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jeudi 20 septembre 2018

Médecine, état d'urgence. L'insécurité sanitaire


 


Dialogue autour de la médecine tiré du blog de Philippe Bilger :

 

http://www.philippebilger.com/blog/2018/09/lins%C3%A9curit%C3%A9-ou-ubu-en-r%C3%A9publique-/comments/page/2/#comments

 

finch

Les pompiers passent à la moulinette de l'insécurité. Il en va de même pour les professions de santé.

On sait que les hôpitaux vont mal. On a aussi conscience que les services d'urgence sont saturés. On n'ignore pas, non plus, qu'au sein de ces services, l'attente des malades s'est considérablement allongée—par rapport à il y a quelques années—au détriment de la sécurité des soins. On réalise que cette attente peut générer de la colère de la part d'accompagnants outrés que leurs proches soient laissés en rade, sans soins, par l'équipe médicale.

Au mois de décembre 2017, une patiente d'une soixantaine d'années est ainsi arrivée vers 23 heures aux urgences d'un CHU de province. Elle présentait une poussée hypertensive sévère à 23 de systolique, 13 de diastolique avec une fréquence cardiaque à 85. Elle a été mise, par un infirmier, sous perfusion d'attente, simple goutte à goutte vide de médicaments. Cinq heures après, laissée pour compte, elle n'avait toujours pas vu l'ombre d'un médecin. Lassée, elle se débrancha elle-même du cathéter qui l'immobilisait inutilement sur un brancard. Elle jeta la poche et la tubulure dans une poubelle et sortit du service des urgences sans que quiconque s'en aperçoive. Devant cette gabegie, elle avait tout simplement décidé d'aller voir son cardiologue de ville le lendemain matin en priant le ciel pour qu'il n'arrive rien de fâcheux d'ici là (AVC, etc.). Heureusement, ce soir-là, aucune famille véhémente ne l'accompagnait qui aurait pu agresser un personnel hospitalier jugé d'un laxisme coupable.

Mais dans d'autres cas, cela ne se passe pas ainsi, en douceur. Ces dysfonctionnements hospitaliers génèrent volontiers des agressions contre les soignants parce que le système de santé (pas seulement les services d'urgence…) est maintenant à bout de souffle, comme l'a dit l'actuel président du conseil national de l'Ordre des médecins dans un livre sorti récemment.

En médecine de ville, les cabinets médicaux ne sont pas, non plus, à l'abri de cette menace. On ne compte plus les agressions contre les médecins de quartier allant parfois jusqu'à l'homicide. Il ne faut pas s'étonner après, de se retrouver face à des déserts médicaux. L'insécurité est une des causes de cette désaffection. Elle agit comme un puissant repoussoir. On ne respecte, maintenant, pas plus le médecin que le pompier.

L'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) recensait, en 2014, une victime toutes les 30 minutes parmi les personnels.

L'Observatoire de la sécurité des médecins a relevé 924 cas de violences contre les médecins en 2015, 968 en 2016.

En septembre 2016, un médecin des urgences de Saint-Denis a eu les mains fracturées—nécessitant d'être opérées—suite à de violents coups de pied délivrés par l'accompagnant d'un patient.

En octobre 2016, des membres du personnel soignant des urgences de Tourcoing ont été victimes d’une agression violente. Les proches du malade s'étaient rebellés contre le délai d'attente jugé trop long avant la prise en charge.

En février 2017, un médecin généraliste de Nogent-le-Rotrou a été retrouvé tué dans son cabinet, lardé d'une trentaine de coups par arme blanche au cou et au visage. L'auteur du crime aurait été un de ses patients.

En mai 2017, un patient a asséné un coup de poing puis un coup de pied à la tête, à terre, à une infirmière du CHU de Nantes.

En juillet 2017, un homme blessé par balle ayant refusé de se soumettre à un contrôle de police belge, s'est réfugié à l'hôpital de Dron où il a été opéré. Dans la foulée, une quinzaine d’individus ont débarqué dans le centre hospitalier, à sa recherche, y semant la panique. Il a fallu l'intervention de la police pour calmer les esprits.

