'habitais alors) étaient censés apporter des roses à Jésus pour Le consoler du mal que lui faisaient les pécheurs. Je suis parti tambour battant et me suis trouvé d'accord avec moi-même. 


Dans cet esprit, je pourrais contresigner cette phrase du pape François: "Je n'ai pas peur des schismes" et dans toute cette affaire, il faudrait que les uns et les autres n'aient pas peur de s'affirmer schismatiques en assumant leur envie de partir si elle est irrésistible. Mais les traditionalistes n'oseront jamais quitter cette Romme qui ne serait plus dans Rome et qui aurait perdu la foi parce que, s'ils le faisaient, ils ne sauraient plus à quel saint se vouer et, pire, croiraient avoir mis un doigt dans l'engrenage diabolique, c'est qu'ils sont superstitieux, nos tradis; et les "progressistes" n'ont pas le courage de partir, ce qu'ils auraient au fond voulu faire depuis longtemps sans se l'avouer, parce qu'ils se raccrochent à une institution, quitte à en faire le procès permanent, l'âge venu, procès qu'ils feraient bien de se faire à eux-mêmes, qui n'ont pas eu le courage, du temps de leur folle jeunesse, de faire comme les copains et de trouver autre chose que l'Eglise catholique. Car derrière le besoin de s'accrocher à une institution (et non à une religion qui détient les clefs du paradis), il n'y a pas la peur de déplaire à Dieu qui anime les superstitieux charbonniers transcendentalistes que sont les traditionalistes, il y a un besoin de nouer un lien social et politique et de se référer à la société qui est une alliance de seconde zone par rapport à la société sacrée qui se prétend le Corps du Fils de Dieu. Mais pour nouer un lien social ou politique, nos jeunes-vieux soixante-huitards réfugiés dans le catholicisme de grand-papa auraient pu trouver moins ringard come parti politique que l'Eglise  catholique, ses froufrous, ses orgues et ses pompes. Une Eglise parti unique et stalinien, où il faut toujours admirer le pape régnant et infaillible, ce n'était pas très baba cool pour aller élever des chèvres en se faisant traiter de brebis, et pourtant c'est l'option qu'ont choisie ces "jeunes vieux" qui, l'âge venu, jouent les révoltés du Bounty, sortent du bois en disant qu'ils n'ont jamais aimé ce parti de l'Eglise, osent enfin s'avouer que la question est celle du partir et   pourquoi ils ne la quittent pas. Mais come ils n'osent pas prendre le parti du partir, ils tirent à vue sur leur parti et disent que la corruption y est "systémique" (ils se gargarisent de ce nouveau mot des sociétés complexes) et que leur hiérarchie, qui est devenue un pouvoir faible, n'a jamais été aussi lamentable. 


Ils quittent le navire au moment où il coule et où ils croient n'avoir plus rien à en tirer (et pour eux-mêmes plus rien à perdre), car comment ce navire pourrait-il  les tirer de l'embarras de la mort avec ce trou dans la coque, de n'avoir plus d'idée précise sur le salut personnel, bien que l'affaire des rats qui veulent le quitter, mais qui attendent qu'il coule, soit plus proprement politique et politiquement, l'Eglise est foutue.


Ce qui m'agace dans la posture de cette génération est qu'elle ne se révolte pas contre quelque chose qui en vaut la peine. elle se révolte contre l'homme (pourquoi abuse-t-il, lui qui est abusif?),elle ne se révolte pas contre Dieu: pourquoi laisse-t-Il naître des enfants pour le malheur et qui n'ont d'emblée aucune chance? Pourquoi énonce-t-Il que "celui qui a recevra encore et celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a?" Le Dieu qui énonce cette horreur est-Il d'accord avec cela ou l'énonce-t-Il comme une loi de la nature? Et dans ce cas, pourquoi ne combat-Il pas cette loi et laisse-t-Il la nature à ses lois, et lui laisse-t-Il  la même liberté qu'à l'homme? 


