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vendredi 27 janvier 2012

Jeanne d'arc et la monarchie française

Mon croissant de lune,

qu'eût-il fallu faire ? tout simplement, après sa fuite et son arestation à varenne, placer le roi en résidence surveillée, éventuellement le séparer de la reine, renvoyer celle-ci en autriche à supposer qu'elle ne détînt pas des secrets d'etat trop compromettants; ou encore : comprendre sa fuite, comprendre que le roi avait été l'otage des constituants, négocier avec lui une constitution à laquelle il aurait pu apporter son accord, le surveiller dans un premier temps pour s'assurer de sa fidélité à celle-ci, puis relâcher la surveillance; par-dessus tout ne pas exiger des prêtres qu'ils prêtassent serment à la constitution civile du clergé, car c'était transformer définitivement l'Eglise de france en eglise gallicane; ne pas transformer ses avoirs en biens nationaux, mais mettre fin au trafic des "bénéfices éclésiastiques".


Je ne tiens pas pour la monarchie constitutionnelle, sur le moment, qu'aurais-je fait ? Je crois que, dans toute la mesure du possible, je serais resté légitimiste, je ne suis ni un conjuré, ni un factieux. J'aurais approuvé l'assemblée constituante, j'aurais essayé d'en être, si j'avais pu, j'aurais essayé de faire entendre raison au roi, mais je n'aurais pas été de ceux qui en eussent appelé au tyrannicide, même si saint-thomas d'aquin l'eût permis au chrétien que je suis, car j'aurais fait la part des choses, entre la crise conjoncturelle des finances publiques, la bonté du roi et la manière dont il était pressé de toutes parts. Je serais resté légitimiste, d'autant que, te replaçant dans le contexte, aucun philosophe, si j'avais été assez éclairé pour en lire, ne m'aurait pu persuader que la monarchie était un mauvais régime, attendu que personne ne le disait, ne le pensait, que Rousseau faisait de la démocratie un régime pour petites cités, que le plus critique envers la personne des rois était peut-être Pascal.

Tu prends Louis XVI comme un gouvernant et la monarchie héréditaire comme une gouvernance, mais tu commets un anachronisme : la royauté était alors consubstantielle au royaume, elle en était la loi fondamentale comme elle avait des lois fondamentales. Le peuple ne trouvait son unité qu'en une société pyramidale, une société hiérarchisée, une société sacrale, d'autant que la pyramide monarchique, avec ses excès dûs à la morgue nobiliaire, reproduisait la "monarchie pyramidale" dans laquelle s'était instituée l'eglise catholique, abri spirituel des croyants non sécularisés de ce temps-là. Te dressé-je un portrait rêvé d'une société qui n'a jamais eu cours ? sans doute, mais il est impossible à un chrétien de ne pas être nostalgique, dans un coin inavoué de son coeur, de la chrétienté, au tréfond d'un inconscient qui n'a pas fait le deuil, tout persuadé qu'il puisse être par ailleurs, a posteriori, rétrospectivement et, pour ainsi dire post-traumatiquement, de l'apolitisme chrétien, qui a transformé son rêve de société harmonieuse et organique en l'organisation d'un monde nouveau, meilleur, juste et plein d'amour, un autre "monde rêvé", un "royaume du christ en ce monde" gagné par la "théologie de la libération", qui est un beau rêve.

Tu veux faire rendre ce qu'ils ont pillé aux gouvernants arabes. Tu pourrais avoir raison si l'on ne savait trop les méfaits auxquels ont donné lieu les excès de toutes les purges épuratrices et les relents de vertu jusqu'au terrorisme de l'intégrité. Tu tiens pour "la justice basique" qui punit en ce monde. La sagesse et la cohésion ne sont pas de ton côté. Ce qui mine l'egypte aujourd'hui, c'est qu'on a fait partir Moubarak, mais l'armée continue de se livrer à ses menées répressives. elle reste en place. Ce qui a empêché la russie de sortir du soviétisme, c'est que la bureaucratie a changé de couleur, mais qu'elle est restée aux commandes. Je me souviens d'une émission ubuesque d'emmanuel Laurentin, dans une ancienne "nouvelle tribune de l'histoire" qui doit avoir dix ans au moins, qui s'insurgeait que l'on se fût livré à une "chasse aux sorcières" dans l'ex-rDA, pour bannir des fonctions de chercheur ou d'enseignant, dans les Universités, ceux qui avaient trempé et cautionné de leur autorité les avanies du régime renversé avec le mur. La dérive poutiniste dont frémit la russie est due à ce qu'on n'ait pas fait des purges. Mais en quoi auraient-elles pu consister pour qu'il n'y ait pas épuration ? simplement, même pas à exiler, éventuellement à surveiller, en tout cas à interdire à tous les "commissaires politiques" ou aparachiks du régime soviétique de prétendre à la moindre fonction élective. M'objecteras-tu qu'alors, on aurait manqué de cadres ? Mais même dans la france d'après la libération, si les intellectuels furent épurés sans clémence et les femmes tondues dans la plus pure goujaterie, beaucoup d'anciens préfets restèrent en place et je ne sache pas que des magistrats furent massivement révoqués. Or tous à l'exception d'un seul avaient prêté serment au maréchal Pétain. La solution est donc de maintenir en place les cadres administratifs, mais de mettre rigoureusement à l'écart, sans les exécuter, en les amnistiant de la peine de mort qu'ils auraient mérité pour avoir trahi et volé leur pays, mais en les faisant déchoir de leurs droits civils, en les rendant inéligibles, en les surveillant au besoin, en les assignant à résidence sans les mettre en prison,tous ceux qui, ayant exercé une responsabilité d'appareil, auraient encore prétendu à exercer un pouvoir politique.


