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dimanche 22 septembre 2019

Les convictions ne sont pas intimes

Pascal aurait dit que l'hérésie, ce n'est pas le contraire de la vérité, mais l'oubli de la vérité contraire. L'abbé de tanoüarn, grand pascalien devant l'Eternel autant qu'un aussi grand publiciste peut l'être (il m'a promu son "meilleur ennemi" dans une dédicace (personnelle) de son meilleur livre ("Délivrés"), je peux bien le piquer un peu), a mis régulièrement cela en évidence dans les écrits de Pascal concernant l'"hérésie", mot qui désigne le choix. Et le commentateur de Pascal d'appuyer cela sur une théorie non seulement du pari ("nous sommes tous embarqués"), mais du choix, qui, pour moi, est indépassable. Selon lui, il n'y a que trois choix possibles: le choix du non choix, majoritaire et médiocre; le choix du moi, romantique, égotique et courageux; et le choix de dieu qui mène à la sainteté. "Décider dans le doute et agir dans la foi", recommandait Jean Guitton.

L'hérésie est un choix dans le doute, le choix d'une idée de Dieu ou le choix d'une idole. Platon disait qu'il y a un ciel des idées. Les phonèmes sont les amis du poète. Pour moi les idées sont des stalactites, elles descendent de la surface du moi dans les archétypes oùprend racine la doctrine. Le pape François, qui manque de profondeur quoiqu'il faille se méfier des apparences, dit ne pas craindre les chismes, car ils sont le fait de personnes "qui mettent de l'idéologie dans la doctrine". La doctrine est unstalacmite, au contraire de l'idéologie. Elle monte des racines du "ça" et du surmoi, de la caverne, du tréfond, vers le mythe, avec sa goutte d'eau au supplice chinois, toujours à la recherche d'une pierre, de préférence calcaire plutôt que granitique, qui vienne y trouver l'imperméabilité indispensable à la sédimentation.

La doctrine monteau ciel du mythe, l'opinion va au ciel des idées. Quant aux convictions, elles s'apparentent aux "vérités de foi" -et la foi n'est pas de l'ordre de la certitude- comme l'opinion hisse son outrecuidance jusqu'au ciel des idées, donc de l'idéologie, qui est d'autant plus croyante qu'elle se croit sachante et connaissante. La foi est reconnaissante, mais elle ne connaît rien. La Révélation n'est pas du tout un livre de science, disait le Père Varillon, ancien ami de Rebattet, que j'ai eu longtemps la bêtise de prendre pour un théologien de second ordre. Les ésotéristes fidéistes ont le tort de vouer un culte à la connaissance et de croire que la connaissance est un horizon de foi alors que ce qui a perdu l'homme, que ce soit mythologique ou non, n'est pas d'avoir transgressé un interdit moral, mais d'avoir voulu manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, obligeant Dieu à se situer négativement par rapport à Sa Création et à connaître le mal, Lui qui n'avait trouvée que bon tout ce qu'Il avait fait, car Il était sans malveillance, et si "sapience n'entre point en ame malivole" disait Rabelais, à plus forte raison malivolence n'entre point en sapience. D'où l'on déduit que la pudeur ne vient pas de la nudité qui serait un mal, mais de la honte devant la nudité que la conscience affolée finit par prendre à mal. La nudité est un mal de conscience, qui n'aime pas se voir nue dans sa psyché déformée en miroir. La conscience est la psyché de l'âme, elle n'en est pas le miroir. "Où est le président Félix Faure?" "Il est avec sa connaissance."

L'austère saint Paul apporte de l'eau à mon moulin de conteur fidéiste et mytholâtre, lui qui non seulement fait du christianisme un alégalisme, mais est l'inventeur du slogan de mai 68, "il est interdit d'interdire", quand il proclame: "Tout est permis, mais tout ne convient pas." "La loi met en évidence le péché", il n'y a de morale que conséquentialiste.

Les convictions ne sont pas intimes. Quant à Ludo, (NDLR: Ludovine de la rochère), cette ancienne collaboratrice ou correctrice de la revue "Commentaires" qui avouait ne guère en lire les auteurs, c'est "Brigitte ou le devoir joyeux" (Patrick Rambaud). Pour les sociologues bien-pensants, "La manif pour tous", c'est "les affreux." "Tout est culturel, me disait l'un d'entre eux. Un enfant a appris à s'asseoir sur une chaise." Il n'empêche, la PMA est antibiologique et n'est pas un acte médical. Mais voilà que j'assène des convictions que je crois fondées sur une certaine expérience de la déduction d'un petit d'homme d'une certaine manière de procréer.

Les conservateurs me fascinent parce qu'ils doivent faire du vivant à partir de leur pensée close et presque morte. Les relativistes ont le vivant pour axiome, donc ils bâtissent sur le sable mouvant. Les conservateurs savent qu'on ne bâtit qu'en apprivoisant ce qui paraît résister au mouvement, la fondation du rocher. Il n'y a pas de "mystique du flottement", comme j'en rêvais naïvement dans un poème qui portait pourtant un beau titre, il s'intitulait "Alliance". Dans le plus beau roman de Jean d'Ormesson, "L'amour est un plaisir", qui était aussi le premier qu'il publia après avoir éphémèrement grapillé sa femme à son cousin, Jean d'O se félicitait, à travers le héros qui l'était en miroir de Philippe, son personnage fétiche, d'être "quelqu'un sur qui on ne peut pas compter". Ce qui provoqua le suicide de Gilles -mes deux frères s'appellent Philippe et Gilles, il n'y a pas de hasard, le hasard est la logique de Dieu-, levéritable amant de Bénédicte, la fille qu'il emporta dans des jeux d'eau d'un érotisme sans pareil. On ne peut pas compter sur ce qui flotte, mais on doit compter avec les opinions des autres et on peut compter sur sa foi.

Commentaire posté au pied de ce billet de Philippe Bilger:

https://www.philippebilger.com/blog/2019/09/les-convictions-sont-un-poison.html

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