La "génération CCBF" (pardon, Anne Soupa) se révolte contre l'homme qui abuse parce que c'est sa nature au lieu de se révolter contre Dieu Qui abuse, ce serait abuser... Quand j'étais pré-ado, j'ai eu, après un athéisme et une conversion précoces, une nouvelle crise de foi où, face à l'Inquisition, à la guerre et au malheur des enfants innocents, je formulai trois hypothèses: soit Dieu est impuissant (mais alors il n'est pas Dieu), soit Il est méchant (et ça me paraissait le plus probable), soit Il n'existe pas (mais je ne pouvais plus y croire). Je préfère encore aujourd'hui ma révolte à celle de cette génération, pas seulement parce que je lui trouve du chien, mais parce qu'elle va à l'essentiel, sans se focaliser sur la turpitude humaine du jour, cet abus de l'homme cruel et plein d'hommerie qui sera toujours le même puisque Dieu ne semble pas l'avoir sauvé en ce monde. 


La révolte de cette génération se focalise sur le dernier effet de mode, mais aussi elle ne se montre pas intéressée à mettre du ciel dans sa vie ou d'aller au ciel à l'aide des sacrements dont elle discute s'il faut tout à fait répudier l'Eucharistie et la remplacer par un repas fraternel avec des frères qui devront se signaler parce qu'elle n'ira pas frapper à leur porte dans cette société individualiste et ces "villes de grande solitude". Mais elle trouverait obscurantiste de conjurer l'enfer en ayant un peu peur de Dieu. Cette peur l'honorerait, car elle montrerait qu'elle a un peu le sens de l'incandescence du Dieu transcendant, tout-puissant et tout autre, qui n'est pas dans le Père un Dieu souffreteux. Mais le Dieu de cette génération est politique et sa dissidence théologique s'exprime dans une société laïque et post-démocratique  où cette dissidence  ne risque pas d'en faire des prisonniers politiques. 


Pardonnez-moi de trouver un peu médiocre cette manière de vouloir partir sans oser le faire, sur le mode: "Retenez-moi ou je fais un malheur". Et puis si vous vouliez partir, il fallait le dire plus tôt, il fallait le dire avant, on aurait gagné du temps. Mais le comble est que vous qui avez toujours occupé le devant de la scène ecclésiale prétendiez maintenant vous prendre pour des "périphéries". 

dimanche 9 avril 2023

Les prêtres ont-ils perdu la foi?

Les prêtres sont déboussolés  et ce déboussolage, c'est cela, la crise de l'Eglise, une crise dont on s'est gargarisé pendant des années sans comprendre qu'avant d'être un problème de moeurs cléricales comme on le croit depuis le rapport Sauvé, le noyau de cette crise est de ne plus s'entendre sur ce qu'on appelle avoir la foi ni sur le contenu de cette foi, à la fois commune et déposée et qui peut connaître un développement interne sur un mode immanentiste et créatif (le mot qui fait tant peur aux traditionalistes). A ces deux tendances opposées de la foi s'ajoute la question du tempérament personnel, qui fait que, selon qu'on est plus ou moins inquiet, on est plutôt tendu ou plutôt téméraire, et la foi est aussi une confiance en Dieu qui devrait pousser à la témérité, témérité de dire ses engagements ou de compter sur la liberté des enfants de Dieu qui nous fait avancer avec le Saint Esprit au large de notre conscience droite, et notre conscience n'a rien à craindre si elle est de bonne foi, même si elle se trompe de bonne foi.


Beaucoup de prêtres s'accusent mutuellement de ne plus avoir la foi. J'en ai entendu un (d'origine africaine, car il y a aussi cette différence culturelle, même en Europe occidentale, nouvelle terre de mission)accuser à demi-mots ses confrères européens de ne plus avoir la foi et d'être de faux témoins. Autrefois on se contentait de dire que les prêtres qui ne restituaient pas tout le dépôt de la foi constitué par couches sédimentaires dans des montagnes de documents dogmatiques où nous est expliqué ce que nous devons croire n'étaient pas catholiques... Entre progressistes et traditionalistes, on s'anathématise réciproquement et on s'excommunie allègrement, sans voir que le véritable oecuménisme est celui qui respecte en les décloisonnant toutes les sensibilités spirituelles. Car la ligne de partage est aujourd'hui beaucoup plus spirituelle que confessionnelle et si chacun reconnaît que l'autre est a priori de bonne foi, on devrait pouvoir s'entendre et trouver un but et une destination commune.


