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samedi 19 mars 2011

Les sens inversés de l'histoire et de la littérature

La littérature, c'est de la mémoire alors que l'histoire, c'est de l'imagination. Je veux dire par là que la littérature s'avoue comme une série d'images, mais prélevées par la mémoire, tandis que l'histoire n'avoue pas ne pas suivre de grand dessein, pratiquant ele aussi des prélèvements sur le présent, mais destinés à frapper l'opinion en stimulant son imagination. L'impression stimulatrice et simulatrice de l'histoire se veut la plus imaginative possible, telle est la marque de l'histoire, dont la sélection de ses points de marquage, taillés dans le vif de la philosophie des événements, résulte d'un calcul savant pour faire passer un message, procédé de sélection des images tout différent de celui de la littérature qui se la laisse dicter, sa sélection des souvenirs survenants, par l'aléatoire de la mémoire qui n'est pourtant pas sans message : mais la littérature ne sait pas qu'elle à un message à véhiculer ; et, quand bien même le saurait-elle qu'à la perspective d'avoir une leçon à donner, elle fuirait à toutes jambes en se détournant royalement de la voie du roman. Elle veut rendre artistement la philosophie de l'expérience. Empiriste, la littérature n'enseignerait pas pour un empire. La littérature est de la philosophie sous cloche sommée pourtant, sonnée malgré elle et rattrapée par la mémoire qui ne laisse pas le message se diluer, d'associer les images et, tantôt de les développer, tantôt de les tasser, les potasser, de les passer, fût-ce au tamis poétique, dans un Etat Modifié… de conscience. La littérature se méfie des vérités en détention dans la mémoire qui n'est jamais si aléatoire, après avoir soigné les apparences, qu'elle ne débrouille le sens d'une vie dégagé de sa langue des signes, tandis que l'histoire dit dessiner ses actions au nom de la vérité. Mais la faiblesse de la vérité historique, de la vérité de l'histoire en train de se faire sous les yeux des témoins, c'est que la vérité dont elle se prévaut est préconçue et induite au lieu d'être déduite. La mémoire déduit des vérités tandis que l'histoire veut enseigner sans les avoir apprises des vérités qu'elle a induites a priori et préjugées par idéologie. Dans l'hypothèse la plus favorable, l'histoire ne sait pas qu'elle se ment, bien qu'elle soit accoutumée à la propagande, alors que la littérature se veut l'adepte du "mentir vrai". La littérature dévoile une mythologie et l'histoire une mythomanie. La mémoire produit de la pensée par image et l'imagination de l'action résolue. [1] Ce qui est vrai, c'est que la pensée par image dans laquelle se complaît la mémoire, quoique donnant le fin mot de l'histoire, est incapable d'indiquer les voies d'une morale qui soit plus qu'onirique. La mémoire sait que la morale est un rêve et la Bible dit que "ceux qui rêvent sont des fous !" L'histoire croit toujours agir au nom de la morale lors même qu'elle s'en défend. La morale est un rêve et l'histoire est un leurre. car si elle ne rêve pas, les vérités que répand l'histoire se révèlent si controuvées à l'usage que c'est à cause de leur obstination dans l'erreur que le monde marche sur la tête. L'histoire fait le monde avoir la tête à l'envers, non seulement à cause du caractère controuvé des vérités qui la font marcher, mais justement parce que l'histoire est l'affaire de caractères, ce qui est la manière anglosaxonne de désigner les personnages... de romans. L'histoire est affaire de caractère qui, plus mauvais il est (un caractère est toujours mauvais), plus féroce est l'empreinte sur les événements des caractériels "animaux politiques" qui font l'histoire, véritables chefs nés : on n'accède à marquer l'histoire qu'à force de caractère ou quand on est un force-né. Ces grands veneurs et grands prédateurs de l'histoire, plus ils sont de grands baiseurs et de mauvais pères de la nation, plus ils sont de grands meneurs. L'histoire ne retient que des histoires dont la vérité dépasse la fiction tandis que la littérature, à bout de souffle et de vraisemblance, tire le roman aux limites du vraisemblable ou, quand elle a renoncé jusqu'à être