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mercredi 4 mars 2020

Dialogue avec Guy Legrand sur l'expérience de Moïse et sur le péché originel

Sur le blog de René Poujol.

De Guy Legrand à Julien 1) je ne crois pas à la notion de péché originel , déduite de la réflexion d’Augustin , sans aucune source scripturaire , comme une faute morale ..Je lis plus volontiers ce texte de la Genèse comme la description de l’incomplétude consubstantielle à la condition humaine qui est source du mal dans la mesure ou quelque chose en nous ne s’y résigne pas et cherche à la nier . La définition du bien et du mal par Heidegger me semble constituer un bon résumé du sens de ce récit de la création :
– le bien ,c ‘est la volonté du sujet qui se réfère à un absolu défini hors de lui même ;
-le mal c’est la prétention à vouloir être tout .

2) précision méthodologique :je ne lis pas la Genèse ni même toute la Bible comme un texte descendu du ciel , mais comme une création humaine inspirée qui a façonné notre conception même du divin . Je reste fasciné par ce dialogue entre Dieu et Moise au livre de l’Exode (32 -34) ou c’est l’homme Moise qui délivre Dieu du châtiment qu’il s’est lui même promis d’infliger à son peuple . Je suis ému quand Dieu sensible à la plaidoirie de Moise en faveur de son peuple, lui dit dans des mots qui défient la traduction : » A travers tes mots tu m’as animé et redonné vie (?) « . Quand dans l’Exode (32,14) on peut lire : et le Seigneur SE REPENTIT du mal qu’il pensait infliger à son peuple . (la bible Osty et la Bible second traduisent « se repentit « là ou la TOb traduit » renonça » . ( J’emprunte cette lecture à Georges Steiner in « préface à la Bible hébraïque) Au risque assumé d’encourir le reproche fait à Job » Qui est ce qui obscurcit mon plan par des mots sans savoir ? (Job 38,2) je lis néanmoins la Bible, parole de Dieu parce que parole inspirée de l’homme , comme un dialogue inégal mais sans concession entre Dieu et sa créature à l’opposé du » soupir de la créature opprimée » conception ou se complait trop souvent la religion . Je ne prétends aucunement à dire la Vérité , mais seulement à être fidèle au choix existentiel fait à l’entrée dans l’âge adulte , d’accepter sous bénéfice d’inventaire mon héritage chrétien et catholique : notre foi ne peut jamais être appréhendée comme un échappatoire à la réalité de la condition humaine Si c’est le cas , alors c’est une imposture aliénante . La conception de la sainteté à laquelle je m’oppose , c’est celle qui consiste à présenter en modèle cette volonté d’échapper à la condition humaine au nom d’une spiritualité idéaliste .Tous ces gourous pervers que l’église catholique , trop souvent nous a donné en exemple sous l’étiquette de sainteté, me confirment dans ce choix . » Strozzi n’était ni homme d’oeuvres , ni philanthrope ; Un révélateur voilà ce qu’il était ; Il révélait aux notables ,aux gens de bien, aux spécialistes de l’exploitation de l’instinct, à ceux de l’ordre moral comme aux sociétés comme aux chrétientés leur chantage, leur vice secret qui consiste , dans une inconscience presque invincible , à considérer les hommes comme des objets » (Jean Sulivan « Car je t’aime , ô Eternité » p 157, 158) .

De ma part:

Je vous remercie de votre comentaire. J’ai envie de le remonter en sens inverse et de vous répondre en deux temps.

2. Vous m’avez fourni, grâce à la relecture de ces trois chapitres si denses du livre de l’Exode, ma méditation de carême de ce jour. J’en retiens ces quelques éléments :