Toujours en juillet 2017, à Marseille, deux internes en médecine ont été victimes d’une tentative de viol dans les locaux de l’internat de l’hôpital de la Timone.

Les médecins protestent, comme les pompiers, contre cet état de fait. Ils demeurent néanmoins confrontés à une insécurité croissante, toujours plus inquiétante, qui rend le métier pénible, périlleux. Ils assument à l'identique une mission d'assistance noble et d'intérêt général.


 

 

Jabiru

 


 

Julien WEINZAEPFLEN

 

@ finch | 14 septembre 2018 à 17:39

Les urgences sont engorgées parce qu’il n’y a plus de médecins de ville qui viennent visiter leurs patients et qu’on entre à l’hôpital par les urgences, même si on sait très bien de quel service on relève. Les médecins de ville ne font plus de visites à domicile au double motif qu’ils ne sont plus assez nombreux et qu’ils sont moins disponibles et plus mercantiles, exercent moins ce métier par vocation et considèrent que leurs honoraires, non seulement leur sont dus (ce qui ne va pas de soi et va contre le sens littéral du mot honoraires, et ce qui n’était pas toujours le cas du temps des médecins de campagne, disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qui ne faisaient pas payer les pauvres, sans qu’il faille inventer la couverture maladie universelle), mais doivent être augmentés. Les médecins ne sont plus assez nombreux parce que les chargés de prospectives devant fixer le numerus clausus ne savaient pas lire une pyramide des âges. Agnès Buzyn reconnaît ce déficit et ce défi démographique et promet de le relever. Elle commence à le faire et prévoit d’abroger le numerus clausus, mais les effets s’en feront sentir dans une dizaine d’années. En rigueur temporelle et non en fantasmagorie de qui se croit le maître des horloges et du calendrier, il faudrait attendre l’effet de l’abrogation du numerus clausus pour lancer un plan dont on connaît l’esprit sinon la lettre, qui est de renvoyer les malades vers la médecine de ville pour désengorger les hôpitaux et d’hospitaliser à domicile pour vider les lits qui manquent. Il est fou qu’il existe un Observatoire national des violences en milieu de santé ou un Observatoire de la sécurité des médecins pour compter les blessés et les morts, comme il est fou que l’ONIAM existe par anticipation des maladies nosocomiales et autres erreurs ou « accidents médicaux ».


 

Rédigé par : Julien WEINZAEPFLEN | 15 septembre 2018 à 21:57

finch

@ Julien WEINZAEPFLEN | 15 septembre 2018 à 21:57

Décidément, vous n'aimez pas les médecins. Ou du moins vous ne voyez pas l'origine des difficultés de notre système de santé avec bienveillance en ce qui les concerne.

Tout d'abord l'ONIAM est indispensable car le fond est une garantie de dédommagement pour les patients victimes d'erreurs médicales. Le fait qu'il fasse, en plus, l'inventaire de ces erreurs est une prestation supplémentaire qu'il ne faut pas condamner mais au contraire approuver, car elle est un indicateur indispensable de la tendance évolutive et souligne les secteurs à risque. Du reste, les assureurs professionnels l'utilisent pour fixer des primes très élevées si les branches concernées sont de fortes pourvoyeuses.

Ensuite, comment condamner l'observatoire de violence des professions de santé et autres organismes apparentés, alors qu'ils ont pour mission de mesurer l'insécurité et, le cas échéant, de permettre d'adopter des mesures (autant que faire se peut) correctrices ?

En ce qui concerne les déserts médicaux et l'accès aux soins, on n'a plus—de très loin—la médecine qu'on pouvait qualifier naguère de meilleure du monde. Le système est vicié, et là encore on a beau jeu d'accuser les médecins de tous les maux comme vous le faites avec beaucoup de violence en les taxant notamment méchamment de "mercantiles". Ce métier est un sacerdoce, pas un commerce. Les médecins connaissent par coeur et s'imprègnent des lignes concernées du serment d'Hippocrate.

