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lundi 23 janvier 2012

Du rapport initial à la vie

Mon croissant de lune,

Je réponds à ton message, qui va au fond des choses et au coeur du problème.

- pour tomber d'accord avec toi sur ce premier point : on est intéressé par
le sort collectif à proportion qu'on a moins souffert dans son individu ;
qu'on a été sensibilisé par une forme de pauvreté qui a su rester digne, à
ce que les autres, à commencer par les siens, connaissent le même bonheur de
l'amour englobant, de l'harmonie native et qui se construit...
harmonieusement . Donc, l'intérêt collectif serait l'expression d'une
moindre souffrance qui rend disponible à celle du corps ethnique ou
social, à la famille religieuse ounationale, avant de s'étendre à toute
l'humanité. Cela posé, tout est une question d'équilibre. On peut souffrir
de l'intérêt collectif jusqu'à être possédé de cette souffrance, tout comme
on peut être empressé de l'amour de son "autre" jusqu'à la passion
démentielle d'aimer son ennemi pour le faire sien ou le détruire. Toute
passion est belle ; mais la démence dont elle s'accompagne est invivable ou,
au moins, empêche de dormir, fait qu'on serait prêt à briser l'harmonie de
son couple, par confusion entre son sort individuel et celui du corps
social. J'ai déjà observé que qui s'éprenait trop du sort collectif au point
d'y lier son "moi" individuel, de l'y lier tout uniment, sans le distinguer
aucunement du sien, celui-là risquait de devenir littéralement fou parce
qu'obsessionnel. Tu souffres journellement de la lésion qui résulte de
l'impossibilité de s'affirmer de ta nation au point qu'elle passe pour
chétive alors qu'elle est pleine de force. Mais il ne faudrait pas que cette
souffrance te ronge au point de te faire des ennemis de ceux qui sont
devenus les tiens, puisque tu as contracté mariage avec eux ; au point de te
faire envisager de quitter ta femme, parce que tu la confonds
fantasmagoriquement avec la france. Je ne suis pas contre le fantasme, mais
contre le fait que celui-ci devienne un "tout à fait". En même temps, chacun
reste peut-être, jusqu'à un certain point, amoureux de son fantasme, même
s'il en distingue l'être aimé même s'il aime aussi l'être bien réel qui est
venu l'incarner, avec lequel il vit et aux intérêts de qui il entre jusqu'à
les prendre pour les siens. L'obsession résultant du transfert de la lésion
du corps collectif en une lésion personnelle fait qu'on se fait beaucoup
d'ennemis, parce que le corps collectif en a beaucoup, voire ne peut presque
s'affirmer comme tel qu'en en ayant. Et avec cela, il faut rechercher
l'harmonie.

Lundi matin, j'ai fait une expérience qui m'a donné une vraie joie, l'une de
ces espèces de joie intérieure assez indéracinable une fois qu'on y a goûté. Une sorte de découverte sur moi-même ou, plus
exactement, la confirmation de quelque chose que je savais, mais que
j'ai mis en mots.

J'ai dû jouer une messe aux petites heures, alors que je
m'étais couché la veille plus qu'engorgé d'alcool, dont j'avais consommé la
journée entière et une partie de la nuit. J'avais dormi suffisamment pour
ne pas être HS et, de toute façon, j'avais un devoir à remplir, on comptait sur moi, donc il n'était pas question que je fasse défection.

