Au milieu d'une nuit pas spécialement chaotique, je me
suis mis à écouter frénétiquement tout ce que je trouvais de Font et Val, que j’ai
entendus pour la première fois de ma vie grâce à Annick Leveau et qu’on m’avait
vendus comme des parangons d’anarchie, donc qui l’étaient restés à mes yeux,
avant que je me rende à l’évidence que premièrement, c’étaient des socialistes
un tout petit peu plus à gauche que les autres et presque des mitterrandiens contents
de l’avènement de ce président qui plut tant à Renaud, ce « chanteur
énervant » qui jurait que la société ne l’aurait pas. Quand on écoutait de
près Font et Val dans les années 86 comme j’ai pu le faire, on se rendait
compte que non seulement ils regrettaient banalement de ne pas passer assez
souvent à la radio, mais qu’ils l’écrivaient dans leurs chansons, comme un
Bernard très sympa que produisait une société britannique qui s’appelait « Ellytams »
(j’orthographie ça n’importe comment) et au service de qui se dévouait quelqu’un
qui en pinçait pour lui et ne trouvait d’autres artistes à faire concourir avec
lui que pour le faire accéder à ce rêve de notoriété tellement naïf que la
chanson sur laquelle il comptait le plus pour se lancer et « percer »
s’intitulait Olympio Olympia et ne faisait rien d’autre que de raconter
au grand jour son désir d’être à l’affiche de la célèbre institution dirigée
par Bruno Coquatrix.
Font et Val languissaient de passer sur les ondes du service
public et le faisaient savoir à longueur de spectacle. Leurs vœux devaient être
exaucés puisque l’un dirigea France inter après avoir léché les bottes du
MEDEF, puis de Sarkozy en ayant oublié comment il harponnait, dans un spectacle
de 1982, donc peu après l’avènement de Mitterrand qui ne permettait certes pas
encore aux cœurs de s’éprendre, regrettait-il dans un dernier sursaut d’idéalisme,
l’innocente droite française du temps de Jean Lecanuet, le patelin maire de
Rouen avec qui était sortie une amie d’Edma, qui l’avait connu personnellement
et m’avait raconté tout le côté insoupçonnablement décadent du personnage aux
dents blanches, au-delà de son aspect insipide officiel.
Mais la désillusion dont je ne suis pas encore revenu tient
au reniement de Font par Val, si bien que je continue de préférer le mort au
vif qui ne lui cède pas comme dans l’adage juridique dont je ne retrouve plus
la formulation exacte, bien qu’Annick me dépeignît Val comme un poète plus averti
que font. Bien que Font et Val aient interprété une ode à Brassens dans
laquelle ils le remerciaient d’être l’Auvergnat et auquel ils ne ménageaient
pas leurs éloges, contrairement à Jean-Marie Vivier qui lui adressa une
supplique déçue pour qu’il n’entre pas à l’Académie française, Jean-Marie
Vivier que j’avais invité par téléphone la veille au soir à venir chanter nos
fiançailles et qui m’assura qu’il l’aurait fait s’il n’avait pas été pris
ailleurs (il le disait avec un accent de sincérité qui ne trompait pas), Val ne
sest pas montré à la hauteur de l’étranger de la Chanson de Brassens
auquel ils identifiaient le personnage privé en abandonnant font à son triste
sort.
J’ai réécouté les chansons de Font avant de relire les
minutes de son procès. Évidemment que ses chansons annonçaient sans précaution
oratoire les penchants pédophiles du saltimbanque assez peu bambocheur repêché
avec élégance par Jacques Maillot et ceux qui tenaient le Théâtre des deux ânes
après qu’il eut purgé ses années de prison.
Qu’est-ce qui me rend sensible à ces destinées transgressives ?
Ma libido réduite à sa plus simple expression comme le raconte le rêve de
Stéphanie (ma toute première, donc ma plus vraie !) ou bien le fait que Font, que je
croyais mort depuis beaucoup plus longtemps, exprimât son penchant pour les
jeunes filles avec une vraie tendresse pour leurs rêves de princesse, bien qu’il
passât les bornes dans une chanson, comme par hasard intitulée Dans les yeux
de Christelle, une autre de mes égéries, et où il avoue que, « dans
les bas » de cette petite fille de sept ans et au royaume de ses poupées,
il ait « trouvé un autre chemin » pour lequel prendre, il lui
demandait « d’être gentille » et elle le devenait ». Je ne me
sens pas de connivence avec ces fantasmes d’intrépide volonté de puissance
masculine voulant pénétrer à contre-temps un continent sacré et secret quand on
a passé l’âge du « touche-pipi » tel que j’ai pu le vivre avec une petite fille qui portait le prénom de la seconde fétiche d'Aragon,
que j’avais l’imbécillité, après mes amoures satisfaites d’enfant de sept ou
huit ans, d’appeler « la peste conne » pour faire chorus avec mon grand frère et en détestant tout à coup ses caprices de petite fille d’autant plus adorable
que tout lui était dû, y compris le fait que nos oreilles supportent ses
décibels, mention qui n’est pas du tout faite dans la chanson de Patrick font
consacrée à Christelle.