-Dieu promet à Moïse de lui parler comme un ami parle à un ami.
-Moïse amène Dieu à se repentir de Sa colère et ceci me touche, d’abord parce que Dieu se repend, non qu’Il ait péché, mais Il revient, Il remonte la pente qui lui fait Se ressouvenir, Lui dont le Nom est Jaloux (amour de possession, Louis Second), de Son amour, avec des va-et-vient qui sont peut-être dûs aux marées des passions de l’auteur inspiré, mais sont propres à la relation, au dialogue (inégal?) de deux libertés qui s’aiment et ne se comprennent pas toujours, et se donnent un temps pour la haine ou pour le ressentiment, comme le dit l’Ecclésiaste: « Il y a un temps pour tuer et un temps pour guérir ». La foi, c’est la lutte avec l’ange, et c’est aussi la lutte de Dieu avec l’homme, du moins Est-ce mon vécu existentiel de la foi, qui veut anticiper ce dénouement que ma raison présentera toutes ses objections à Dieu, discutera avec Lui, mais que pour finir, elle s’inclinera devant ma foi et se prosternera devant Lui. Une des traductions du nouveau nom que Dieu donne à Jacob après que celui-ci s’est montré « fort contre Dieu » et qu’il sort boiteux de cette nuit de la foi, est, selon Henri Meschonnik que j’ai entendu dire cela devant moi lors d’une réunion consacrée à Claude Vigée au centre communautaire juif de Paris dirigé par Shlomo Malka, Claude Vigée qui n’a pas bien rendu selon moi dans « La lutte avec lange » la densité de ce combat (le combat spirituel n’est pas qu’une tentative de revenir à Dieu, il est aussi une volonté délibérée de s’opposer à Lui), « En lutte avec Dieu », de même qu’une des traductions rabbiniques de la définition que Dieu donne de Lui-même en Exode 3:14-16 est « Peut être », a dit le même poète et traducteur Henri Meschonnik. Voilà qui nous place au plus loin de la métaphysique du Dieu étant , implicite à la philosophie d’Heidegger et importation de catégories grecques dans une religion sémitique comme par une ruse de l’histoire nécessaire à l’universalisation du christianisme, cette histoire juive qui a réussi.

-Mais ce repentir de Dieu provoqué par Moïse me touche aussi, car je me dis souvent que si l’homme avait usé de la même mansuétude pour dire à Jésus que ce calice pouvait s’éloigner de Lui et s’il s’était interposé entre Son Père et Lui pour n’être pas racheté à si grand prix comme Dieu s’est interposé entre Abraham et le couteau du sacrifice pour sauver Isaac, il y aurait eu relation de rédemption réciproque qui aurait la relation réciproque de l’homme et de Dieu. Saint Léon le grand a écrit qu’il étaitdans la nature de Dieu de sauver comme il était dans sa nature de créer. Mais Dieu voulait peut-être être sauvé de vouloir sauver,d’autant que nous ne savons pas de quoi nous sommes sauvés et que nous sentons rarement l’efficace de larédemption. Dieu Lui aussi pouvait vouloir être sauvé, et c’est ce que Moïse a fait en Le faisant Se repentir de Sa colère.

-Mais ce même Moïse qui fait revenir Dieu de Sa colère est un briseur de loi. De colère il brise la loi qu’il s’était vu dicter par Dieu et qu’il avait patiemment retranscrite. Et en brisant la loi, qui sait s’il ne se rend pas coupable d’un plus grand péché que le peuple idolâtre, qui s’est fait un dieu en fondant tout son or et donc tous les matérialismes en une fête de la matière?

-On ne peut voir Dieu sans mourir. Choisir la vie consiste à la saisir comme un rayon de la Lumière divine sans la confondre avec la vision de Dieu. En Jésus, cette « lumière des hommes » qu’était la vie chaque fois qu’un homme entrait dans le monde se fait visage et se fait message. Le visage est une allégorie de la personne en ce que toute personne est une conscience et que toute conscience est un message. Dieu se fait personne humaine en Jésus-Christ, deuxième hypostase de la sainte Trinité.

-Moïse verra la Gloire de Dieu, Il verra passer la bonté de Dieu.

-L’exode ou le carême de Moïse sera de contempler Dieu écrivant Sa loi afin de n’être plus tenté de la briser. Revenant d’avoir vu Dieu écrire et non plus d’avoir écrit lui-même, non seulement Moïse n’est plus en colère, mais il est transfiguré, et la transfiguration de Moïse préfigure la transfiguration de Jésus.

"1) je ne crois pas à la notion de péché originel , déduite de la réflexion d’Augustin , sans aucune source scripturaire , comme une faute morale", commenciez-vous par écrire.

