ô mèrechérie,
Ma méditation de ce soir commence par une prière. Tu sais bien que mon âme a tant de mal à vivre dans la dépossession et que, pour autant, à moins que ce ne soit à cause de cela, elle est au désert. O mère chérie, ô mère bénie, la dépossession est-elle le contraire de la possession ? Le Christ cherche la brebis perdue, mais je sais que c’est toi qui vis avec moi dans le désert :
« au ciel, il y a un cœur !» (P. gilles Rétinger) et pourtant, ce cœur a été exilé dans le désert qui est « vallée de larmes » dans la mesure où il est espoir d’une oasis.
Que vient faire le désert dans ton élévation dans la Gloire de ton fils ? Par l’ascension que précède la Résurrection sans laquelle la Transfiguration ne saurait être comprise, « l’humanité est, par le Fils, élevée dans la Gloire du Père » ; mais, par l’assomption que précède la dormission, selon les orthodoxes, l’humanité est élevée dans la Gloire du Fils, c’est-à-dire que l’assomption est la prise en charge par la mère de l’avancée au large de son fils. Lors même que le fils connaît l’angoisse de Gethsémani, Il « sue Sang et eau », mais Il ne pleure pas, sinon sur Jérusalem. Il entre virilement dans Sa Passion. Mais sa mère « pleure sur Son fils », d’une douleur dont celui-ci ne montre pas qu’elle lui étreint le cœur, mais à laquelle Il doit être plus sensible qu’il n’a paru puisque, quand Longin, l’homme à la lance, lui transperça le cœur, c’est du sang et de l’eau qui en sortirent. Et Saint-Jean d’insister :
« Pas seulement l’eau, mais l’eau et le sang » sans que nous autres, chrétiens, comprenions très bien la raison de cette insistance.
Une place est préparée au désert pour la Pieta qui vient d’enfanter et à qui est retiré l’enfant, contrairement aux images que propage l’art sacré en général. Une place est préparée au désert pour Marie, « élevée corps et âme au ciel, dans la gloire de son Fils », qu’est-ce à dire ? Les deux images ne présentent peut-être pas des significations similaires. Essayons de les comprendre une à une.
Dans le premier cas, tout se passe comme si le Père, voyant que le dragon va se précipiter pour dévorer l’enfant dès Sa naissance, est pris d’un réflexe presque instinctif de protection des tribulations qui menacent la nature divine qui vient de S’incarner. C’est comme s’Il la reprenait auprès de Lui, comme si, dans un premier temps tout au moins, il ne s’agissait pas que l’enfant soit conscient des dangers qui le menacent et auxquels Joseph a été commis pour y faire face. En passant, notons que la rivalité entre dieu et le dragon n’est pas une rivalité de pacotille : rien à voir avec la scène de Job où on nous présente dieu et Satan en négociation, non ! Non seulement Satan nous est montré comme christophage sur un plan cosmique, mais Satan comprend très bien l’essentiel de la Mission du christ, Qui sera d’être Eucharistie, au-delà de la durée de sa vie terrestre, la Cène étant un Mémorial, c’est-à-dire une actualisation de cette vie « pour les temps et les temps » que durera ce qu’on appelle « le siècle », par quoi l’on entend le monde en sacorruptibilité. Cela met un bémol à l’émerveillement qu’on peut éprouver parfois à entendre satan faire la plus belle apologie de foi qui ait jamais manifesté la reconnaissance du christ sur la terre :
« Nous savons très bien qui tu es, le saint, le Saint de dieu ».
Et nous d’en conclure hâtivement à « LA FOI DES DEMONS » ! Mais non ! La confession démoniaque n’est prosternation que parce qu’elle n’a pu se faire infanticide ou cannibale. Satan ne veut pas que soit mis fin à la perpétration des sacrifices d’enfant par les Aztèques ou je ne sais quelle autre culture ignorée de moi et capable d’une telle barbarie. Quant à la Vierge, elle vit jusqu’à l’intime cette menace qui pèse sur la vie de sonenfant. Elle la vit pour ainsi dire « sur la terre comme au ciel ». Sur la terre, elle doit moins seconder que suivre les initiatives de Joseph qui, dans la tradition de celui dont il est comme un patriarche éponyme, reçoit un songe et retourne en egypte pour soustraire l’Enfant des mains de ceux qui veulent le massacrer. Il y retourne parce qu’il sait interpréter les songes comme ce fils préféré de Jacob vendu par ses frères, et parce que, comme ces autres fils d’Israël, il sait que c’est en Egypte qu’il pourra se protéger contre la famine, c’est-à-dire ici contre la menace. Il monte en Egypte pour permettre à Jésus de refaire en sa Personne et en sa destinée l’ensemble du chemin : d’abord de canaan en egypte, et puis d’Egypte à Canaan, jusqu’à la remontée davidique vers Jérusalem où il sera attesté que « Sa Royauté n’est pas de ce monde ». Marie, elle, ne reçoit pas de songe, une place a été préparée pour elle au désert onirique. Bienheureuse eût-elle été, aus sens humain du terme, si elle avait pu se réfugier dans un songe. Mais il n’est pas jusqu’à l’événement de sa dormition qui ne soit comme soustrait à la possibilité de recevoir un songe. Comme le désert d’un sommeil sans rêve.
Dans cette première fuite au désert de Marie, la mère de Dieu vit sa première Croix : l’enfant est doublement détaché d’elle. Sa nature divine est comme « rendue à Son Père qui est aux cieux ». Quant à Sa nature humaine, elle est confiée au fiancé que Dieu lui a choisi, ce père putatif qui a failli la répudier, même si c’était « en secret » pour ne pas la déshonorer. Marie apprend bien avant l’heure le mystère du détachement maternel. Son Enfant est arraché à Marie. Il est dit que les fils doivent quitter leur père et leur mère pour s’attacher à leur femme. Quelqu’un faisait très plaisamment suivre ce commandement de Dieu d’une exhortation de sa façon qui disait à peu près ceci :
« Mères, laissez vos fils se détacher de vous ! » La vierge Marie a dû laisser s’opérer ce détachement en un moment où son cœur n’était probablement pas prêt. L’enfant a été retiré de son sein. Et c’est la deuxième Croix qu’aura à connaître Marie pour configurer sa vie comblée, mais tragique et qui sourit, mais à travers ses larmes : Marie sera transpercée par le glaive de l’indépendance de son fils, d’une moindre manière lorsqu’Il faussera compagnie à Ses parents pour aller s’entretenir avec les scribes dans le Temple, mais dans une expression qui pourra passer pour un reniement lorsque ce Fils, après avoir demandé :
« femme, qu’y a-t-il entre toi et Moi » à cana, refusera de sortir à la rencontre de sa mère et de ses frères, lorsque ceux-ci voudront lui parler dehors en conseil de famille, arguant que :
« (Sa) mère et ses) frères, ce sont ceux qui font la Volonté de son Père », sous-entendant par là que Marie, voulant « Lui mettre la main dessus » comme le fera plus tard Marie-Madeleine, n’est pas toujours au diapason de cette volonté. Enfin, la troisième croix qu’aura à porter Marie sera d’assister à la mort de Son fils et de recevoir son cadavre dans les bras. Comment peut-on se remettre d’un tel événement ? La Résurrection suffit-elle à effacer le traumatisme ? Le fait est que Marie restera très discrète durant les quarante jours où Son Fils Se manifestera de nouveau auprès de Ses disciples et autres saintes femmes. On dit Marie présente au Cénacle, mais dans un tel silence que c’est comme si elle n’était pas de la partie.