Dans ce contexte, le pape a-t-il été fédérateur? Un paradoxe de sa personnalité est qu'il est plein d'Evangile: il est manifestement pétri par la Parole de Dieu, la diffusion en direct de ses messes à sainte-Marthe pendant le confinement a été pour moi un révélateur à cet égard). Il est plein d'Evangile, mais il dit au monde ce que le monde a envie d'entendre. Et comme le monde aime bien que l'on tape sur l'Eglise, il tape sur l'Eglise en invoquant cette notion de cléricalisme à laquelle un prêtre répond très bien, dans l'article de Jean-Marie Guénois qui sert de prétexte à ce billet de blog

(, Comment les jeunes prêtres veulent sortir l’Église de la crise (lefigaro.fr))

qu'il n'a pas suivi le Christ pour prendre un pouvoir quelconque. Les jeunes prêtres disent se sentir mal aimés par ce pape qui les accuse sans cesse de cléricalisme et quand on se sent mal aimé, on n'aime pas bien. Certains prêtres commencent à avouer qu'ils n'aiment guère ce pape. "Autrefois les prêtres ne critiquaient jamais le pape."


Pourquoi François a-t-il déconstruit méthodiquement le pontificat de ses deux prédécesseurs? Cela contribue à empêcher les fidèles de savoir sur quel pied danser.  François agit un peu comme un liquidateur avant inventaire. Réalise-t-il son personnage de la prophétie de saint-Malachie? C'est troublant, dans un monde qui a perdu ses repères. Il ne confirme pas ses frères dans la foi, car il insiste moins sur le dépôt de la foi que sur la vie de foi ou sur la fraternité de vie et d'intercession, il croit plus en la "praxis" que dans la théorie, mais sans la théorie, on marche sur des sables mouvants. Les dogmes sont notre colonne vertébrale. On a besoin d'une colonne vertébrale pour pouvoir se contortionner. 


Je parle bien librement du pape. Dans le même temps, je me permets de signer une pétition appelant à la démission de Luc Ravel, mon archevêque référent de Strasbourg. J'ai des pudeurs de gazelle à me sentir plus téméraire que la Marguerite de Faust ou son interprète la Castafior ne sourient de se voir si belles dans leur miroir. Il y a un point commun entre mes deux "autorisations" de défier l'autorité: je me crois un homme libre. J'aime infiniment cette réplique du frère Luc dans "Des vivants et des dieux": "Laissez passer l'homme libre." Je l'ai citée en la lui appliquant à un de mes meilleurs amis prêtres en train de mourir, qui m'a dit: "C'est incroyable que vous me disiez cela maintenant, car à l'instant même où vous me le dites, Michael Lonsdale est en train de passer sous mes fenêtres pour aller déjeuner au Vauban. (Le P. J.P. Dugué dont je parleactuellement, ce grand gaulliste et ce grand proustien devant l'Eternel, a fini ses jours comme aumôniers des petites soeurs des pauvres avenue de Breteuil (autre paradoxe géographique)).


Je me sens libre de penser depuis longtemps que, selon la proposition faite à l'Eglise par la Constitution civile du clergé, on devrait revenir aux premiers temps de l'Eglise où un évêque était élu par son peuple. Sans doute faudrait-il que cette élection soit validée par le Vatican qui doit rester le référent hiérarchique de l'évêque. La hiérarchie n'est pas un gros mot, l'Eglise est et doit rester une société sacrée. Mais il n'y a pas d'élection sans démission (et pourtant je ne suis pas pour le référendum révocatoire en politique, sauf peut-être s'il était organisé une seule fois et à mi-mandat). Mais nulle part plus que dans l'ordre spirituel, ne doit être mesuré le degré d'adhésion de la volonté du peuple de Dieu à la volonté de Dieu ou à ce qui est censé en émaner des "supérieurs" de ce peuple à qui on ne doit pas l'obéissance aveugle prônée dans l'Imitation de Jésus-Christ. M'associé-je à la protestantisation de l'Eglise catholique en pensant de la sorte? Je ne crois pas et je m'en voudrais si le contraire se était vrai. Car je suis viscéralement catholique et ennemi de la culpabilisation luthérienne. Je ne crois pas que l'Eglise catholique doive être une congrégation de congrégations comme le croient tous les protestants et à tout prendre, je préfère élire ou démettre mon évêque que m'inscrire dans la démocratie participative (ou la démocratie du "cause toujours, ton babil m'intéresse") de nos démarches synodales.


Les changements de paradigme introduits par la modernité et parfois par ses découvertes scientifiques ont rendu difficile de garder la foi dans son expression charbonière si chère à mon coeur d'enfant. ON ne parle plus de Création, mais de big bang, d'évolution créatrice et de création continuée; on ne parle plus de péché originel, mais de "meurtre primitif", de "repas totémique", de "meurtre du père par la horde primitive" ou de complexe d'Oedipe; on ne parle plus de récit, mais de poème de la Création en assumant son côté mythologique dans le "christianisme des Lumières"; on assume la part mythologique de la foi, mais on n'est pas jungien pour autant; on ne parle plus de salut ou de rédemption, mais de guérison; on ne parle plus de paradis, de purgatoire et d'enfer comme de trois états éternellement exclusifs les uns des autres, mais comme de trois états éventuellement consécutifs ou plus volontiers simultanés, y compris dans la vie éternelle. L'épistémè de l'époque a changé, donc ni la foi ni l'expression de la foi ne peuvent rester les mêmes. 


La nuit de la foi n'est plus seulement existentielle. J'admire le héros de "Lourdes" d'Emile Zola (chef-d'oeuvre positiviste auquel Léon Bloy n'a rien compris) ou de "l'Imposture" de Bernanos qui choisissent de rester prêtres même s'ils ont perdu la foi.


Bien sûr que la question fondamentale reste celle de Jésus: "Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-Il encore la foi sur la terre ?" Ceux qui partent, comme la majorité de Ses auditeurs après le Discours sur le pain de vie, font preuve de courage et les disciples font peut-être preuve de lâcheté en ne relevant pas le défi que leur lance le Christ: "Vous aussi, vous voulez partir?" . Mais rester n'est pas toujours une lâcheté: "Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester, reste. Pars s'il le faut", conseille Baudelaire (dans le Voyage). 


Le Fils de l'homme trouvera-t-Il encore la foi sur la terre? Ceux qui restent lui répondent "oui" avec des jambes bringuebalantes.

Bilan de séquence (II) avec les "infréquentables"

Vive les émissions contestataires et protestataires qui sont de véritables baromètres de la pensée critique.  Je relève dans celle-ci ce qui me parle ou les formules qui claquent et glisse entre astérisques mes rares annotations personnelles.

« La pseudo-scientificité de la science économique la pousse à prétendre remplacer la morale. » (A. Soral)

« Une société se juge à la manière dont elle respecte ses vieux. » (Idem)

« Macron est un personnage de rupture et de continuité. De rupture : il fait exploser la classe politique. De continuité : il utilise à ses fins les institutions de la Ve République. (X. Poussard)

« Pour beaucoup de gens de gauche, a gauche est la concession aux bonnes œuvres que le capital fait au social. »(Soral)

« Les syndicats jouent depuis 40 ans la sinistra comedia de la revolta popularia. C’est un jeu de saute-moutons des populations covidées. Une autre comédie est celle du parlementarisme. Tout a été fait pour maintenir le faux suspens du 16-3. Le Parlement, plus personne n’y croit. » » (Félix Nisch)

« La manif, ce sont des pauvres qui défilent pour rien devant d’autres pauvres. » (Soral)

« La montée au créneau d’entreprises commerçantes comme Leclerc ou Super U s’explique par l’interdépendance de ces entreprises de supermarchés vis-à-vis des classes moyennes. » (Youssef Hindi)

