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mardi 22 août 2023

La NUPES dans l'impasse

Quelques réflexions stimulées par ce billet de Philippe Bilger.


Justice au Singulier: Jean-Luc Mélenchon non, un autre non plus... (philippebilger.com)


Tout d'abord, réunir la NUPES était le coup de génie et le feu de paille d'un Jean-Luc Mélenchon tentant sa dernière chance, après deux échecs présidentiels et on sait qu'il est mauvais perdant et qu'une élection perdue peut le plonger dans une profonde dépression: c'est arrivé en 2002 et en 2017. Son esprit imaginatif lui a évité  l'effondrement en  inventant ce rebond de vouloir se faire élire premier ministre en retournant le rapport de forces de la gauche, favorable aux socialistes depuis Mitterrand qu'il adore jusqu'à François Hollande qu'il abhorre, et en paraissant renouer avec la gauche plurielle  inspirée par Lionel Jospin qui avait remis en selle le chef des insoumis en le nommant ministre de l'enseignement professionnel où son ouvriérisme ostentatoire et tribuniciel pouvait se donner une première carrière, et par Jean-Christophe Cambadélis du temps où il n'était pas intolérant et monochrome, mais était un formidable analyste des forces de la gauche.  


Jean-Luc Mélenchon s'est imaginé pouvoir refaire "l'union de la gauche" en la réunissant sous sa bannière et en lui donnant le programme des insoumis en guise de programme commun, et en oubliant que, pour que la gauche soit plurielle, il faut tolérer la dissidence et les courants. Son caractère de chien et son âge avancé rendent indispensable de le "détrôner", le comble pour un insoumis se disant allergique au pouvoir personnel. 


Qui saurait dire qui est vraiment François Ruffin? Un "sociale démocrate" qui n'a lâché ce mot désobligeant pour ses adversaires que pour montrer aux socialistes qu'ils ne sont  plus ni sociaux ni démocrates, contrairement à lui qui ne lie pourtant pas les deux dans la définition traditionnelle de la sociale démocratie? Quelqu'un qui aurait compris qu'il faut faire la part du diable en assumant un peu du front  des populismes pourvu que ce soit sans celle qui l'incarne ataviquement au prix d'être à la tête d'un parti du patriotisme parricide (Décidément, je tiens à mes formules)? Quelqu'un qui a compris que, dans le clivage entre l'antifascisme et l'anticapitalisme, on doit faire moins de concessions à ce dernier que s'inventer un ennemi imaginaire qui n'était violent qu'au siècle dernier? Non et cela m'arrache la bouche de le reconnaître, mais pour une fois, Christophe Barbier avait raison hier soir dans "Cdansl'air": François Ruffin est avant tout un artiste. L'inventeur de "Nuit debout" est un cynique habité, aux convictions aussi sincères qu'elles  ne cèdent à l'esprit de dérision qui gâte tout à notre époque. Il paraît au-dessus de la mêlée parce qu'il la prend de haut. Un ami amiennois me répétait souvent qu'il était connu pour cela dans sa ville natale. 


Je ne crois pas non plus qu'il prétende rivaliser avec Emmanuel Macron.  Il nourrit peut-être  contre son ancien condisciple plus en cour une jalousie mal dissimulée que gâte la différence de leurs destinées, mais profondément, Emmanuel Macron ne peut pas, ne doit pas l'intéresser. Il est trop différent. Jean-Luc Mélenchon lui a certainement fait un cadeau empoisonné en reconnaissant qu'il a les aptitudes requises pour lui succéder, mais un autre intervenant de Cdansl'air disait hier soir que l'autocrate ne désigne jamais de dauphin que pour entretenir et animer la guerre des chefs au sein de son parti dont il veut garder le contrôle jusqu'à l'impasse décisive de sa candidature impossible, si sa vanité ne l'emporte pas et  ne l'empêche pas de reconnaître qu'il est trop vieillissant pour se permettre le combat de trop en faisant une troisième fois perdre les siens.


Clémentine Autun, en plus de sa douceur fallacieuse et de sa dureté médiatique, souffre du syndrome de l'héritière et d'avoir eu un père naïf ministre des migrations dont elle ne s'est pas réellement affranchie. C'est un vrai malheur de se faire un prénom sans avoir de vraie et solide identité politique forgée dans un colloque intime avec soi-même.


Si Carole Delga s'imaginait avoir un avenir politique, elle serait la Valérie Pécresse du parti socialiste. Il en va de même pour Bernard Cazeneuve, faux espoir de ce qui reste des "deux gauches irréconciliables", continuateur de Manuel Valls et comme lui ou come François Hollande liquidateur du parti socialiste, mais qui, à la grande différence de Manuel Valls, sait faire preuve d'élégance, sans jamais aucun excès dans le verbe et ciselant ses phrases pour les rendre insignifiantes à souhait.


