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vendredi 27 septembre 2019

MON TOMBEAU DE CHIRAC

"Qu’est allé faire cet esthète attendri à l’ENA, puis dans la politique ?" (Olivier Seutet dans son "portrait aimable" de Jacques Chirac, qui fut suivi de près par un "portrait vachard")

Il ne convient pas de dire du mal des morts et j'ai trouvé indécente la réaction laconique de Jean-Marie Le Pen: "Mort, même l'ennemi mérite le respect."

Je me souviens d'où j'étais quand Jacques Chirac fut victime de son AVC. Nous revenions d'un déjeuner dans une crêperie près de Mortagne-aux-perches. Comme presque tous les Français excepté mon meilleur ami qui faisait bonne chère avec nous (parfaitement, on peut faire bonne chère avec des crêpes), ma compagne et moi fûmes très attristés par cet accident de santé. Je n'ai pas éprouvé la même émotion à l'annonce de la mort de l'ancien président, peut-être parce qu'on s'y attendait, peut-être parce que c'était pour lui la délivrance, paisible nous dit-on, mais qui a mis sur les genoux son ancien majordome qui en est mort lui-même, a raconté Jean-Louis debré, d'une longue agonie. Chirac pressait tellement le citron qu'il a épuisé tout le monde. Il avait une forte personnalité, nul n'est maître d'en avoir une faible ou forte.

Arrivé à Paris en 1986, je prenais le maire de cette capitale pour un grand bourgeois démonstratif et indifférent et pour un faux dévot fanfaron, tandis que je m'étonnais du silence qu'on faisait sur sa "bourgeoise", qui bientôt s'imposa comme une épervière politique, martelait-on dans tous les canards, alors qu'elle se contenta, outre son soutien à son mari, d'étaler de façon balzacienne, dans un livre écrit avec Patrick de Carolis, son mariage arangé avec un aventurier qui lui avait promis de devenir préfet de Corrèze et qui lui devait son élection présidentielle, à elle ainsi qu'à sa famille car la Chaudron avait de la branche, tenait-elle à nous faire savoir. Quant au maire de Paris, qui était aussi premier ministre de cohabitation de Mitterrand à l'époque, je fus prié de croire qu'il était bon et humain et j'y suis tout disposé, n'ayant aucune expérience personnelle à opposer à tous les témoignages positifs que j'en ai reçus depuis deux jours et depuis toujours.

De Gaulle dut sa renommée à avoir fui deux fois, d'abord en angleterre pour battre les Allemands, puis en Allemagne par peur d'un monome étudiant. Chirac, qui fut lui-même victime d'un monome étudiant dont je fus un des idiots utiles, commença sa carrière par fuguer, la poursuivit en agité du bocal, et redouta au pouvoir de bouleverser les équilibres sociaux d'un pays dont il mesura la fragilité après avoir fait l'erreur de le confier à la gouvernance d'Alain Juppé plutôt qu'à celle de Philippe Séguin à qui il l'avait promise, mais qui faisait peur aux banquiers comme en 1981 les socialistes inspiraient la psychose des chars russes.

Attaché à Juppé, Chirac préféra dissoudre l'Assemblée nationale plutôt que de se séparer de son premier ministre, révélant Lionel Jospin, qui fut à mes yeux le meilleur gouvernant de l'ère post-mitterrandienne."Si j'avais su, j'aurais pas dissolu", croqua Jacques Faizan. Cette dissolution fut la troisième fugue de Chirac, après sa fugue de jeune homme et son inexplicable démission du poste de premier ministre qu'il avait conquis sous Giscard sans vraiment l'avoir ambitionné.

Chirac se "[méfiait] des idées générales", avoua-t-il à Paul-Marie Coûteaux. Que faisait-il en politique?

La communauté juive lui fut reconnaissante d'avoir prononcé un discours où il reconnaissait, outre la complicité "des Français" (lire: de certains français) de mêche avec l'occupant dans la rafle du Veld'hiv, la responsabilité de l'"État français". Qui a jamais dit le contraire? Et aurait-il sied à un gaulliste de sous-entendre que la France était l'"État français" incarné par les collaborateurs de Vichy?

Chirac vendit Ozirak à Saddam Hussein avant d'approuver la première guerre du golfe et de refuser la seconde. Les Palestiniens lui ont conçu obligation d'avoir réagi lestement contre la soldatesque israélienne qui l'empêchait de les saluer à Jérusalem Est. Il fut constant envers Yasser Arafat, qu'il fit soigner en france et qui l'appelait "docteur Chirac".

Chirac fut réélu face à Le Pen en 2002 avec la baraka d'un arriviste. Mais pourquoi cet homme proche du peuple, qui faisait tellement de cas des destinées individuelles, refusa-t-il de débattre avec son adversaire, voire même de le désigner autrement qu'en en faisant le parangon de l'"extrémisme", ce qu'il faut croire, il était?Dès lors, Chirac put accomplir un des rêves de sa vie. Il rêvait d'être gall (gardien de but, ce qui est différent d'être deux galls (De Gaulle, jeu de mots laid!)), il fut un président arbitre.

Chirac avait un tropisme profondément anti-européen. Il définit un jour l'Union européenne, au sortir d'un sommet harrassant, comme le lieu où la politique s'établit toujours à force de "compromis" insatisfaisants pour tout le monde. Ça n'avait pas l'air d'enthousiasmer Chirac l'enthousiaste. Comment un aventurier comme lui, sans revenir à l'Appel de Cochin, a-t-il pu enkyster la France dans un "machin" pareil? Et lui que cette machinerie n'enthousiasmait guère, ne sut que dire aux jeunes avec qui il débattait en 2005 et qui exprimaient toutes leurs réserves sur le traité constitutionnel européen: "Vous me faites de la peine."

On lui sait gré de n'avoir pas engagé la France dans la seconde guerre du golfe en 2003. Mais que n'opposa-t-il le veto de la France contre George Bush plutôt que de laisser Dominique de Villepin prononcer un beau discours, tandis que l'Américain continuerait sa guerre mondiale contre la guérilla terroriste, ferment d'autant plus puissant de totalitarisme orwellien que c'est une réaction disproportionnée contre un ennemi tellement indéterminé qu'il en devient invincible et la guerre infinie. À cette question jamais posée dans ces termes d'abstention du droit de veto, des diplomates ont répondu ces derniers jours que la France pouvait se permettre une posture de non alignée, mais non pas de jouer contre son allié de l'Alliance atlantique.

Chirac termina ses jours dans deux appartements prêtés, le premier par l'ancien premier ministre et homme d'affaires libanais Rafiq Hariri, le second par le milliardaire français François Pinault. Le propriétaire du château de Bitty était-il trop pingre pour payer un loyer parisien?

Chirac, ceux qui l'aimaient comme Jean guitton ou Bernard billaud lui prédisaient un grand deestin. Il eut en effet un grand destin personnel. Mais que vaut le charisme d'un homme face au sacré méthodique de l'Histoire, qui n'est pas que circonstantielle, tribulations et péripéties?

Reposez en paix, Monsieur Chirac!

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