Les lendemains de cuite, quand
tu arrives à passer le cap où tu ne demandes qu'à rester dans ta planque, la
marée post-alcoolique se transforme en une lutte pour rester dans la
vie en société, avec de brusques menaces de retrait du monde et de retour en son
monde. Si l'on parvient à vaincre ces menaces, on est dans la société
jusqu'à son coeur profond, on est dans ce qui est en train de se faire avec
une lucidité et une réactivité sans pareille, on est dans son mouvement
même. J'ai joué ma messe avec cet automatisme, cette concentration et cette
pénétration. N. en était fort émue. Quand nous sommes rentrés, nous
avons pris un café ensemble et je lui ai dit :
"C'est fou, je remarque quand même que j'ai l'harmonie dans la peau."
Je parlais bien sûr de l'harmonie au sens musical. Je l'ai toujours su, mais
là, je l'éprouvais et j'en étais physiquement heureux. Je pouvais dire que
je l'avais dans la peau parce qu'elle était là, jusqu'à l'inconscience. J'ai
un ami, franck, qui me dit souvent que la consolation de sa vie, comme ce
qui aurait pu la faire émerger, c'est qu'il a la mélodie dans la peau. La
mélodie, c'est la confiance d'un destin qui marche à l'aventure.
L'harmonie, c'est le besoin de résoudre à tout prix jusqu'à vouloir donner
une conclusion à sa vie, si par hasard on se sentait avoir trouvé un instant
de solution. Avoir l'harmonie dans la peau, c'est avoir besoin de fixer une
solution. Or, moi qui ai l'harmonie dans la peau, j'ai un grand désordre
dans mes affaires, si ce n'est dans ma vie, pas du tout dans ma tête. Mais ce chaos apparent pour les
autres n'est, comme me le disait quelqu'un qui travaillait pour et chez moi,
qu'un "ordre inaperçu". Il avait éprouvé maintes fois combien j'étais
méticuleux malgré mon apparent désordre.

Avoir l'harmonie dans la peau, c'était inscrit dans mon rapport initial à la
vie. Depuis quelques jours, je suis particulièrement travaillé par cette question, à
cause de mon frère qui, justement, est passionné de psychanalyse et me remet en question, qui voudrait bien me redresser en ne voyant pas qu'il est plus profondément déprimé et traumatisé que moi.

J'écoute ses interprétations qui reviennent à accuser nos parents. Je lui ai répondu récemment que là n'était pas
la question, ni la dignité d'un homme, mais qu'il s'agissait d'interroger le
rapport initial qu'il avait à la vie et comment il s'était fait que
celui-ci s'était trouvé mystérieusement correspondre au choix métaphysique
qu'avait fait, de l'aimer ou non, mais cela va plus loin, celui des
ascendants que dieu nous avait donné auquel on s'était le plus identifié, et
comment cela entrait en outre en rapport avec l'autre de nos ascendants.
J'ajoutai que l'enjeu d'une vie n'était pas d'accuser ou de corriger ses
parents, mais de rectifier sonc choix, son rapport initial à la vie, si par
hasard on n'avait pas fait le bon.

Comment t'expliquer cette affaire ? La théologie s'est par exemple demandée
comment dieu avait pu choisir de faire exister adam tout en le laissant
libre si, dans Son Omniscience et Sa presscience, Il savait qu'il allait
faire le mauvais choix, qui serait celui de Lui désobéir. Et elle a répondu
à peu près comme ceci: que la désobéissance était la pente où inclinait
adam; que sa chute était sans doute un fait connu par la presscience de
dieu, mais que la liberté d'Adam pouvait toujours faire changer ce fait et
qu'adam n'étant pas fait pour faire ce mauvais choix, Dieu voulait tout de
même laisser vivre adam, pour lui donner une chance d'aller vers ce pour
quoi il était fait. Le livre du deutéronome a cette parole qui paraît une tautologie:

"J'ai placé devant toi la vie et la mort. Choisis la vie pour que tu vives
!"
Or cette tautologie est porteuse d'une vérité profonde. Il faut faire le
pari de la vie, s'engager dans le processus vital pour vivre, à la dignité
de ce verbe.

Mon père n'est devenu tétraplégique qu'à la fin de sa vie, à la suite d'une
erreur médicale, mais au terme d'une destinée où cette erreur médicale
venait couronner d'une lésion corporelle le choix métaphysique de ne pas
aimer la vie qu'il fit sans doute avant même de devenir orphelin de père, car il m'a dit que ce dont il souffrait le plus en l'ayant perdu, c'était de n'avoir pu se fâcher avec lui. Ce choix métaphysique était doublé chez lui du choix moral d'être en extrême empathie avec ceux qui souffraient,
au point de vouloir donner un rein à l'un de ses apprentis. L'émouvaient particulièrement ceux qui avaient ce qu'en alsacien, on appelle le Heimwee (le mal de sa maison) ou encore ceux qui avaient subi un traumatisme, du nombre desquels j'étais à l'origine, quand je n'étais à ses yeux que ma cécité. Il était aussi très important pour lui de s'être demandé vers l'âge de huit ans s'il était vraiment l'enfant de ses parents et n'avait pas été adopté, il revenait souvent au fait qu'il s'était posé cette question, enfant.