fantastique, paresse dans les facilités de l'autofiction. (L'histoire se croit toujours arrivée à son terme, elle a toujours touché le fond, mais la fin de l'histoire tire en longueur. La littérature ne sait plus raconter des histoires : c'est que le roman s'est épuisé d'être à la remorque de l'histoire.) La vérité historique passe l'imagination. L'épopée à laquelle elle nous fait participer sous la houlette d'"orphelins dictateurs" (Sadam, Hitler, Sartre, Napoléon... [2] vit dans le mythe de l'apogée d'une "ville dont le prince est un enfant". Pourtant nos meneurs d'hommes et de prosopopée ne sont pas des pantins, mais bien des personnages. Car l'autre ruse de l'histoire rapportée à la littérature, c'est qu'on n'en retienne que les personnages alors que la littérature, au premier moment, ne voulait qu'imposer des personnages à l'esprit frappé de ses lecteurs, et puis en est venue à se méfier de ces machines, jugeant avec Nathalie Sarraute que les personnages "typifiaient". L'histoire ne sort donc pas de son rôle en étant l'oeuvre de personnages : que ceux-ci soient des "types humains" hors du commun, c'est un fait ; mais ces "types humains" reflètent de manière très typiques ce à quoi l'opinion dont ils ont émergé a voulu les employer. Si "Hitler, "né à versailles en 1917", ([3]) a été élu démocratiquement, c'est que le peuple allemand savait très bien à quoi il voulait le faire servir. Ce qui est du véritable populisme (la séparation du peuple de ses politiques, insulte toujours à l'intelligence des peuples. Un peuple sait très bien ce qu'il fait, pour le meilleur et pour le pire. Un peuple n'est pas une foule. Sinon à quoi bon être démocrate ?), c'est de dire que le peuple allemand n'était pour rien dans ce qui s'est passé durant la seconde guerre mondiale comme, à notre époque, il est ridicule et bassement clientéliste de distinguer soigneusement les électeurs du Front National du parti pour lequel ils votent. Le peuple est responsable de son histoire, même si l'amour de la pantomime de ceux qui tiennent à le garder sous tutelle le met à couvert d'être le maître du jeu. Les personnages historiques ne sont que les archétypes de l'opinion qu'ils reflètent et représentent. L'ennui, c'est que ces archétypes sont en représentation par la malice du système, ce qui fait du monde un théâtre d'ombres. Ils sont en représentation comme l'étymologie l'a bien deviné : Sur le fonds où elle a dégagé que la personne venait du masque (le personnage étant le masque des masques) : elle n'a jamais pu empêcher que vienne prospérer le personnalisme ou glorification échevelée de la personne, victoire en calvitie du masque au triomphe de l'hypocrisie ! Que l'histoire soit l'oeuvre de personnages couronnés fait que le monde marche sur la tête. Que le monde marche sur la tête donne l'impression d'un inexorable et pitoyable retournement au terme duquel l'homme ne va plus, les pieds devant, précédé par son répétiteur de sagesse, la mémoire, qui le fait se souvenir des leçons du passé, mais est mené, écervelé, par une imagination débordante, qui lui fait tambour battant commettre d'absurdes vilenies à chaque pas et répéter les mêmes erreurs qui l'on fait se viander, tout en ne se répétant pas autant que les schémas répétitifs de la psychologie, car l'histoire ne repasse pas les plats. La tête à l'envers de l'homme assurant la marche du monde à la place de ses pieds - et cette tête ne l'assurant pas sans intelligence si c'est sans mémoire -, le masque du personnage grimé prime les idées déprimées qu'il devrait servir, et deux effets se déduisent de cette double inversion : d'une par, la politique et la diplomatie du monde ne sont plus qu'un vaste marivaudage menés par des Arlequins en plumes de sapajou. Dans le théâtre de Marivaud, il n'y a que des princes, pas de roi. [4] Ça tombe bien pour notre second effet : on peut affirmer sans exagération que le monde à travers l'histoire et l'histoire à travers le monde sont menés par le prince de ce monde : le roi s'en est éclipsé, il a mis le monde en gérance, le bail se prolonge emphytéotiquement bien que l'intendance ne suive pas, la question reste pendante de savoir pourquoi. C'est dans la nature de