Pour bien critiquer ou proposer, il faut avoir vécu ce qu'ils vivent. Je reproduis ci-dessous les propos d'une médecin généraliste confrontée à la dégradation de ses conditions d'exercice :

« Médecin généraliste installée en libéral, je consacre depuis près de 29 ans ma vie professionnelle à mes patients. Mais comme beaucoup de Françaises, en tant que mère de trois enfants, j'ai aussi un second métier, celui de mère de famille. Souvent, j'ai dû opter pour le sacrifice de ce dernier par obligation comptable.

Lorsque je me suis installée à l'âge de 28 ans dans un quartier de banlieue peu favorisé, une des premières de ma promotion à visser sa plaque après dix ans d'études environ, j'étais portée par l'espoir que le meilleur était à venir dans ce métier difficile encore peu prisé des femmes, que les sacrifices de mes jeunes années intégralement dédiées à mon apprentissage m'offrirait, outre la passion d'accomplir ma vocation, un statut social et financier à hauteur de mes compétences, de mes responsabilités et de mes horaires de travail. Je pensais que l'expérience me donnerait raison en me procurant les avantages que j'étais en droit d'espérer en retour de cet investissement passionné mais intense de mes jeunes années.

Espoir déçu aujourd'hui quand je vois que pour maintenir un revenu correct (mais pas mirobolant), je dois augmenter mon chiffre d'affaires et travailler davantage (c'est épuisant, mais facile vu les sollicitations quotidiennes de patients en recherche de médecins dans une France médicalement désertée). Espoir déçu aussi quand je constate le manque de respect pour notre profession et le mépris des politiques devant notre engagement. Quand je constate que l'on me dicte ma façon d'exercer et que je risque amendes, tribunal d'exception ou moindres rémunérations. Quand je fulmine devant les retours d'actes en tiers payant impayés par la CPAM. Quand l'on m'enjoint de travailler jusqu'à 69 ans pour 1 900 € par mois de retraite lorsque je pourrai la prendre (et encore moins si l'on décide de la minorer des 10% auxquels me donnent encore droit mes trois enfants)... Quand je pressens qu'aucun repreneur de mon cabinet ne viendra poursuivre les soins à mes fidèles patients... Et je suis encore plus écœurée quand ceux qui me commandent sont emplis d'arrogance vis-à-vis de leurs propres compétences, m'enjoignent des procédures administratives aussi absurdes qu'inutiles et me méprisent. Docteur I.
»

Extrait du livre : Médecine en danger. Qui pour nous soigner demain ? Seznec J-C, Rohant S (2013).

La Docteur I. n'en peut plus du stress pointilleux imposé par la tutelle et d'un tarif de consultation au ras des pâquerettes—le plus bas d'Europe—non réévalué depuis des décennies. Ne pas faire l'aumône pour recevoir des queues de cerise est tout de même le minimum exigible pour la dignité. Les gouvernements—qui se sont succédé depuis 30 à 40 ans—ont enchaîné plans de santé sur plans de santé, instaurant notamment la tarification à l'activité (T2A), et un transfert exorbitant de pouvoir au profit des personnels administratifs au détriment des médecins victimes—de la part des premiers—de stress, maltraitance et harcèlement. On ne compte plus le nombre de suicides induits.

Résultat de cette politique au long cours : les déserts médicaux qui, comme vous l'avez dit, engorgent les urgences des hôpitaux car nombre de pathologies bénignes ne sont plus triées et écartées en amont. Les politiques sont les pompiers pyromanes, qui se plaignent et prétendent corriger les conséquences alors qu'ils sont à l'amont des causes.

Les médecins sont d'un dévouement exemplaire et gèrent, du mieux qu'ils peuvent, la situation dépréciée qu'ils sont condamnés à affronter. Ils sont injustement les lampistes désignés à la vindicte. La santé a un coût mais elle n'a pas de prix. La logique comptable ne doit pas prévaloir sur la sécurité et la qualité des soins. On entre pourtant, à grands pas, dans cette ère d'insécurité de système où le patient paie, scandaleusement et comme d'habitude, les pots cassés.


