Le Pen est mort. On m’en voudrait
de ne pas en parler puisqu’il m’a intéressédepuis 1984 ; puisque j’ai
tartiné quelques centaines de pages d’un Journal intimement politique
lorsqu’il s’est retrouvé en 2002 en position de pouvoir théoriquement gagner l’élection
présidentielle ; puisque j’ai voté pour luisans jamais partager ses
convictions, à la démocratie directe et à la République référendaire près ;
puisque petit, on m’avait accusé de racisme pour avoir dit avec Albert Camus :
« Ma patrie, c’est la langue française », en réaction contre les
immigrés qui ne parlaient pas notre langue et ne pouvaient donc pas s’intégrer.
Le Pen est mort. rIP, c’est le
premier réflexe, celui dela prière, prière en acronyme : « Requiescat
in pace ». Le Pen est mort, mais encore ?
J’ai dit de Le Pen qu’il était l’Épouvantail
que le Système avait dressé contre lui-même pour avoir un adversaire à se
mettre sous la dent et qui le justifiait de se perpétuer, quand bien même il ne
satisferait plus personne. C’est ça et c’est autre chose. Le Système disait de
Le Pen qu’il n’avait jamais voulu du pouvoir. Il faut croire que le Système
sonde sans vergogne les reins et les cœurs. Pourtant il n’aime pas les
complotistes qui entrent dans les pensées prétendument secrètes de persécuteurs
ou de malfaiteurs imaginaires.
Le Pen est mort. Qui était-il ?
C’était un mauvais drôle, orphelin de père, viré de tous les lycées et devenu
un étudiant bambocheur, puis un député improbable, avant d’engager son errance
ou sa violence dans une carrière de soldat perdu. Le Pen n’était pas un
menninr, Le Pen n’était pas une lumière, Le Pen était un soldat perdu.
Un soldat perdu est le contraire
du soldat inconnu. La République aime le soldat inconnu parce que c’est un citoyen
anonyme. Un soldat perdu tout comme Le Pen étaient une personnalité.
Le Pen était un soldat perdu. C’était
un être périphérique qui, comme tous les êtres périphériques,était égocentrique
et voulait être central. Il n’aimait pas qu’on dise de lui qu’il était à l’extrême
droite, et il disait non sans bêtise qu’il était au centre droit.
Le Pen était un perdant de l’histoire
et un être périphérique, mais il n’appartenait pas à la périphérie que
revendique l’Église d’aujourd’hui, l’Église du pape François. Il disait avoir
été reçu par Jean-Paul II qui l’aurait remercié de son travail en défense de la
civilisation chrétienne, cette ruse de l’histoire en traind’être ruinée. Il
serait inutile de jeter sur le marin Le Pen le soupçon d’être un bateleur. On n’est
pas forcé de le croire chaque fois qu’il ouvre la bouche. Pourtant l’Église du
pape François n’est pas l’Église de la Volonté de Dieu, c’est l’Église de la
volonté générale. L’Église du pape
François est une Église rousseauiste. La personnalité est un produit de la
Volonté de Dieu, la volonté générale est un sous-produit des intentions qu’on
prête à Dieu.
Le Pen était un soldat perdu
quand De Gaulle était un général. Le Pen se prenait pour De Gaulle ou pour un
anti-De Gaulle, mais il ne pouvait pas être De Gaulle. Le général était un mythologue
quand le soldat perdu était un mythomane. Le général incarnait un ordre et un
pays quand le soldat perdu n’incarnait que la violence de ses propres passions.
La haine est une passion de révolte, mais ce n’est pas une passion triste, car
la haine est un sentiment, ce n’est pas un ressentiment. Le Pen était plein de
révolte, de haine et de jovialité. Mais on n’entraîne pas la volonté générale
avec la jovialité de la haine.
La France, fille aînée de l’Église
et des Lumières courtisanes, a opposé le contrat social à la personnalité de Le
Pen. Le contrat social est l’essence de la démocratie française. Nul citoyen ne
doit le signer, le contrat social est un pacte impersonnel, la République
française n’est pas un régime, c’est une idéologie de régime. Le Pen était au
régiment et a souvent été mis au placard pour manquer à la discipline. Le Pen
était une personnalité et la personnalité est ce qui s’opposeà l’homme
standardisé ou robotisé, pour parler comme Bernanos. La France aime l’homme en
général, la République française aime l’homme robotisé. Le Pen était une personnalité, mais il fallait organiser un cordon sanitaire autour de lui, il ne fallait pas délibérer avec lui.
En 2002, je me suis dit que Le
Pen, provoquant ce qu’on prenait abusivement pour un séisme politique, allait susciter
des modèles identitaires identiques : « et si c’était aux États-Unis ? »,
m’amusais-je malicieusement. On pourrait bien sûr dire que Le Pen a inspiré ou
engendré Trump. Mais Trump est un produit du rêve américain et de l’individualisme
de cette société mormono-protestante. En France, Le Pen ne pouvait pas
représenter beaucoup plus que lui-même.
Le Pen a choisi de mourir pour faire un pied-de-nez aux « Charlies Charlot » et au Charlie-Charlot, le jour où l’oncommémorait l’assassinat de ces nihilistes moraux auxquels il ne s’est jamais identifié et moi non plus, surtout après avoir entendu, il y a quelques minutes, la dessinatrice Coco souffler d’une voix frêle qu’elle ne comprenait pas pourquoi on n’avait pas aimé la caricature qui représentait les Gazaouis souffrant d’une famine provoquée par les Israéliens et aggravée par le Ramadan. « Le respect est un mot perfide », renchérissait Riss. Dans sa singularité ultra-beauf, peut-être que Le Pen était plus respectable que « Charlie ».
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