Jean-François
Colosimo : « Le pape François institue l’état d’urgence
permanent »
Quand j'écoute opiner et
phosphorer Jean-François Colo simo
sur bien des forumset analyser l’actualité sur bien des plateaux, je me demande
toujours où est vraiment cet homme et quelle est non pas sa colonne vertébrale,
mais son idée fixe, principale, directrice. Cet article du « Point »
va-t-il m’en apprendre plus sur lui ? Et si j’analyse l’homme d’un point
de vue médiologique pour parler cuistrement comme si j’étais un spécialiste des
schémas d’analyse et de la pensée de Régis Debray, l’homme des jeux de mots, du
Sentier lumineux, des dynasties bourgeoises et de Dieu, un itinéraire,
je me demande pourquoil’ordre des prêcheurs lui a confié la direction des
éditions du Cerf. Pourquoi n’ai-je pas posé la question au frère Éric de Clermont-Tonnerre que
j’ai pourtant eu la chance et l’occasion de rencontrer quand j’étais formé par
lui et d’autres au sein de l’École de prédication que ce spécialiste de l’homéleutique
fonda avec quelques autres ?
Mais
c’est Jean-François Colosimo qui commence par analyser. Et par analyser le
pontificat de François : « Le pontificat de François est à la fois de
suture et de rupture. De suture, car il parachève la réception de Vatican II en
redoublant la priorité accordée par le concile aux pauvres et aux périphéries. »
Les
pauvres étaient-ils vraiment la priorité du Concile Vatican II ? Descendre
de leur piédestal était la priorité de prêtres qui voulaient « décléricaliser »
le modèle sacerdotal, sous l’influence de dom Elder Kamara et pour
employer un vocabulaire cher à françois. »Les périphéries » étaient
la priorité du Concile en ce sens que cette assemblée d’évêques a voulu s’adresser
à elles en cessant de leur jeter l’anathème. Les Pères conciliaires ont voulu s’adresser
aux gens considérés comme hors de l’Églisecomme à des pairs.
« De
rupture, ce pontificat, parce qu'il inaugure un exercice de la papauté fondé
sur une immédiateté, simplicité et proximité radicales. »
Benoît
XVI a commencé à débreefer ses voyages dans son avion de retour au risque de
faire des gaffes et François est allé très loin dans la liberté de l’interview.
«
De Benoît XVI, on se souviendra de la renonciation et de François, de
l'apparition. » « Bona sera ! Et Pascale Clarck de
commenter le « bon appétit ! » de son premier angélus du
dimanche suivant : «Roger vous offre l’apéro et François vous souhaite bon
appétit. »
Quant
à Benoît XVI, ce pape qui n’a jamais trouvé ses marques, je me souviens d’Anne-Lise,
cette candide au pays du catholicisme, allant assister à la canonisation de son
ancêtre pour faire plaisir à sa grand-mère et voyant ce pape enféré dans ses
fanfreluches et à qui on devait tout apporter, le caricatura ainsi :
« Un
pape qui se prend pour un roi ! »
Journal
d'Anne-Lise, invitée à la canonisation de son ancêtre au Vatican. | France
Inter
»
[François] restera comme le premier pape non-européen depuis le
VIIIe siècle, marquant le basculement du centre de gravité de l'Église
catholique du Nord au Sud. »
Il
était temps.
«
François n’a pas révolutionné la doctrine mais modifié la méthode. »Dire cela,
c’est en faire un pape qui abandonne la scolastique pour épouser une sorte de
carthésianisme fraternel ou bienveillant, qui ne doit pas rester que d’affichage.
La scolastique, c’était un discours sans méthode qui prétendait, comme les théologies
naturelles antécédentes, rendre compte de l’univers. Le Discours de la
méthode de Descartes renverse la charge des priorités. Priorité à la
méthode et tant pis pourl’univers. Priorité aussi au discours avec une méfiance
pour le langage !
« [François]
a inversé le schéma de la confrontation entre l'Église et le monde : la
miséricorde de l'accueil doit précéder l'attestation de la vérité, la première
devenant la condition de la seconde.