Ce que j’aimais chez Font n’était pas ses penchants
pédophiles, pour autant que je puisse en attester franchement et me prononcer
lucidement sur une réalité que je crois être la mienne. Mais j’aimais l’esprit
du Chalet, symbolisé par une chanson que je ne retrouve plus, mais où je
me souviens qu’il y avait ces paroles : « Quand Béatrice est née, il
fallait voir nos yeux », au milieu d’un hymne à la liberté, liberté de
sortir les enfants du carcan de l’école obligatoire pour leur apprendre à faire
du théâtre au milieu d’une nature amie et non hostile située au même endroit
que ce « pays entre Léman, Jura et Germanie, Un pays de montagne et d’eau
et d’amitié » qui « fleure bon la vie » et « rassure un
visage qui pleure » au moment où celui-ci a besoin de trouver quelque
repos à ses peines ravinées, trop savamment entretenues à défaut de sobriété et
de sortie des obsessions : à force d’avoir peur du diable, j’ai vu mon
double et je l’ai vu dans mon double.
Oui, ce que j’aime dans les chansons de Font qui sont
nombreuses, bien écrites et pas toujours assez bien travaillées, c’est l’esprit
du Chalet, cette envie de vivre en liberté, non pas abandonné à mes
instincts, mais suffisamment près d’eux pour pouvoir leur faire confiance sans
nuire à personne si du moins mes instincts me désignent, ce qui reste à
prouver.
Je ne sais pas si le détachement est un antidouleur comme je
l’ai écrit dans mes Aphorismes. Je ne sais pas si la conversion est
détachement, comme le présume une mystique un peu passée. Mais je crois qu’il faut
vivre détaché, désincarcéré de ses carcans scolaires, culturels ou religieux
pour accéder au décloisonnement dont me parlait Jean-Paul Bourre en me
promettant l’éveil au bout de ce décloisonnement. Il faut vivre détaché de soi
pour échapper à l’intranquillité du rapport douloureux avec soi. Douloureux et
inutilement douloureux, nécessairement. « Vivons heureux, vivons cachés »,
dit le dicton que je crois tout droit sorti d’une fable de la Fontaine dont il
constitue la morale. Vivons amarrés à qui l’on est, vivons détachés, sans
obligation de croyance. Se convertir, c’est se désobliger de croire pour ne
plus parler faux, pour ne plus jouer faux, pour ne plus sonner faux. Mais à
peine a-t-on dit cela qu’on se demande comme Pilate à Jésus, non pas « qu’est-ce
que la vérité ? », mais « où est ma vérité ? » « La
vérité est une idole » a dit Pascal et peut-être qu’a fortiori, ma vérité,
mon authenticité sont des idoles, et pourtant je ne peux pas me départir de l’idée,
exprimée à l’instant dans une conversation de trois heures avec Clément après
laquelle je reprends la rédaction de ces quelques lignes, idée qui m’est venue
à la sortie de la messe à ste-Marie où Serge m’a emmené pour me consolé de n’être
pas parti en vacances, de l’idée exprimée aussi dans la chanson Je donnerai
ma voix si souvent citée sur Radio ici et maintenant et où il était
dit que l’auteur donnerait sa voix à celui qui ne chercherait pas dans son
livre d’idées la vérité – et l’Évangile peut aussi être un livre d’idées -,
de l’idée, y viens-je enfin, que j’aimerais que la Parole de Dieu puisse aussi se
déduire du meilleure de moi-même, extraction faite de ce que Dieu doit me dire
pour me tirer de moi, pour m’extraire de moi, pour que la société puisse tenir
à autre chose qu’à moi, qui ne serai vraiment moi-même que quand je serai
détaché de moi, libre d’extraire « ce vent de liberté » qui n’est pas
qu’un slogan d’un cantique boursouflé de Pentecôte un peu trop syncopé, mais
ressortit à ce que Patrick font recherchait dans le Chalet, et tant pis si
cette recherche allait sans sublimer son goût des trop petites filles, le
psychiatre ayant conclu à son procès que Patrick Font était un vrai pédophile – et
moi, et moi, et moi, qui ai toujours eu une propension à me charger de tous les
péchés d’Israël, et si je devais réellement les endosser tous ! –
Il paraît que j’ai dit à Clément un soir en étant soul que
le fantasme était plus beau que la réalité. Moi qui suis un chrétien
feuerbachien, je vis dans le fantasme de Dieu et, quand il m’arrive de m’interroger
sur ce qu’est l’amour, je me dis qu’il n’est pas mon idéal du moi, mais mon
idéal de l’autre, non pour qu’en lui soit transfiguré mon idéal du moi, mais
que l’autre soit vraiment ce qui me manque. Mon idéal de l’autre est l’essentiel
de mon fantasme amoureux. Mais quant à moi ? Quelle est ma vérité ?
Quelle est mon authenticité, détachée de moi-même ? pourquoi ai-je tant
aimé des chansons comme le Grand café ou le Phare de Jean-Marie
Vivier ? Et pourquoi ai-je la conviction qu’étant donné ma culture de pois
chiche en matière de musique classique, ma plus grande passion demeurera la
chanson française, car j’ai l’impression que c’est une passion qui demeure à ma
portée.
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