Je regrette cette formulation:

-d'abord parce que vous donnez dans la tarte à la crème qui consiste à imputer à saint Augustin l'invention du péché originel. Qu'il l'ait systématisé, sans doute; qu'il lui ait même donné ce nom, peut-être; mais qu'il l'ait inventée, certainement pas. D'autant que la notion de péché originel a des fondements scripturaires: "C'est en adam que meurent tous les hommes; c'est dans le christ que tous revivront" (I Cor. 15:22). Rm 5:14-15 "Cependant la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, par une transgression semblable à celle d'Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir. Mais il n'en est pas du don gratuit comme de la faute; car si, par la faute d'un seul, tous les hommes sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don se sont, par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ, abondamment répandus sur tous les hommes."

-Ensuite, il ne s'agit pas tant de croire dans le péché originel que d'en comprendre la valeur existentielle. On en saisit quelque chose quand on rapporte au péché originel cette parole du psalmiste (cette parole de David, dont j'ai entendu une interprétation osée donnée par des évangélistes de la mega church de ma ville supposer qu'il se savait enfant naturel et que c'est pour cette raison que Jessé son père n'a pas pensé à l'appeler quand Samuel est venu chercher un roi pour Israël...): "J'étais pécheur dès le sein de ma mère." Valeur existentielle qui s'approfondit quand on se dit que le péché originel est le revers de la communion des saints, la condition de la compassion, de l'empathie, l'inscription de la Création, non dans une distance infrangible de tous les êtres entre eux même si chacun est irréductible à l'autre, mais dans une télépathie générale où tout ce qui arrive à l'un rejaillit sur l'autre, où les signes s'appellent par aimantation de champs magnétiques d'attraction-répulsion, où la télépathie générale est fond commun et condition du langage commun et où pour qu'il y ait solidarité dans le bien ou un supplément de fraternité si vous préférez, il faut qu'il y ait eu solidarité dans le mal.

-La différence entre vous et moi est que vous lisez cet épisode dit du péché originel de manière exégétique quand je le lis de manière poétique. L'emploi de cet adjectifme permet de remercier au passage Jean-Pierre Gosset, non seulement pour m'avoir qualifié de poète, mais aussi pour avoir exhumé le lien d'une émission qui m'est chère, où je fus "le grand témoin" de RCF en marge d'un rassemblement à Lourdes et sans que ma vie soit adossée à une œuvre.

Je n'aime pas l'abus que l'on fait du terme de "mythologie" pour nous mettre à distance de la Révélation dont nous vivons. Mais tant qu'à prendre le récit de la Création pour un récit non seulement poétique, mais mythique, convenons avec Jung ou Anick de Souzenellle que "le mythe est présent", que le mythe est vivant et que si toute religion est un "délire de référence" (Elisabeth Roudinesco et Jean Laplanche définissant la paranoïa dans le "Dictionnaire de la psychanalyse"), nous vivons de ce délire et ce délire nous structure.

"Je lis plus volontiers ce texte de la Genèse comme la description de l’incomplétude consubstantielle à la condition humaine qui est source du mal dans la mesure ou quelque chose en nous ne s’y résigne pas et cherche à la nier", ajoutez-vous.

Je vous sens prêt à donner dans cette autre assomption théologique de la nature humaine qui fait l'économie du salut,et votre référence à Heidegger va dans ce sens, que l'homme a été demblée fait incomplet et créé dans la limite. Je ne suis pas de cet avis, encore faut-il argumenter.

-L'argument le plus fort me semble là encore de nature existentielle. L'homme, ne se souvenant pas d'être né, n'a pas la notion du temps comme on le croit, mais a de manière innée la notion de l'éternité. Si l'on fait un tant soit peu crédit à la psychologie de rejoindre la nature humaine, l'homme n'est pas un être qui vient de la mort. Il n'a pas la nostalgie, mais le souvenir de l'éternité.

-Pourquoi l'homme, étant créé par l'amour infini de Celui qui est l'Infini, serait-il créé dans la limite?