N. m'a dit ce matin qu'il lui arrivait de se demander si elle n'était
pas un monstre, pour qu'il lui soit arrivé que toute sa famille l'ait
rejetée, jusqu'à son enfant, dans la famille qu'elle commença par essayer de refonder, avec une personne impossible pour elle, mais en sortant de chez sa
mère où elle venait de vivre quatre ans de séquestration et après avoir fait
un stage de rééducation à Marly-le-roy. Elle fut jusqu'à s'entendre accusée
par sa mère d'être responsable de l'assassinat de son père, que sa mère
elle-même avait orchestré, commandité, sinon fortement suggéré à celui qui
l'avait prémédité. Or N. a toujours été la gentillesse même. Je lui ai
répondu qu'il était évident qu'elle n'était pas un monstre, puisqu'elle ne
faisait et n'avait toujours fait que répandre de l'amour autour d'elle ; qu'à moi, par exemple, elle n'avait jamais fait de mal, et que rares étaient les personnes dont on pouvait dire pareille chose après quinze années de vie commune;
mais que, si elle se posait des questions aussi douloureuses, pour autant qu'elle
jugeât qu'il lui était utile de se les poser , ou pour autant qu'elle pût s'en empêcher, ce qui était plus intéressant était qu'elle s'interroge sur son rapport initial à la vie, question où elle trouverait à répondre qu'elle avait toujours aimé
profondément la vie, ce qui était sa force et son instinct de vie, mais
qu'elle avait accepté d'être victime, ce qui était sa faiblesse et sa pulsion de mort, faiblesse et pulsion qu'elle devait combattre, à présent qu'elle avait décidé d'aller de l'avant, à présent qu'elle touchait au bonheur.

Elle m'a répondu comme une partie de ton message l'a fait que c'était
d'avoir souffert qui l'avait rendu gentille et sensible à l'extrême à ce qui
pouvait arriver aux autres et à ce qu'elle ne fût pas malade. Je lui ai
répondu que certainement, mais qu'il était palpable qu'elle était aussi
gentille de nature. Elle m'a également dit qu'elle ne parvenait plus
aujourd'hui à supporter son handicap alors que, quand elle avait perdu la
vue, elle s'était contentée de verser une larme et puis avait consolé ses
parents et surtout sa mère. Je lui ai dit qu'il n'y avait rien d'étonnant,
étant donné qu'elle vivait dans un système fondé sur la performance et la
vitesse, où ses parents, qui aimaient la vie, associaient cet amour à la
force, ce qui ne lui laissait pas le temps de s'appesantir sur ce qui était
en train de lui ariver ; que ce n'était que maintenant qu'elle avait le
temps d'y penser et de s'apercevoir qu'elle avait subi un traumatisme.

"Mais si j'ai accepté d'être une victime, qu'en est-il de toi, alors ?"
m'a-t-elle demandé.
J'ai réfléchi un moment et lui ai répondu :
"Moi, j'ai justement refusé d'être une victime, mais je n'ai pas aimé la
vie, . Nous étions donc faits pour nous rencontrer puisque nous étions, face
à la vie, dans une relation inverse. Nous étions faits pour nous rencontrer,
moi pour t'apprendre à ne plus accepter d'être une victime et toi pour
m'apprendre à aimer la vie."

Je crois que chacun, à titre individuel et collectif, devrait se poser cette
question :
"quel est mon rapport initial à la vie", écho du :
"adam, où es-tu ?" que Dieu pose au premier homme après qu'ayant péché, il a
eu honte et s'est caché de Lui, alors qu'il n'aurait pas dû.

Si je m'interroge par exemple pourquoi je n'ai pas aimé la vie, c'est sans
doute parce qu'ayant par ailleurs l'harmonie dans la peau, je me suis rendu
compte que c'était un problème sans solution que la vie ! Et si je t'interroge, toi,
assoiffé, épris de justice, sur ce qui conditionne ton rapport initial à la
vie, que me répondras-tu ? Me diras-tu que tu étais fait pour te couler dans
une relation vivante à ce qui est vivant ? Car aussi, qu'est-ce que la vie ?
J'aurais tendance à dire que la vie, c'est à la fois une force et un donné auquel consentir sans en interroger les lois. Aimer la vie, c'est aimé être soumis à cette force ou aimer
recevoir ce donné. Etre dans la vie, c'est entrer dans cette force ou dans
cette réceptivité contemplative. Vivre la vie en force, c'est accomplir son
principe mâle ; vivre la vie en réceptivité, cueillir les fruits et les
fleurs de la vie, c'est accomplir son principe femelle. Aimer recevoir la
vie, ce peut être aimer en recevoir la force et ne pas se bercer de
l'illusion que nous sommes à nous-mêmes l'origine de notre propre force.

Recevant ta vie de ta nation, te moulant dans ce courant collectif qui fait
de toi quelqu'un de quelque part, tu avalises le fait de ne pas
t'appartenir, ce qui manque à l'individu occidental contemporain, celui qui
t'écrit compris. Ta nation, d'autre part, se réjouissant d'accomplir la loi
de Dieu, ce que d'aucuns comme Annick de souzenelle appellent la loi
ontologique sans songer à la remettre en cause, est dans la force de la loi
et dans la réceptivité à cette force. Mais ta nation aime aussi la vie, elle
aime la chanter, elle aime la cueillir, elle aime l'exprimer en contes et
poésie. Est-elle en quête d'harmonie ? Je dirais qu'elle est plutôt en quête
de justice. La justice, c'est l'harmonie vivante, l'harmonie qui sait qu'il
n'y a de solution qu'en marchant. L'harmonie, c'est la justice résorbée,
mais cette justice est morte.

Quel est le rapport initial de ta nation à la vie ? Un besoin de rendre la
justice, de réparer un tort, de soustraire Ismael à la non reconnaissance
dont il avait été entouré avant que ta nation ne naisse pour faire rentrer
Ismael dans ce qui aurait dû être les prérogatives légitimes de son droit
d'aînesse. Peut-être, à travers Ismael, ta nation a-t-elle voulu venger les
torts de l'homme arabe et rendre au bédouin le primat du nomadisme, dont les
Hébreux n'étaient qu'un sous-groupe, alors qu'il n'est que trop clair, en
revanche, que l'arabe dans lequel a été écrit le coran, est une certaine
vocalisation de l'Hébreu. Or, pour faire retrouver à Ismael ses prérogatives
de premier-né d'Abraham, le coran est obligé d'abolir le droit d'aînesse ;
et, parce qu'il respecte éminemment le père de tous les croyants, de ne pas
reconnaître le crime du parricide. Sais-tu que, par une autre voie, celle
des Lumières, la France, elle aussi, a aboli le droit d'aînesse, pour le
plus grand malheur des dynasties, voire des familles, et j'ai appris tout
récemment que le nouveau code pénal adopté en 1984 à l'instigation de Robert Badinter ne reconnaissait plus la qualification du crime de parricide. Ou
coment la charia peut arriver en france par les Lumières, mais ceci n'est
qu'un de ces inaperçus de l'histoire que j'aime bien mettre en lumière et
parallèle et qui, au passage, te conforte dans ton rêve que la France et
l'arabité épousent leurs causes, via la passion de l'égalité.

Je vais examiner la chose un peu plus loin. Mais, pour l'heure, j'ai à dire
quelque chose sur le paradoxe dont est faite toute mise en oeuvre humaine,
qui n'arrive à se réaliser qu'à ce prix, tout ainsi que l'harmonie
a des retards ou des avances, que la poésie a des enjambements ou des
rejets, qui prouvent que tout épanouissement musical se fait dans une
certaine discontinuité, qui recherche toujours, néanmoins, le retour à ses
fondamentaux. Ce qu'on appelle cadence parfaite en harmonie, c'est
l'enchaînement de trois accords pour terminer une pièce : un accord de
sous-dominante, puis un accord de dominante (dans lequel vient souvent se
glisser la note dite sensible) et enfin l'accord de tonique, qui est très
loin d'entraîner après elle la moindre tonicité, mais qui est ainsi appelée
parce que la tonique, premier degré de la gamme, est la note qui en donne le
ton. La tonique n'indique donc pas la tonicité, mais la tonalité.

La tonalité de la relation initiale à la vie de ta nation est la justice, sa
dominante est sa passion de la faire advenir. Dans cette passion, il y a une
force ; mais pour soutenir cette passion, comme dans l'accord de dominante,
il y a la note sensible, il y a la sensibilité. Il entre de la sensibilité
dans la passion de rendre justice et de faire rendre gorge à l'ordre
injuste, et c'est même de la sensibilité que naît la passion de rendre
justice.

Ta nation est donc née, habitée de la passion de l'égalité. Tu crois pouvoir
faire rentrer la france en connivence avec elle, parce qu'elle serait
vectrice de la même passion de l'égalité, qu'elle a voulu faire circuler comme un
universel dans le monde. Examinons s'il en est bien ainsi. Je ne prétends
pas me prévaloir d'une grande cuulture historique, mais ceux qui dissertent
de la généalogie de la France lui donnent deux origines : le baptême de
Clovis et la révolution française. Dans le premier cas, la france serait la
"fille aînée de l'Eglise". Or c'est un titre usurpé, parce
qu'elle a été précédée au moins par les coptes d'Egypte et par les
arméniens. Mais il est exact que la france va être la première nation qui
va avoir conscience d'être chrétienne et que c'est cette conscience qui va
lui donner l'envie d'être vectrice de valeurs, propagatrice d'une foi.

Cet héritage missionnaire et propagateur va rester présent à la révolution française. Mais l'unification de la france par
le baptême de Clovis va essentiellement permettre d'unir les tribus franques
autour d'un chef incontesté, auquel référer toutes les féodalités. Puis, la
Révolution française va prétendre exporter le modèle égalitariste de la
france dans le monde. Elle le fera au prix d'une barbarie moderne, de même
que les Francs étaient des barbares à l'antique. Il en résultera ce qu'on
appelle un régime de terreur à l'intérieur et les guerres napoléoniennes en
europe et au-delà, jusqu'en egypte avant que Napoléon ne devienne premier
consul. Les révolutionnaires égyptiens viennent d'ailleurs de détruire le
principal vestige de l'invasion napoléonienne. Or cette terreur et cette
propagation du modèle égalitaire par la guerre sont subséquentes à la
passion de l'égalité. Non, l'arabe n'est pas génétiquement guerrier comme le
communisme serait "intrinsèquement pervers". Il n'est guerrier que dans la
mesure où il n'y a pas de Justice qui n'aime à se rendre par défection
volontaire des oppresseurs. Le pouvoir ne se donne pas, il se prend, comme
le bonheur cesse peut-être après qu'on l'a conquis, et la vie après qu'on
l'a résolue, et la justice après qu'on l'a rendue ? Mais qu'advient-il
ensuite ? Savoir ainsi si cette passion exclusive pour la Justice en vaut la
peine. Ou que devient la vie après la vie, en quelque sorte ? Le salut, dit
le christianisme, j'y reviendrai. L'une des expressions du salut est
contenue dans cette béatitude où il est dit :

"Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés".

