Il arrive à François Bayrou ce qui marque la plupart des destinées humaines à l'exception des héros ou des personnes choisies par l'histoire qu'on désigne sous le vocable assez sexiste d'"hommes providentiels": une sorte d'anachronisme entre le moment où quelqu'un qui est entré dans la carrière par ambition personnelle est enfin prêt à prendre son envol pour servir l'intérêt général et l'image médiocre que se fait de nous et nous renvoie la société, image à contrejour et floutée au moment où on est soi-même dans le dépassement de l'image.
Lionel Jospin a connu ce désamour au moment où il aurait été bon pour lui qu'il connût l'estime de son pays: excellent candidat pour devenir président en 1995, mais se croyant mal préparé, sa défaite en trompe-l'oeil à cette élection devait lui accorder un sursit pour devenir un de nos meilleurs derniers Premiers ministres, mais c'était pour le faire chuter à l'étape suivante, lorsque lui se croyait prêt à présider la France et au lieu de cela multipliait les gaffes sur "l'âge du capitaine" Chirac qui le rendirent antipathique à l'opinion publique.
François Bayrou respire la bonne volonté et monte en compétence dans l'explication du combat de sa vie: réduire la dette publique, quand il se trouve au comble de l'ambition de sa vie: être un personnage de premier plan au service de son pays, avec une éthique qui ne déteint pas sur celle qu'il s'est toujours assignée: ne pas être un égocrate à la manière de Sarkozy, dire la vérité qu'il croit et qu'il croit être sans alternative en quoi consiste selon lui l'exercice de la démocratie, se trouver en capacité d'agir à un "moment gravissime" où "la France est au bord de la falaise", et se croire l'homme de cette situation et de cet Himalaya, ne pas hésiter à convoquer le spectre de la crise grecque qui est encore dans tous les esprits et peut frapper la France si elle continue d'être un avion sans pilote ou un pédalo sans capitaine, et néanmoins être à côté de la tectonique des plaques, parce qu'il ne va pas y avoir un alignement des planètes politiques pour accueillir ce concours de bonne volonté puisque tous les parlementaires ont promis de le censurer et les partenaires sociaux de lui préparer une rentrée sociale aux petits oignons qu'il n'a pas bien cherchée, mais a un brin méritée, car ce démocrate chrétien ne se rend pas compte qu'il a toujours plaidé pour une politique sociale qui se révèle plus dure que celle qui perçait sous la carapace de Michel Barnier qu'on aurait attendu moins silloniste (au sens de Marc Sangnier) que le Palois qui se révèle avoir des rudesses de François Fillon ou de Laurent Wauquiez, quand il veut responsabiliser les pauvres jusqu'à souhaiter recycler, à l'heure où leurs occupants auront "disparu", les fauteuils roulants des "infirmes" (comme il ne fait plus bon dire sans faire bondir même si je préfère "infirme" à l'infâme périphrase "en situation de handicap"), premier pas d'une méconnaissance sociale qui s'en prend également aux malades souffrant d'affections de longue durée (ALD) qui ont beau constituer 20 % des assurés sociaux, la liste des pathologies couvertes est déjà très fermée et on se refuse à leur assurer des transports sanitaires décents, ce qui est l'autre versant de la grève des taxis, qui ne pensent pas beaucoup plus à ces patients maltraités que les agents de la SNCF ne se soucient de leurs clients quand ils font grève et que les briseurs de grève les accusent de prendre les voyageurs en otages.
Encore, que le Premier ministre envisage de ne pas rembourser à 100 % les médicaments qui ne sont pas liés aux affections de longue durée dont souffrent les malades qu'il stigmatise avec une sorte de cruauté inconsciente! Si ces malades ne sont pas précarisés par leur maladie, pourquoi pas? Mais c'est rarement le cas, et Bayrou s'en prend aux malades pour rembourser la dette que son camp politique a laissé filer et se creuser, ça commence mal, ou plutôt ça laisse percer la même "culture empreinte de violence" ou d'indifférence (Paul Vanier l'a bien cerné) que ce qui l'a rendu relativement indifférent aux suppliciés de Bétharam qui n'étaient pas loin de crier sous ses fenêtres.