 

 

Jabiru

@ finch 16 septembre 2018 à 15:57

Votre post est éloquent dans sa globalité.
Quand je vois mon médecin dans son cabinet qui me délivre une ordonnance pour 3 mois, voire 6 mois, je lui donne 35 euros.
Quand j'appelle mon plombier il me réclame d'abord 50 euros pour le déplacement avant d'ouvrir sa boîte à outils.

Moralité :
Médecin : bac + 8 = 35 euros la consultation
Plombier : BTS = on s'en sort pour le remplacement d'un robinet avec 100 euros minimum (déplacement et temps passé).
Y a comme un défaut comme disait Fernand Raynaud.


 

 

Julien WEINZAEPFLEN

@Jabiru | 17 septembre 2018 à 13:32

Par la comparaison que vous faites, théoriquement congrue, mais pratiquement caduque, entre le médecin et le plombier, vous ne démentez pas le mercantilisme dont, dans mon dialogue avec finch contenu dans mon commentaire posté le 15 septembre 2018 à 21:57, j’accusais les médecins, dans une remarque marginale et come motif secondaire de leur moindre disponibilité ou dévouement. Pourquoi caduque ? Parce que personne, que je sache, ne devient plombier par vocation, ni, à moins d’avoir le nez gâté et de n’être pas dégoûté, par passion de déboucher les canalisations, tandis que la médecine est un art noble. Incidemment, puisqu’il est beaucoup question en ce moment, notamment entre Robert et Robert Marchenoir, des mérites et des ravages comparés de la déréglementation libérale et de la réglementation socialiste, il ne serait peut-être pas mauvais que l’Etat jette un œil et mette un tour de vis aux prix que demandent les plombiers pour le débouchage des éviers, de même que la main invisible des spéculateurs n’a plus aucun effet bénéfique lorsque le prix de l’immobilier s’élève à un degré si vertigineux que la pierre est une matière convertie en valeur, un pur objet d’investissement où il n’est plus question de loger personne.

Combien de villes comme la mienne rénovent leur centre-ville en pure perte puisque les loyers exigés des commerçants, qui ne demandent pas mieux que de faire vivre ces nouveaux espaces et à en vivre, les font couler au bout de six mois ?

Mais c’est surtout à vous, @finch 16 septembre 2018 à 15:57, que je m’en serais voulu de ne pas répondre.

Où avez-vous pris que je n’aimais pas les médecins ? Les médecins, comme dans toutes les corporations, il y en a de bons et il y en a de mauvais. Et il y en a même de bons qui sont tellement débordés qu’ils font de mauvaises choses. Un exemple ? Lorsque ma compagne, aveugle comme moi, a commencé de perdre l’usage de ses jambes, notre médecin dont le cabinet était en face de chez nous l’a obligée à s’y rendre à pied et a refusé de venir la consulter à domicile. Ma pauvre amie s’est appuyée sur moi en redoutant et en menaçant de tomber tous les cinq ou dix mètres, ce qui m’a permis de me rendre compte de la gravité de son état. Elle souffrait d’une compression médullaire consécutive, en grande partie certainement, à une maladie génétique. Si elle avait fait un faux mouvement, ç’aurait pu être irréversible.

Mais dépaysons le propos. J’ai habité comme Mary Preud’homme dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Rue Custine, il y avait un excellent médecin que j’ai vu se mettre en quatre pour trouver dès le lendemain une femme de ménage à une de ses patientes âgées. Et rue Ramey, il y avait une doctoresse un peu plus mercantile qui prit la tête au plan national de la fronde anti-CMU.

Ma remarque sur le mercantilisme des médecins était, je le répète, incidente. Mais ce dont se plaint à jet quasi continu la femme médecin dont vous citez le témoignage concerne les atteintes du tourbillon médical sur ses revenus. Elle regrette une seule fois qu’elle n’aura probablement pas de successeurs. Elle ne se plaint pas de ses patients dont elle se dit aimée. Mais elle se plaint de la caisse primaire d’assurance maladie qui ne lui paye pas régulièrement ce qu’elle lui doit et qui commet beaucoup d’erreurs.

