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vendredi 8 mars 2019

La crise sexuelle de l'Église n'est pas un complot divin

Réponse au billet de l'abbé de Tanoüarn intitulé "Un complot contre l'Église?" et consultable ici: http://ab2t.blogspot.com/2019/03/un-complot-contre-leglise_7.html Cher abbé, Heureux de vous retrouver sur ce blog même si vous y écrivez parce que l’heure est grave. Quelques réflexions poil à gratter comme au bel autrefois : « La mauvaise conscience est aussi dangereuse que la bonne », je crois en savoir quelque chose, mais il n’est pas vrai que la repentance de l’ »Église du jubilé » « n’a convaincu personne » ni que « ce repentir [d’aujourd’hui] doit concerner ceux qui ont péché, en tant qu'ils ont péché. » Car individualiser le repentir dans l’Église, c’est nier le péché originel. Ne nous en déplaise, nous sommes autant solidaires des « bourreaux » s’ils sont des nôtres que des victimes à qui doit aller premièrement l’élan de notre cœur, mais notre prière doit se répartir équitablement entre les uns et les autres, d’autant que, s’il faut absolument individualiser notreréaction, nous sommes tous des bourreaux et des victimes en puissance. La crise qui secoue l’Église n’a rien d’un « complot de Dieu ». Il y a quelques années, j’avais dénoncé vigoureusement que Benoît XVI mette tellement l’accent sur la pédophilie dans l’Église qu’on finissait par croire qu’il n’y avait plus que de la pédophilie dans l’Église. L’énergie que le précédent pape a mise à s’emparer de cette question et à essayer de nettoyer les écuries d’Augias n’est certainement pas étrangères aux raisons qui ont provoqué son départ ou sa démissiion. Le moins qu’on puisse dire est que l’attitude de son successeur est ambiguë. Elle oscille entre indignations vertueuses qui pleurent avec les victimes, convocation d’un sommet sur les abus sexuels sur les mineurs et, dans le discours de conclusion de celui-ci, banalisation de la pédophilie dans l’Église qui, loin d’être envisagée dans ce qu’elle a de spécifique, est ramenée à la « banalité » de la pédophilie familiale et mondiale, elle-même insérée à son tour dans l’ensemble des abus qu’on inflige à l’enfance, comme celui des enfants soldats. L’Église s’engage, entre autres, par la voix du pape, à lutter contre le tourisme sexuel, dont on ne voit pas en quoi ça la concerne. Ces attermoiements pontificaux sont très conformes à l’ »en même tempsisme » des gouvernantsactuels, de Trump à Macron. Ou, pour parler comme François, ces réactions qui jouent de l’effet de balancier sont contaminées par la maladie atrocement mondaine du gouvernement de l’injonction paradoxale. Or l’injonction paradoxale est le mode dont se fait tantôt plaindre et tantôt craindre le pervers narcissique. Lorsque j’ai compris l’affaire Barbarin que je soutenais d’abord, je me suis acharné à flétrir son inaction, non pour ne pas avoir dénoncé des faits dont il a eu connaissance beaucoup plus tôt qu’il l’a prétendu comme en atteste, par exemple, Isabelle de Gaulmin (que vaut un État où il existe des crimes de non dénonciation ?), mais pour ne pas avoir mis ce prêtre hors d’état de nuire et pour avoir continué à lui confier une charge pastorale jusqu’en2015. Quelle volée de bois vert n’ai-je pas essuyé, en particulier de la part des « liseurs » du forum catholique ! N’importe. Aujourd’hui, le cardinal Barbarin démissionne et ne doit pas démissionner. Sinon, pourquoi ne pas exiger la démission du pape comme le fait mgr Carlo Maria Vigano en faisant assaut d’accusations outrancières ? Faut-il que le Père Pierre Bignon ait raison du cardinal Barbarin ? Non. Le cardinal Barbarin doit affronter la tempête aux côtés de ses diocésains et non pas quitter le navire que ses défauts de gouvernance ont fait tanguer. Car l’enjeu est de se demander ce qu’a de spécifique la pédophilie dans l’Église et quel en est le terrain favorable. Trois caractéristiques résument à mon sens la question : - Les prêtres n’ont droit à aucune sexualité active, ce qui est invivable quand on vit dans le siècle. L’Église peut-elle se satisfaire d’imposer une discipline qui fait qu’on ne puisse s’en sortir que par l’hypocrisie ? - Le célibat des prêtres n’est qu’un aspect de ce défaut d’activité sexuel. Il faut sans doute y mettre un terme. Mais il faut avant tout remédier au « trouble dans le genre » par lequel un prêtre, individu de sexe masculin, est configuré à un Corps, l’Église, entité de sexe symboliquement féminin car épouse du Christ. Ce « trouble dans le genre » fait que la véritable origine de la pédophilie dans l’Église est l’homosexualité de beaucoup de prêtres,comme le disent les non conformistes, homosexualité latente à laquelle le cléricalisme qui devrait être l’ennemi selon François (Gambetta ?) fait honteusement diversion dans ces relations abusives où « l’abus de position dominante » ne joue qu’un rôle mineur... Il faut affronter ce « trouble dans le genre » et mettre de l’ordre à la conception sexuée que l’Église se fait d’elle-même, ce qui exige des débats de qualité entre les catholiques.