Mais le combat pour la justice vaut-il d'être livré en ce monde ?
Intuitivement, l'arabe et le français croient que c'est indiscutable. La
passion pour l'égalité est encore caressée en ce que ces Francs qui se sont
unis sous la bannière d'un seul chef lors du baptême de clovis étaient des
féodaux libres les uns par rapport aux autres. Ils ont vaincu le tribalisme
par la féodalité, la féodalité n'étant qu'une forme supérieure de
tribalisme, composant un ensemble mieux fait pour prendre de l'ampleur.
Mais on peut dire inversement que revenant à leurs racines franques par la
passion de l'égalité caressée par le rêve révolutionnaire, les Français,
s'ils ont gardé du fait que leur nation soit appelée "la fille aînée de
l'Eglise et la mère des arts, des armes et des lois", la passion d'exporter
les lois par les armes, cette passion missionnaire qu'on retrouvera jusque
dans les racines du colonialisme, ils ont rompu avec l'autre aspect de la
bannière éclésiale, qui consistait en la bonne administration souhaitée d'un
royaume dont le principe et la souveraineté s'exprimaient dans un prince.
C'est dans le lignage administratif de l'héritage de la "fille aînée de
l'Eglise" que la France pourra servir de prétexte indirect à la naissance de
l'Etat d'Israël à qui l'affaire dreyfus donnera quittus, à la suite d'un
problème administratif, de l'analyse graphologique d'un bordereau trouvé
dans une poubelle par une femme de ménage. Est-ce que les promesses
territoriales accordées par Dieu au peuple juif devaient se retrouver
politiquement dans une poubelle et se justifier d'un bordereau aux
informations insignifiantes et qui avaient valu l'accusation d'espionnage à
un juif alsacien, donc frontalier, qu'on soupçonnait, sans doute à tort, de
travailler pour l'allemagne ?
Du caractère germinatif administratif de l'administration étatique de
l'entité politique que l'on nomme Israël, germination qui a pu faire
estimer aux juifs religieux du temps de la création de cette entité
politique qu'elle n'était pas digne des promesses divines, vient aujourd'hui
le doute sur la légitimité de cette entité politique, qui n'a dû son
existence qu'à une décision administrative de l'Organisation des Nations
Unies, qui n'a pas appliqué pour en décider le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes. En cela, l'Organisation des Nations Unies aura sans doute
manqué à "la justice basique" ; et pourtant, elle aura voulu satisfaire à
une requête légitime. elle aura prétendu justifier administrativement des
promesses divines dont, bien que la laïcité se veuille sortie de la
théocratie, elle se sera sentie comptable, historiquement, au nom de tous
les peuples monothéistes qui sont sortis du rameau de la religion
abrahamique, historiquement encore, pour combler un passif antisémite
chrétien, mais pas seulement chrétien. Car vous autres, musulmans, avez beau dire que vous êtes
immunisés contre tout antijudaïsme, vous ne parvenez pas même à reconnaître
que le Coran ne serait pas s'il ne descendait du livre des Juifs, Abraham
n'étant pas la propriété de la bible, dites-vous, mais son existence n'ayant
été transmise par écrit que par ce document sacré, dont le Coran dépend
encore lorsqu'il réinvestit la figure de Moïse et y puise une partie de sa compréhension de celle de Jésus, autre personnages bibliques, dont le
traitement qu'il en fera viendra d'écrits apocriphes pourne pas avoir part
au "scandale" qu'aura été son crucifiement et qui pourra faire dire à une
mystique comme sainte-thérèse d'avila qu'à voir comment dieu traite ses
amis, mieux vaut, humainement, être de ses ennemis."

La France est scripturaire, tu dis vrai, mais elle est scripturaire à la
fois administrative et judiciaire. Examinons un peu quelles passions
initiales portent le peuple juif dans sa relation à la vie. Ce n'est pas la
justice: c'est de répandre un modèle théophanique à l'échelle humaine, et de
se croire élu pour cela. Elu, donc supérieur, puisque "mis à part". C'est de
se croire comptable d'exporter un messianisme humain égalitariste ; mais,
dans la mesure où on l'exporte, c'est de se croire messie soi-même. La
passion originaire qui relie le judaïsme à la vie n'est pas premièrement la
justice, mais une telle conscience d'incarner la Justice et toutes les
passions positives de l'humanité, dans la mesure où elles nous ont été
révélées théophaniquement par un Dieu qui ne saurait Se tromper ni nous
tromper, que l'on devient responsable de l'aventure de son prochain
(définition du judaïsme par le professeur armand abécassis) et que ce poids
de l'incarnation ou de l'élection communique à ceux qui le ressentent un complexe inné de supériorité. La question est de savoir ce qui va dominer,
des valeurs à véhiculer, de la responsabilité qu'on se sent envers celui à
qui on les véhicule, ou du complexe de
supériorité qu'on ressent à être l'élu, supériorité qui peut faire oublier tout le
reste, et les valeurs à véhiculer, et la responsabilité vis-à-vis du
prochain. De la certitude d'être élu sans conteste, peut naître l'oubli, si
ce n'est le mépris, qu'on a de se faire élire, d'où le fait qu'Israël,
sourcilleux devant la nécessité de l'élection, jusqu'à la promotion de la
démocratie dans le reste du monde, s'est cru pouvoir affranchir du droit des
autochtones à disposer de leur souveraineté pour disposer de leurs terres,
moyennant une élection internationale, avalisant de manière facultative,
mais donnant un gage de légitimité humaine, les Promesses dont était
assorties l'élection divine, qui n'était accordée que sous réserve que le
peuple véhicule bien les valeurs qui lui valaient cette élection et fassent
bon usage de la terre.

A ce stade, peut se poser une question : la notion de Justice peut-elle coexister avec celle de supériorité ? ce qui pose une question plus cruciale
: peut-on réputer juste un ordre mondial où le sang des uns ne vaut pas le
sang des autres ? Car la justice s'exprime, croit-on, dans l'identité de
valeur accordée à la vie de chacun. Et l'on sait par ailleurs que
l'élection, qui a tendance à faire oublier tout le reste au peuple juif,
n'est que trop enclin à lui faire confondre son destin avec celui de
l'humanité, de sorte qu'un crime commis contre le peuple juif devient
l'origine juridique du crime contre l'humanité, et c'est en vain qu'on
invoque l'adage :
"Qui tue un homme tue l'humanité",
si ce n'est qu'à reculons que le peuple juif cessera de résister pour
donner une extension à cette qualification, de même que c'est à reculons
qu'il acceptera de partager avec les arméniens, avec les rwandais, voire
avec les vendéens, la notion difficile à cerner de "génocide".

En droit, bien sûr, le sang des uns ne saurait pas ne pas valoir le sang des
autres, mais en fait ? Est-ce que le sang du chef n'a pas toujours valu
davantage que le sang du membre de son peuple ? Par une dérive médiatique
qui ne date pas des médias, est-ce que le sang de l'otage ne vaut pas
davantage que le sang de l'accidenté de la route ou de celui qui meurt de
misère ou de faim ? On a même voulu donner à ce fait une apparence de droit,
et on l'a appelé "la naissance", depuis les Grecs. On a fait de "la
naissance" une des variables de l'aristocratie. Est-ce que, si le sang d'un
juif ou d'un chrétien vaut plus que le sang d'un arabe, la
pseudo-démocratie mondiale n'est pas en train d'avaliser une espèce de
suprématisme subliminal, au terme duquel il serait convenu que, puisqu'ils
ont la supériorité des armes et, pour l'heure encore, celle de la puissance,
le juif et le chrétien seraient l'aristocratie mondiale, au grand dam de
l'arabo-musulman qui continue de porter dans ses gènes la non reconnaissance
d'Ismael et n'a ses pieds que pour trépigner, en se livrant par impuissance
à des guerres intestines, plutôt que de s'unir pour, par passion de
l'égalité, renverser cette aristocratie qui ne tire ses titres que du fait
accompli ? Car la justice est le droit, elle ne saurait être le fait. Mais
le fait a pour lui d'être réel, le droit a contre lui d'être irréalisable.
Faut-il courir après le droit ?