Je ferais plaisir à nos libéraux si je disais que la sécurité sociale a créé une insécurité sanitaire. Je ne le crois pas. L’insécurité sanitaire existe bien, mais elle ne vient pas de la sécurité sociale, elle vient comme toujours d’un excès de bureaucratie. De même que, si je reviens au débat sur le libéralisme et le socialisme, le mal ne vient pas de la réglementation, il vient d’une réglementation tatillonne et sans intelligence. L’Union européenne nous a montré ce que pouvait être une bureaucratie libérale. Loin de moi, du coup, finch, de ne pas comprendre que les médecins installent des observatoires pour mesurer la désagrégation des conditions d’exercice de leur beau métier. Ce qui m’ennuie est qu’on préfère observer que régler les problèmes.

Concernant les dépenses de santé, comment expliquer qu’on ne cesse de réduire le nombre des lits dans les hôpitaux et de démanteler, de déplacer, de détruire, de restructurer ces mêmes hôpitaux en dépensant dans toutes ces opérations « un pognon de dingue » ? Rien qu’entre Paris et Mulhouse où j’ai vécu l’essentiel de mon existence, j’ai vu détruire Saint-Vincent-de-Paul où je fus opéré enfant, Boucicaut, Laënnec qui se délabrait et jusqu’à Necker, et je ne suis pas sûr de ne pas en avoir oublié. À Mulhouse, c’étaient des déménagements complets des deux principales structures hospitalières qui se faisaient tous les dix ans sous des prétextes de rationalisation. On a peine à voir la forêt vierge qu’est devenu le beau jardin de l’hôpital du Hasenrain (ça dira quelque chose à mes pays), où on nous promet de transférer toute la gériatrie et toute la psychiatrie. Les autres services occupent cette ville dans la ville qu’est l’hôpital Emile Müller, dominant le quartier résidentiel, et qui est assez mal coté au point de vue médical. D’où vient la disparité entre pas d’argent du tout pour conserver des lits dans les services et une quantité d’argent phénoménale pour procéder à des restructurations incessantes ? Je me suis laissé dire qu’on ne puisait pas dans la même enveloppe selon qu’on soignait où qu’on déménageait. Simple jeu d’écritures ?

« La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût ». C’est ce que m’ont dit les deux directrices d’hôpitaux avec qui le hasard m’a fait deviser deux longs brins de conversation à plusieurs années de distance. L’une était femme de médecin et l’autre m’assura que le commun des mortels se trompait en croyant qu’il y avait mésentente entre les médecins et ceux qui les administraient. Elle jurait être à leur écoute et se battre à leurs côtés contre les agences régionales de santé et que les médecins le savaient bien. Vous qui semblez être médecin me récitez la même formule que vos administratrices.

Et si la sécurité sociale était abondée par l’État lorsque le coût de la santé dépassait les prévisions rationnelles des ronds-de-cuir qui en prévoient l’évolution ? L’enveloppe de la sécurité sociale ne pourrait-elle pas être abondée par l’enveloppe où l’on puise de quoi jouer au Monopoly avec les hôpitaux ? Mon raisonnement doit vous paraître bien naïf, car je ne suis de la partie qu’au titre d’usager indirect.

Je ne connais pas le coût de la santé, mais je sais qu’elle n’a pas de prix. Vous devez savoir comme moi que les infirmières ne viennent plus à domicile que pour faire des soins médicaux. S’il ne s’agit que de faire la toilette, même d’une personne récemment impotente, il faut faire appel à des aides-soignantes dont les services ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Que se passe-t-il si un malade qui de surcroît a le malheur de se trouver seul n’a pas le premier sou pour payer une aide-soignante ? À moyen terme, une aide à la toilette peut être financée par l’APA si on est âgé, par la MDPH si on est handicapé. Mais dans les deux cas, il faut attendre une décision qui sera prise dans les trois à six mois. Que se passe-t-il dans l’intervalle ?

Une dame pas très âgée que je connais (soixante-dix ans), mais très cardiaque, s’est récemment cassé plusieurs côtes. On venait la laver le matin, mais pas la coucher le soir. Et comme elle n’avait personne, elle dormait dans son fauteuil.

