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mercredi 11 janvier 2012

Et si le christianisme avait engendré le talmud et non l'inverse...

Ou pour un dialogue non assymétrique entre juifs et chrétiens dans le cadre des Amitiés Judéo-chrétiennes.

Réponse à Jérôme batoula à son invitation au séminaire de dan Jaffé des amitiés Judéo-chrétiennes de Mulhouse

Cher Jérôme,

(...) Je crois que, cette année, je participerai au séminaire de dan Jaffé. Mais n'es pas sans savoir, je suppose, que j'éprouve un certain malaise vis-à-vis de ce conférencier, et ceci pour les raisons que je vais t'exposer.

Pour le peu que je l'ai écouté - est-ce le feu de sa parole qui m'a donné cette impression -, je ressens en ce chercheur, non pas à proprement parler une partialité, mais une jubilation à ne présenter qu'une face de la médaille : les chrétiens n'auraient rien inventé, tout était déjà contenu dans le talmud, ils étaient de simples héritiers qui ne voulaient pas assumer leur héritage.

Ceci est certainement incontestable dans les siècles suivants ; mais pour ce qui est des rapports entre juifs et chrétiens à l'époque où fut rédigé le talmud, ceux-ci étaient beaucoup plus intriqués qu'on ne le dit, ce qui est une part de la démonstration de dan Jaffé, d'abord parce que les dates de rédaction du talmud et de l'evangile sont probablement concommitantes, donc les uns ont nécessairement influencé les autres et travaillé en réaction les uns contre les autres. Ensuite,

le talmud insulte les judéo-chrétiens comme des idolâtres et des "fils de Pantera", le soldat romain, c'est-à-dire qu'il les traite, ni plus, ni moins, de "fils de p..." donc la violence a été des deux côtés, dans ces premiers temps du christianisme. Or je ne vois pas qu'il y ait trace d'insultes contre les Juifs dans le nouveau ou le second Testament, sauf peut-être dans l'evangile de saint-Jean qui parle indifféremment des "juifs" pour désigner ceux qui se confrontaient au christ, mais on ne sent pas qu'il parle dans un contexte extrajudaïsant, on sent au contraire qu'il se souvient d'avoir été juif et que cette confrontation a peut-être représenté un traumatisme pour sa propre personne, certes moins cuisant que ce qu'il fut pour saint-Paul, qui aurait préféré donner sa vie pour que les Juifs accèdent à la révélation dont lui-même avait été comblé, plutôt qu'ils se perdent à son avis en ne reconnaissant pas en Jésus le Messie qui leur avait été promis, nous-mêmes ne devant pas transiger à Le reconnaître et à le faire savoir de notre temps, même si nous devons respecter ceux qui ne le reconnaissent pas .

A cette période de composition du Nouveau testament, il n'y a pas haine contre les juifs, il y a simplement dissociation. La haine talmudique a l'air beaucoup plus enracinée, ce que d'ailleurs on peut comprendre, car les juifs restés fidèles à la synagogue pouvaient à bon droit se demander :

"Qu'est-ce que cette excroissance de notre Foi qui est en train de s'envoler et de trouver un débouché politique inattendu, inférieur à ce qu'offrira au genre humain la venue du Messie telle que nous la concevons et l'espérons ? qu'est-ce que cette aventure juive qui est en train de réussir alors qu'elle a toutes les apparences de l'idolâtrie ?"

Ne peut-on pas dire, de surcroît, que c'est à l'époque où furent composés les evangiles que les Juifs eurent l'idée de se donner une liturgie ?

Il y a donc, au minimum, influence réciproque, et il ne saurait y avoir tort univoque dès l'origine. Le tort s'est sans doute cristallisé par la non reconnaissance originaire des deux communautés l'une de l'autre, l'"aventure juive qui était en train de réussir" se séparant du "destin du peuple juif" du côté des judéo-chrétiens, et les Juifs synagogaux ne supportant pas ce destin qu'ils sentaient, après leur premier exil physique à babylone, leur échapper en se transformant en exil politique, pour ne pas dire se vulgariser auprès des nations d'une manière qu'ils ne jugeaient pas conforme à ce qu'ils comprenaient du Plan de Dieu.

Tandis que les chrétiens se mettaient à la rédaction des evangiles, les juifs préservèrent ce nouvel exil en pérennisant une liturgie. D'une certaine façon, la liturgie synagogale, qui a consacré la victoire des pharisiens sur les saducéens et sur les hérodiens, n'est-elle pas le contre-feu allumé par l'instinct de conservation contre les imprécations lancées par Jésus sur la manière d'opérer des sages du talmud ? Inversement, La liturgie chrétienne ne correspond-elle pas à l'importation de cet effort talmudique pour organiser des habitudes de prier en formes fixes, en partie contraires, au moins superficiellement, à l'esprit du christianisme, ou cette organisation a-t-elle été contemporaine de l'établissement de la liturgie synagogale par les sages du talmud ?

Loin de moi de nier que les chrétiens aient accompli un fratricide ou un paricide, par la suite, en ne considérant les juifs que comme les gardiens de leur bibliothèque sacrée, et à les estimer tout juste bons, quand leur sort ne confirmait pas les prophéties où ils voyaient consécration de leur triomphe annoncé, à leur apporter des explications complémentaires sur la manière d'interpréter correctement "la sainte bibliothèque hébraïque", en archivistes sous-payés, condamnés aux infamies de l'usure quiétaient contraires à leur loi, et à quantité d'autres mesures vexatoires. Mais, si disproportionnées qu'aient été ces mesures, elles ont pu être une réaction de colère contre des sages du talmud qui les avaient couvert de tomberaux d'insultes et de haine. Le recul n'était pas assez grand pour qu'un dialogue pût être entamé en ce temps-là. L'histoire a fait l'oeuvre de la décantation du facteur Temps pour rendre ce dialogue possible aujourd'hui, nous avons un arriéré à payer, mais nous n'avons pas qu'un arriéré, et il ne faudrait pas que nous ne fassions que nous excuser (les torts sont toujours réciproques même s'ils ne sont jamais proportionnels), ni que nous acceptions d'être traînés dans la boue sous un prétexte scientifique et par un professeur qui manie avec verve la rhétorique universitaire, bien qu'apparemment, il n'enseigne plus à Marseille : j'aimerais savoir si c'est pour des raisons d'agenda ou si sa manière d'enseigner a pu aussi heurter les autorités de l'université de Marseille.

Je reconnais à ma réaction et à mon malaise un caractère relativement épidermique qui pourrait me pousser à être injustement soupçonneux envers Dan Jaffé. Mais en génééral, je ne manque pas d'un certain flair !

Je te livre ces réflexions dans un esprit de franchise, tout prêt à les amender si je m'aperçois que je me suis trompé. Tu peux les communiquer à Dan Jaffé si tu le juges nécessaire.

Cordialement,

Julien


Présentation de dan Jaffé:

Né en 1970, Docteur ès Lettres en histoire des religions (spécialisation Antiquité classique), Dan Jaffé est Maître de conférence à l'Université Bar-Ilan (Israël) et a été chargé de cours à l'institut des sciences et théologie des religions de Marseille.
Il est également chercheur associé au centre Paul-Albert Février, CNRS, de l'Université de Provence.
Dan Jaffé est l'auteur de : - " Le Judaïsme et l'avènement du christianisme " 2005
- " Le Talmud et les origines juives du christianisme " 2007
- " Jésus sous la plume des historiens juifs du XXe siècle " 2009

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