Les traditions divergent concernant l’élévation au ciel de la vierge Marie entre catholiques et orthodoxes. Les uns disent qu’elle n’aurait pas connu la mort, ce qui la rattacherait à Enoch ou à eli d’une manière qui ne correspondrait guère avec sa figure De nouvelle Eve dont la vie n’aura pas été celle d’une « fille du feu » ni d’une spectrographe des fonds souterrains, comme l’ont été respectivement ces deux prophètes. Les orthodoxes préfèrent penser que Marie aurait connu la mort, ce qui rendrait du coup l’Assomption incompatible avec le dogme de l’Immaculée Conception, dont il faut bien reconnaîtreque, révérence gardée à l’eglise qui l’a proclamé, même si l’Immaculée conception a été confirmée de façon miraculeuse à Lourdes, ce dogme paraît plutôt ressortir d’une inflammation de la piété mariale que d’un développement naturel de la foi concernant le destin naturel et surnaturel de la mère de dieu. L’immaculée conception est incompatible avec la dormission orthodoxe pour la raison que ne peut connaître la mort que celui qui n’a pas été exempté du péché, si c’est le péché qui entraîne la mort. Or l’Immaculée Conception fait réputer Marie être « sans péché ». Quoi qu’il en soit, la Tradition orthodoxe veut que Marie se soit « endormie dans la mort », à la manière dont l’épitre aux Thessaloniciens nous apprend que telle devrait être notre destin d’après la mort que, dans un premier temps, ’avant que le Christ ne reparaisse, nous devrions, non point revivre comme dans tout l’imaginaire chrétien qui a eu cours depuis, mais dormir en attendant d’être réveillés par les trompettes du Jugement dernier. Marie aurait été dans cet état lorsque thomas, « le disciple qui arrive toujours en retard », sourit le père Michel Hebdokimoff, demande qu’on ouvre la châsse de la Vierge, non pas, cette fois, parce qu’il ne croit pas qu’elle soit morte ou qu’il anticipe un miracle : mais il voudrait revoir une dernière fois le visage de la Mère de dieu. C’est alors que les apôtres se seraient aperçus que le tombeau était vide et en auraient déduit qu’elle avait été enlevée au ciel.
Mais comment Marie pourrait-elle à la fois avoir été enlevée au ciel et continuer d’être au désert ? On pourrait rétorquer que d’avoir connu le ciel, lorsque « l’esprit-saint la prit sous son ombre », ne l’a pas empêchée d’avoir été, par protection, enlevée au désert. Mais on peut souhaiter que son élévation au ciel soit à présent définitive. « Au ciel, il y a un cœur », mais ce cœur est au désert. Le désert de cette assomption sans bruit me semble comme annoncé parce que l’assomption n’a pas été précédée de la Résurrection comme l’ascension, mais d’une dormission, nouveau sommeil sans rêve, sommeil profond comme la mort sans tunnel. Comme je l’ai déjà souligné, le tragique de la vie de Marie tient à ce que, partout où tous les autres connaissent rêves et tempêtes, tribulations, décisions, elle est dans une espèce de passivité qui saisit son intimité jusqu’à la torpeur. Marie n’a pas moins, mais plutôt plus d’intériorité de ne pas rêver. Et pourtant, quelque chose nous empêche de lui envier une pareille forme d’intériorité.
Marie est au désert de toutes les mystiques qui connaissent à la fois, dans un mouvement alternatif que rien ne semble pouvoir expliquer que les sacs et ressacs de l’amour déjà très bien décrits par le cantique des cantiques, l’Union la plus ineffable avec la Majesté du fiancé de nos âmes et la sécheresse spirituelle, qui rend le visage de ces mêmes mystiques revêche dès qu’elles sont sorties d’extase. Leur conversation est incommode, elles paraissent tristes. C’est peut-être qu’elles reviennent chaque fois de si loin ! C’est dans ce désert que beaucoup annonnent à l’infini des rosaires sur un ton monotone, desquels on ne voit pas comment Marie peut ressentir tomber sur elle une pluie de roses. C’est parce qu’elle est dans ce désert que, presque chaque fois qu’elle apparaît, c’est avec le visage accablé, mouillé de larmes et pour nous annoncer des catastrophes. C’est de ce désert qu’elle tire ce pessimisme, cet alarmismme asséché, tandis que son visage n’en paraît pas moins resplendissant. C’est que, depuis ce désert, Marie n’en a pas moins vue sur le ciel. C’est que, si peut-être une place avait été préparée pour Marie dans ce désert, elle a choisi d’en faire son ciel de lit, son ciel de dormission, tant qu’il y aura des abandonnés. Le don de Marie, c’est peut-être de vivre avec les égarés, c’est peut-être d’avoir dévoué sa vie à être le refuge de ceux qui n’ont plus personne et que personne ne semble appeler sur la montagne. Marie est peut-être « la porte du ciel » qui, aussi inattendu qu’y soit un cœur, est à chercher dans le désert. Jusqu’à ce que retentisse le signal que la Création est affranchie et peut s’abandonner tout entière à « la Paix de Dieu, qui surpasse tout ce qu’on peut imaginer.
17 août 2010
Si le mal n’est qu’un manque à être, le péché n’est que l’écume d’un être.
Pourquoi a-t-il fallu néanmoins que cette écume soit si grave que notre Sauveur ait dû mourir pour cette écume ?
Il faut forcer les portes de l’indifférence.
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