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lundi 7 juillet 2025

Elsa et Patrick Font

Au milieu d'une nuit pas spécialement chaotique, je me suis mis à écouter frénétiquement tout ce que je trouvais de Font et Val, que j’ai entendus pour la première fois de ma vie grâce à Annick Leveau et qu’on m’avait vendus comme des parangons d’anarchie, donc qui l’étaient restés à mes yeux, avant que je me rende à l’évidence que premièrement, c’étaient des socialistes un tout petit peu plus à gauche que les autres et presque des mitterrandiens contents de l’avènement de ce président qui plut tant à Renaud, ce « chanteur énervant » qui jurait que la société ne l’aurait pas. Quand on écoutait de près Font et Val dans les années 86 comme j’ai pu le faire, on se rendait compte que non seulement ils regrettaient banalement de ne pas passer assez souvent à la radio, mais qu’ils l’écrivaient dans leurs chansons, comme un Bernard très sympa que produisait une société britannique qui s’appelait « Ellytams » (j’orthographie ça n’importe comment) et au service de qui se dévouait quelqu’un qui en pinçait pour lui et ne trouvait d’autres artistes à faire concourir avec lui que pour le faire accéder à ce rêve de notoriété tellement naïf que la chanson sur laquelle il comptait le plus pour se lancer et « percer » s’intitulait Olympio Olympia et ne faisait rien d’autre que de raconter au grand jour son désir d’être à l’affiche de la célèbre institution dirigée par Bruno Coquatrix.

 

Font et Val languissaient de passer sur les ondes du service public et le faisaient savoir à longueur de spectacle. Leurs vœux devaient être exaucés puisque l’un dirigea France inter après avoir léché les bottes du MEDEF, puis de Sarkozy en ayant oublié comment il harponnait, dans un spectacle de 1982, donc peu après l’avènement de Mitterrand qui ne permettait certes pas encore aux cœurs de s’éprendre, regrettait-il dans un dernier sursaut d’idéalisme, l’innocente droite française du temps de Jean Lecanuet, le patelin maire de Rouen avec qui était sortie une amie d’Edma, qui l’avait connu personnellement et m’avait raconté tout le côté insoupçonnablement décadent du personnage aux dents blanches, au-delà de son aspect insipide officiel.

Mais la désillusion dont je ne suis pas encore revenu tient au reniement de Font par Val, si bien que je continue de préférer le mort au vif qui ne lui cède pas comme dans l’adage juridique dont je ne retrouve plus la formulation exacte, bien qu’Annick me dépeignît Val comme un poète plus averti que font. Bien que Font et Val aient interprété une ode à Brassens dans laquelle ils le remerciaient d’être l’Auvergnat et auquel ils ne ménageaient pas leurs éloges, contrairement à Jean-Marie Vivier qui lui adressa une supplique déçue pour qu’il n’entre pas à l’Académie française, Jean-Marie Vivier que j’avais invité par téléphone la veille au soir à venir chanter nos fiançailles et qui m’assura qu’il l’aurait fait s’il n’avait pas été pris ailleurs (il le disait avec un accent de sincérité qui ne trompait pas), Val ne sest pas montré à la hauteur de l’étranger de la Chanson de Brassens auquel ils identifiaient le personnage privé en abandonnant font à son triste sort.

 

J’ai réécouté les chansons de Font avant de relire les minutes de son procès. Évidemment que ses chansons annonçaient sans précaution oratoire les penchants pédophiles du saltimbanque assez peu bambocheur repêché avec élégance par Jacques Maillot et ceux qui tenaient le Théâtre des deux ânes après qu’il eut purgé ses années de prison.

 

Qu’est-ce qui me rend sensible à ces destinées transgressives ? Ma libido réduite à sa plus simple expression comme le raconte le rêve de Stéphanie (ma toute première, donc ma plus vraie !) ou bien le fait que Font, que je croyais mort depuis beaucoup plus longtemps, exprimât son penchant pour les jeunes filles avec une vraie tendresse pour leurs rêves de princesse, bien qu’il passât les bornes dans une chanson, comme par hasard intitulée Dans les yeux de Christelle, une autre de mes égéries, et où il avoue que, « dans les bas » de cette petite fille de sept ans et au royaume de ses poupées, il ait « trouvé un autre chemin » pour lequel prendre, il lui demandait « d’être gentille » et elle le devenait ». Je ne me sens pas de connivence avec ces fantasmes d’intrépide volonté de puissance masculine voulant pénétrer à contre-temps un continent sacré et secret quand on a passé l’âge du « touche-pipi » tel que j’ai pu le vivre avec une petite fille qui portait le prénom de la seconde fétiche d'Aragon, que j’avais l’imbécillité, après mes amoures satisfaites d’enfant de sept ou huit ans, d’appeler « la peste conne » pour faire chorus avec mon grand frère et en détestant tout à coup ses caprices de petite fille d’autant plus adorable que tout lui était dû, y compris le fait que nos oreilles supportent ses décibels, mention qui n’est pas du tout faite dans la chanson de Patrick font consacrée à Christelle.

