Pages

vendredi 16 décembre 2011

Le Braille, trop rêche, linéaire, insensible et cérébral

Un extrait de ma réponse à un graphiste designer qui déplorait que, depuis 1830, aucune recherche de plaisir n'ait été faite dans le domaine du Braille.

"Ce que vous dites de l'absence de recherche de plaisir lié au braille est particulièrement vrai appliqué à la musique. Le "brailliste" musicien ne peut se figurer comment la musique est écriture, et je pense que cela le handicape dans sa manière de restituer une partition ou tout simplement de prendre plaisir à la jouer. Il agit par effet mécanique, et cela peut confiner à un certain autisme de son oreille ou de son apprentissage par coeur.

L'apprentissage du braille est, non seulement moins facile que celui des lettres ordinaires, mais, pour certains doigts qui n'y sont pas sensibles, un redoutable pensum intimidant. Donc il y a risque d'analphabétisme, oui, et probablement risque d'analphabétisme par ajout de points aux caractères existants, pour autant qu'on accepte la prémisse de Louis braille, que les six points auxquels il a réduit le système antérieur de Charles barbier, appelé "écriture nocturne", étaient la quantité tout juste nécessaire pour épouser la sensibilité des coussinets des doigts. Comment remédier à cette insensibilité relative ? Les moyens actuels d'embossage ou d'impression du braille devraient constituer une réponse relativement adaptée, dans la mesure où ce traitement informatique produit des points qui s'effacent moins. Du moins peut-on le supposer, mais il faut voir ce que deviendront ces ouvrages à long terme ! Je ne sais pas si on a le recul nécessaire. Je suis d'accord avec le fait que la reliure des ouvrages récents est particulièrement peu attrayante.

Il y a un troisième point, toujours dans le désordre, à considérer : c'est que la plupart des personnes qui ont perdu la vue tardivement ont toujours une image mentale tout à fait adéquate de ce qu'ils ne perçoivent plus par les yeux. Cela leur rend l'accès au braille d'autant plus difficile. A ce stade, on peut dire que les difficultés d'accès au braille varient selon deux séries de facteurs :

1. le fait de savoir si une personne a vu ou non, avant de perdre la vue et quelle image mentale elle a conservé de la vue dans l'affirmative. (Par exemple, est-ce que ses souvenirs visuels l'impressionnent à longueur de journée ? C'est le cas de ma compagne !)

2. le fait de savoir si un aveugle ayant vu ou n'ayant jamais vu serait plutôt à ranger dans la catégorie des auditifs ou des visuels. C'est une distinction par moi forgée, mais je crois qu'elle est assez productive. Pour farie simple, un aveugle auditif compensera assez peu par le toucher. Il visualisera peu et le braille est fait pour lui ! Un aveugle visuel recourera beaucoup au toucher et le braille lui sera d'un usage plus difficile.

Autre manière d'approfondir le même problème : un aveugle n'ayant jamais vu et à tendance auditive n'a aucune notion de perspective. Préalablement à toute cartographie, il y a donc un apprentissage à lui faire faire dans ce sens. Je suis tout à fait dans le cas d'avoir à faire cet apprentissage. Inversement, un aveugle, soit qui a perdu la vue, soit qui est de tendance visuelle, a, de façon presque innée, le sens de la perspective.

Pour en revenir à mon obsession musicale, j'avais acquis il y a quelques années (et mal rangé, selon mon habitude) un ouvrage qui expliquait la musicographie ordinaire aux aveugles. faute de l'avoir travaillé avec un voyant, je n'y ai rien compris et en ai beaucoup de regret, la matière étant difficile d'appréhension pour mon esprit abstrait et aussi peu visuel que possible.

Encore une digression : quand j'étais gamin, je rêvais d'imaginer un système qui m'aurait permis de voir un film en relief, en 2D. J'en rêve encore et crois possible de voir le jour où l'on touchera des images en relief. Je me demande si ce procédé, dans lequel personne n'a à ma connaissance fait de recherches, n'a pas plus d'avenir que l'adaptation de "bandes dessinés" ou d'ouvrages de bibliophilie en braille, car il faut bien se rendre compte que le braille est dans une situation de survie. La numérisation via la synthèse vocale le menace très sérieusement, en dépit des dysorthographies que cela va provoquer. Le braille a été très longtemps une écriture normative. C'est même en cela qu'il a été le plus original. Cette normativité est en train de perdre du terrain.

Peut-être faudrait-il inventer une table générique et normative des objets dans la fabrication d'équivalents "bandes dessinées" en braille. Mais du coup, les objets perdant toute forme et devenant de purs symboles de légende, demeureraient-ils encore des objets? Mais surtout, comment inculquer la notion de perspective à quelqu'un qui n'a jamais vu la verticale de ses yeux?"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire