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vendredi 16 décembre 2011

Y a-t-il un risque d'analphabétisation des non-voyants du fait de la désaffection du braille?

Petit mémorendum fait pour un designer infographiste



La voici.

L'oralité gagne du terrain au détriment de l'écrit. Disons, de l'écrit normatif. On écrit beaucoup, mais des SMS. La syntaxe en souffre un peu, l'orthographe beaucoup. Mais l'orthographe est un encodage relativement récent. Donc y perd-on tant que ça? L'image gagne du terrain, le "smile", la photo, le mail est une lettre qui n'a pas encore trouvé sa forme juridique.

L'image est toute-puissante, les aveugles n'ont pas l'image, mais la voix fait écran au braille. L'attrait de l'informatique opérant toujours, la séduction de la voix opère pour l'aveugle en substitution de la séduction de l'image. On ne peut pas, pour un aveugle, pratiquer un substitut de la méthode globale ou semi-globale, avec les exercices permettant de faire correspondre les mots aux choses, pour le plus grand dérèglement du cerveau, nous dit-on, mais pour la plus grande vivacité de l'intelligence infantile, éduquée à être primesautière. L'enfant aveugle, quant à lui, peut prendre conscience de la langue par le traitement de la voix, l'intonation, les syllabes et les retrouvailles de l'écriture syllabique et du béaba grâce à la décomposition des mots pouvant être opérée par les synthèses vocales, ceci pouvant jouer en faveur de la synthèse vocale contre le braille que l'apprentissage de l'orthographe en est plus ludique et peut mieux correspondre à des personnes dont la sensibilité tactile n'est pas assez développée, voire est incompatible avec le braille, car il faut savoir que l'on n'est pas à égalité devant la sensibilité au braille, même aveugle de naissance).

Y a-t-il perte d'autonomie intellectuelle par la synthèse vocale? Cela peut arriver si une synthèse vocale, après avoir initié à la lecture, raconte trop vite, tel un parent virtuel, une histoire à un enfant qui n'a pas appris à se la raconter lui-même en lisant à haute voix, puis à voix basse. C'est encore évident lorsqu'une synthèse vocale est atone, ce qui est très souvent le cas (voir la synthèse vocale "éloquence" dont se sert la majorité des non-voyants comme support vocal du lecteur d'écran Jaws. L'atonie de cette synthèse vocale a un effet d'autant plus pernicieux pour la prononciation du Français inaccentué de france, qu'elle a un accent québécois très prononcé. Par contre, l'atonie peut rendre de très grands services si elle est non accentuelle et par la suite, non dans l'apprentissage de la lecture, mais dans celui de l'écriture, et plus exactement, pour l'écrivain, dans celui de se donner un style. Une synthèse vocale atone et non accentuelle peut servir de "gueuloir monotone". c'était le cas de "sonolect", synthèse vocale déjà ancienne qui permettait de lire sous le système d'exploitation MSdos. Inversement, quand on est bien initié à la lecture, une synthèse vocale tonale (beaucoup d'efforts sont faits en ce sens aujourd'hui) permettent vraiment de s'approprier un livre presque comme s'il était lu "en voix naturelle" (voir par exemple l'expérience d'une bibliothèque numérique comme "le sésame" qui pratique parfois, pour un seul et même livre, un support d'adaptation numérique lisible par synthèse vocale et une autre adaptation lue "en voix naturelle".

Importance de la langue écrite.

L'importance qu'on lui accorde est certes fonction de la valeur que l'on donne au support écrit, de la manière dont on accepte la dysorthographie dans toutes les classes de la population, de la manière dont on se projette aussi par rapport à la transformation de l'écrit. Le braille est un système normatif, mais cérébral, accessible à une classe de tactiles intellectuels, qui préfèrent explorer un texte de façon rêche plutôt que d'explorer une maquette de façon panoramique. Le braille a remplacé le système anciennement inventé par Valentin Haüy, qui était plus difficile à écrire, mais offrait plus d'intérêt figuratif, dans la mesure où il était la transposition pure et simple en cire des lettres ordinaires (voir à cet égard le musée valentin Haüy rue duroc à Paris).