La méfiance du christianisme paulinien envers la loi vient de ce fait que le
droit peut tellement peu être réalisé qu'énoncer la loi pousse à la
transgresser et que les résultats se retournent la plupart du temps contre
leurs intentions (voir Saint-Paul se plaignant de son écharde dans la chair
qui le pousse à commettre bien souvent le mal qu'il ne veut pas en étant
incapable du bien qu'il s'était proposé). De là, la remise en filigranne par
le christianisme de la Justice aux calendes éternelles, parce qu'elle est
une soif impossible à étancher en ce monde, d'où la vanité d'établir un
Royaume en ce monde, Dieu Seul, qui est l'absolu, pouvant étancher la soif
de l'homme dès ici-bas ("et qui boit de cette eau n'aura plus jamais soif"),
ce qui ne dispense pourtant pas l'homme de courir après la justice, car
seuls sont promis au bonheur ceux qui auront été tourmentés de cette soif et
auront essayé de faire la vérité, pour discerner ce qui est juste. Mais la
passion originaire du rapport à la vie qui inspirera le christianisme sera
celle de l'harmonie. Le dis-je parce que je l'ai dans la peau ? Je crois, en
effet, être chrétien dans la peau. Mais, au-delà de moi, la passion de
l'harmonie se lit à travers ce besoin que manifeste le christianisme de
rétablir l'harmonie entre l'homme et Dieu, que n'ont pas réussi à obtenir
tous les sacrifices antérieurs. La logique sacrificielle est-elle juste ? Le
christianisme s'abstient de poser cette question, l'islam aussi,
d'ailleurs, qui se contente d'observer tout comme le christianisme, non
seulement des rites sacrificiels, mais que le sacrifice est la logique
religieuse naturelle, sans que l'on puisse nécessairement remonter à savoir pourquoi.
Aussi, pour obtenir l'harmonie une fois pour toutes, Jésus consent-Il à se
sacrifier au sacrifice, non pas à dieu, j'ose croire, Qui, dans le
Sacrifice de son fils, a peut-être essayé de faire sortir la religion de la
logique sacrificielle, mais ceci est une lecture religieuse. Jésus, prétend
le christianisme, paie un prix unique, et si son sacrifice est renouvelé à
travers la célébration de chaque messe, ce n'est que le même sacrifice qui
est indéfiniment renouvelé, de manière non sanglante.

A la poursuite de la passion de l'harmonie, le christianisme, se plaçant
dans la tradition des antiques épopées, dont les héros connaissaient la fin
heureuse tout en courant leurs aventures, se met dans la situation de
considérer que la pièce est écrite, que la messe est dite, qu'il y a une
"happy end", que la solution est toute trouvée dans l'au-delà, qu'il ne faut
donc pas, à l'excès, chercher des solutions humaines, car cette lutte est
sanguinaire et sans merci, et "mieux vaut compter sur Dieu que de compter
sur les hommes, mieux vaut s'appuyer sur Dieu que de compter sur les
puissants", dit le psalmiste. Non, il ne faut pas à l'excès chercher des
solutions humaines, car tout ce qui est humain est dépassé. Est dépassé, à
peine a-t-on trouvé la solution ! Il faut préférer la vie surnaturelle à la
vie naturelle, est-ce une question de survie ? La passion pour l'harmonie,
dont l'objet est la résolution, est-elle morbide, comparée au combat pour
la justice et l'harmonie ? Morbide, peut-être, mais moins mortelle. Aussi, quel parti
prendre ? Le combat spirituel dispense-t-il du combat pour la dignité
humaine ? Il semble que le christianisme laisse cette question indécise,
ouverte et disputée.

Du moins est-ce l'avis d'un de ces fils de france dont le pays est en cet
état parce qu'il ne parie pas assez sur la vie, et qui a conscience d'être,
en outre, l'un des derniers des moïcans à s'intéresser au sort de son pays. Que
Jeanne d'arc, à ta prière, lui donne ce sursaut de force qui le rappelle à
lui-même en même temps qu'il doit garder à l'esprit que tu n'obtempéreras à
te convertir, à l'appel de la sainte, que si "la nation des chrétiens
devient totalement juste". Quant à toi, continue d'"(accuser) pour rendre la
guerre impossible, en déconstruisant en profondeur,
> les ressorts de la guerre injuste." Continue de dialectiser d'une façon
> qui a jusqu'ici manqué à ta nation. Mais prends garde de ne pas
> "criminaliser ton vis-à-vis". Au cas où ce serait "un eenemi qui se
> transforme", il n'a, pour l'heure, plus les moyens de te rendre les coups
> ; et si tu le criminalises, il n'aura d'instinct de survie que pour se
> braquer contre toi.

Ton torrentiel passionné pour l'harmonie et qui essaie de mettre cette
passion en adéquation avec la reconquête de l'amour de la vie

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