2 commentaires:

  1. Cher Julien,

    Vous avez réfléchi très profondément à l'affaire Barbarin, au pape François, à la pédophilie, à la vie des religieux catholiques...
    Je suis bien incapable d'avoir une telle profondeur.
    Mon avis est simple : tout homme doit signaler au Parquet un crime ou un délit dont il a connaissance.

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  2. Cher Patrice,

    Votre point de vue a l'air du bon sens même et pourtant, il pose problème, pour au moins deux raisons:

    -Qu'Est-ce qu'avoir connaissance d'un fait délictueux? Peut-on prendre sa plus belle plume et faire état, au parquet ou à une autorité quelle qu'elle soit, de rumeurs qui seraient parvenues jusqu'à nos oreilles?

    -Que penser d'un État qui instituerait la délation comme moyen ordinaire de communication entre les citoyens et sa police ou sa justice? Et pourquoi pas la lettre anonyme, pour faire un clin d'œil à cet anonymat que vous détestez? Sans faire référence aux années de la guerre, vous qui avez des lettres, mais n'aimez pas Zola, j'oubliais, quand il voit exposées sous ses yeux toutes les dénonciations anonymes et calomnieuses dont il a fait l'objet de la part de tous ses voisins sans exception avec lesquels il pensait entretenir de bonnes relations, cela plonge Florent, à la fin du "Ventre de Paris", dans la sidération et l'écoeurement.

    -Mais de fait, si "le cléricalisme" est autre chose qu'une diversion qu'oppose l'Église aux scandales de pédophilies et en raison duquel, non pas les clercs, mais les fidèles auraient fait silence quand ils auraient dû parler, développant une ""culture de l'abus", l'antidot à ce nouveau "péché" de cléricalisme serait que les fidèles n'attendent pas que les évêques aillent dire ce qu'ils sont supposés savoir et aillent devant la justice civile pour le faire eux-mêmes s'ils savent quelque chose. Or ici surgit un obstacle que l'on n'attendait plus dans un état laïque:l'Église a sa propre justice, ses propres procédures, ses propres tribunaux devant lesquels d'aucuns aimeraient que les prêtres incriminés soient déférés d'abord, alors que la justice ecclésiastique ne peut intervenir qu'en doublon et après que la justice civile a passé. La monarchie réunissait les États généraux. En république, il n'y a pas d'autre État que l'État républicain. L'Église a du mal à s'y faire. Elle a beau jeu de dénoncer l'islam, sa charia et ses tribunaux islamiques. L'Église a également la tentationde de devenir un État parallèle. La tradition en a été fortement ancrée sous l'Ancien Régime.

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