« Chaque
pape imprime son style sur les relations internationales. Celui de François se
fonde sur le lien personnel et direct avec les dirigeants mondiaux : il
les interpelle et les tutoie comme s'il les recevait à confesse,
et eux sont comme ramenés à leur limitation lorsqu'au détour d'une
phrase il se métamorphose soudainement en pasteur universel du troupeau humain. »
François
tutoie les dirigeants du monde au risque de la mondanité spirituelle. Il les
tutoie comme il tutoie tout le monde au risque de faire croire à un « toulemondisme »
démagogique où, en réalité, le pape dit à tout le monde ce que les dirigeants
du monde ont envie d’entendreconfesser de sa bouche.
« François
va laisser une Église [en] vaste chantier. » La modification de sens
éventuel de l’appréciation de l’analyste est entre [mes] crochets. Ou, pour le
dire en utilisant la question du journaliste Jérôme Cordelier qui interviewe
notre analyste, François a fracturé l’Église comme un chef de chantier creuse
des tranchées.
Et
voici que succède une belle formule de Jean-François Colosimo invité à se
rapprocher de lui-même pour nous en dire pluset se confier : « Dans
le christianisme, il n'y a que des convertis. On ne choisit pas le verbe qui a
pris chair, on le rencontre. Et sur la croix en gage de la résurrection. La
métanoïa, le « renversement » dans le grec de l'Évangile, s'oppose à
la paranoïa, le délire proprement infernal de l'autosuffisance, la croyance
bête comme l'est le diable de se prendre pour un dieu. »
Mais
le Dieu de Jésus-Christ n’est pas seulement celui des « perdants de l’histoire »,
comme le voudrait la kénose souffreteuse d’un Occident décadent. C’est aussi « la
Providence de l’histoire » d’un Bossuet qui le remet au centre du jeu et
qui nous rend respectables par cette autre périphérie du christianisme qu’est l’islam,
si nous Le confessons autrement que comme un aveu de faiblesse. La « folie
de la Croix » n’a rien d’une abdication nihiliste a priori.
«
La vie du monde ne repose pas sur l’action de beaucoup, mais sur la
contemplation de peu ». Donc elle ne repose certainement pas sur ce
commentaire ni sur ceux, pléthoriques, de Jean-François Colosimo décryptant l’actualité
du monde. L’actualité n’est qu’un présent sélectionné, revenons vers l’inactuel
anhistorique ! Il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas, dans ce
déjugement, le désengagement de la contemplation nécessaire à la réconciliation
qui nous fait défaut.
« Qu'est-ce
que le miraculeux ?
Concevoir
chaque individu qui s'avance devant vous comme une épiphanie invitant à la
communion. »
Et
non pas, comme je l’ai fait si longtemps, l’appréhender avec crainte comme le
danger d’une contamination démoniaque. Ici me revient cette parole de mgr
Gaillot proférée sur Radio ici et maintenant, radio on ne peut plus périphérique
parce qu’associative, originale et
marginale, parole qui a définitivement changé mon appréhension de la rencontre :
« Quand on a peur, on n’est pas libre et quand on est libre, ça fait peur ! »
« Laissez passer l’homme libre », disait le frère Luc incarné par
Michaël Lonsdale dans des Vivants et des dieux.
J’ai
dit, à deux jours de sa mort, à un prêtre qui avait la même voix que Michaël
Lonsdale et qui, en dix ans, était devenu un « homme libre » qu’il
aurait pu prononcer cette parole du frère Luc. Et ce prêtre de me répondre :
« C’est incroyable que vous me disiez cela parce qu’à l’instant même où
vous me le dites, je vois physiquement Michaël Lonsdale passer sous mes fenêtres
pour aller déjeuner au Vauban. (Il avait fini ses jours comme aumônier des
Petites sœurs des pauvres, avenue de Breteuil.)
Le
miracle de la rencontre, le fin mot des surréalistes, Dieu comme j’y crois !
Et quand on se rencontre sans se juger ni même anticiper de transformation
souhaitable ou nécessaire, le miracle de la conversion peut se produire. Ce toucher
du salut est, à l’échelle individuelle et personnelle, le plus beau miracle qui
soit.
Et
de ce miracle on passe au témoignage. Il y a une sainteté du pauvre par
identification du Christ qui transfère Sa Personne dans la sienne. Mais mon
regard peut aussi sanctifier celui que je rencontre : « La manière
dont, au sens propre, je vous envisage vous dit quelle est pour moi la
face de Dieu. » C’est on ne peut plus levinassien.
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