Propos de cours, dis-tu, que tint mon roi, sur le point de mourir ? Nullement, il s'enquit si l'on avait des nouvelles de "M. de la Pérouse", qu'il avait envoyé faire une expédition autour du monde pour compléter les découvertes dans l'océan pacifique et dont l'équipage avait disparu corps et biens. Il s'enquérait donc du sort d'un homme qu'il avait envoyé en mission et, en cas qu'on l'aurait retrouvé, il se réjouissait en mourant que la france pût connaître, grâce aux découvertes, des expansions après sa crise intérieure et d'autres débouchés dans le monde. Ce lieutenant de vaisseau de la marine royale avait été un des héros de la guerre d'indépendance des etats-Unis où il avait combattu contre les Anglais pour l'Union des etats fédérés et l'établissement de leur constitution, à l'instigation du roi Louis XVI, qui était allé prêter main forte aux "treize colonies" qui voulaient s'affranchir de la tutelle britannique, dans la continuité de Jeanne d'arc. Donc, tu vois que mon roi avait comme il faut le souci de ses sujets, de même qu'il est de notoriété public qu'il n'a jamais voulu verser le sang de son peuple et que c'est ce qui l'a toujours retenu de s'opposer plus frontalement à ceux qui le tenaient en otage, pendant qu'il en avait encore les moyens et la puissance.

De quel grief a-t-il chargé le peuple en se déclarant innocent ? Tu n'as manifestement pas lu son testament, qui est la consommation du consentement d'un sacrifice, qui demande à ce que son sang ne retombe pas sur son peuple. Mais comme de l'avoir occis fut un acte de mauvaise gouvernance, la france ne s'est jamais remise du traumatisme révolutionnaire, que tu supposes à l'origine de son influence dans le monde, dans la continuité de Jeanne d'arc. Influence ébréchée, qui faillit mettre le feu à l'europe, sous l'impulsion d'un aventurier de génie, auquel s'opposait depuis leur pays d'émigration des nobles renfrognés, occupés de leurs privilèges beaucoup plus que du salut de la nation, que le roi avait en vue en vivantet en mourant.

Non, la france ne s'en est jamais remise, elle n'a plus jamais trouvé la juste mesure, prends garde qu'il n'arrive la même choseà ta nation, si tu veux te faire le justicier des gouvernants corrompus, sans avoir auparavant défait le lien qui semble, dans la presque totalité des pays musulmans (je mets l'Iran à part) donner à l'armée un rôle démesuré, ne pas la faire suffisamment être l'émanation de la nation, mais contrôler le pouvoir, faire la police et déguiser ses pions en représentants de l'autorité civile. Ne t'en fais pas, je sais faire bonne mesure : je sais que la quasi totalité des premiers ministres israéliens furent d'anciens généraux. Quant à de gaulle, sa carrière militaire se borna essentiellement à être celle d'un général de cabinet.


Où je vois le paradoxe entre le fait de tenir pour Jeanne d'arc et ne pas regretter l'exécution d'un roi faible ? Dans cette simple raison qu'à l'époque de Jeanne d'arc, le patriotisme n'existait pas. Le patriotisme est une clef d'interprétation rétrospective de la dilection qu'on s'est plu à avoir pour Jeanne d'arc après Michelet. Le légitimisme en eût été plus proche, eût été plus conforme au dessein dans lequel jeanne servait un royaume qui était à deux doigts de ne pas être tout à fait le sien, puisqu'elle était née entre ses frontières et celles de la maison de Lorraine.

Le germe de protoconstitution que tu vois dans la triple donation de Jeanne est encore tout à fait extérieur à la représentation qu'elle se faisait du roi comme "lieutenant du roi des cieux". D'ailleurs, celui à qui elle la fit ne s'en montra pas digne et elle ne le maudit pas. Le "gentil dauphin" préféra agnès sorel au souvenir de "la sainte pucelle".

Tu sais bien que le terme de constitution s'oppose à celui d'institution, que cette opposition est particulièrement forte dans le régime monarchique, mais surtout que la manière absolument non dynastique dont tu eusses voulu que Jeanne eût aimé que fût désigné le roi relève de la monarchie élective, dont le modèle est aux antipodes de celui qu'illustra la monarchie française.

Tu en pinces pour "l'incorruptible" que tu veux marier à Jeanne d'arc à titre posthume de postérité historique. C'est ton droit, mais tu ne mesures pas assez combien celle qui entendait des voix était différente de celui qui suivait les siennes, au point d'honorer la "déesse raison" et de confectionner un "Etre suprême" à la mesure de sa "religion civile" aux obligations de laquelle il voulait satisfaire, qui suivait ses voies en essayant d'y porter la plus grande intégrité personnelle et collective, combien cette différence poussée jusqu'à l'antithèse n'aurait jamais pu mettre Maximilien d'accord avec "la pucelle d'Orléans". Même livrée par le roi, Jeanne d'Arc ne maudit jamais le roi, tandis que robespierre ne se contenta pas de couper la tête du seul roi: il fit de la vertu et de la pureté de tels absolus, à l'encontre de toi qui ne donnes à l'homme que d'approcher le merveilleux, que quiconque ne voulait être ni vertueux ni pur étaitindigne de vivre.


Que l'âpreté de ta justice te préserve des méfaits séculaires des épurations. Il n'y a de pureté que celle du coeur et de la conscience devant dieu.

ton torrentiel qui ne sait que trop combien sont mêlés en ce monde l'ivraie politique et le bon grain spirituel, et quelque fois l'ivraie spirituelle et le bon grain politique

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