 

Ce que j’aimais chez Font n’était pas ses penchants pédophiles, pour autant que je puisse en attester franchement et me prononcer lucidement sur une réalité que je crois être la mienne. Mais j’aimais l’esprit du Chalet, symbolisé par une chanson que je ne retrouve plus, mais où je me souviens qu’il y avait ces paroles : « Quand Béatrice est née, il fallait voir nos yeux », au milieu d’un hymne à la liberté, liberté de sortir les enfants du carcan de l’école obligatoire pour leur apprendre à faire du théâtre au milieu d’une nature amie et non hostile située au même endroit que ce « pays entre Léman, Jura et Germanie, Un pays de montagne et d’eau et d’amitié » qui « fleure bon la vie » et « rassure un visage qui pleure » au moment où celui-ci a besoin de trouver quelque repos à ses peines ravinées, trop savamment entretenues à défaut de sobriété et de sortie des obsessions : à force d’avoir peur du diable, j’ai vu mon double et je l’ai vu dans mon double.

 

Oui, ce que j’aime dans les chansons de Font qui sont nombreuses, bien écrites et pas toujours assez bien travaillées, c’est l’esprit du Chalet, cette envie de vivre en liberté, non pas abandonné à mes instincts, mais suffisamment près d’eux pour pouvoir leur faire confiance sans nuire à personne si du moins mes instincts me désignent, ce qui reste à prouver.

Je ne sais pas si le détachement est un antidouleur comme je l’ai écrit dans mes Aphorismes. Je ne sais pas si la conversion est détachement, comme le présume une mystique un peu passée. Mais je crois qu’il faut vivre détaché, désincarcéré de ses carcans scolaires, culturels ou religieux pour accéder au décloisonnement dont me parlait Jean-Paul Bourre en me promettant l’éveil au bout de ce décloisonnement. Il faut vivre détaché de soi pour échapper à l’intranquillité du rapport douloureux avec soi. Douloureux et inutilement douloureux, nécessairement. « Vivons heureux, vivons cachés », dit le dicton que je crois tout droit sorti d’une fable de la Fontaine dont il constitue la morale. Vivons amarrés à qui l’on est, vivons détachés, sans obligation de croyance. Se convertir, c’est se désobliger de croire pour ne plus parler faux, pour ne plus jouer faux, pour ne plus sonner faux. Mais à peine a-t-on dit cela qu’on se demande comme Pilate à Jésus, non pas « qu’est-ce que la vérité ? », mais « où est ma vérité ? » « La vérité est une idole » a dit Pascal et peut-être qu’a fortiori, ma vérité, mon authenticité sont des idoles, et pourtant je ne peux pas me départir de l’idée, exprimée à l’instant dans une conversation de trois heures avec Clément après laquelle je reprends la rédaction de ces quelques lignes, idée qui m’est venue à la sortie de la messe à ste-Marie où Serge m’a emmené pour me consolé de n’être pas parti en vacances, de l’idée exprimée aussi dans la chanson Je donnerai ma voix si souvent citée sur Radio ici et maintenant et où il était dit que l’auteur donnerait sa voix à celui qui ne chercherait pas dans son livre d’idées la vérité – et l’Évangile peut aussi être un livre d’idées -, de l’idée, y viens-je enfin, que j’aimerais que la Parole de Dieu puisse aussi se déduire du meilleure de moi-même, extraction faite de ce que Dieu doit me dire pour me tirer de moi, pour m’extraire de moi, pour que la société puisse tenir à autre chose qu’à moi, qui ne serai vraiment moi-même que quand je serai détaché de moi, libre d’extraire « ce vent de liberté » qui n’est pas qu’un slogan d’un cantique boursouflé de Pentecôte un peu trop syncopé, mais ressortit à ce que Patrick font recherchait dans le Chalet, et tant pis si cette recherche allait sans sublimer son goût des trop petites filles, le psychiatre ayant conclu à son procès que Patrick Font était un vrai pédophile – et moi, et moi, et moi, qui ai toujours eu une propension à me charger de tous les péchés d’Israël, et si je devais réellement les endosser tous ! –

 

Il paraît que j’ai dit à Clément un soir en étant soul que le fantasme était plus beau que la réalité. Moi qui suis un chrétien feuerbachien, je vis dans le fantasme de Dieu et, quand il m’arrive de m’interroger sur ce qu’est l’amour, je me dis qu’il n’est pas mon idéal du moi, mais mon idéal de l’autre, non pour qu’en lui soit transfiguré mon idéal du moi, mais que l’autre soit vraiment ce qui me manque. Mon idéal de l’autre est l’essentiel de mon fantasme amoureux. Mais quant à moi ? Quelle est ma vérité ? Quelle est mon authenticité, détachée de moi-même ? pourquoi ai-je tant aimé des chansons comme le Grand café ou le Phare de Jean-Marie Vivier ? Et pourquoi ai-je la conviction qu’étant donné ma culture de pois chiche en matière de musique classique, ma plus grande passion demeurera la chanson française, car j’ai l’impression que c’est une passion qui demeure à ma portée.

 

 

 

  

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