l'histoire de vouloir faire des romans, le mot ne parle-t-il pas de lui-même, le roman racontant des histoires ? Mais peut-on se satisfaire d'une explication cernant d'une proximité si banale le sens propre du nom d'un art qu'on voudrait enrichi, d'autant que l'art roman se veut plus dépouillé et que, dans un autre registre, le nom propre des anecdotes de l'histoire se prend pour l'Histoire et promet de nous raconter la biographie de l'humanité ? La littérature voudrait couper l'herbe sous les pieds des romans en herbe de l'histoire. Mais, outre qu'elle se trouve par profession, si vainement d'ailleurs qu'elle a fini par renoncer à cette battue, à la poursuite d'un vraisemblable qui ne passera jamais le vrai, l'histoire, qui dépose une gerbe sur le tombeau de la littérature dont ça lui va bien de faire le panégérique, lui a volé les deux effets qui s'en présentaient comme les caractéristiques principales : être le fruit de l'invention et imprimer la marque de personnages dans les mémoires. Il est mystérieux comme la littérature avoue plus vite que la musique avoir perdu toute imagination au point qu'elle aurait tout dit. Celle-là, la musique, ne dispose guère de Plus ou moins douze notes suivant les modes et les gammes, arrangeables en une série limitée d'accords, disposant d'une réserve gigantesque, mais non pas inépuisable dee mélodies dont le nombre des combinaisons doit pouvoir être calculé pour en marquer la finitude ; or la musique ne se trouve pas à sec ; tandis que des millions de mots, déclinables en une quantité certes moindre d'histoires que la musique ne peut arranger de mélodies, mais pourtant de beaucoup supérieurs, quand bien même les mots seraient-ils mineurs, au Chiffre général de la Musique, s'avouent vaincus par l'inanité des assonnances et et accablés par l'action dont ils se disent désormais précédés alors que, dans l'ordre ancien, la triade pensée/parole/action était articulée de façon que la pensée précédât la parole (bien que le Verbe Se Fût Fait chair) et que la parole à son tour fût le facteur déclenchant de l'action. Mais l'accablement des mots, consolez-vous, est à peu près sans douleur de n'avoir presque plus rien à accoucher : la littérature se remet très bien de n'avoir rien à dire, et en particulier de ne plus savoir raconter des histoires, ce qui ne serait de toute façon, au point de l'histoire de l'art où nous sommes arrivés collectivement, qu'une vulgarisation de ce genre déjà mauvais qu'est le roman. L'histoire au contraire, toute excitée d'être le fruit de l'imagination et libérée d'avoir à porter la légende de la mémoire, se montre si peu empressée de porter le deuil de celle-ci que, non seulement il ne faudrait pas la pousser bien loin pour qu'elle avoue l'avoir perdue : mais, pour ne pas faire cet aveu qui la déconsidérerait tout de même, ele s'en est tout simplement séparée. L'histoire a déposé la mémoire. L'histoire a posé qu'ele-même et la mémoire, dont elle était pourtant censée provenir en première instance, étaient deux disciplines différentes, deux relations diverses à l'événement dont la plus scientifique, entendez la plus disciplinée, avance-t-elle avec insolence, n'est pas nécessairement celle que l'on croit, à savoir celle qui a vécu objectivement l'événement, mais est l'histoire disciplinaire ; si bien qu'on en arive à cette ultime déconvenue, pour qui désespère que la vie soit logique, que la littérature publie des Mémoires tandis que l'histoire se méfie des témoins. La mémoire est mère de l'analyse : l'histoire en a fait, déchéance de l'épopée, une mélopée pour choeur de pleureuses donnant la réplique de tragédie à une opinion publique en mal de cendres et qui n'aime les Cassandres que si elles lui prédisent des malheurs supportables et traitables par voie antalgique ! Aux romans et aux divans l'analyse et le resassement : l'histoire les jette par-dessus bord ou, pour paraître tolérante, saute par-dessus pour consacrer le "story telling", c'est-à-dire, en Français dans le texte, la capacité de dire n'importe quoi pourvu que ça mousse. [5] L'histoire préfère ça aux témoins oculaires et gênants qui, pour les avoir vécus, auraient regardé les événements avec les mauvaises