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mercredi 18 mars 2020

La dépression est-elle une maladie d'égoïstes?

Réflexions suscitées par le billet de Philippe Bilger commentant un article du sociologue Hugues Lagrange et consultable ici: https://www.philippebilger.com/blog/2020/03/le-dur-m%C3%A9tier-de-vivre-.html

La dépression est-elle une maladie d'égoïstes? Et l'égoïsme est-il une maladie de la modernité? Une maladie de "La société des individus" (Norbert Elias) qui tiennent pour une évidence que notre situation au monde est celle de notre conscience individuelle.

Nous consommons des psychotropes en solitaires pour nous tranquilliser de vivre sans compagnie parce que nous avons perdu le sens de la convivialité et de l'initiation qui s'attache à la consommation collective de psychotropes chamaniques ou récréatifs. En Occident, le vin est devenu de l'alcool et l'alcool une drogue.

La crise de la transmission qui faisait que, sans égard au partage des tâches ménagères, les jeunes filles apprenaient les recettes de leur grand-mère, ou encore que les enfants qui n'étaient pas des rois, partageaient le travail de leurs parents et étaient mis à contribution dans les "corvées" du quotidien, repose sur une crise de l'initiation, qu'elle soit rituelle, usagère ou sexuelle: on ne va plus au bordel civil ou militaire pour tenter de "l'essai royal"; on n'apprend plus à faire usage de la vie; l'adolescence est un passage identifié et reconnu,mais un passage de quoi à quoi? C'est une crise identitaire idéalisée dans une période où il n'y a plus d'identité. L'indifférenciation sexuelle ne facilite pas que l'adolescence soit un "passage aux hommes" ou une voie d'accès à la féminité dans une société qui pense que le genre est une construction sociale et non une donnée biologique.

La "société des individus" hait les tuteurs. Et pourtant elle met 1 million de majeurs protégés sous tutelle. Dans une espèce de prison civile (ou de privation des droits civiques) qui ne dit pas son nom.

Alors que "cette absence de guide, à la supposer certaine dans tous les domaines et capitale pour la conduite de nos existences, est sans doute plus une chance qu'une nuisance." Mais dites cela trop fort, vous passerez pour un dangereux anarchiste, agent de déliaison sociale à mettre d'urgence hors d'état de nuire, car une des modalités de la protection des majeurs est la psychiatrisation des sujets dont la police des arrière-pensées suspectera que celles-ci sont à surveiller ou à rééduquer. Notre société cultive cet autre paradoxe qu'elle promeut l'autonomie physique, y compris des plus infirmes, mais se méfie de l'autonomie morale, alors que par ailleurs elle est assez solipsiste, ne concevant l'empathie que comme une concession; suppposant après Sartre qu'il y a une distance infrangible entre "moi" et autrui; jouissant avec goulayance de l'incommunicabilité des êtres.

Il y a certes une solitude existentielle et même ontologique de l'être humain, laquelle n'a jamais été aussi bien rendue que dans la tirade de Norbert de Varenne dans "Bel ami" de Maupassant. Mais c'est la solitude des passages. Ne pas accepter de guides, mais seulement des conseillers, revient à la reconnaître. C'est faire la part de cette solitude quifaisait dire à mon père: "On naît seul, on grandit seul et on meurt seul", sans considérer qu'on ne vient pas au monde sans le secours d'une sage-femme. L'homme n'est pas fait pour être un orphelin ou un cœur abandonné. Mais la solitude ontologique de l'être humain est subordonnée à la communion des saints que j'appelle pour ma part "télépathie générale", courant communionnel de la Création et condition de l'empathie. La convivialité ou convivance, qu'on appelle communément le "vivre ensemble", devrait prendre appui sur ce terrain de la non distance entre mon semblable et moi.

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