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lundi 30 janvier 2023

La gauche et la culture

En écho à ce billet de Philippe Bilger: 


Justice au Singulier: Comme Fabrice Luchini, aimerions-nous être de gauche ? (philippebilger.com)


Amusant voire incroyable de tomber en cette nuit même où vous postez ce billet, sur cet extrait du cinquième entretien "A voix nue" de Catherine Nay que je ne connaissais pas, mais voulais écouter depuis longtemps et vous livre en glaneur que je suis, comme tous les contributeurs de ce blog.

Marie-Laure Delorme demande à Catherine Nay: "Pourquoi n'êtes-vous pas de gauche?" "C'était Lucchini qui avait une phrase très drôle. Il dit: "Je ne suis pas assez fort pour être de gauche, je ne suis pas assez moral, pas assez formidable." Parce que ces gens de gauche ont un tel sentiment de supériorité par rapport aux gens de droite qu'ils s'imaginent être incultes, être des barbares et eux ont la supériorité. Ça, je l'ai senti quelquefois quand vous arrivez dans des milieux de gauche et qu'on vous regarde comme une fille de droite. Moi, ils me trouvaient sympathique parce que probablement, je le suis, mais comme quelqu'un d'un peu inférieur parce que je ne suis pas de gauche. Cette espèce de prétention où on a pour soi la supériorité, la justice, la morale et la culture disent-ils, ça m'est absolument insuportable.

Mais vous voyez, pour la culture, le grand ennemi de la gauche, c'était Sarkozy, qui n'a pas digéré le fait qu'on le traite de barbare parce qu'il avait dit que pour être postier ou pour entrer dans l'administration, il n'y avait pas besoin d'avoir lu "la Princesse de clèves". Vous vous souvenez d'intellectuels qui se baladaient avec un badge au salon du livre: "J'aime "la Princesse de Clèves" et de tous ces artistes qui lisaient "la Princesse de clèves" sur les marches de l'Odéon pour montrer que Sarkozy, c'était vraiment un ignare, un inculte qui ne méritait pas d'être président de la République. C'a été pour lui une telle honte, une telle blessure qu'il s'est mis à lire tout ce qu'il n'avait pas lu avec la fougue qu'on lui connaît et comme c'est un hypermnésique, il a vu tous les films, il a lu tous les livres et pour nous montrer qu'il n'était pas l'inculte que l'on disait, il nous recevait, nous les journalistes, et on avait toujours le quart d'heure Lagarde et Michard où il nous parlait des auteurs. Si on avait lu Balzac, il trouvait toujours le roman qu'on n'avait pas lu, un roman vraiment inconnu, difficile à trouver, et il a même fait un livre sur sa culture, ses goûts en peinture, ce dont les Français se moquent un peu ou à quoi ils sont indifférents: il avait cette blessure de l'ego qui lui est venue de la gauche.

Mais regardez François Hollande.Il est interviewé pendant la campagne présidentielle en 2012 par Michel Onfray* qui lui demande: "Quel est votre livre préféré?" Il répond: "C'est "le Petit prince" de Saint-Exupéry." Vous l'avez lu comme moi, on me l'a offert pour ma communion solennelle. La morale, c'est: "On ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux."* C'est un peu court, c'est charmant, c'est gentil, c'est même gentillet, mais dire que c'est le meilleur livre... Onfray lui demande: "Et puis quoi d'autre?"

"Eh bien Marcuse." "Quoi de Marcuse?" "Tout Marcuse." Tout ça montre qu'il ne l'a pas lu. D'ailleurs, ceux qui connaissent bien François Hollande et Ségolène Royal et qui ont été chez eux savent qu'il n'y avait pas un livre dans la bibliothèque. C'était un couple qui était voué à sa vie politique. Il y a même une photo de Hollande dans un canot pneumatique lisant: "l'Histoire racontée aux nuls" ou "l'Histoire pour les nuls". C'est quelqu'un qui n'a pas de culture. Mais là, la gauche l'a élu sans lui demander des comptes s'il avait lu les grands auteurs qu'il fallait avoir lus. Comme il n'en a aucun complexe, la gauche ne pense pas à le stipendier, à lui dire qu'il était un mauvais homme de gauche tandis que Sarkozy,à cause de cette histoire de "Princesse de Clèves" passe pour un ignare, pour un barbare, pour un homme indigne d'être président de la République."""


Catherine Nay : les autres et moi : un podcast à écouter en ligne | France Culture (radiofrance.fr)


*Que Michel Onfray étant encore de gauche morale pense, dans "Philosophie magazine", à vérifier la compétence des nouveaux présidents de la République en matière de philosophie en dit beaucoup sur la légitimité que la gauche ne songe même pas à mettre en doute à donner des leçons, à vérifier les devoirs et à donner des notes. La note attribuée à Nicolas Sarkozy par Michel Onfray était mauvaise parce que Nicolas Sarkozy avouait que ce qu'il aimait le plus dans la vie et ce qui l'intéressait le plus chez les autres était le côté transgressif. "La transgression n'est pas morale", cinglait Michel Onfray. Donc Nicolas sarkozy ne l'était pas non plus, et il était immature, donc recalé.

*Une sorte de morale à la: "J'aime les gens", affirmée par François Hollande dans son discours du Bourget, un amour déclaratif dont on peut se demander s'il peut être généralet générique, pourtant l'"amour des gens" peut avoir quelque chose d'immédiat qui n'est pas nécessairement synonyme de manque de profondeur. L'amour du particulier qui approfondit l'amour du général se signale par un supplément d'attention dont Simone Weil fait à raison la faculté d'entrée en communication et pour ainsi dire en matière avec les choses de l'esprit.

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