Après s'être fendu avec André Chassaigne d'un "Nouveau manifeste du parti communiste" pas beaucoup plus amène que le manifeste historique même si la vulgarité en a été écartée et équarrie, Fabien Roussel, changeant de stratégie, fait le pari assez imbécile d'un communisme de droite ou d'un communisme aimé par la droite. Je ne vois pas quel en est l'intérêt.


Non, les deux seules personnalités qui me paraissent susceptibles de s'imposer à moyen terme sont celles d'Olivier Faure et de Jérôme Guedj. Les deux paraissent suffisamment roués et sincères et le second me paraît aimable et franchement charismatique. 

mardi 8 août 2023

Bernadette de Lourdes

Achevé avant l’aube la lecture du livre d’Anne Bernet sur la vie de Bernadette. Très content d’avoir préparé notre voyage ou notre pèlerinage à Lourdes en menant cette lecture à bien. Je n’exclus pas de lire d’autres livres sur « la favorisée de Notre-Dame », mais je savais que l'historienne Anne Bernet saurait m’introduire dans le mystère de cette vie: elle écrit sans pathos, d’une plume alerte,  qui s’efforce de respecter la neutralité des faits. Le livre m’est quelquefois tombé des mains, tant les mesquineries des persécuteurs de Bernadette étaient minables. Le caractère de Bernadette ne m’a pas toujours convenu : je n’aimais pas qu’elle parlât à voix forte et talochât ses frères et sœurs. Mais la manière dont elle a subi ses vexations en voulant rejoindre le Christ sur la croix est édifiante. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et le reste vous sera donné par surcroix », dysorthographiait-elle. Sa dernière parole en priant son chapelet fut : « Pauvre pécheresse », puis elle désigna le verre d’eau qu’elle ne pouvait plus attraper. C’était sa façon d’imiter involontairement le Christ s’écriant : « J’ai soif. » On lui tendit le verre d’eau, mais elle ne put pas en absorber le contenu. Elle n’aurait jamais cru qu’il fallût tant souffrir pour mourir. Elle s’éteint à 3 heures. Auparavant, une sr Nathalie, éducatrice de jeunes enfants sourds et aveugles et « fine psychologue », écrit Anne Bernet, est venue apaiser ses scrupules. « Ton cœur aurait beau t’accuser, Dieu est plus grand que ton cœur et tous les mérites du Cœur de Jésus sont à nous. » C’est une certaine mère Marie-Joséphine qui a constaté qu’elle était à l’agonie et a fait avertir la communauté qu’elle devait l’aider à mourir. Ma Nathalie et moi avons connu une charmante Marie-Joséphine, cousine du Père Anne-Guillaume Vernackt, membre de la communauté st-Martin. Elle était sacristine à Montligeon que son cousin desservait comme prêtre et où nous allions voir Franck qui y avait été placé contre son gré et n’y était pas heureux. Dieu nous fait signe jusqu’à ce passage de témoin à travers des personnes qui portent le même prénom plein du même message.

 

C’est sr Gabrielle, l’infirmière qui l’avait détrôné à l’infirmerie de la maison mère des sœurs de la charité de Nevers, seul endroit de sa vie religieuse où elle était à la fois estimée de ses sœurs et pouvait s’occuper des autres, qui récita pour elle la prière des agonisants et lui ferma les yeux. Recevant une catéchèse sur le péché mortel lui signalant qu’on ne commettait celui-ci qu’à condition de connaître sa gravité et de le commettre malgré tout, elle dit qu’elle n’avait jamais voulu commettre un seul péché. L’avocat du diable se fit fort de lui en trouver un : cette « pauvre pécheresse » a commis un « péché de pauvre », écrit Anne Bernet, en jetant son sabot dans le jardin de l’auspice de Lourdes où elle avait trouvé un inanical refuge après le bruit qu’elle avait provoqué du fait de ses apparitions, sabot jeté pour que son amie Julie Casès, en allant le ramasser, puisse en profiter pour chaparder des fraises.

 

Bernadette était prévenue contre toute espèce de commerce et voulait que sa sœur Toinette en préservât son petit frère Bernard-Pierre. « Car le démon se sert de l’argent » pour détourner les hommes de faire le bien en se donnant. Elle était désolée que des marchands du temple profitent de la sainte Vierge pour se faire de l’argent.