Je reviens à mon amie. Elle tomba au bout de trois mois sur un neurochirurgien qui eut peur de l’opérer. Ill la fit rentrer à la maison en disant qu’elle n’avait aucun problème médullaire, ce que contredisaient les radios. Le jour même de son retour, elle fit une chute. Nous convînmes que le mieux était de la rapatrier vers la clinique qui avait promis d’organiser sa prise en charge et qui l’avait trop avancée. Comme le neurochirurgien était dans le déni, il refusa de la réadmettre. Or elle était incapable de marcher. Mais comme il n’y a pas de petit profit, on lui fit faire une radio du bassin. Elle ne se plaignait pas du tout du bassin. On voulut la ramener sur-le-champ pendant la nuit. Je protestai avec véhémence et nous subîmes une demi-heure d’insultes de l’urgentiste qui prétendait que nous n’étions là que pour profiter du système.

Nous étions dans une clinique où n’intervenaient que des chirurgiens libéraux. On n’était pas réadmis à la clinique si le chirurgien qui nous avait suivi ne voulait rien entendre. Nous nous trouvâmes dans cette situation ubuesque où, lui ne se montrant pas ni de la nuit ni du lendemain, nous faisions face à cinq cadres de santé diurnes et calmes, dont un médecin et la directrice des soins de la clinique, à ne savoir que faire. Au cours de l’heure et demie assez déchirante que nous passâmes entre gens de bonne volonté, je reçus le coup de fil du cabinet d’infirmières libérales qui s’était occupées de mon amie avant son hospitalisation et qui nous avertit qu’elles ne voulaient plus assumer cette prise en charge parce que c’était un cas trop lourd. Malgré cela, les cinq cadres de santé à qui j’avais tendu le téléphone pour que l’infirmière le leur confirme (celle que j’avais au bout du fil n’était autre que la femme de l’associé du chirurgien qui avait refusé d’opérer mon amie), ces cinq cadres de santé nous assurèrent, les larmes aux yeux, que nous n’avions pas d’autre solution que de rentrer chez nous, d’attendre une autre chute, éventuellement de la simuler, pour nous retrouver aux urgences de l’hôpital public en espérant qu’il prenne en compte notre situation.

Heureusement que, dans la soirée, je me suis souvenu dans un éclair d’une de nos relations qui se trouvait être le propriétaire des murs d’un cabinet d’infirmières libérales. Il fit de son mieux pour les persuader de nous prendre en charge quelques jours. En continuant de remuer ciel et terre, nous tombâmes sur un service absolument fabuleux, je puis le nommer, il s’appelle Handidom, mais qui ne pouvait intervenir que le matin et ne pouvait s’occuper que de cinquante patients. Nous avions, dans notre malheur, la chance qu’à ce moment-là, mon amie soit complètement alitée (comme ça il n’y avait pas besoin d’organiser un coucher) et de ne pas être les cinquante et unièmes patients.

Je pourrai raconter d’autres choses, mais je crois que je vais m’arrêter là. L’histoire que nous avons vécue se passe en France en 2018 et nous avions deux intelligences pour essayer de la résoudre. Elle comporte bien d’autres péripéties que je vous passe.

Je pourrais aussi parler de la chirurgie de l’obésité où, pour décider de faire un by-pass (opération dont une de mes connaissances est morte sur le billard), il fallait (j’ai compté) passer par vingt-quatre consultations médicales, moins pour évaluer la dangerosité de l’acte que pour s’assurer que la personne qu’on envisageait d’opérer n’était pas déprimée, sans quoi le spécialiste refusait de faire l’opération. Une chirurgie si aléatoire mérite-t-elle une telle frénésie d’actes médicaux ? And so on.

Aucun corps n’est mauvais dans ce système de santé à bout de souffle. Seulement tout le monde est débordé, à commencer par le malade qu’on renvoie à son domicile sans avoir préparé son retour en lui promettant benoîtement qu’il sera beaucoup mieux chez lui. Il le croit, puis il déchante.

Rédigé par : Julien WEINZAEPFLEN | 18 septembre 2018 à 04:19
 

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