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mardi 7 janvier 2025

Disparition de Le Pen ou la mort du dernier soldat perdu

Le Pen est mort. On m’en voudrait de ne pas en parler puisqu’il m’a intéressédepuis 1984 ; puisque j’ai tartiné quelques centaines de pages d’un Journal intimement politique lorsqu’il s’est retrouvé en 2002 en position de pouvoir théoriquement gagner l’élection présidentielle ; puisque j’ai voté pour luisans jamais partager ses convictions, à la démocratie directe et à la République référendaire près ; puisque petit, on m’avait accusé de racisme pour avoir dit avec Albert Camus : « Ma patrie, c’est la langue française », en réaction contre les immigrés qui ne parlaient pas notre langue et ne pouvaient donc pas s’intégrer.

 

Le Pen est mort. rIP, c’est le premier réflexe, celui dela prière, prière en acronyme : « Requiescat in pace ».   Le Pen est mort, mais encore ?

 

J’ai dit de Le Pen qu’il était l’Épouvantail que le Système avait dressé contre lui-même pour avoir un adversaire à se mettre sous la dent et qui le justifiait de se perpétuer, quand bien même il ne satisferait plus personne. C’est ça et c’est autre chose. Le Système disait de Le Pen qu’il n’avait jamais voulu du pouvoir. Il faut croire que le Système sonde sans vergogne les reins et les cœurs. Pourtant il n’aime pas les complotistes qui entrent dans les pensées prétendument secrètes de persécuteurs ou de malfaiteurs imaginaires.

 

Le Pen est mort. Qui était-il ? C’était un mauvais drôle, orphelin de père, viré de tous les lycées et devenu un étudiant bambocheur, puis un député improbable, avant d’engager son errance ou sa violence dans une carrière de soldat perdu. Le Pen n’était pas un menninr, Le Pen n’était pas une lumière, Le Pen était un soldat perdu.

 

Un soldat perdu est le contraire du soldat inconnu. La République aime le soldat inconnu parce que c’est un citoyen anonyme. Un soldat perdu tout comme Le Pen étaient une personnalité.

 

Le Pen était un soldat perdu. C’était un être périphérique qui, comme tous les êtres périphériques,était égocentrique et voulait être central. Il n’aimait pas qu’on dise de lui qu’il était à l’extrême droite, et il disait non sans bêtise qu’il était au centre droit.

 

Le Pen était un perdant de l’histoire et un être périphérique, mais il n’appartenait pas à la périphérie que revendique l’Église d’aujourd’hui, l’Église du pape François. Il disait avoir été reçu par Jean-Paul II qui l’aurait remercié de son travail en défense de la civilisation chrétienne, cette ruse de l’histoire en traind’être ruinée. Il serait inutile de jeter sur le marin Le Pen le soupçon d’être un bateleur. On n’est pas forcé de le croire chaque fois qu’il ouvre la bouche. Pourtant l’Église du pape François n’est pas l’Église de la Volonté de Dieu, c’est l’Église de la volonté générale.  L’Église du pape François est une Église rousseauiste. La personnalité est un produit de la Volonté de Dieu, la volonté générale est un sous-produit des intentions qu’on prête à Dieu.

 

 

Le Pen était un soldat perdu quand De Gaulle était un général. Le Pen se prenait pour De Gaulle ou pour un anti-De Gaulle, mais il ne pouvait pas être De Gaulle. Le général était un mythologue quand le soldat perdu était un mythomane. Le général incarnait un ordre et un pays quand le soldat perdu n’incarnait que la violence de ses propres passions. La haine est une passion de révolte, mais ce n’est pas une passion triste, car la haine est un sentiment, ce n’est pas un ressentiment. Le Pen était plein de révolte, de haine et de jovialité. Mais on n’entraîne pas la volonté générale avec la jovialité de la haine.

 

La France, fille aînée de l’Église et des Lumières courtisanes, a opposé le contrat social à la personnalité de Le Pen. Le contrat social est l’essence de la démocratie française. Nul citoyen ne doit le signer, le contrat social est un pacte impersonnel, la République française n’est pas un régime, c’est une idéologie de régime. Le Pen était au régiment et a souvent été mis au placard pour manquer à la discipline. Le Pen était une personnalité et la personnalité est ce qui s’opposeà l’homme standardisé ou robotisé, pour parler comme Bernanos. La France aime l’homme en général, la République française aime l’homme robotisé. Le Pen était une personnalité, mais il fallait organiser un cordon sanitaire autour de lui, il ne fallait pas délibérer avec lui.

 

En 2002, je me suis dit que Le Pen, provoquant ce qu’on prenait abusivement pour un séisme politique, allait susciter des modèles identitaires identiques : « et si c’était aux États-Unis ? », m’amusais-je malicieusement. On pourrait bien sûr dire que Le Pen a inspiré ou engendré Trump. Mais Trump est un produit du rêve américain et de l’individualisme de cette société mormono-protestante. En France, Le Pen ne pouvait pas représenter beaucoup plus que lui-même.

 

Le Pen a choisi de mourir pour faire un pied-de-nez aux « Charlies Charlot » et au Charlie-Charlot, le jour où l’oncommémorait l’assassinat de ces nihilistes moraux auxquels il ne s’est jamais identifié et moi non plus, surtout après avoir entendu, il y a quelques minutes, la dessinatrice Coco souffler d’une voix frêle qu’elle ne comprenait pas pourquoi on n’avait pas aimé la caricature qui représentait les Gazaouis souffrant d’une famine provoquée par les Israéliens et aggravée par le Ramadan. « Le respect est un mot perfide », renchérissait Riss. Dans sa singularité ultra-beauf, peut-être que Le Pen était plus respectable que « Charlie ». 

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