Il veut appliquer des franchises indiscriminées pour les foyers riches ou les foyers pauvres sous prétexte que la Sécurité sociale ne fait pas acception de ressources, principe qui, pour être communiste et continuer d'être défendu par la gauche radicale, n'en est pas moins idiot, à l'heure du creusement inquiétant des inégalités et d'une paupérisation désormais quantifiée et documentée de la population française.
Il s'aperçoit qu'il n'est pas capable d'obtenir des mesures de simplification de la vie des entreprises par la voie parlementaire, il promet de procéder par voie réglementaire, il aurait sans doute raison s'il commençait par balayer devant sa porte en appliquant ses programmes antérieurs: il refusait les doublons d'échelons entre la vie locale et la vie nationale qui rendent compliquée l'élaboration de tout projet pour les collectivités territoriales, il n'a pas supprimé ces doublons. Il promettait de supprimer les agences qui font double emploi avec l'ingénérie d'une fonction publique d'État dont il promet d'internaliser les compétences, ces agences sont toujours là. Au détour de son "Discours de vérité", il parlait d'un patrimoine immobilier improductif de l'État qui, s'il était réhabilité, revendu ou au moins réaffecté, pourrait probablement rapporter à la France les milliards qu'il voudrait économiser pour son budget 2026, mais il n'a pas encore missionné des experts qui puissent procéder à l'évaluation de ce patrimoine en vue de ce qui ne serait pas du tout, en l'espèce, une "vente à la découpe", sans parlr de faire supporter par les plus fortunés de notre pays la baisse de ces dépenses comme le fait la France insoumise, et sans envisager que la France arrête de contribuer au budget de l'Union européenne qui ne lui redistribue qu'un tiers de ce qu'elle verse, en faveur de nos agriculteurs, qui préféreraient vivre de leur travail que de ces subsides, avec la concurrence dangereuse du blé ukrainien, des pays du Mercosur ou du CeTA.
Pas plus qu'il n'a calculé précisément ce que pourrait lui rapporter la vente du patrimoine improductif de l'État, Bayrou n'a chiffré le ratio des subventions qu'il pourrait cesser d'octroyer aux entreprises en échange de réformes de simplification qui pourraient rendre le travail moins coûteux. Quant au "travailler tous", il faudrait qu'il nous dise comment il compte l'harmoniser avec l'intelligence artificielle ou comment il s'agirait de réformer "France travail" qui vient d'être créé pour rationaliser la recherche d'emploi des chômeurs et qu'Astrid Panosyan-Bouvet a déjà accusé d'inefficacité dans son intervention d'hier après-midi. Pas un instant, le Premier ministre n'a évoqué comme remède aux emplois non pourvus une meilleure corrélation entre ce qu'enseigne l'école et les besoins des marchés publics ou les débouchés de l'orientation professionnelle avec les besoins de la nation, indépendamment de la baisse criante du niveau scolaire, ce qui n'est ignoré que de ceux qui ne veulent pas le voir. Le Premier ministre a beau jeu de réclamer des ingénieurs femmes à Élisabeth Borne. Si nous avons besoin d'ingénieurs, la parité n'a rien à voir là-dedans.
Le pire est que François Bayrou égraine des politiques publiques qu'il croit originales, mais qui sont les mêmes que celles qui détruisent depuis trente ans nos bijoux de famille. Comment croit-il s'en sortir en prenant les mêmes recettes technocratiques et en retombant dans la même complexité administrative qui décourage ses concitoyens? Si c'est ainsi qu'il compte gravir l'Himalaya, il risque d'être poussé à la chute par ses adversaires politiques et syndicaux.
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