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jeudi 4 avril 2024

La sainte Russie de Dostoïevski et le nihilisme européen

La sainte Russie du conservateur Dostoïevski contre le nihilisme européen.

Péroraison du réquisitoire d'Hypolite Kyrilovitch au procès de Dimitri Karamazov: "Ne faites donc pas souffrir la Russie et son attente. Notre troïka fatale court peut-être bien au grand galop au-devant de sa perte et depuis longtemps, dans toute la Russie, il y a des hommes qui tendent les bras [les progressistes] et en appellent à arrêter ce galop frénétique, impitoyable. Et si, pour le moment encore, les autres peuples s'écartent devant notre troïka lancée à toute bride, peut-être n'est-ce pas du tout par respect envers elle comme le voulait le poète, mais seulement par effroi, cela remarquez-le. Par effroi, et peut-être par dégoût à son égard, et c'est encore bien s'ils s'écartent, parce qu'ils sont bien capables, allez savoir, de ne plus s'écarter, mais de se dresser comme un mur infranchissable devant cette vision au grand galop, et ce sont eux qui arrêteront la course folle de notre portement pour se sauver eux-mêmes. Eux-mêmes, et la culture, et la civilisation. Ces voix inquiètes de l'Europe, nous les avons déjà entendues, elles commencent déjà à s'élever. Ne succombez pas à leur tentation. N'accumulez pas leur haine grandissante par un verdict qui justifierait le meurtre du père par son propre fils." Autrement dit: "ne cédez pas à leur clémence moins romaine que faustienne. Bientôt elle décrétera la mort de Dieu. Restez conservateurs."

Sur ce, Dostoïevski invente de procéder à un micro-trottoir narratif pour enregistrer les réactions des auditeurs à ce réquisitoire fiévreux qui a néanmoins réussi à "[finir] sur une pathétique.""La Troïka, tiens, vous vous souvenez. Là-bas, ils ont des Hamlet, nous, pour l'instant, nous n'avons encore que des Karamazov", des Karamazov qui "ne vivent que du moment présent", comme les Européens d'aujourd'hui qui s'imaginent être devenus bouddhistes parce qu'ils reprennent leur souffle dans le moment présent pour méditer, et soutirent de ce moment présent de quoi se soutirer de leur angoisse. Or les Karamazov en vivent frénétiquement, quand les Hamlet restent capables de se demander "ce qu'il en sera là-bas", quand bien même ils imagineraient, comme l'Aurélie (et non l'Ophélie) des "Années d'apprentissage", que l'issue est dans le coup de poignard ou comme Dimitri arrivé à un certain point de sa trajectoire, que l'issue aux terreurs de sa conscience criminelle, pour lui "qui a tué son âme", "est dans le pistolet", pour se délivrer maintenant, mais après? Le "Hamlet de là-bas" a engendré les parlementaires anglais qui calculent.

"C'est au libéralisme qu'il [le procureur] faisait du pied." Faisait du pied ou faisait les pieds? "Nous tiens, on va fermer Kronstadt et on leur livre plus notre blé. Où est-ce qu'ils le prendront?
-Mais en Amérique. Maintenant, c'est l'Amérique.
-Mon oeil!"

La voix de Dostoïevski fait encore vibrer les jeunes Russes, même les plus dissidents. Je sais une jeune femme qui regrette que Poutine fasse perdre du temps à son pays pour qu'éclose "l'âme russe" en dehors de toute violence inconsidérée. Elle hait la guerre en Ukraine, mais vibre à Dostoïevski, quand nos matérialistes attermoient devant l'inflation qui nous sanctionne plus que nos sanctions ne sanctionnent la Russie, car nous nous montrons incapables, ne fût-ce que de voler leurs avoirs pour ne pas entrer nous-mêmes en économie de guerre.

Marx disait avec mépris que le dernier pays où mettre en application son système était la Russie. Pourtant, bien avant Marx et extérieurement à la course des Russes les plus méprisés par Dostoïevski au libéralisme européen, c'est en Russie que naissait le socialisme le plus idéaliste. Socialiste gâché deux fois au moins: par l'assassinat du tsar Alexandre II qui, si le scénario du film "Katia" rediffusé dimanche dernier dit vrai, ne se serait pas contenté d'abolir le servage, mais aurait couronné la tsarine dans sa jeune épouse morganatique pauvre en adossant l'empire russe à une constitution. Mais de jeunes terroristes trop pressés, qui ne savaient pas ce qui se tramaient dans le palais du tsar, n'ont pas cru Katia et ont tué le tsar, retardant de cinquante ans les réformes attendues et les soumettant à la vindicte du communisme encore en herbe.

"Car beaucoup de gens croient saisir un effet d'opportunité qui se révèle dévastateur, car il devance la réforme et cueille le fruit avant qu'il ne soit mûr. C'est vrai dans les familles, c'est vrai dans les nations", me commentait hier mon frère avec qui j'en discutai.

Lequel a déniché un concile russe datant du début des années 2000, où il est écrit que si le soldat russe est amené à perpétré des masacres (on n'y évoque pas notre notion ugstinienne ou thomiste de "guerre juste"), le soldat russe doit s'abstenir de combattre. Au début de la guerre ukrainienne, mon frère en a écrit au pape François et est déçu que sa missive soit restée lettre morte. Car enfin on ne discerne pas dans les mots de ce concile la soumission FSbiste de l'Eglise orthodoxe russe. On était pourtant au début du poutinisme qui promettait certes un retour à la foi, mais après avoir "poursuivi les Tchétchènes jusque dans les waters."

Est-ce que la diplomatie vaticane est trop avertie pour ne pas savoir que Kyril, rencontré par François à Cuba (comme les circonstances se heurtent!) est inféodé à l'Etat russe ou n'est-elle pas assez subtile pour avoir lu les mots de ce concile?

François a fait ce qu'il a pu en détournant l'injonction de Fatima de "consacrer la Russie seulement aux coeurs immaculés de Jésus et de Marie." Il a associé l'Ukraine à sa consécration. Et puis il a proposé sa médiation, et puis il a appelé les deux peuples à se parler, et puis il a appelé au cesser-le-feu. mais apparemment, ce n'était pas encore assez ou ce n'était pas ce qu'il fallait! 

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