https://fr.wikisource.org/wiki/Sermon_sur_la_mort#cite_note-1
J'en dégage quelques belles formules et questions:
« C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes diverses.»
L'homme vit volontiers dans l'oublie de la pensée de l'accident. Mon propre apprendre-à-mourir m’y a fait plonger dès ma prime jeunesse par sens de l'observation, compassion et pour conjurer l'échec. Mais vivre dans la pensée de l’accident entretient la morbidité, car il fait "se complaire dans le malheur d'autrui", selon une expression chère à mon père qui en faisait un trait de personnalité d'une parente très protestante, qui appelait la mort sur elle dès qu'elle fut assez vieille pour estimer avoir passé la mesure de ses jours. Elle voulait mourir vieille et en bonne santé et ne pensait certainement pas ce qu'elle disait. Mais elle était portée à pleurer et à rire dans la même minute et croyait la peine mieuxséante, car la morbidité entraîne et désire l'inaptitude au bonheur.
L'homme entre splendeur et misère: "L’homme n’est pas les délices de la nature, puisqu’elle l’outrage en tant de manières ; l’homme ne peut non plus être son rebut, puisqu’il y a quelque chose en lui qui vaut mieux que la nature elle-même, je parle de la nature sensible.
La science et la techniqu: "La science [nous permet de] pénétrer la nature et la technique l'accommode à notre usage." Grâce à elles, "l'homme a presque changé la face du monde." On l'oublie, car l'heure est à la dépréciation de l'homme au profit de la nature, après une période inverse où l'homme était tout et la nature n'était qu'au service de l'homme. Autrefois, l'homme était le but; aujourd'hui, la peur de la fin de la planète démontre que la planète est devenue la fin de l'homme et prépare la fin de l'homme au sens de Michel Foucault. La peur de l'épuisement des ressources naturelles nous fait oublier de lutter contre la faim dans le monde.
"L'homme a presque changé la face du monde." C'est un aspect de sa grandeur. "Il a su dompter par l’esprit les animaux, qui le surmontaient par la force ; il a su discipliner leur humeur brutale et contraindre leur liberté indocile. Il a même fléchi par adresse les créatures inanimées : la terre n’a-t-elle pas été forcée par son industrie à lui donner des aliments plus convenables, les plantes à corriger en sa faveur leur aigreur sauvage, les venins même à se tourner en remèdes pour l’amour de lui ?"
"Car qu’est-ce autre chose que l’art, sinon l’embellissement de la nature ? [L’homme a] quelque portion de l’esprit ouvrier qui a fait le monde. Notre âme, supérieure au monde et à toutes les vertus qui le composent, n’a rien à craindre que de son auteur."
L'Évangile et à sa suite la théologie médiévale se réjouissaient sans orgueil dédaigneux que les anges nous soient soumiset Bossuet entre dans cette émerveillement que l'âme soit suupérieure au monde, mais plus encore aux vertus qui le composent, vertus qui, si elles témoignaient de la qualité de l'âme et devaient être cultivées comme des qualités en devenir auxquelles l'âme était destinée comme elles étaient destinées à l'âme, procédaient avant tout de la hiérarchie angélique, pour les vertus cardinales et à l'exception des vertus théologales qui procédaient directement de Dieu.
Donc le chrétien ne pouvait mépriser les vertus. Pourtant Bossuet fait une remarque très fine sur la nature de la morale: "Mais continuons, chrétiens, une méditation si utile de l’image de Dieu en nous ; et voyons par quelles maximes l’homme, cette créature chérie, destinée à se servir de toutes les autres, se prescrit à [lui]-même ce qu’[il] doit faire. Dans la corruption où nous sommes, je confesse que c’est ici notre faible ; et toutefois je ne puis considérer sans admiration ces règles immuables des mœurs, que la raison a posées."
"Ce que l'homme se prescrit à lui-même" et "les règles immuables des moeurs que la raison lui a posées" désignent à coup sûr la morale. Or Bossuet nous dit que la morale est le point faible de l'homme qui se croit fort. La morale est son point faible, mais elle fait sa force.
La "[méditation] sur l'Image de Dieu que Bossuet a bien raison de décrire comme notre méditation la plus appropriéel'entraîne à dire ceci: "Dieu se connaît et se contemple ; sa vie, c’est de se connaître : et parce que l’homme est son image, il veut aussi qu’il le connaisse."
Ici, mon esprit moderne s'insurge. Pourquoi Bossuet, qui est un esprit classique, n'a-t-il pas écrit: "Le connaisse et se connaisse"? Pourquoi a-t-il entièrement biffé la première partie de l'oracle de Delphes qui forme un tout: "Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l'univers et les dieux", pour ne retenir que la seconde: il faut méditer sur l'homme, Image de Dieu, uniquement en vue de connaître Dieu dont toute l'activité consiste à Se connaître. L'esprit moderne est un esprit psychologique et biffe la seconde partie de l'oracle. Connaître Dieu ne l'intéresse que dans la mesure où cela lui permet de se connaître. Il faut tenir les deux pour tenir l'équilibre et tirer parti du cadeau que Dieu nous fait de Le connaître en nous reflétant, mais sans nous réfléchir en Lui, nous qui avons été créés dans la limite ou sommes devenus limités par nos transgressions, notre désobéissance, rébellion ou refus de la servilité. Connaître Dieu, c'est connaître un "Être éternel, immense, infini, exempt de toute matière, libre de toutes limites, dégagé de toute imperfection."
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