« La métamorphose de la lutte des classes ne signifie pas sa suppression. » (A. Soral) « C’est pourquoi je propose de parler de lutte des classes transversales. » *Pour ma part, je relève un appauvrissement volontaire des classes moyennes infériorisées, et qu’on peut de ce fait appeler des « classes moyennes inférieures », qui souffrent de leur déclassement, d’où l’épisode des Gilets jaunes, par rapport auquel cette agitation consécutive à la réforme des retraites est, comme cette réforme elle-même, sans véritable conséquence.*

« On est passé de la liberté d’expression au délit d’opinion. » (A. Soral)

« En juin  2011, Nicolas sarkozy fait passer un décret qui autorise la police à tirer à balles réelles en cas de manifestation violente. En 2011, il n’y a pas de guerre, il n’y a pas encore eu Merah, il n’y a rien. À partir de 2015, onentre dans l’état d’urgence etdepuis 2015, on ne sort plus de l’état d’exception. Plus l’économie se détruit, plus l’Etat se rigidifie. » (Youssef Hindi)

« Nous entrons dans la tragédie, mais nous n’avons plus rien de tragique, car Clio n’a pas revêtu le manteau de pourpre d’Iphigénie. On entre dans la farce et la plus grande de toutes les farces, c’est quand même le parti de Mélenchon, qui maintient la fiction de l’antifascisme. Le monde a changé de nature au sommet.» (Félix Nisch) *La pantomime de la démocratie représentative est peut-être un spectacle cathartique pour maintenir un reste de paix civile ou empêcher la guerre civile de se déclarer dans une société très fracturée.*

*La séquence actuelle est la lutte entre « les exactions des black blocks » et les exaction de Black rock. Les médias* « mettent le focus sur Black rock plus qu’il ne l’ont mis sur les ronds-points qui furent le vrai lieu de la légitimité populaire, *mais ils parlent assez rarement de Black Rock.*

*Je ne sais plus quel intervenant, se donnant des accents de Pierre Laval,  croit judicieux de souhaiter la victoire de la Russie sur l’Otan. Je ne crois pas me comporter en pacifiste en refusant de prendre position dans une guerre mondiale immorale de part et d’autre, d’autant qu’aucune idéologie ne la justifie, mais seulement le nationalisme d’un côté et l’occidentalisme de l’autre.*


C’est parti mon qui-QUI ?! #13 – 49.3, et après ? - #Françaisréveillezvous. - YouTube


 

samedi 8 avril 2023

Du bilan de séquence comme exercice de style

(sur le blog de Philippe Bilger)


Je hais les séquences, elles sont artificielles, mais elles permettent de se poser pour analyser l'état des forces en présence, , comme le dit Achille, elles sont prétexte à une "exégèse tarabiscotée" des "petits grands de ce monde" au pas desquels nos yeux sont futilement attachés (merci Genau, de me faire découvrir Paul Reboux). 


Je hais les séquences, mais je n'aime pas qu'un ministre se soit dit "séquentiel" comme l'a fait Jean-Louis Borloo candidatant au poste de second premier ministre de Nicolas Sarkozy, et encore moins "pédago" comme Gérald Darmanin s'est sottement vanté de l'êtrepour briguer je ne sais quelle promotion similaire. Le pédagogisme de ce ministre qui paie beaucoup de sa personne le dispute à celui de son maître, ce banquier philosophe qui se vante, en fait de philosophie, d'être un rhéteur cultivant l'art de persuader et aimant avant tout "convaincre".


Je hais les séquences, mais elles existent, donc posons-nous avec et sur elles et prenons le temps de l'analyse, en bons "convalescents", reposons-nous, faisons le point, tirons un bilan d'étape...


Ce qui me frappe, c'est que tout le monde ressort de cette agitation à la fois rincé et cornerisé, ou plus exactement rencoigné dans sa zone de placard.