jumelles... Mieux vaut, et de beaucoup, se fier à qui implore qu'on ne compte pas sur lui pour dire la vérité ! [6] Aux témoins de s'adapter au "story telling !" La vérité historique disparaît de l'horizon de l'écriture de l'histoire pour être ravalée aux fictions romanesques qui n'ont plus de fictif que l'intitulé "roman", tandis que la littérature historique voudrait accéder à ce rang tout en n'ayant jamais été plus statistique. La littérature documentaire a été reléguée aux ordures pour excès de naturalisme, le monument littéraire devient le document historique malaxé par ordinateur après qu'a périclité la littérature assistée par icelui, jugée trop répétitivement apoétique pour la confiance aveugle avec laquelle elle s'était livrée au hasard décapant de l'"écriture automatique". Je crains beaucoup pour les "%" qui foisonnent dans le document statistique historique, monument de la littérature scientifique comparée. La mémoire des ordinateurs est experte aux ssynthèses synaptiques. La qualité générique de la mémoire des hommes est sa capacité d'analyse. La mémoire des intelligences non artificielles quoiqu'elles aussi déterminées par on ne sait quoi de génialement génitif, fabrique des synthèses secondes que devraient décrypter les analystes programmeurs et qui nous interrogent sur le fil d'Arianne qu'a tendu l'âme tout au long du chemin pour revenir à une vie sans histoire, mais non pas sans images, une vie quintessenciée dans la réminiscence. L'analyse est tellement la capacité générique de la mémoire qu'elle a pris le pas, dans le genre romanesque qui est l'apanage de la mémoire avec le reste de la littérature, sur la description, le récit et le dialogue, qui formaient avec elle les quatre piliers du roman traditionnel. Tellement la littérature est le genre de la mémoire qu'on peut sauter par-dessus les descriptions les plus impressionnistes, qui sont pourtant elles aussi des peintures de mémoire, pourvu que l'analyse soit sauve, qui dresse les portraits moraux de nos procès verbaux. L'histoire ne veut pas être jugée à l'aune de l'ordre morale qu'elle récuse après s'être faite en moraliste. L'histoire soutient que les valeurs sont mouvantes. Elle saute allègrement par-dessus les analyses de la mémoire et lui relègue le ressort du resassement pour ne sauvegarder que le crime sur lequel elle enquête en épiloguant sans merci ni remords. L'enquête est sans discernement ni repentance : elle traque les empreintent de faits qui sont à porter aut tableau du portrait de la nature humaine, nature morte et roture forfaiturière, dans laquelle doivent bien se retrouver ces roturiers de citoyens moyens pour qui parlent sans fin les politiciens de la médiocratie qui ne laisseront qu'"un paragraphe dans l'histoire". Les historiens professionnels sont des commissaires de la trempe de Julie Lescaut, mais ce sont aussi des commissaires politiques. On regarde avec soulagement le soir les autres commettre ses petits crimes qu'on n'avait même pas prémédité de perpétrer dans la journée, car on n'a plus de grandes haines. On prend son lavement de haine ordinaire en commettant par procuration les crimes auxquels on n'avait pas pensé. Mais après la catharsis du crime regardé comme devant l'accident face auquel on reste hébété de curiosité parce qu'il n'arrive qu'aux autres à l'exemple du bonheur, une nouvelle téléphagie nous sera de verser des larmes de crocodiles sur les atrocités de la shoah, sous le couvercle de la mémoire, pour nous purifier, cette fois, des crimes commis par autrui, nos ancêtres, dont nous n'expions pas, mais nous pleurons les exterminations, ayant entraîné le malheur avec ferme intention de le provoquer. L'histoire s'écrit sans affect pour ne sauvegarder que le crime parfait, et notre boulimie de conférer sur les ignominies de nos indignes ascendants fait de nous des parricides, criminels aux petits pieds ou crocodiles à dents de loup, tant nous savons esquiver la seule question qui vaille et que nous a pourtant soufflée Jean-Jacques Goldmann, le robinet d'eau tiède de la chanson française, qui trouvait néanmoins indécent que Georges Brassens eût écrit une chanson pour affirmer qu'on ne devait pas "mourir pour ses idées" : [7]

"Aurai-je été meilleur ou pire que ces gens

Si j'avais été allemand ?"





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[1] (Voir le chapitre "de la force de l'imagination" des "ESSAIS" de Montaigne).

[2] (Sartre a écrit dans "LES MOTS" que tout orphelin était un dictateur et, dans "LES CHEMINS DE LA LIBERTE", qu'Hitler était un enfant. Quant à Napoléon, il avait depuis longtemps perdu son père quand il fut sacré Empereur ; on raconte qu'à l'issue de ce Sacre, il prit son frère Joseph à part et lui murmura :

"Hein Joseph, si papa voyait ça !"

tandis que leur mère Laetitia se renfrognait aux questions dont on la pressait de dire comme elle était fière de son fils :

"Pourvou que ça doure !")

[3](Lucien Yotnahparian, conversation à bâtons rompus)

[4](Or l'homme est de race royale. Il l'est pour réaliser le Règne de dieu dans Sa Personne. Il l'est pour que soit exhaucée par sa médiation cette prière adressée à Dieu en Sa faveur :

"Que Votre Nom Soit Sanctifié, que Votre Règne arrive !"

Etre prince ne suffit pas à l'exactitude de circonférence avec laquelle nos têtes se sentent faites pour porter couronne. Elles ont été confectionnées sur mesure pour porter le chapeau. Tant que tout homme ne s'est pas vu couronné, il vit dans la névrose du prétendant massacré par Ulysse ou ses imitateurs, abandonneurs de Pénélope. L'homme ne se paie pas de prétention. Son humilité réclame de siéger sur le trône à la droite du Père comme le Seigneur, son Dieu, en roi très chrétien. L'Eglise n'a jamais pris la mesure de l'humilité. Le parcours initiatique de l'humilité réclame que l'homme, homonyme de cette qualité, s'exalte d'abord, puis diminue de son chef afin de renaître de Dieu. Le moment d'exaltation que l'Eglise refuse à ses fidèles fait pourtant partie intégrante de l'accession de l'homme à la vertu d'humilité, l'humilité étant le propre de l'homme, sa seule propriété pour ainsi dire naturelle, puisqu'home et humilité sont de même racine, et cette racine est la racine : l'étymologie fait foi comme un signe du verbe pour nous donner le sens dans le silence où, par l'Esprit, Son Articulation s'est élargie. Le Verbe Se tait à Se décrocher la mâchoire tandis que l'homme descend de Dieu pour remonter jusqu'à la Cime de Son ciel. A la racine de la destinée humaine est une conscience de la race royale dont est issu, peut-être chacun son tour, tout individu de cette espèce bénie, mais tellement malmenée de nos jours, l'espèce humaine planéticide, et la véritable fatalité est que si peu d'êtres humains arrivent en effet à se faire couronner comme il se devrait. La difficulté de l'opération, qui devrait se faire sans conspiration ni conjuration, fait sombrer les prétendants non arrivés, à qui l'on a moins mis de bâtons dans les roues qu'ils n'ont pas compris le mode d'emploi de la vie, dans la mélancolie de leur mégalomanie ou de ce que la psychiatrie croit telle. La mégalomanie est niée dans les droits les plus fondamentaux du royaume de la personne humaine. La psychiatrie fait de la paranoïa une maladie mentale, alors que c'est de loin la plus répandue puisque grandeur et fatalité sont les deux ressort croisés et contrasté du destin de l'homme. La fatalité a donné la victoire à la conjuration des persécuteurs, mais le couple peu improbable puisque paradoxal, que la fatalité forme avec la grandeur, est la suite logique de ce que, quoique chaque homme se croie grand comme il est vrai qu'il l'est, il se trouve dans l'impossibilité statistique de le manifester dans le même temps que ses semblables qu'il n'a pas subjugués s'il n'est pas leur leader. La démocratie pallie comme elle peut l'impossibilité de cette simultanéité de manifestation paranoïaque en élevant chaque citoyen au rang de souverain et non plus de sujet qui messied à la dignité de l'homme. La perspective réincarnationniste dont je m'empresse, catholique à tout crin comme je suis, de dire qu'elle n'est pas la mienne - et n'est pas individualiste -, a trouvé une solution tout à fait originale contre la frustration que chacun sent à n'être point roi quoique chassant de race : après avoir fait le constat contrargumentatoire qu'il y a plus de prétendants à la vie antérieure de personnages historiques et célèbres qu'à la vie d'anonymes impersonnels, d'aucuns en infèrent (comme mon amie Maryse Bonard) que lorsqu'un roi est mort, la condensation d'énergie qu'il lui a fallu concentrer sur sa personne se désagrège en d'autant plus de corps qui porteront la trace de cette incarnation que le roi qui vient de succomber se sera révélé un plus vaillant guerrier. Cette déperdition d'énergie divisée dans des destinées plus anodines s'explique par le fait qu'après l'apogée, le cycle de l'histoire réclame que le roi se repose, bien qu'il reste une trace, non des faits de ce prince, mais de sa race royale, dans ses poursuivants sur la chaîne karmique des incarnations,à travers la prétendue paranoïa conspirationniste avec laquelle ceux qui se retrouvent "sans grade" éprouvent de la nostalgie d'être devenu si anodin. La malice de l'intuition réincarnationniste avérée ou non est de faire chaque homme, au lieu de participer de la royauté en général, être roi en particulier chacun son tour. Ce qu'à charge de revanche, le sentiment de la plupart des individus d'appartenir à la race royale démontre à la tendance réincarnationniste qu'on sait portée sur la vanité, c'est que le désir de l'homme est fondé de se croire d'importance. En un sens - et pour faire écho à ce qui suit dans le corps de l'aphorisme -, on peut dire que l'histoire sera menee par le prince de ce monde tant que tous les hommes ne seront pas rois et non seulement soldats du roi : on ne peut passer toute sa vie de mélomane à consoler sa mégalomanie en écoutant "l'histoire d'un soldat" de Stravinsky. Pour éviter que la situation ne se prolonge, d'asservissement sous le prince souverain de ce monde qui en est le mauvais régent et le mauvais génie, la meilleure parade n'est-elle pas la démocratie ? Je crois qu'il y a un véritable providentialisme démocratique, mais on peut me retourner l'argument en me faisant valoir qu'où il y a parade, il y a mensonge, c'est irréfutable. Alors je crains qu'il n'y ait pas renversement de situation avant longtemps, à savoir qu'il ne soit pas possible que l'histoire ne devienne d'ici longtemps le mémorial des rois, plutôt que celui des méfaits des princes de ce monde dont ils sont vulgairement appelés "les grands", à moins qu'il n'y ait sortie de l'histoire ; mais comme cette sortie de crise est une issue fatale, qui nous échappe et dont on n'a que trop abusé, je crains que le pessimisme morbide et se complaisant dans la mésappréhension du monde ait encore de beaux jours devant lui ! Mais atention ! la mort est l'absence d'issue, canal historique !)