-L'homme vient du Désir et doit retourner à la vie, c'est sa mortalité qui est l'illusion d'une résignation. L'homme est bordé par le principe d'innatalité perçu par Steiner et par l'immortalité de l'âme crue par tous les philosophes grecs. Ce n'est pas un "être pour la mort" comme le dit celui dont vous reprenez à votre compte la définition du bien et du mal:

"– le bien ,c ‘est la volonté du sujet qui se réfère à un absolu défini hors de lui même ;
-le mal c’est la prétention à vouloir être tout ."

Admettons pour le mal. Nous ne sommes pas tout, nous sommes référés à celui qui nous donne tout. Et l'Église se trompe à mon sens quand elle fait de l'orgueuil le premier des péchés capitaux. Ce qu'elle entend par orgueil qui est un synonyme de l'honneur, c'est la prétention. Dieu serait en droit d'être prétentieux, mais Il cesserait de nous respecter s'Il l'était.

Admettons pour le mal, mais pourquoi le bien consisterait-il à accepter pour le sujet une délimitation extérieure à la liberté des valeurs à prendre ou à laisser? Comme si Dieu avait glissé le mode d'emploi de notre êetre dans la boîte à gants de notre "moi", voiture customisée. Dieu ne nous a pas dit qu'un autre, en l'occurrence Lui-même, connaissait le bien et le mal, mais qu'un fruit était disponible pour le conaître, car il était indispensable que cette puissance fût à la disposition de la Création, mais que ce fruit était inutile et si mon hypothèse est pertinente, que Dieu ne voulait pas avoir à en goûter, car Il savait dans quel engrenage d'accusation et de jugement cela nous entraînerait. notre refus de toute espèce d'anarchie nous fait vouloir avoir été créés dans l'hétéronomie quand Dieu nous propose la dépendance, qui est le contraire de l'autonomie, tant vantée par nos sociétés de solitude et de non accompagnement, que le coronavirus convainc qu'il est dangereux de se tendre la main.

De Guy Legrand:

A Julien

Merci pour votre commentaire qui appelle au questionnement .

1) ce qui m’intéresse le plus dans la Bible , paradoxalement par rapport au discours habituel des religions , c’est que c’est par une parole humaine que nous pouvons entrapercevoir non pas Dieu , mais les actions de Dieu . C’est le présupposé de la dogmatique de Karl Barth : nous ne pouvons rien dire de Dieu , nous ne pouvons nous fonder que sur ce que nous reconnaissons des actions de Dieu .

En christianisme , du fait de l’incarnation, ce sont bien la vie et les actes de l’homme Jésus qui nous révèlent Dieu à travers ce que nous en disent ceux qui ont vécu avec lui: la coïncidence parfaite de la vie d’un homme avec la volonté divine » celui qui m’a vu a vu le père . » Ce qui nous permet de dire : cet homme Jésus est vraiment Dieu comme le dit le credo de la foi de l’Eglise .

2) Une parole de Yeshayaou Leibowitz m’a beaucoup marqué : personnage fondamental dans l’histoire de la Révélation , Moïse n’a pourtant pas mis les pieds sur la terre promise . Moïse n’a pas vu Dieu en face, Dieu a même voulu le tuer (passage difficilement compréhensible ) et n’a pas non plus recueilli lui même les fruits de son action libératrice et pourtant c’est Moïse . Ce qui nous ramène à une plus juste appréciation de la qualification par nous même ou par les autres (reconnaissance de la sainteté ? ) de notre propre témoignage . Qui peut dire de lui même ou d’un autre qu’il a véritablement témoigné par sa vie de la présence de Dieu en notre monde, ce à quoi pourtant nous assigne notre baptême et qui donne sens à notre vie ?

3) Enfin , je consonne comme lecteur de Levinas avec votre phrase : le visage est une allégorie de la personne en ce que toute personne est une conscience et que toute conscience est un message . Ce que je lis comme une définition possible du sacerdoce commun des baptisés . Dans ma paroisse on dit à chaque baptême d’un petit enfant : « fais apparaitre un visage de jésus Christ qui n’a encore jamais été manifesté . »

La seule mission qui vaille malgré toutes les ambivalences de la réalité de nos vies et qui reste pour moi une espérance .

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