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Cher Patrice,
Pour répondre à votre question, en règle générale,
la bibliothèque numérique des livres adaptés (BNFA, bibliothèque spécialisée
dans l'adaptation des livres pour les déficients visuels) dispose du droit de
travailler sur les fichiers originaux des épreuves de tout livre paru depuis
moins de cinq ans. Dès lors, toujours en règle générale, lorsque je souhaite
lire un livre récent, je le leur écris, ils se mettent en rapport avec l'éditeur
qui leur fournit le fichier source et ils l'adaptent sous plusieurs formes, en
lecture vocale par une synthèse numérique, en daisytext et en PDF, afin que les
braillistes (ceux qui savent lire le Braille et disposent d'une plage Braille
qui transforme en Braille ce qui est écrit à l'écran) puissent le lire dans leur
écriture préférée (qui est aussi la mienne, mais je n'ai pas les moyens
de m'offrir une plage Braille). Pour les émiles, ça a été différent. Je les ai
achteés et, ce qui reste à ce jour inédit, c'est mon frère Gilles qui me les a
lus et enregistrés pour un Noël. J'ai également lu les nouveaux émiles. Je vous
avoue que je n'ai rien lu d'autre de Matzneff. Mais il me semble que, quand on a
lu ces deux livres-là, on a un bon aperçu de son oeuvre et on n'a pas besoin de
lire le reste..., Matzneff ayant un certain nombre d'obsessions qu'il déroule au
fil de ses livres, journaux, romans (qui sont des autofictions), livres de
chroniques dont on peut retrouver de nombreuses sur son blog que je ne fréquente
pas assez assidûment, mais sur lequel, sur une indication Twitter, entre les
deux tours, au lendemain de la soirée de Macron à la Rotonde, il écrivit un
article fameux pour parler des habitudes du couple Macron dans ce restaurant
dont il est aussi un client régulier. Le livre le plus original, amoral si l'on
veut, de Matzneff, est Les moins de seize ans. Matzneff partageait son goût pour
les mineurs des deux sexes avec René Scherrer, le frère d'Eric rohmer. Matzneff
ne m'intéresse pas à cause de sa sexualité dont je ne pense rien (Matzneff
n'est pas pédophile, mais éphébophile et coureur de jeunes filles). Il
m'intéresse notamment en raison de la nature de sa foi. C'est une foi du
charbonnier , orthodoxe et amorale. Matzneff est un des seuls esprits (avec moi,
mais je n'en connais pas d'autre) à avoir compris le caractère profondément
amoral du christianisme. Je dis bien amoral et non pas immoral. Gide savait ne
pouvoir se revendiquer du christianisme pour écrire son Immoraliste. C'est
probablement pourquoi, profondément égoïste, perdu de moeurs et éperdu de ses
moeurs, il a perdu la foi. Mais le christianisme est un illégalisme, il est un
affranchissement de la loi au profit de la foi, la foi dont un chauffeur de
taxi, espèce d'Abraham moderne qui a tout perdu et l'explique ainsi : "C'est
sans doute parce que Dieu voulait éprouver ma foi", me disait ce matin que la
foi était la substance de Dieu qu'il a mise en nous pour nous permettre de
le connaître dès ici-bas" et la foi sans laquelle rien ne tient, car le moindre
mouvement suppose la foi dans l'intention qui le guide. Il y a toutes sortes de
fois, dont la foi athée, comme l'explique Guillaume de Tanouarn dans son livre
Délivrés.
J'aime la foi illégaliste du charbonnier Matzneff,
mais j'aime aussi sa liberté de croyant, sa "liberté d'enfant de Dieu",
dirait-on dans un langage plus théologique. Cette foi lui permet d'être un
chrétien stoïcien en adoptant l'idée la plus célèbre de cette secte, son
approbation du suicide : on a le droit de quitter la partie quand il n'y a plus
d'issue favorable. Les chrétiens n'osent pas le penser, se souhaitant de mourir
le plus tard possible, comme s'ils redoutaient de rencontrer l'objet de leur
espérance. Matzneff et moi some stoïciens en la matière. Mais Matzneff est,
comme moi, un homme libre qui a peur du jugement de Dieu. Dans un émile très
émouvant envoyé à l'une de ses liasons les plus orageuses, Marie -Agnès, il lui
écrit combien il l'aime et regrette de la si mal aimer et qu'elle l'aime si mal,
mais combien leur amour est éternel. Il ajoute (en substance) : "J'espère que
Dieu pourra me pardonner, je me suis si mal conduit." C'est une confession
enfantine, je la fais mienne. Peut-être que de l'avoir faite me protégera au
moment de mourir. Merci, gabriel, de m'avoir fait la dire après vous.
Et merci, Patrice, de m'avoir permis, par votre
question, de réfléchir aux raisons pour lesquelles j'aime Matzneff, non d'un
amour littéraire, mais d'affinités électives et spirituelles."
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