[5] (Ça n'est pas c'qu'on fait qui compte,

C'est l'histoire, c'est l'histoire,

La façon dont on l'raconte

Pour le faire savoir." (Yves duteil).)

[6](Bénédicte, l'héroïne de "L'AMOUR EST UN PLAISIR", l'un des premiers et peut-être le plus beau romans de Jean d'Ormesson, est amoureuse de Philippe, qui semble être un fidèle reflet de l'auteur. Comme celui-ci vient de déclarer combien il se réjouit d'être "quelqu'un sur qui on ne peut pas compter", Bénédicte s'extasie :

"c'est merveilleux de pouvoir confier sa vie à quelqu'un sur qui on ne peut pas compter !"

Cet échange de non consentements scellera l'inévitable consommation de leur juvénile amour. De cette romance dégoulinante d'érotisme aquatique où l'eau sort par tous les pores de nos de naïades ondoyant à la recherche éperdue des "possibles" qui leur conviendraient dans "le sentiment océanique existentialiste" du milieu des années 50, découlera la noyade volontaire de Gilles, le précédent amant en titre de Bénédicte, congédié le matin même par la jeune fille qui ne voulait pas s'embarrasser de sentiments qu'elle n'éprouvait plus. Le roman maritime d'un évasif amour d'été se termine en perte d'insouciance infligée à deux amants qui ne seront plus jamais l'un à l'autre qu'unis par un indicible chagrin traîné sur le radeau de leurs deux existences séparées : ils porteront le deuil l'un de l'autre et ils porteront le deuil de Gilles.



Tout comme dans ce roman scellé par un pacte d'infiabilité et sanctionné par "y'a mort d'homme", l'histoire ratiboise gratis et c'est la civilisation qui en pâtit, voire en meurt de chagrin, si du moins, par ce mot démodé de "civilisation" qui se réduit comme peau de chagrin, on veut bien entendre, au-delà de l'archaïsme, l'industrieux lien social qui s'est tissé au fil des siècles et au métier d'un long compagnonnage, lequel était fraternel et corporatiste. Foin des confréries de jadis, elles n'existent plus : les syndicats en branches les ont remplacées, qui ne donnent guère d'épinards pleins de fer aux prolétariat anémié des ouvriers qui s'assourdissent derrière le marteau-piqueur ! Le témoin d'aujourd'hui est assermenté, mais sa parole est mise en doute par une société qui, pour se donner l'air fraternel, prend la précaution juridique du principe érigé en droit. Chagrin et barbare est le monde où la parole est prise à menterie par les enfants de la déconstruction dont je ne saurais pas ne pas être, question de génération, ma manière d'écrire témoignant en outre contre moi, trahissant mon appartenance :

"Tu écris comme au 20ème siècle, m'a dit mon ami Franck. La littérature du 20ème siècle ne dit pas n'importe quoi, c'est son drame, mais elle écrit n'importe comment. Elle écrit n'importe comment pour rendre incompréhensibles des choses qui mériteraient d'être comprises."