Dans les années 1970, l'optacon, l'ancêtre de toutes les machines à lire, reproduisait le système de valentin Haüy en mettant directement le doigt en contact avec la forme des lettres du "livre en noir" que l'aveugle rencontrait en promenant une caméra d'une main sur la feuille, tandis que l'autre en recevait la forme qui lui était transmise par pizzoélectricité, d'où un contact direct de l'aveugle avec la forme de la lettre "en noir", mais un contact plus désagréable encore que ne peuvent l'être les picots du braille pour des personnes au toucher peu sensible.
En quoi le Braille demeure-t-il l'appropriation de l'écriture par les aveugles ?

Etrangement, beaucoup de voyants qui le voient pour la première fois l'identifient au morse et à un code secret relativement rébarbatif, ce qu'il est en réalité en grande partie, dans la mesure où il est totalement déconnecté de toute espèce d'imagerie. Il suppose et développe une grande capacité d'abstraction qui est utile à l'intériorisation d'un texte. Il est même une sorte de double abstraction puisqu'intrinsèquement fermé à l'image dans la mesure où il ne saurait reproduire la forme des lettres ordinaires sans créer de dichotomie entre la facilité de sa lecture et la difficulté de son écriture, il ne saurait, même de manière lointaine, évoquer un pictogramme, comme les lettres de notre alphabet en ont gardé une trace inconsciente, et rend donc impossible toute visualisation. Double abstraction interdisant la moindre visualisation, le Braille accentue le cloisonnement de l'aveugle dans son aperception visuelle, en même temps qu'il enracine l'aveugle dans l'appropriation maximale de l'écriture, en tant que l'écriture, si elle est trace du pictogramme, est constituée par la différenciation par excellence du signifié avec toute image à laquelle puisse renvoyer le signifiant. Le braille est donc particulièrement propice au symbolisme et, après le passage inévitable par les tâtonnements de l'ânonnement, à l'appropriation de la lecture à voix basse, de "la lecture silencieuse" (cf Roger Chartier). Mais il est permis de se demander si le braille ne favorise pas par trop l'esprit symbolique, voire l'onirisme de l'aveugle qui n'est que trop porté à vivre dans son monde, à travers l'appropriation d'une écriture rêvée à outrance.

Le braille et le vocal sont donc loin de se faire concurrence. D'autant que l'excès de cérébralité, de désincarnation visuelle et de symbolisme que véhicule le braille, le rend souvent répulsif aux aveugles tardifs, qui ont gardé un souvenir visuel ou qui seraient restés, envers et contre tout, des esprits visuels.

Si de nouvelles classes sociales apparaissent du fait de la concurrence des apprentissage au sein des déficients visuels, cela ne tient pas, cette fois, à à l'acquisition ou non du Braille, mais au fait que le braille avait l'énorme avantage de représenter un système normatif simple et peu onéreux alors qu'aujourd'hui, existent de grandes disparités au sein des déficients visuels, selon leur appareillage ou la manière dont ils sont équipés, la disparité de ces équipements, leurs possibilités d'accès à ceux-ci, qui rend très difficile d'évaluer à quel niveau de savoir et d'accès au savoir en est arrivé chacun, et qui rend également très délicat d'échafauder des modules de formation homogènes et progressifs pour tous.

le livre numérique est un avantage par le gain énorme de volume que cela représente et par le fait que le braille papier semble malgré tout relever d'un combat d'arrière-garde, mais si et seulement si l'on arrive à endiguer la disparité des classes sociales émergentes entre une élite de déficients visuels très équipés et de quasi analphabètes sous-informés, disparité induite par l'inégalité des aveugles devant le traitement numérique, qu'avait favorablement corrigée antérieurement l'égalité des aveugles devant le braille, non égalité de sensibilité, mais d'accessibilité à ce support écrit.

"- Quelles autres formes tactiles seraient-elles envisageables pour un contact haptique?"

1. La forme du Braille étant destinée à rester statique, ou plutôt le braille étant relativement aformel, l'appropriation de l'écriture de l'aveugle sera difficilement formelle, et pourtant il faut réconcilier l'aveugle avec la forme.