 

Bernadette est une sorte d’anti-Thérèse. Thérèse fut la marraine de guerre des « poilus » de 14, mais est aujourd’hui rejetée par cette génération qui veut bâtir une Eglise adulte en ayant la maturité pour valeur cardinale et réparatrice des péchés de ses enfants contre les enfants. Thérèse cherchait une voie royale pour s’élever vers le ciel d’où elle promettait qu’elle ferait du bien sur la terre. Bernadette est prête à tous les sacrifices et s’abandonne entièrement au Christ crucifié pour souffrir et mourir en faisant du bien aux « pécheurs » pour lesquelles Aquero lui demandait de prier.Dès le constat de sa mort, elle trouve le bonheur qui lui avait été refusé dans ce monde, qu’il s’agisse du ciel où sa châsse préservée témoigne qu’elle est monté directement, morte en odeur de sainteté après avoir été injustement méprisée, ou de la terre où la renommée pour laquelle on l’a persécutée, se transforme aussitôt, mais trop tard, non pas en « culte public », sans quoi l’Eglise qui persécutait « la voix populaire » n’aurait pas permis qu’on la canonisât, mais la reconnaissance, y compris par ses sœurs nivernaises, que cette sœur toujours malade et « bonne à rien » avait été le grillon du foyer et le foyer de leur couvent.

 

Bernadette est victime d’une éducation où l’on prétendait combattre l’orgueil par l’humiliation et pallier l’absence d’une vertu par la vertu contraire. Pour avoir fait « pénitence », on lui a trop fait faire pénitence. On ne peut pas excuser le sadisme d’une Eglise qui lui a rendu le mal pour le bien.

 

Bernadette est un beau modèle pour notre temps. Peut-être me suis-je laissé prendre à la peinture qu’en a fait Anne Bernet, mais je ne m’y attendais pas. Je ne la mets pas en concurrence avec Mélanie et Maximin, les voyants de la Salette, dont Léon Bloy a admirablement raconté le secret et le martyre dans Celle qui pleure. Je reproche à l’Eglise d’avoir choisi Lourdes contre la Salette quand elle aurait pu faire cas des deux. Elle a préféré falsifier la Salette et en récupérant Lourdes parce que la Sainte Vierge y souriait et n’y pleurait pas, mais surtout parce que cette apparition n’avait rien de politique, tandis que la Salette est ouvertement royaliste et s’oppose à Napoléon III. À Lourdes, Marie est jeune ; à la Salette, c’est une femme mûre. Le secret de Mélanie, c’est d’avoir aimé cette mère, non parce qu’elle lui annonçait des malheurs et semblait se montrer abusive, mais parce qu’elle était si belle que Mélanie voulait mourir pour la revoir. Voilà le secret des amis de la mère de Dieu. 

lundi 7 août 2023

Emmanuel Macron et l'école du vide

"Le Monde" dépose avec tristesse le bilan des quatorze mois de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l'Éducation nationale.


Pap Ndiaye quitte le gouvernement, la faillite d’un symbole (lemonde.fr)


C'est plus qu'un hochet qui récompense cette personnalité autrefois signalée et aujourd'hui déchue, ministre démis qui, nommé un an auparavant par Emmanuel Macron responsable du musée national de l'immigration, est désormais promu ambassadeur de la France au Conseil de l'Europe. Pap Ndiaye ne voulait pas être reconduit au gouvernement pour ne pas être solidaire de la loi immigration dont les préparatifs sont en discussion entre la "majorité relative" et ses alliés potentiels de droite. Il accepte  néanmoins sans ciller d'être l'ambassadeur d'un pays qui, quand il se dote d'un secrétariat d'État aux droits de l'homme, ne dévolue à cette administration, rattachée au quai d'Orsay,  que le droit de critiquer la dérive des droits de l'homme à l'étranger, la France étant a priori au-dessus de tout soupçon.


Sur son blog, Philippe Bilger trouve que la République est "bonne fille" de récompenser aussi rapidement un ministre ayant brillé par son incompétence. 


Justice au Singulier: Pap Ndiaye : la République est bonne fille... (philippebilger.com)


Pour ma part, je dénonce "l'école du vide" prônée par Emmanuel Macron après "la refondation de l'école" proclamée par Vincent Peillon.


La nomination de Pap Ndiaye au poste de ministre de l'Éducation nationale après Jean-Michel Blanquer et avant Gabriel Attal est la parfaite illustration du "en même temps" d'Emmanuel Macron, homme de l'antithèse, qui gouverne par injonctions paradoxales tel un pervers narcissique assumé.

En Jean-Michel Blanquer, il avait choisi certes un ancien recteur d'académie, mais aussi un homme qui avait dirigé une prestigieuse école de commerce. Le premier message subliminal était d'adapter l'école au marché. Les élèves n'étaient plus au centre du système, le marché avait pris leur place. Et on ne demandait plus à l'orientation professionnelle de relever d'une merveilleuse alchimie entre les désirs de l'élève et les besoins de la nation. C'était parfaitement d'équerre avec le voeu que formait Emmanuel Macron, notre banquier philosophe, d'une jeunesse qui rêve d'être milliardaire.

