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vendredi 8 septembre 2023

Soutenir l'autodafé privé?

"Il n’est pas question de supporter aveuglément le fait de brûler des corans. On ne peut pas d’un côté s’émouvoir de la réécriture d’ouvrages du passé ou de leur effacement des bibliothèques et applaudir quand un coran est brûlé. Les livres témoignent d’un passé et plutôt que de les brûler ou de les effacer, démarche peu constructive, il serait préférable de les critiquer, de les contextualiser, de les expliquer et, encore mieux, d’en écrire d’autres. Brûler un livre, n’importe quel livre, n’a jamais rien produit de bon, ni élevé l’intelligence collective ou fait progresser un débat. Pour autant, rendre cet acte pénalement répréhensible, c’est s’engager sur une pente extraordinairement dangereuse." (Richard Malka, "le Monde", 3 septembre 2023)


"À tort ou à raison, une distinction a toujours marqué mon attitude intellectuelle et psychologique dans le domaine de la liberté d'expression. La séparation entre les idées et les croyances. Les premières sont faites pour relever des débats, pour être contredites. Une idée interdite est le comble de l'étouffement démocratique. Les esprits et les intelligences sont offensés. Mais une croyance relève des tréfonds intimes, des histoires personnelles et familiales, d'un terreau qui se rapporte aux sensibilités. Il me semble qu'on devrait laisser tranquilles ces états d'âme et ne jamais se poser en prosélytes ou en procureurs de ces sphères étrangères à la rationalité et à l'argumentation. Une croyance qu'on blesse, singulière ou collective, c'est de l'indélicatesse humaine." (Philippe Bilger)


Autrement posé, nos croyances racontent l'histoire de nos conditionnements. Cette histoire est à la fois aveugle et purement visuelle, étrangère aux discussions de l'entendement.


Cette distinction entre les idées et les croyances me paraît beaucoup plus féconde que celle entre les croyances et les savoirs, prétentieuse et portée par des docteurs autoproclamés, généralement en sciences inexactes, donc humaines, qui font profession d'oublier que la science procède par hypothèses et que le dernier mot du sage Socrate en matière de philosophie est prononcé quand l'ultime savoir de l'homme le conduit à reconnaître qu'il ne sait rien.

Les caricatures de Mohamed sont venues de la presse danoise et l'interdit des autodafés du Coran devrait encore nous venir de cette "démocratie atypique" qui a voté "non" au traité de Maastricht (si je ne m'abuse) et qu'on a fait revoter pour qu'elle change d'avis en obtenant des exemptions prébréxiteuses à l'application des normes les plus entravantes de l'Union européenne.

Je parodierais volontiers ce mot de Jeanne d'Arc à Pierre Cauchon: "Démocratie luthérienne, c'est par toi que je vis et démocratie luthérienne, c'est par toi que je meurs, bien que mon président ait dit beaucoup t’admirer en faisant un parallèle désavantageux avec ses concitoyens les Gaulois réfractaires."

Il me semble qu'il nous faut distinguer entre l'autodafé d'une personne privée comme Salwan Momika et un autodafé qui serait exercé par une puissance publique et dont Voltaire, dans "Candide", nous a inspiré une juste horreur. Salwan Momika au contraire, a le droit de faire ce qu'il fait. C'est un happening qui veut éveiller les consciences à la source d'exactions que peut être le Coran s'il est pris au pied de la lettre, et l'exégèse qui interdit de l'interpréter encourage à le lire de cette manière littéraliste et avec une vénération sacrée qui va jusqu'à faire de l'eau bénite à partir de l'eau coranisée, qui acquiert des vertus thaumaturgiques d'avoir touché le Coran. Ce lanceur d'alerte irakien réfugié en Suède et d'origine chrétienne sait ce qu'il en coûte d'être athée en terre d'Islam. On n'en a pas le droit, pas même au Maghreb, et on fait silence en Occident sur cette proscription de l'athéisme.

Une nation européenne n'a certes pas le droit de reprendre à son compte ce que se permet une personne privée, et la "sagesse des nations" ou le "droit des gens" n'ont jamais fait depuis les Lumières qu'elle promeuve d'autodafés autres que symboliques, le contre-exemple étant la mise au pilon décrétée par les tribunaux. Mais une nation cultivée doit protéger le droit de la personne privée à brûler des livres, d'autant que le procédé est moins obscène que celui des caricatures du prophète dans des positions inconvenantes.

Le blasphème ne peut pas être un délit retenu par un Etat laïque, car il ne reconnaît aucun culte, mais je conviens avec vous que le blasphème relève de l'immaturité du blasphémateur.

L'abbé Guillaume de Tanouarn avait produit au moment de l'affaire du "pisse-Christ" une distinction féconde entre le blasphème et le sacrilège en disant qu'on pouvait certes commettre un blasphème, mais que le sacrilège était le respect du sacré et que ce qu'on peut appeler en bonne part "le respect humain" devrait nous interdire de profaner le sacré des autres.

Cela peut paraître contradictoire avec mon cautionnement de l'autodafé privé, mais je résoudrai ma contradiction à l'aide de votre distinction des idées et des croyances. Un autodafé privé manifeste une antipathie fondamentale avec des idées qu'on veut symboliquement brûler. Une caricature obscène atteint l'image d'une figure que l'on vénère. Or l'idée est rationnelle et la croyance est visuelle, d'où la tentation iconoclaste de toutes les religions, toujours en vigueur dans l'islam qui interdit qu'on se fasse toute image non seulement du Dieu unique, mais de toute réalité du monde visible et invisible, ce que l'islam résout par l'arabesque, la plus belle forme d'art selon Baudelaire.

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