2. Ce qui peut se faire de deux manières : soit la maquette, soit des livres qui oublient le braille et apprennent ou réapprennent, d'abord en grand, puis en petit, d'abord en majuscules, puis en minuscules, d'abord en lié, puis en détaché, la forme des lettres "standard" en relief à l'usage des aveugles ; peut-être même la forme des images, dans des livres d'images, mais avec des reliefs plus différenciés, avec en bas l'explication du dessin, l'explication valant ici mieux qu'une légende. Comme éléments de relief, des matière, du bois pour un arbre ou pour un pont ; des tissus, des différences de textures, même des textures plus basiques, comme des lignes ou des points environnés de matières premières, synthétiques ou naturelles. Les vagues de la mer en torsades... graines, sable, tissu, feutrine, voire éléments de la nature... Pour un infographiste, il est nécessaire de Se poser la question de savoir si on peut inventer des composés infographiques ou des imitations de ces matières que l'on puisse aisément encoder, puis reproduire par l'impression...

La désaffection du braille est liée à son volume dans un système d'économie de papier, à son caractère peu attrayant pour qui n'en est pas connaisseur et au fait qu'il demande une grande conversion cérébrale. Le braille est informel, mais aformel. Or il peut être ludique pour qui sait l'apprendre en s'amusant, en comprenant que sa table d'alphabet est fondée sur des séries de dix combinaisons de points auxquels s'ajoutent, à chaque fois, dans la série suivante, un ou deux points supplémentaires. Que l'apprentissage du braille parvienne ou non à trouver les voies du jeu de pistes, son appropriation reste irremplaçable pour la lecture silencieuse, intérieure, introspective, c'est-à-dire pour la lecture non superficielle et, si j'ose dire, non cinématographique.

L'appropriation de l'information hypertexte a été résolue depuis longtemps, sur les seules "plages braille", ou lecteurs d'écran en braille, dont disposent très peu de non-voyants, car elles sont beaucoup plus coûteuses que les synthèses vocales, par l'adjonction de deux points au début du lien. C'est la seule adjonction de caractères avant un mot qui ne soit pas de nature à compliquer la lecture du Braille, car elle n'apporte pas une information typographique, mais seulement une information utile et "magnétique" (j'entends par là attractive), en indiquant où l'on peut opérer l'acte magique du "clic". Peut-on dire que l'invitation à cliquer est plus séduisante quand elle est lancée par une synthèse vocale ou quand elle est précédée de deux points braille ? Cela dépend vraiment du support que l'on s'est accoutumé à utiliser pour la lecture. Le "clic" séduit toujours, est toujours une invitation à l'information et au "changement de discipline". Ce qui rend ou non séduisante une voix de synthèse, outre son prix, est vraiment le cas qu'elle fait de l'intonation. Le braille est certes un support atone ; mais pour qui a choisit de l'utiliser en informatique, l'intonation est une "musique intérieure" qu'il se donne à lui-même.

L'analphabétisation qui menace les aveugles ne tient pas au danger que disparaisse l'alphabet braille, ne serait-ce que parce qu'au pire, il sera toujours utilisé peu ou prou en informatique. Le danger d'analphabétisation vient d'une trop grande méfiance vis-à-vis de la capacité d'abstraction que représente le Braille, tout comme le danger d'analphabétisation de la population des gens qui voient clair vient de la trop grande prégnance de l'image, à cette différence près que, comme nous l'avons noté plus haut, la capacité d'abstraction est double chez un aveugle, le braille développe en lui une propension à la concentration qui peut le surintérioriser et surtout attirer la méfiance cognitive des pédagogues envers cet outil d'écriture irremplaçable, dans la mesure où il pousse l'écriture à son paroxysme, dans le différenciel avisuel qu'il établit entre le signifiant et le signifié. Donc l'aveugle qui maîtrise le braille peut être le plus lettré des lettrés, comme le voyant qui ne maîtrise pas son écriture peut être le plus analphabète des analphabètes. L'aveugle ayant très tôt été initié au braille et s'y étant montré insensible, voire incompatible, ne sera jamais tout à fait analphabète, mais pourra être illettré.

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