Je m'explique. D'Elisabeth Borne, la vapoteuse crapoteuse, se dégage à mes yeux, peut-être à cause de cette cigarette électronique, l'impression d'une compétence fatiguée qui s'use à trop boulonner pour celui qui voudrait la déboulonner comme un fusible. Peut-être y a-t-il un coin perdu en elle qui s'est rendu froid pour éviter de souffrir, mais cette absence de chaleur humaine l'empêche de donner l'apparence d'une vision et de trouver ce qu'en langage post-hollandais on appelle un "cap" ("boîte à outil, boîte à outil", répond le choeur sur l'air du "Parti d'en rire"). Elisabeth Borne n'est pas une "austère qui se marre", c'est une austère qui n'a pas envie de rigoler. J'ignore s'il lui arrive de faire la bamboche. Cette séquence parlementaire où ses ministres Attalicule (qui a plus de repartie que je n'imaginais) et Dussopt ont été plus exposés qu'elle, a néanmoins révélé chez elle (et chez elle seule) des talents d'oratrice que je ne lui soupçonnais pas. Or toute capacité discursive montre une colonne vertébrale. Cette colonne est-elle de gauche comme on l'assure à grands renforts de médias sous prétexte qu'elle fut la conseillère de Lionel Jospin l'humaniste et de Madame Royal (que François Hollande ne devait pas appeler souvent "Joy" comme feu le duc du Maine appelait sa femme, la fille de Louis XVI, car Madame Royal n'est pas une aude à la joie, mais une  froide écolo)? Je doute  qu'Elisabeth Borne soit de gauche, mais j'ai vu cette colonne vertébrale dans son dos et dans le mien. 


Les états d'âme présidentielle nourrissent trop la chronique de ses deux quinquennats pour qu'on s'y appesantisse. Le crime de "lèse-Macron" qu'Elisabeth Borne est censée avoir perpétré en contestant à demi-mots l'autorité présidentielle pourrait lui valoir son éviction. On notera donc la tendance macronienne à chercher des premiers ministres dans le métro pour les renvoyer dans le métro comme Zazie ou comme Zaza.


La Nupes est tellement fatigante qu'on se prend à rêver que Bernard Cazeneuve est de gauche, lui qui est devenu ce qu'il ambitionnait d'être (et était peut-être déjà): un avocat d'affaires, qui se verrait bien reprendre le flambeau du "Hollandais volant" dans "le Vaisseau fantôme" du PS ou de ce qu'il en reste, puisque Manuel Vals (pour lequel il formait les voeux les plus grands lors de la passation de pouvoir des deux premiers ministres) s'est grillé et que M. Cazeneuve ne peut plus lui griller aucune politesse.


Jean-Luc Mélenchon a fait un congrès d'Epinay à l'envers où ce que le communisme n'a jamais supporté à savoir le gauchisme que déserte même un Fabien Roussel, a pris le contrôle de toutes les gauches, y compris du bateau socialiste qu'on croyait ne jamais devoir voguer dans ces dérives, attiré par ces lunes. Un des nombreux paradoxes mélenchonistes est de proposer une société fondée sur "l'humain d'abord" émergeant de la conflictualité au prétexte que la démocratie, c'est le clivage. Or ce n'est pas un clivage conflictuel. C'est la régulation du conflit latent dans le clivage par la recherche du consensus institutionnel et social.


Que penser de Madame Binet? Qu'elle a un drôle de nom et supplée à son manque d'enracinement ouvrier par un accent parisien de second couteau, qui chatouille mon côté populo qui lui aussi est de composition.


Le grand gagnant du moment est l'incontournable Laurent Berger qui est étonné de se voir si souvent cité comme la pythie, si reluqué, tant flatté, tant courtisé, ce qui est vrai depuis que François Hollande en a fait son interlocuteur de prédilection un peu comme Lionel Jospin disait qu'on ne pouvait pas gouverner contre "le Monde". Laurent Berger a fait un grand numéro de "plus radical que moi tu meurs" et "va voir dans les manifs si je suis réformiste!" Mais il a déjà prévenu que, dans six mois ou même avant, il ravalerait son opposition aux 64 ans pour parler "travail" avec Elisabeth Borne. Il n'est pas essoré, mais il est cornérisé.


Cher maître Robert, est-ce parce que la République se veut "démocratique" et "sociale" qu'elle est condamnée à être une sociale démocratie, ou ce que François de Closets a quelque jour appelé une "syndicratie"?