Mais un autre trait du profil de Jean-Michel Blanquer a été insuffisamment souligné. Il avait contribué à la préparation de la proposition de loi portée par Valérie Pécresse et Patrick Bloche envisageant que l'on repère dès l'école maternelle les élèves qui, issus du quart monde ou des quartiers populaires, risquaient de devenir délinquants. Non seulement le marché était au centre de l'école, mais la sélection, refusée pour l'inscription en faculté, commençait dès l'école maternelle. Ce qui n'empêchait pas Emmanuel Macron de se faire passer pour le président de l'"égalité des chances", désireux que les élèves ne soient pas assignés à résidence et puissent s'émanciper des conditionnements sociaux qui les suivaient depuis la naissance.

Le fringant Gabriel Attal, qui consacre le retour de Jean-Michel Blanquer - car la thèse reste supérieure à l'antithèse en macronie - continuera de tenir ce discours comme il l'a déjà fait. Cet ancien de l'"École alsacienne" n'a-t-il pas eu pour première fonction ministérielle de jeter les bases du service national universel ? Comment mieux signifier qu'on se moque du monde ? Bien sûr, rien de mieux qu'un héritier pour promouvoir la méritocratie républicaine.

Quant à Pap Ndiaye, il a été désigné pour être l'anti-Blanquer et aurait pu incarner tout ce qu'Emmanuel Macron détestait si l'"École alsacienne" n'avait été le tronc commun qui, d'Emmanuel Macron à Gabriel Attal en passant par les enfants de Pap Ndiaye, évoquaient un même profil d'enfants privilégiés et protégés devant libérer de leurs chaînes leurs pairs moins nantis comme aux yeux de Marx, seule la bourgeoisie était en mesure d'éclairer le prolétariat dans sa lutte pour l'émancipation.

Pap Ndiaye n'était pas le premier ministre de l'Éducation nationale dont les enfants étaient dans le privé, mais son indécence consista à les citer ("Jeanne et Lucien") lors de sa passation de pouvoir, comme s'ils étaient des élèves lambda de l'école de la République.

Je l'avais souvent entendu intervenir sur "France Culture", aussi me suis-je donné la peine de lire "La Condition noire - Essai sur une minorité française", ce n'était pas du Frantz Fanon. On y sentait un universitaire méthodique et structuré qui savait mener des interviews et interpréter des statistiques, mais au service d'une démonstration wokiste tempérée par la qualité d'écriture et un besoin toujours pressant de passer pour un modéré, compagnon et presque co-fondateur du CRAN, mais à distance universitaire. Ministre, notre nouveau Moïse de l'éducation a eu de plus en plus un caillou dans la bouche et marquait toujours plus d'hésitations au fil de ses interviews.

Robert Marchenoir a bien défini le personnage quand il l'a qualifié de "Noir professionnel".

Seulement la lutte exclusive contre le racisme et la discrimination ne fait pas un contenu pédagogique. Elle ramène l'école à surexposer les marqueurs identitaires qu'il faudrait précisément dépasser pour devenir des citoyens d'une nation universaliste, ces marqueurs identitaires s'imposant en pleine lutte contre l'identitarisme et prenant la place des "apprentissages" et des "savoirs" dans la construction de l'élève, instruit par une coquille vide en fait d'école, qui ajoute à cette conscience identitaire la prévention des conduites à risques ou encore les gestes de protection de l'environnement plutôt que l'étude de l'éthologie ou des sciences naturelles.

Pap Ndiaye a été une sorte de sous-Vincent Peillon. Admirateur de Ferdinand Buisson, celui-ci estimait que la révolution n'était pas terminée et sa "Charte de la laïcité" entendait faire de l'école une contre-Eglise. La laïcité était une autre coquille vide par laquelle l'école se définissait négativement, mais au moins avait-elle une idéologie, ce qui est le propre d'une culture, même si cette vérité n'est pas bonne à dire après la crise des idéologies. Sous Vincent Peillon, l'école avait une idéologie. Sous Pap Ndiaye, elle se réduisait aux stigmates.

Marlène Schiappa a arrosé avec le fonds Marianne des copains associatifs qui ont fait du "contre-discours républicain" un fonds de commerce sans obligation de résultat. Mohamed Sifaoui a vendu du vent. De son côté, Pap Ndiaye n'a pas eu le courage d'imposer que le collège où il enseignait portât le nom de Samuel Paty. Sa famille a de quoi s'estimer trahie, surtout quand résonnent encore à nos oreilles la promesse d'Emmanuel Macron lui rendant hommage dans la cour de la Sorbonne: "Nous continuerons, professeur."