Je participe de couper le lien, comment le nierais-je ? Les humoristes ne sauraient reculer devant un bon mot comme je ne saurais résister à trancher le noeud gordien. Je suis si déconstructionniste que je renverse l'histoire que j'ai volée à la mémoire, en fruit de l'imagination entre les mains du prince de ce monde, lequel fait marcher celui-ci sur la tête, au bruit de la cervele répandue sur les pas du travail des hommes, travail dépersonnalisant du "capital humain" exploité moins respectueusement qu'aucune ressource naturelle. Je me laisse porter par le courant. Le soupçon de la parole testimoniale traitée de menteuse au lieu que "le commérage (produise) de la morale" comme le disait Frédéric Taddeï l'autre soir, est un jeu pervers de l'esprit ; un fruit de l'Esprit-saint eût été "la confiance dans les autres" : la confiance envenimée, soupçonnée pour le plaisir de l'esprit joueur qui n'a rien à gagner parce qu'il n'en a plus rien à foutre, c'est le poison du mensonge insinué et disqualifiant cette sincérité en laquelle nous avions pourtant cru voir la vérité enfin ramenée à modestie. Nous vivons des conséquences de l'"ère du soupçon", dans une époque hypocritement sincère et inconsolable d'être détrompée, elle qui, avec son goût de l'authentique, ne peut rien prendre pour argent comptant, rien n'étan digne de confiance puisque pouvant être sali, passé au filtre de l'inconscient, ce grand révélateur de l'ambivalence universelle. L'inconscient n'inspire pas confiance. Si notre langue fourchait comme du temps que nous étions paysans fourchus, nous dirions "l'inconfiant" et non pas "l'inconscient". L'inconscient et l'inconfiance se synthétiseraient dans l'inconstance. savons-nous à quel filtre nous avons bu ? L'inconscient, c'est du cyanure. l'inconscient est un filtre de connaissance, ce n'est pas le "filtre d'amour" - la connaissance n'est pas l'amour -. Ce n'est pas le filtre auquel burent Tristan et Yseut, qui les assoupit et les rendit inconscients afin de les innocenter du drame amoureux paradisiaque qu'ils allaient vivre avant de hisser la voile noire, provoquant la mort du roi Marc comme bénédicte et Philippe provoquèrent la mort du pauvre gilles. Mais Tristant et Iseut vécurent un drame paradisiaque, c'est-à-dire soustraits aux lois de "la connaissance du bien et du mal" qui les auraient rendus responsables comme nos héros existentialistes de "l'amour est un plaisir", là où tristan et Iseut sont présentés comme innocents. Sept siècles ou peu s'en faut séparent les deux oeuvres ! Quel est donc le changement de paradigme qui s'est produit pendant cet écoulement temporel ?)

[7](Il l'a dit en jetant un froid lors d'une émission d'hommage à George Brassens rendu par la famille Show Biz sous l'égide de Michel Druker, famille par rapport à laquelle, quoiqu'il soit son Fournisseur Officiel de Tubes, il avait l'air particulièrement en retrait, Michel Drucker disant de lui en sa présence :

"Jean-Jacques Goldmann est le seul chanteur français que je vouvoie !.)

Julien weinzaepflen

1 commentaire:

  1. La littérature, c'est l'imagination de l'histoire imaginaire...
    L'imaginaire est l'interprétation de la perception de ce que l'on croit avoir compris... par le filtre de gens qui se croient les interprètes des sens de chacun. Mais chacun n'est pas le produit des penseurs, ils en sont les victimes bien trop souvent, sur lesquels s'acharne le sort inventé par d'autres. On devient ce que ces gens ont décidé que nous soyons. Penser les autres c'est les torturer comme des rats de laboratoires, dans un ouroboros qui se répète à l'infini, et dont la fin est la mort. Raconter cette mort lente et programmée, cette expérimentation sadico-maniaque, c'est la réinterprétation du Livre. 4000 ans au moins que ça dure, 4000 ans de vies brisées, de morts subites, conscientes ou inconscientes, 4000 ans que certains pensent être maître de la vie et de la mort de leurs congénères.

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